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Identification des points de rupture dans la série longue des productions de sardine en France (1900-2017)

Identifying change-points in long term series of sardine exploitation in France (1900-2017)
Pascal Le Floc'h, Frédérique Alban, Mathieu Merzéréaud et Erwan Duhamel
p. 49-78

Résumés

A partir de séries longues, sur plus d’un siècle de production de sardine sur les côtes françaises, l’article pose la question du comportement d’adaptation des communautés de pêcheurs face aux variabilités dans l’abondance de la ressource. Une méthode de segmentation de la série chronologique permet d’identifier des points de rupture en recherchant des phases stationnaires. Le résultat aboutit à trois périodes, la première débutant en 1900 avec un point de rupture en 1971. Les deux segments suivants courent sur les périodes 1972 à 1998 et de 1999 à 2017. Le mouvement de concentration de l’industrie de la sardine s’accélère précisément sur le premier point de rupture. Le cadre conceptuel retenu, en complément de la méthode de segmentation, est celui des socio-systèmes et de la résilience des acteurs face à de fortes perturbations. Si les ports de pêche sardiniers ont pu maintenir leur spécialisation par une capacité d’adaptation à des changements mineurs, avant le premier point de rupture, elle devient insuffisante face à des perturbations majeures. La littérature sur les socio-systèmes considère que la capacité d’adaptabilité est alors requise pour maintenir une activité économique. C’est un fait illustré dans cet article.
Classification JEL : Q22, N54, C22, L23.

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Notes de l'auteur

Ce travail de recherche a été financé par France Énergies Marines et le programme ANR dans le cadre du projet Appeal (ANR-10-IEED-0006-25).

Texte intégral

1. Introduction

1Les communautés de pêcheurs sont soumises à des pressions permanentes, d’ordre biologique par les fluctuations d’abondance en partie liées à de trop fortes pressions de capture, d’ordre économique par les variations de prix du poisson et des coûts de production. Les pressions subies par les pêcheurs, modifiant leurs revenus (Coulthard, 2012), s’expriment par des crises économiques et sociales. L’industrie de la sardine a vécu de nombreuses crises d’ampleurs variables au cours du XXe siècle, la plus profonde remonte au début des années 1900 (Fichou, 2012 ; Durand, 1991). Les origines des crises sardinières ne sont pas toutes clairement identifiées. Les changements de régime dans l’abondance de la ressource, par effet d’une pression de pêche trop élevée ou des changements environnementaux océaniques, sont une source de perturbations. Les facteurs d’instabilité proviennent également des marchés. La sardine est en effet un produit d’exportation et d’importation (Marie d’Avigneau, 1958). C’est un petit poisson pélagique de la famille des clupéidés (Culley, 1971). Sa biomasse et son exploitation sont importantes, et depuis très longtemps car les Romains la consommaient déjà communément. Elle est planctonophage, c’est-à-dire quelle se nourrit principalement de phytoplancton (microalgues) durant les premières phases de sa vie, pour se nourrir de zooplancton, et principalement de copépodes, lorsqu’elle est adulte. Elle se déplace en bancs, parfois très importants, souvent relativement proches de la côte et peut évoluer dans toute la colonne d’eau jusqu’à une profondeur d’environ 100 mètres. Les fluctuations saisonnières sont fréquentes, créant une incertitude permanente dans les prévisions d’apport sur les marchés. Les pêcheurs écoulent l’essentiel de leurs productions auprès des conserveries, implantées sur l’ensemble du littoral atlantique des côtes françaises depuis le XIXe siècle (Marie d’Avigneau, 1958).

  • 2 Les ressources halieutiques sont les ressources marines vivantes (espèces animales et végétales) ex (...)

2Dans les périodes de forte abondance, ce sont les pêcheurs de sardine qui ont parfois limités leurs prises afin d’éviter un trop fort fléchissement des prix imposés par les conserveries (Durand, 1991). Mais le caractère individuel des pêcheurs a dans l’histoire lointaine (Jackson et al., 2001) ou contemporaine (Hannesson, 1996) empêché une décision collective pour réduire l’offre. Face aux changements de régime dans les niveaux d’abondance des ressources halieutiques2, les communautés de pêcheurs donnent ainsi l’impression de vivre dans une situation de crise permanente, réclamant le soutien des autorités publiques (Schrank, 2005 ; Le Floc’h et al., 2017). Cependant, toutes les situations d’incertitude sur les niveaux d’abondance de la ressource ne traduisent pas une perte de revenu ou d’emploi. Les scientifiques ne cessent d’alerter les administrations publiques sur le risque de disparition de l’ensemble des espèces exploitées, amenant même à prévoir une fin de l’exploitation commerciale en 2048 (Worm et al., 2006). Les cas extrêmes d’effondrement d’un stock de ressources marines vivantes se multiplient. Le moratoire imposé sur les pêches industrielles de la morue en 1992 constitue un cas d’école (Parsons, 2010), soulevant la question de la diversification des communautés côtières dépendantes de la ressource marine. Les pêcheries de sardine n’échappent pas à ce phénomène (Baumgartner et al., 1992 ; Herrick et al., 2007) même si, dans le cas étudié dans cet article, les changements de régime dans l’abondance de la ressource ont un caractère transitoire.

3À partir de séries longues, sur plus d’un siècle de production de sardine sur les côtes françaises (hors Méditerranée), nous posons la question du comportement d’adaptation des communautés de pêcheurs face aux changements dans l’abondance de la ressource. L’industrie de la conserve de poisson opère un mouvement de concentration dans la seconde moitié du XXe siècle, divisant par deux le nombre d’établissements (un peu plus de 200 usines en 1930 et une centaine en 1970). Couvrant l’ensemble du littoral Atlantique et de la Manche sur la première moitié du XXe siècle, les dernières conserveries de poissons se concentrent sur le littoral de Bretagne sud au début du XXIe siècle. Ce mouvement de concentration industriel et spatial des conserveries a-t-il accompagné un mouvement identique chez les pêcheurs ? Les principaux ports de pêche sardiniers du début du XXe siècle ont-ils toujours une activité significative sur cette espèce ? C’est par l’analyse des séries temporelles des productions débarquées que nous apportons des réponses. Le cadre conceptuel pour analyser les résultats retient celui des socio-systèmes animés par la notion de résilience.

