Calendrier

Lancement de l’appel : 10 juillet 2023
Réception des propositions résumées et clôture de l’appel : 1er novembre 2023
Sélection et décision : 01 décembre 2023
Réception des articles : 1er mai 2024
Période d’évaluation des articles
Réception des articles dans leur dernière version : 1er novembre 2024
Parution : mars 2025

Modalités de soumission

Les propositions résumées d’articles peuvent être rédigées en français ou en anglais et devront comprendre l’affiliation de l’auteur·e, une proposition de titre et un résumé de 1 000 mots ou 7 000 caractères (espaces compris). Elles devront présenter clairement la méthode, les données et la contribution empirique et théorique de l’article au thème du dossier. Elles peuvent émaner de différentes disciplines des sciences sociales, et sont à envoyer à lois.bastide[at]irasec.com, laurent.lardeux[at]jeunesse-sports.gouv.fr et jeremy.guedj[at]univ-cotedazur.fr avant le 1er novembre 2023.

Les articles acceptés pourront être rédigés en français, anglais ou espagnol.

Pour plus de détails (normes, nombre de caractères, présentation, etc.) : https://journals.openedition.org/remi/5848

Comité de sélection/coordinateur·rice·s du dossier

Loïs Bastide (Sociologue, maître de conférences à l’université de la Polynésie française, chercheur en délégation CNRS à l’IRASEC et Senior Visiting Research Fellow à l’Asia Research Institute, université nationale de Singapour)

Laurent Lardeux (Sociologue, chargé de recherche à l'INJEP, associé à l’UMR 5206 Triangle, membre du groupe de conception de l’enquête INED/INSEE Trajectoires et origines — TeO 2)

Jérémy Guedj (Historien, maître de conférences en histoire contemporaine, CMMC, université Côte-d’Azur)

Dates

La date finale de réception des propositions résumées est le 01/11/2023.

Contact

remi@univ-poitiers.fr

Argumentaire

Dans le contexte contemporain des migrations « par le bas », le risque (ou le péril) est au cœur des expériences mobilitaires, comme le rappelle douloureusement et régulièrement l’actualité. Pourtant les sciences sociales se sont peu penchées sur cet aspect, ou de manière très périphérique.

En sciences politiques, depuis les années 1990, des travaux tentent de décrypter le tournant sécuritaire (discursif et pratique) des politiques migratoires dans les pays européens (Waever et al., 1993 ; Bigo, 1998 ; McSweeney, 1999 ; Boas, 2015). Dans ce corpus, la question du risque n’est pas directement thématisée ; le gouvernement des migrations apparaît bien cependant comme régulation d’un « risque migratoire », conçu comme menace sécuritaire par les pays du « Nord ».

Plus récemment, d’autres approches problématisent explicitement la question du risque en migration dans un cadre plus microsociologique, à la croisée des théories de l’action et de l’analyse des expériences migratoires. Dans ces perspectives, les décisions mobilitaires — départ, installation à l’étranger, retours, réinstallation au pays, remigrations — sont envisagées comme produit de la mise en relation de risques de différente nature dans le contexte d’une appréciation plus large, en condition d’incertitude, des avantages et des inconvénients associés aux espaces d’origine et de migration (Hernández-Carretero et Carling, 2012 ; Williams et Baláž, 2012 ; Li, 2015 ; Chang et al., 2017 ; Huber et Nowotny, 2018).

D’autres auteurs s’affranchissent du moment de la décision initiale pour envisager la manière dont le risque colore l’entièreté du « cycle migratoire » et fait l’objet d’une micro-gestion au long cours, tramée dans le quotidien. Bredeloup (2017) travaille ainsi la figure spécifique du migrant comme « aventurier » pour lequel la migration vaut comme « mise à l’épreuve ». La prise de risques s’inscrit alors dans le cadre de processus de subjectivation, saisis à l’échelle des « carrières migratoires ».

Ce déplacement vers une microsociologie du risque et de l’incertitude en migration est prometteur, mais demeure embryonnaire. Il demande par ailleurs à être inscrit dans une réflexion systématique, transversale aux différents types de migration, et qui tire parti des développements récents de la sociologie du risque, de la prise de risque et de l’incertitude (Zinn, 2009 et 2020).

Dans ce contexte, le dossier vise :

• À réfléchir à l’enchâssement du risque dans les parcours migratoires et le temps biographique des personnes en migration.

• À analyser les tensions entre gestion du risque en migration par les migrants et gestion du risque migratoire par les institutions.

• À interroger la notion de risque, en tant qu’elle rend compte, plus largement, du rapport des acteurs sociaux à l’avenir.