4La seconde section propose une revue de littérature sur l’approche des socio-systèmes. L’examen des pêcheries puise plus fréquemment dans l’approche des socio-systèmes, avec désormais dans les pays développés une définition écosystémique de la gestion des ressources. La troisième section décrit les séries longues sur les débarquements de sardine en France (hors Méditerranée). Issues de rapports produits par les services de l’État sur différentes époques (fin de la période coloniale, entre-deux-guerres, période de reconstruction de 1945 à 1970, époque contemporaine), les statistiques ne sont pas toutes délivrées sous un format homogène. La validation des données de production a exigé un regroupement des ports de pêche marginaux vers des pôles de production plus significatifs dans la durée. Ce travail conséquent de validation a débouché sur la définition d’une échelle territoriale pertinente pour l’industrie de la sardine. La quatrième section décrit la méthodologie mobilisée pour identifier les territoires les plus résilients sur une longue période. L’identification des points de rupture, liés à des changements de régime de la ressource ou des comportements de pêche soumis aux pressions du marché, repose sur une méthode de segmentation de la série temporelle des productions débarquées. On cherche des phases historiques de comportement homogène par l’analyse de stationnarité. En complément de cette segmentation, l’indice de Herfindhal-Hirschman apporte une preuve supplémentaire du mouvement de concentration de la production chez les pêcheurs. Les résultats sont commentés dans la cinquième section. L’identification de segments historiques homogènes et celle des ports spécialisés sur la sardine désignent les systèmes industriels locaux les plus résilients, c’est-à-dire constamment dépendants de cette industrie sur la longue période. Ce sont aussi les plus vulnérables face aux fluctuations de la ressource ou du marché. C’est l’occasion de rappeler les limites méthodologiques de la segmentation de séries temporelles dans l’identification des points de rupture. La conclusion de l’article ouvre sur la problématique des points de rupture dans les séries chronologiques de longue période. La méthode mobilisée offre un champ fécond de recherches historiques sur les productions des pêches maritimes pour mieux éclairer les enjeux contemporains.

2. Une revue de littérature sur les socio-systèmes

5La représentation des systèmes productifs locaux (INSEE, 2015) emprunte dans le domaine des ressources agroalimentaires au concept de système agroalimentaire localisé (Requiers-Desjardins, 2010). Dans une option plus large de filière, intégrant les exploitants de la ressource et les transformateurs, on préfère la référence aux socio-systèmes qui présentent l’avantage de s’appuyer sur les notions de résilience et de vulnérabilité. Un des fondateurs du courant de recherche est von Bertalanffy (1968), biologiste de formation et concerné par les impacts sociaux sur l’environnement. Ses travaux encouragent ses successeurs, principalement en biologie et écologie, à faire de l’approche systémique une science nouvelle intégrant les faits économiques et sociaux. La notion de résilience devient centrale dans cette approche des socio-systèmes, reliant plusieurs échelles spatiales des systèmes de production et de reproduction. Les pêcheries n’échappent pas à cette science nouvelle. Perrrings (1998) propose une définition de la résilience : « Resilience is a measure of the ability of a system to withstand stresses and shocks – its ability to persist in an uncertain world », sans préjuger d’un ordre socialement ou écologiquement acceptable : « Resilience thus makes no distinctions, preserving ecologically or socially undesirable situations as well as desirable ones it similarly translates into resistance to change when such change is mandated » (Levin, 1998). Il y a par conséquent de la bonne et de la mauvaise résilience.

6Holling (1973, 2001) associe à la résilience deux autres facteurs pour définir un système en capacité de s’adapter à des changements de régime, le contrôle social d’une communauté d’acteurs (ou connectivité) et les ressources potentielles à exploiter. Deux scenarii assurent un avenir à une population, dans les deux cas la détention de ressources alternatives est requise. Une forte résilience combinée à un faible contrôle social permet au système de résister au changement en maintenant la même trajectoire de croissance (Guttierez et al., 2011). Une faible résilience liée à un contrôle social fort (par l’existence d’entrepreneur-innovateur ou schumpétérien) offre au système l’opportunité d’abandonner l’ancien sentier pour investir dans un nouveau chemin de croissance. Ce second scénario est plus risqué mais permet de survivre face à un changement majeur tel que l’effondrement d’un stock de ressources naturelles (Hamilton et Butler, 2001 ; Baum, 1999). En revanche, un système non résilient sans contrôle social fort, c’est-à-dire l’absence d’un guide doté d’un leadership, produit de la vulnérabilité.

7Le cadre conceptuel des socio-systèmes n’ignore pas le rôle des territoires dans l’exploitation des ressources naturelles renouvelables (agriculture, pêche, aquaculture, forêt). Puisant dans la théorie évolutionniste, plusieurs auteurs en sciences régionales décrivent la résilience des territoires par la capacité à modifier leur structure sociale et économique en longue période (Boschma, 2015). Les publications liant résilience et territoire accordent une priorité à l’histoire des régions, leur sentier de dépendance et aux institutions, publiques et privées, qui animent ces régions. C’est ici un trait commun avec les travaux précurseurs de D. North (1991) sur le poids de l’histoire et les mouvements institutionnels formels et informels. L’ensemble des éléments repris de la littérature sur l’évolution des institutions permet de dégager deux scenarii pour les régions et territoires. Face aux changements majeurs modifiant la base industrielle, les espaces régionaux démontrent soit une capacité d’adaptation en maintenant la même trajectoire de croissance économique, ou une faculté d’adaptabilité synonyme de changement de trajectoire (Boschma, 2015 ; Pike et al. 2010 ; Simmie et Martin, 2009). La première stratégie ne modifie pas les routines de fonctionnement des acteurs territoriaux. Ils renforcent leur spécialisation dans les industries historiquement ancrées. La seconde option obéit à une logique schumpétérienne, une logique nourrie par la diversité des possibilités techniques sur le territoire. Il n’y a pas nécessairement abandon des anciennes industries mais elles ne constituent plus à elles seules un projet d’avenir pour maintenir les régions dans une compétition mondiale.

  • 3 Si l’exploitation industrielle de la morue en Atlantique Nord-Ouest et son effondrement constaté en (...)

8Adaptation et adaptabilité ne s’opposent donc pas. Le caractère de spécialisation industrielle démontre une capacité élevée d’adaptation face aux changements, ce qui impose de modifier par de l’innovation non radicale (Freeman, 1991) les technologies, les produits et l’organisation de la production. Les techniques de pêche sur la sardine n’ont pas radicalement évolué au cours du XXe siècle. Le filet tournant ou senne adopté dans les ports de Bayonne et Saint-Jean de Luz au début du siècle fait l’objet d’un décret d’interdiction en 1912, face aux contestations d’autres communautés sardinières (Durand, 1991). Son adoption sur l’ensemble du littoral Atlantique se concrétise en 1940. Si les statistiques officielles sur la période 1939-1945 de débarquement de sardine sont inexistantes, l’activité a bien été encouragée par l’armée d’occupation (Fichou, 2009). Les améliorations apportées à la technique de capture ne prennent qu’un caractère incrémental. La stratégie de spécialisation trouve ses limites quand l’espace de commercialisation se réduit, par saturation du marché ou l’épuisement des sources d’approvisionnement (par exemple le cas de l’effondrement des stocks de ressources naturelles renouvelables)3. À ce point de rupture, les territoires poursuivent des sentiers différents. Ceux qui anticipent le déclin d’une aventure industrielle font preuve d’une capacité d’adaptabilité pour investir des nouveaux sentiers de croissance (Simmie et Martin, 2009). Ceux qui n’ont pas diversifié leurs activités deviennent plus vulnérables, prenant le risque d’une perte d’attractivité (McGlade et al., 2006). C’est une situation apparue sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, fortement dépendant de l’industrie de la morue, impacté par l’arrêt brutal en 1992 sans alternative (Le Floc’h et al., 2017).

9Le concept de résilience est donc ici ambivalent car il peut décrire la capacité forte d’adaptation de territoires spécialisés qui maintiennent une même trajectoire d’exploitation tant qu’un épuisement total du stock de ressources primaires ne se produit pas. La résilience est aussi liée à la capacité d’adaptabilité désignant une stratégie territoriale de diversification vers d’autres trajectoires afin de maintenir une forte attractivité. Les travaux empiriques ne démontrent pas nécessairement la supériorité d’une option sur l’autre. En principe, les régions diversifiées absorbent plus rapidement les chocs que les régions spécialisées (Fingleton et al., 2012). Cependant, les études sur longue période n’aboutissent pas à cette conclusion. Une recherche menée sur les régions italiennes conclut que les régions les plus résilientes après un choc sont, en période stationnaire, les moins performantes en termes de revenus et d’emploi, et aussi les moins diversifiées (Cellini et Torrisi, 2014).

10Une synthèse de la revue de littérature des socio-systèmes aboutit à deux logiques comportementales en présence d’une perturbation forte. La première réaction d’une communauté d’acteurs révèle une résistance ou forte résilience, au besoin par de l’innovation incrémentale révélant la capacité d’adaptation. Les ressources à exploiter restent abondantes. En revanche, le contrôle social défini dans la littérature sur les socio-systèmes par le concept de connectivité (ou connectedness) reste faible.

11La seconde réaction prévoit un changement de trajectoire économique, par l’abandon du sentier historique. La résilience est donc faible mais compensée par une forte connectivité qui permet à un socio-système d’accéder à un niveau spatial supérieur par son cycle adaptatif. C’est une connectivité élevée, entre les groupes d’acteurs et leur écosystème exploité, favorisant « la propagation rapide des forces perturbatrices… qui accélère parfois les processus d’apprentissage » (Brondizio et al., 2013).

12La présence d’entrepreneurs-innovateurs est un déterminant de cette seconde logique comportementale. Le socio-système a une large ouverture sur les opportunités nouvelles. La communauté d’acteurs du territoire affiche une capacité d’adaptabilité. Celle-ci est nourrie par des entrepreneurs qui ne sont pas nécessairement issus du territoire apportant des pistes de diversification.

13Le cas de l’industrie de la sardine en France offre l’opportunité de suivre les sentiers de dépendance des territoires attachés à l’exploitation de cette ressource sur un siècle de données de production. La prochaine section décrit les séries longues des productions débarquées sur l’ensemble des territoires littoraux de la côte française Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord.

3. Les séries longues des productions dans les pêcheries françaises

14La troisième section décrit les séries longues sur les débarquements de sardine sur toutes les côtes françaises (excepté la Méditerranée). Issues de rapports produits par les services de l’État sur différentes époques (fin de la période coloniale, entre-deux-guerres, période de reconstruction de 1945 à 1970, époque contemporaine), les statistiques ne sont pas toutes délivrées sous un format homogène. La validation des données de production a exigé un regroupement des ports de pêche marginaux vers des pôles de production plus significatifs dans la durée. Ce travail conséquent de validation a débouché sur la définition d’une échelle territoriale pertinente pour l’industrie de la sardine.

3.1. Sources des données

15Les rapports de production issus des pêches maritimes françaises sur séries longues portent sur un siècle d’histoire de 1866 à 19874. Ce sont des documents d’archives produits sous l’autorité de l’État, qui a confié ce relevé statistique à des ministères couvrant les secteurs de la Marine, des Travaux publics, voire du Tourisme (1953) de 1900 à 1987 (tableau 1). Les rapports d’archives mis en ligne par le service de l’Ifremer s’achèvent en 1987. La base de données est alors complétée par les documents livrés de 1988 à 2006 par le Comité National des Pêches Maritimes qui assure le pilotage de la profession par délégation de l’État. Depuis 2007, les relevés statistiques sur les productions débarquées sont effectués par FranceAgriMer5, un établissement créé par l’État sous la tutelle du ministère de l’Agriculture.

Tableau 1. Source des données (1900-2017)

Ministère de la Marine

1900-1913

Ministère des Travaux publics et des Transports

1914

Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes, des Transports maritimes et de la Marine marchande

1915-1916

Ministère des Travaux publics, des Transports et de la Marine marchande

1917

Ministère des Travaux publics

1918-1937

Ministère de la Marine marchande

1938-1947*

Ministère des Travaux publics et des Transports

1948-1952

Ministère des Travaux publics, des Transports et du Tourisme

1953

Ministère de la Marine marchande

1954

Sous-Sécrétariat d’État à la Marine marchande

1955-1956

Secrétariat général de la Marine marchande

1957-1981

Secrétariat d’État à la Mer

1982-1985

Ministère délégué chargé de la Mer

1986-1987

Comité National des Pêches maritimes

1988-2006

FranceAgriMer

2007-2017

*Aucune donnée officielle de 1939 à 1944

Source : élaboration propre

16Les différents stocks/populations de sardine sont encore mal appréhendés mais la sardine commune (Sardina pilchardus) est présente depuis la Mauritanie jusqu’à la Norvège et aussi en Méditerranée (Bernal et al., 2007). Elle atteint sa maturité sexuelle à l’âge d’un an et sa longévité peut atteindre jusqu’à une dizaine d’années pour une taille maximale variable en fonction des zones, jusqu’à 28 cm en Manche. Seules les productions des flottilles françaises opérant sur les ports de la façade atlantique, de la Manche et de la mer du Nord sont reprises des documents d’archives. La production méditerranéenne est exclue des traitements statistiques car les dynamiques historiques et spatiales, tant pour les industries, les flottilles et les stocks y sont différentes.

17Présentées sous des formats non homogènes selon les périodes, les données qualitatives et quantitatives ont été saisies dans une base standardisée indiquant l’unité territoriale, le nom du lieu de la production, le nom de l’espèce, la quantité et la valeur. À l’issue de cette première étape, onze unités territoriales distinctes ont été identifiées, 503 appellations de lieux ou de ports de pêche et 1232 noms d’espèces marines exploitées. Dans le cas de l’industrie de la sardine, cette espèce apparaît dans les différents rapports sous une quinzaine de noms (par exemple sardine de l’Atlantique, sardine fraîche, sardine d’Europe). Un premier exercice de validation des données sur la sardine a permis de recenser 73 sites de débarquement (Diop, 2018).

3.2. Ports de pêche

18Le nombre de sites de débarquement reconnus administrativement dans les rapports annuels s’élève à 73 ports. Un atelier de validation des données a conduit à une réaffectation des statistiques de production afin d’établir une cartographie conforme au lien économique entre le lieu d’enregistrement des statistiques de production et le point de débarquement. En effet, les agents des ministères de tutelle ont parfois reporté la valeur de production à l’échelle administrative ou doublé cet enregistrement (exemple de l’année 1908, figure 1). Un autre cas aberrant relève de l’inscription de tonnage élevé sur un site portuaire peu habitué à de forts volumes. Ainsi, le port de Boulogne-sur-Mer se voit attribuer un tonnage de 16 300 tonnes en 1980, un niveau représentant cinq années de production. La recherche documentaire, en amont de l’atelier sur la validation des données historiques, a permis de mettre au jour une incohérence entre l’enregistrement de sardines et le débarquement de hareng faisant pourtant l’objet d’un moratoire. En fin de série, deux autres points ont été revus (1987 et 1999) en distinguant la production sardinière de Méditerranée des productions globales. Les résultats présentés ne concernent pas le bassin méditerranéen.

19Le résultat de cette validation aboutit à 18 ports sardiniers majeurs pour une production sur l’ensemble de la période, 1900 à 2017, de 1,9 million de tonnes. La figure 1 présente les 18 ports sardiniers et l’évolution annuelle de la production avant et après validation. Pour chaque port sardinier, la contribution à la production globale est précisée. Les plus faibles contributions (1 à 3 %) concernent la moitié des communes portuaires. L’autre moitié se situe dans un intervalle de 6 à 15 % de la production globale.

Figure 1. Liste des ports sardiniers et production de sardines avant et après validation

Figure 1. Liste des ports sardiniers et production de sardines avant et après validation

Source : élaboration propre d’après https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm

Figure 2. Les cinq premiers ports de débarquement (en tonnage), 1900-2017

Figure 2. Les cinq premiers ports de débarquement (en tonnage), 1900-2017

Source : élaboration propre

20Les dix-huit ports sardiniers sont classés du Nord (Boulogne-sur-Mer) au sud (Saint-Jean-de-Luz) dans la figure 2 précisant le nombre d’années de présence aux cinq premières places. La liste exclut le port de La Rochelle qui n’apparaît jamais dans ce classement restreint. Les plus faibles contributeurs à la production globale de sardine ne se sont hissés qu’une dizaine de fois parmi les cinq premiers (Camaret, Audierne, Loctudy, Le Croisic, Noirmoutier, Arcachon). Ce sont des territoires finalement peu concernés ou rapidement concurrencés par d’autres ports. Une deuxième catégorie de sites portuaires regroupe Lorient, Quiberon, Les Sables-d’Olonne et Saint-Jean-de-Luz dont le nombre d’années dans le haut du classement, trente à quarante fois, témoigne d’un attachement fort à la sardine. Leur spécialisation s’estompe au cours des années 1970 et 1980 pour disparaître (Saint-Jean-de-Luz) ou devenir épisodique sur les trois autres ports de pêche. Un troisième ensemble de cinq ports de pêche maintient une spécialisation sur l’ensemble de la période (Douarnenez, Saint-Guénolé, Concarneau, La Turballe, Saint-Gilles-Croix-de-Vie). Le port de Douarnenez confirme sa position de premier port sardinier, présent 94 années dans le haut du classement. La Turballe a fortement contribué à la production de sardines des années 1960 aux années 2000, annonçant un retour depuis 2013. Boulogne-sur-Mer et Fécamp forment un quatrième groupe. Ce n’est qu’en 1951 que le port de Fécamp se hisse parmi les principaux contributeurs à la production de sardines. La présence des deux ports situés en bord de Manche orientale et mer du Nord dans le haut du classement devient régulière dès 1972. Plusieurs facteurs expliquent cette récente contribution de sites portuaires normands et des Hauts de France dans l’exploitation de la sardine. Le réchauffement climatique favorise le déplacement des ressources halieutiques vers le Nord (Poulard et Blanchard, 2005). Les capacités de transformation et le dynamisme des marchés des produits de la mer en Normandie et les Hauts de France sont d’autres atouts pour encourager l’industrie de la sardine sous réserve d’une abondance du stock près des côtes. D’autres facteurs retardent un développement de la pêche à la sardine en baie de Seine. En effet, l’exploitation de cette ressource a été interdite en 2010 à cause d’un taux important de PCB (polychlorobiphényles) dans les individus, les rendant impropres à la consommation.

21La section suivante décrit la méthode de segmentation de sous-périodes et l’identification des points de rupture.

4. Méthodologie de segmentation de la série chronologique

22Les points de rupture dans la série chronologique des productions de sardine sont identifiés à partir d’une méthode de segmentation proposée dans le package R « segclust2d ». Mobilisée en écologie spatiale (Patin et al., 2018), cette méthode aide à choisir les points de rupture dans la production cumulée des ports sardiniers correspondant à des phases stationnaires. Si une série est stationnaire, elle ne comporte ni tendance ni saisonnalité et plus généralement aucun facteur n’évolue avec le temps. Une phase stationnaire illustre un moment d’histoire ou segment sans modification structurelle, et dans l’absolu sans tendance. L’espérance de la série chronologique et la variance sont fixes.

23Cette recherche repose sur une seule variable, la production de sardine en tonnes de 1900 à 2017. La notion de temps long est définie par des changements de structure de l’économie, par exemple le renouvellement du capital accompagné d’innovations technologiques sur les techniques de capture. La problématique porte sur l’identification des points de rupture, marqueurs de changements structurels de nature diverse (technologique, sociale, environnementale) sans objectif de prédiction. Les méthodes statistiques de segmentation des séries temporelles basées sur des critères de vraisemblance sont largement employées afin de détecter les points de rupture dans les secteurs industriels depuis plus d’un demi-siècle. Sa pratique en économie, notamment sur les ressources naturelles renouvelables, est plus confidentielle, à l’exception de travaux de recherche en finances. Nous inscrivons notre article dans les recherches sur la mémoire longue en sciences humaines et sociales, nous appuyant sur des travaux précurseurs, mais souvent ardus et techniques (Teyssière et Kirman, 2007 ; Lardic et Mignon, 1999 ; Kunal et al., 2020). L’accès aux méthodes d’optimisation par le package sous R offre de nouvelles opportunités de travaux en économie appliquée. Le recours à la méthodologie de segmentation des séries temporelles est une alternative, et même complémentaire, à l’approche plus conventionnelle de l’économétrie des séries temporelles (Bai et Perron, 1998, 2003). La méthode de segmentation et la variante « pénalisée » ici mise en application présentent de nombreux avantages, au niveau opérationnel (temps de calcul réduit) comme en termes de résultat (la méthode induit notamment, par son critère d’optimisation pondéré, une limitation maîtrisée du phénomène de sur-segmentation).

24Parmi un ensemble de valeurs représentant le nombre de segments K à envisager, comprises entre 1 et un entier Kmax, l’algorithme détecte à partir des différents ajustements la valeur optimale sur la base de critères basés sur des valeurs de log-vraisemblance (Lavielle, 2005). Ainsi, la valeur de K sélectionnée (Ksel) est telle que :

LK la log-vraisemblance de la segmentation optimale en K phases, et S une valeur seuil fixée de manière standard à 0,75 (valeur proposée dans Lavielle M., 2005).

25La série historique complète des débarquements annuels totaux de sardine sur les façades Manche et Atlantique en France couvre la période 1900-2017, avec deux périodes sans information : d’une part, l’année 1906, qu’on imputera par le tonnage moyen sur l’année précédente et suivante, et d’autre part la période 1939-1944 qui amène à considérer un traitement distinct sur la base des 2 segmentations obtenues sur les historiques antérieurs et postérieurs (figure 3). Le dernier segment de l’ajustement de la phase pré 1939 définit la valeur imputée en 1939. Le premier segment de l’ajustement de la phase post 1944 définit la valeur imputée en 1944. Les années intermédiaires sont imputées par interpolation linéaire entre ces deux années. Il n’est pas incohérent d’attribuer aux années de guerre une production de sardine comme l’affirment les travaux d’historiens (Fichou 2012 ; Marie d’Avigneau, 1958).

Figure 3. Débarquements cumulés de sardine en tonnes de 1900 à 2017 (points imputés pour les années avec données manquantes en 1906 et de 1939 à 1944)

Figure 3. Débarquements cumulés de sardine en tonnes de 1900 à 2017 (points imputés pour les années avec données manquantes en 1906 et de 1939 à 1944)

Source : élaboration propre d’après https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm

26La série longue des données de production en tonne métrique témoigne d’une exploitation continue entre 10 000 et 30 000 tonnes avec quelques années au-dessus (40 000 tonnes au début du XXe siècle et en 1970) et en dessous (autour de 6000 tonnes autour de 1910, 1945 et la décennie 1980). Les fluctuations se succèdent sur un rythme annuel, avec de fortes amplitudes par exemple 14 000 tonnes en 1955 puis 36 000 tonnes en 1956 s’affaissant à 9000 tonnes en 1957.

27En dernière analyse, nous proposons une mesure classique de concentration industrielle avec l’indice de Herfindhal-Hirschman – HH – (Nauenberg et al., 1997). Des travaux anciens sur l’industrie française indiquaient une faible concentration sur la longue période (Didier et Malinvaud, 1969), avec toutefois une accélération de ce phénomène au début des années 1960. On retrouve peu de travaux en économie sur les pêcheries mesurant soit la spécialisation des ports de pêche, la concentration (Speir et al., 2014) ou la diversification des activités (Kasperski et Holland, 2013) :

avec Si la part de marché de chaque port de pêche.

28On dispose du nombre de conserveries, de leur localisation et des capacités de production pour les années 1930, 1970 et 2010 permettant de rapprocher la production cumulée des ports de pêche (dont la concentration est mesurée par l’index HH) et la transformation par les conserveries. Ce rapprochement offre une perspective de filière, démontrant le caractère concomitant de la concentration industrielle des secteurs de l’extraction (flottilles rattachées à un port de pêche) et de la transformation (conserveries localisées sur ou à proximité d’un port de pêche).

5. Résultats

29Le résultat clé de cette recherche porte sur le nombre optimal de segments de la série chronologique. Pour chacune des valeurs de K comprises entre 1 et Kmax, l’outil restitue la valeur de log-vraisemblance pour la segmentation optimale associée, ainsi que Ksel correspondant au K optimisé. À partir des valeurs de DK affichées dans le tableau 2, on peut constater qu’au-delà de K=3, aucune valeur ne dépasse 0,5.

Tableau 2. Valeurs de DK en fonction de K

K

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

DK

-2,6

3,4

-0,5

0,5

0,2

0,1

0,5

-0,1

-0,0

0,2

0,3

0,3

0,1

0,4

30La valeur de seuil S choisie (0,75) ne laisse pas d’ambiguïté quant au choix du nombre de segments optimal, D3 correspondant à un net point d’inflexion de la courbe. On peut toutefois distinguer des valeurs notables, telles que D5 ou D8, qui correspondent à des points de diminution appuyée de la pente ascendante, ou encore D13 le sommet de la courbe.

31La figure 5 illustre la segmentation finale en 3 phases sur l’ensemble de la série imputée. On observe une première phase qui inclut la période imputée (1939-1944) et qui court du début de la série historique jusqu’à l’année 1971. Les deux segments suivants vont de 1972 à 1998 et de 1999 à 2017.

Figure 4. Courbe des log-vraisemblances associées aux segmentations optimales, en fonction des différentes valeurs de K considérées

Figure 4. Courbe des log-vraisemblances associées aux segmentations optimales, en fonction des différentes valeurs de K considérées

Figure 5. Résultat de la segmentation pour Lmin=7 et Kmax=16

Figure 5. Résultat de la segmentation pour Lmin=7 et Kmax=16

32Des tests de stationnarité ont été réalisés pour ces trois segments afin de caractériser l’ajustement ainsi obtenu. Les résultats de ces tests sont consignés dans le tableau 3. On a pour cela utilisé le test de Dickey-Fuller augmenté (H0 : la série a été générée par un processus présentant une racine unitaire, i.e. non stationnaire), le test de Kwiatkowski-Phillips-Schmidt-Shin (H0 : le processus est stationnaire) et le test d’Elliott-Rothenberg-Stock (H0 : la série a été générée par un processus présentant une racine unitaire, i.e. non stationnaire). Pour chacun de ces tests, deux hypothèses sont éprouvées : une hypothèse « Level » qui vise à tester la stationnarité autour d’une valeur moyenne, et une hypothèse « Trend » qui consiste à tester la stationnarité autour d’une tendance linéaire.

Tableau 3. Résultats des tests de « stationnarité » ADF, KPSS et ERS pour les deux hypothèses « Level » et « Trend »

Tableau 3. Résultats des tests de « stationnarité » ADF, KPSS et ERS pour les deux hypothèses « Level » et « Trend »

33Les tests n’indiquent pas nettement des séries stationnaires pour les trois segments, induisant potentiellement des erreurs fallacieuses en présence d’une racine unitaire (Granger et Newbold, 1974). On note cependant une série chronologique stationnaire, sans influence significative d’évènements historiques, du moins en tendance de 1900 à 1971 pour les tests ADF et KPSS. La valeur statistique du test ADF (-7,73) est inférieure à la valeur critique au risque de 5 %, un résultat confirmé par le test KPSS. Seul le troisième test, ERS, produit une statistique (–1,23) supérieure à la valeur critique (-3,03). Le test ADF montre également une stationnarité en niveau (-5,48< -2,89). Il semble donc que les fortes variations des productions de sardine, d’un seuil bas à 5000 tonnes à un seuil haut de 40 000 tonnes, relèvent de séries aléatoires indépendantes du temps. Les tests sont beaucoup moins tranchés sur les deux périodes suivantes, de plus courte durée. Le test KPSS annonce une stationnarité de ces deux séries (sans racine unitaire) alors que le test ADF accepte H0, une série non stationnaire avec racine unitaire. Nous abordons dans la discussion des limites des méthodes de segmentation.

34L’indice de Herfindhal-Hirschmann est calculé sur la base de l’ensemble des points d’enregistrements, après validation des données, soit 73 ports dont une majorité ne révèle qu’une importance marginale ou insignifiante. À titre d’exemple, le port de Bénodet est inscrit pour l’année 1911 comme un site de débarquement pour 0,5 tonne de sardine. Si l’intérêt économique de cette commune peut être écarté, son inscription spatiale est bien réelle. La production annuelle des 73 communes identifiées comme site de débarquement est rapportée à la production annuelle totale. La somme des carrés des parts de marchés, considérés par la production débarquée en chaque lieu, est décrite par l’indice de Herfindhal-Hirschmann en trois paliers (figure 6). La concentration est inexistante pour un indice inférieur à 1000. Entre 1000 et 2000, la concentration devient moyenne et élevée dès que l’indice dépasse 2000. L’index HH évolue par palier, avec un score inférieur à 2000, de 1902 à 1970 (score de 2106). La concentration industrielle s’accélère au cours des années 1970, année de rupture dans la segmentation. C’est un premier phénomène de concentration industrielle sans continuité. En effet, l’indice redescend à des niveaux de faible concentration (score de 1500) puis remonte en 1982 à un score de 2036. Sur le dernier quart de siècle, les trois premiers ports sardiniers (Douarnenez, Saint-Guénolé et Saint-Gilles-Croix-de Vie) représentent les deux tiers de la production nationale. Après un bref reflux au début des années 2000, un second mouvement de concentration se produit atteignant un score record de plus de 3000 points. En 2009 et 2010, Saint-Guénolé, Douarnenez et Saint-Gilles-Croix-de-Vie contrôlent respectivement 86 % et 88 % du premier marché.

Figure 6. Évolution de la concentration des débarquements de sardine dans les ports de pêche

Figure 6. Évolution de la concentration des débarquements de sardine dans les ports de pêche

Source : élaboration propre

35Cette forte concentration répond à celle de l’industrie de la conserve qui s’est localisée au cours du siècle écoulé dans le Sud de la Bretagne (figure 7). Dans le cas de la sardine, la concentration des ports de pêche spécialisés sur cette espèce accompagne celle du secteur des conserveries, principal débouché des flottilles de pêche. En 1930, le rapport sur les statistiques des pêches maritimes présente les industries connexes sans distinction des espèces mises en conserves. 204 conserveries sont implantées sur le littoral, de Dunkerque à Saint-Jean-de-Luz, avec une force de travail estimée à 12 217 ouvriers. Le nombre d’établissements est estimé à 100 en 1970 pour 9301 ouvriers. Toutefois, les conserveries, notamment celles établies à Boulogne-sur-Mer, ne travaillent pas toutes la sardine. Elles diversifient leurs activités selon les saisons de pêche, transformant pour la conserve un panier d’espèces telles que la sardine, le thon, le maquereau, le hareng. La taille moyenne de chaque conserverie s’élevait à 60 ouvriers en 1930 et 93 en 1970. Le déclin, par le nombre d’établissements et d’ouvriers, est significatif en 2010. Il ne reste plus que 6 conserveries de poissons à échelle industrielle, avec un effectif moyen de 300 salariés (un minimum de 20 ouvriers aux Sables-d’Olonne et un maximum de 1062 à Douarnenez).

Figure 7. Localisation des conserveries de poissons

Figure 7. Localisation des conserveries de poissons

Source : élaboration propre d’après les données historiques https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm.

36Les résultats sur la segmentation de la série chronologique et l’identification des ports liés à l’industrie de la sardine ouvrent une discussion sur trois points. Le premier point relève les limites des méthodes de segmentation. Le deuxième point concerne les comportements d’adaptation marqués par une forte résilience, c’est-à-dire une résistance au changement. Le troisième point décrit les chemins de croissance possibles dès que la résilience s’atténue face au changement.

6. Discussion

37Les limites de la méthode de segmentation sont liées à la longueur minimum des segments, le nombre d’années fixé pour construire un segment, et le nombre de segments significatifs désignés par la stationnarité d’une partie de la série. L’application d’une méthode complémentaire de détection des points de rupture, la méthode Wild Binary Segmentation –WBS – proposée dans la librairie du logiciel R (Fryzlewicz, 2014) permet de repérer un second point de rupture majeur en 1927, marquant un premier segment courant de 1902 à 1927. Les deux premières années de la série sont négligées car elles constituent une phase distincte mais non significative par le nombre d’observations. L’emploi systématique de ces deux approches, celle basée sur le nombre optimal de segments K selon la méthode de Lavielle et l’approche WBS, rend plus robuste la recherche des points de rupture. C’est ainsi une recommandation pour de nouvelles applications de la méthodologie sur des séries longues, qui reste sensible aux données mobilisées. Nous suggérons une veille particulière sur les travaux de validation des séries historiques dans le cas des pêches maritimes. Le redressement de certaines valeurs, dont des valeurs récentes comme l’exemple d’une production d’une espèce masquée (le hareng à Boulogne-sur-Mer en 1980) est de nature à modifier les résultats sur le nombre de segments et les points de rupture.

38Le deuxième point de discussion s’adresse aux comportements de résistance et d’adaptation face aux changements, illustrés par des points de rupture estimés par la méthode de segmentation. C’est par une capacité d’adaptation, forte résilience et ressource abondante mais faible organisation sociale, qu’ont réagi les pêcheurs à la fin des années 1920. C’est probablement un facteur produisant le point de retournement en 1927 identifié par une méthode complémentaire discutée ci-dessus. Un changement technologique majeur se produit par l’adoption d’un filet tournant remplaçant le filet droit. Les ports de la côte sud, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz adoptent cette innovation en 1925, imités en 1926 par les pêcheurs de deux territoires au nord de la côte Atlantique (Penmarc’h et Saint-Guénolé). L’État doit procéder par des autorisations provisoires accordées à ces quatre communautés portuaires face au refus de l’ensemble des autres communautés d’abandonner l’ancienne technique (Durand, 1991). Ce n’est qu’à l’issue du second conflit mondial qu’est définitivement adoptée la technique du filet tournant (ou bolinche) par l’ensemble des flottilles sardinières. Les motivations pour résister au changement peuvent traduire la crainte par les pêcheurs de surexploiter le stock saisonnier ou simplement d’éviter une chute des cours imposés par les conserveries en situation de surabondance. Sur l’ensemble de la période, cinq ports de pêche sur les 18 sites majeurs démontrent une forte résilience tant que la ressource reste abondante. Douarnenez, Saint-Guénolé, Concarneau ont su résister dans le temps long aux changements, avec une concentration de l’industrie de la conserve sur leurs territoires. Les ports de La Turballe et de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ont également suivi la même trajectoire à un degré moindre.

39Le troisième point de discussion relève les chemins de croissance possibles dès que la résilience s’atténue face au changement. C’est justement au tournant des années 1960 et 1970, caractérisé par le point de rupture de 1971 par la méthode de Lavielle, que d’anciens ports sardiniers abandonnent peu à peu cette trajectoire. Lorient, Quiberon, Les Sables-d’Olonne et Saint-Jean-de-Luz répondent à ce deuxième schéma d’une faible résilience permettant d’explorer de nouvelles trajectoires de croissance au sein de l’industrie des produits de la mer. C’est également l’occasion de l’émergence de nouveaux acteurs (Fécamp et Boulogne-sur-Mer) profitant d’une ressource plus abondante. La représentation des trajectoires d’exploitation d’une ressource par les socio-systèmes traduit finalement les stratégies de mobilité d’une communauté d’acteurs, par le maintien d’une activité industrielle (forte résilience et faible connectivité), la sortie ou l’entrée dans l’industrie (faible résilience et forte connectivité).

7. Conclusion

40L’originalité de cette recherche porte sur la valorisation des données historiques en longue période par une méthode d’optimisation du nombre de segments. Chaque segment est un bout de l’histoire économique d’une industrie en recherchant des séries stationnaires, c’est-à-dire indépendantes du temps. Le nombre de segments sélectionnés correspond à n-1 points de rupture. Dans l’industrie des pêches maritimes, ces points de rupture traduisent des changements de régime dont les déterminants ont des origines diverses. Le principal enseignement tiré du cas d’étude de l’industrie sardinière est de démontrer que les points de rupture ne traduisent pas nécessairement une forte variabilité dans l’abondance de la ressource. L’origine des crises dans cette industrie est fréquemment attribuée à un problème de disponibilité de la ressource lié aux facteurs environnementaux et la pression de pêche. Or la méthode mobilisée dans cet article propose trois périodes historiques non liées aux plus fortes variations dans la production. De 1900 à 1971, les pêcheurs ont vécu des phases plus dramatiques, à la hausse comme à la baisse, que celle du point de rupture entre 1971 et 1972. Une méthode complémentaire, signalée en discussion, démasque dès 1927 un premier point de rupture mais sans lien avec la problématique de la concentration industrielle. Cela démontre que les déterminants dans les « cassures » de l’histoire d’une industrie basée sur l’exploitation des ressources naturelles renouvelables sont variés.

41Les deux changements de régime, 1971 et 1998, proposés par la méthode de segmentation de Lavielle surviennent à deux moments clés. C’est au début des années 1970 que les États membres décident de transférer au niveau européen la gestion des pêches maritimes, seule industrie en compétence exclusive comme le sont devenues les règles de concurrence, de douane, de la monnaie et des accords commerciaux (Cudennec et Guéguen-Hallouet, 2019). Un second moment de rupture surtout pour les pêches françaises se produit à la fin des années 1990, par les effets d’une restructuration sans précédent du secteur artisan (Delbos et Premel, 1996), amenant l’État à légiférer sur une loi d’orientation à la pêche (Journal Officiel de la République Française, 1997). L’identification des points de rupture sur des séries longues, par la méthode de segmentation employée dans cet article, est un axe de recherche fécond pour d’autres productions marines ou terrestres. L’approche par la résilience offre un cadre conceptuel adapté à cette méthode. Le complément attendu à cette recherche se situe dans la reconstitution des séries longues de prix.

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Annexe

Série historique 1900-2017

Année

Tonne

Année

Tonne

Année

Tonne

1900

33683

1939

nd

1978

11925

1901

36025

1940

nd

1979

13862

1902

8073

1941

nd

1980

14300

1903

7982

1942

nd

1981

19333

1904

21516

1943

nd

1982

7754

1905

9685

1944

nd

1983

7610

1906

nd

1945

6695

1984

8443

1907

5971

1946

13808

1985

7601

1908

19278

1947

20735

1986

9782

1909

26669

1948

20017

1987

8046

1910

21275

1949

22829

1988

9047

1911

13686

1950

20787

1989

8851

1912

7469

1951

23755

1990

8895

1913

11062

1952

17365

1991

12526

1914

19242

1953

22183

1992

9240

1915

14075

1954

24381

1993

9321

1916

12106

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13586

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9396

1917

15993

1956

35752

1995

10611

1918

7496

1957

8984

1996

9054

1919

10949

1958

18848

1997

12557

1920

12545

1959

21508

1998

10300

1921

17198

1960

17811

1999

17615

1922

15574

1961

20731

2000

15011

1923

17282

1962

33443

2001

18823

1924

16672

1963

22861

2002

20514

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14172

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16424

1965

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18468

1927

14172

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21558

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20890

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26747

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28667

1931

21124

1970

19922

2009

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1932

17689

1971

29274

2010

16770

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23525

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9280

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18244

1936

19916

1975

9099

2014

16938

1937

29871

1976

7369

2015

13975

1938

27408

1977

10073

2016

19407

2017

23943

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Notes

2 Les ressources halieutiques sont les ressources marines vivantes (espèces animales et végétales) exploitées par l’homme. La production halieutique provient de l’activité de la pêche (professionnelle et récréative) en mer et en eau douce, et de l’aquaculture. Définies comme un bien commun, les ressources halieutiques sont rarement en libre accès n’empêchant pas le phénomène de surexploitation (Boncoeur et Mesnil, 1999).

3 Si l’exploitation industrielle de la morue en Atlantique Nord-Ouest et son effondrement constaté en 1992 par le moratoire du gouvernement canadien est un cas d’école, d’autres exemples d’effondrement sont provoqués de façon séquentielle. Une situation que l’on peut expliquer par les rentes ricardiennes différentielles. L’exploitation du concombre de mer, une espèce à haute valeur marchande en Asie du Sud-Est, suit une trajectoire d’épuisement séquentiel (Anderson et al., 2011).

4 Les rapports sont accessibles sur https://archimer.ifremer.fr/html/statistique-peches-maritimes.htm.

5 Les séries les plus récentes, de 1988 à 2017 sont disponibles auprès de FranceAgriMer : https://www.franceagrimer.fr/filiere-peche-et-aquaculture/Eclairer/Etudes-et-Analyses/Chiffres-et-bilans.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Liste des ports sardiniers et production de sardines avant et après validation
Crédits Source : élaboration propre d’après https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-1.png
Fichier image/png, 107k
Titre Figure 2. Les cinq premiers ports de débarquement (en tonnage), 1900-2017
Crédits Source : élaboration propre
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-2.png
Fichier image/png, 28k
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-3.png
Fichier image/png, 4,6k
Titre Figure 3. Débarquements cumulés de sardine en tonnes de 1900 à 2017 (points imputés pour les années avec données manquantes en 1906 et de 1939 à 1944)
Crédits Source : élaboration propre d’après https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-4.png
Fichier image/png, 25k
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-5.png
Fichier image/png, 1,3k
Titre Figure 4. Courbe des log-vraisemblances associées aux segmentations optimales, en fonction des différentes valeurs de K considérées
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-6.png
Fichier image/png, 17k
Titre Figure 5. Résultat de la segmentation pour Lmin=7 et Kmax=16
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-7.png
Fichier image/png, 29k
Titre Tableau 3. Résultats des tests de « stationnarité » ADF, KPSS et ERS pour les deux hypothèses « Level » et « Trend »
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-8.png
Fichier image/png, 12k
Titre Figure 6. Évolution de la concentration des débarquements de sardine dans les ports de pêche
Crédits Source : élaboration propre
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-9.png
Fichier image/png, 33k
Titre Figure 7. Localisation des conserveries de poissons
Crédits Source : élaboration propre d’après les données historiques https://archimer.ifremer.fr/​html/​statistique-peches-maritimes.htm.
URL http://journals.openedition.org/rei/docannexe/image/9023/img-10.png
Fichier image/png, 85k
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Pour citer cet article

Référence papier

Pascal Le Floc'h, Frédérique Alban, Mathieu Merzéréaud et Erwan Duhamel, « Identification des points de rupture dans la série longue des productions de sardine en France (1900-2017) »Revue d'économie industrielle, 170 | 2020, 49-78.

Référence électronique

Pascal Le Floc'h, Frédérique Alban, Mathieu Merzéréaud et Erwan Duhamel, « Identification des points de rupture dans la série longue des productions de sardine en France (1900-2017) »Revue d'économie industrielle [En ligne], 170 | 2e trimestre 2020, mis en ligne le 06 janvier 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rei/9023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rei.9023

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Auteurs

Pascal Le Floc'h

plefloch[at]univ-brest.fr,
IUEM, Amure, rue Dumont d’Urville 29280 Plouzané, UBO, UMR 6308 Amure

Frédérique Alban

frederique.alban[at]univ-brest.fr
IUEM, Amure, rue Dumont d’Urville 29280 Plouzané, UBO, UMR 6308 Amure

Mathieu Merzéréaud

mathieu.merzereaud[at]ifremer.fr
IUEM, Amure, rue Dumont d’Urville 29280 Plouzané, IFREMER, UMR 6308 Amure

Erwan Duhamel

erwan.duhamel[at]ifremer.fr
Ifremer, 8 rue François Toullec, 56100 Lorient, IFREMER, Laboratoire de Technologie et de Biologie Halieutique

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Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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