Migration et temporalité biographique

Sur les routes méditerranéennes, les incertitudes des parcours migratoires se démultiplient à mesure que l’Union européenne étend ses dispositifs de contrôle (Brachet et al., 2011 ; Hernández-Carretero et Carling, 2012 ; Brachet, 2016 ; Carling, 2016 ; Bredeloup, 2017 ; Boyer, 2019). En Asie du Sud-Est, l’emprunt d’une filière souterraine ou régulière ne garantit en aucun cas la situation finale dans les pays de destination — régulière, irrégulière ou criminalisée (Bastide, 2015). Les personnes, au départ, font ainsi face à une incertitude radicale. Dans le couloir méso-américain et au Mexique, des migrants issus d’espaces géographiques de plus en plus divers « naviguent à vue » sur des routes migratoires en recomposition constante (Donato et Sisk, 2015 ; Aragón, 2014 ; Paris, 2017 ; Durand et Massey, 2019 ; Faret, 2020 ; Coubès, 2021). Dans ces conditions les parcours migratoires s’organisent de proche en proche, sans visibilité, face à des risques potentiellement mortels — mort physique, bien sûr, mais aussi mort morale ou sociale. Si la migration peut être envisagée comme moyen de faire face aux risques ou aux incertitudes qui prévalent « au pays » (Stark et Bloom, 1985 ; Halliday, 2006 ; Balaz et Williams, 2011 ; Bastide, 2015 ; Li, 2015), elle génère ainsi, aussi, ses propres périls.

Par surcroît, si la migration peut être un moyen de faire face à des risques existants, si elle ouvre sur d’autres incertitudes, les retours sont également porteurs de risques spécifiques. Cette question se pose ainsi de manière aigüe dans le cas des retours des réfugiés amenés à négocier une nouvelle place dans des espaces post-conflits ravagés par la guerre (Lardeux, 2015). Le retour comporte ainsi des risques propres, risques sociaux de dégradation statutaire ou risques économiques liés aux nouvelles attentes portées sur les acteurs dont on compte souvent sur la prodigalité, risques physiques dans des zones de conflit ou écologiquement fragiles, ou encore risques moraux liés à l’impossibilité d’un retour au lieu comme retour à la vie d’avant (Bastide, 2015).

La question du risque en migration peut donc être abordée en fonction d’une triple temporalité : la décision de partir pose d’emblée la question du rapport au risque migratoire ; le départ ouvre sur d’autres incertitudes ; les retours et les réinstallations sont également porteurs de risques. Du point de vue des migrants, ces différentes temporalités se rapportent les unes aux autres dans le cadre plus large du temps biographique. Le risque enveloppe ainsi de part en part les expériences migratoires.

Les contributions pourront s’intéresser à ces différentes temporalités. On veillera cependant, même si elles s’attachent à un moment donné du cycle migratoire, à ce qu’elles ne perdent pas de vue la temporalité élargie du risque en migration.

Gestion des risques en migration et gouvernement des risques migratoires

La question du risque peut aussi être envisagée à la croisée des approches « gouvernementalistes » des risques et les approches microsociologiques des pratiques de gestion des risques personnels, par les migrants.

Sur les grandes routes migratoires d’Asie du Sud-Est, les mobilisations collectives des travailleurs migrants ont ainsi participé à faire évoluer le droit vers une meilleure protection des migrants. Cette dynamique se heurte cependant aux impératifs économiques, politiques et sociaux assignés aux migrations de travail, dans les pays de départ comme de destination : protéger ces populations supposerait de renoncer aux modèles économiques et sociaux basés sur des formes d’exploitation du travail incompatibles avec le statut de citoyen, dans des pays semi-autoritaires (Derks, 2010 ; Maurer, 2010 ; Bastide, 2020).

En Afrique centrale et de l’Ouest, les opérateurs du rapatriement des réfugiés ou des personnes refoulées aux frontières ont pris la mesure des capacités d’organisation collective des migrants, y compris dans la gestion des risques migratoires, en développant des voyages de reconnaissance (nommés « go and see ») dans le pays d’origine : des personnes sélectionnées parmi les migrants sont envoyées « au pays » afin d’explorer les enjeux du retour, chargées ensuite de diffuser des informations de première main à leurs compatriotes quant aux risques associés à la réinstallation (Lardeux, 2015 ; OIM, 2022). Le passage de l’individuel au collectif, puis du collectif à l’institutionnel, de l’ordre biographique à la gestion collective et à la gouvernementalité des risques peut ainsi être facilité par des pratiques promouvant un exercice subtil du pouvoir qui articule liberté et contrainte, protection et contrôle.

Des interrogations non exclusives peuvent ainsi situer le débat au moins à deux échelles.

Du point de vue des populations migrantes, d’abord. La réflexion peut ainsi porter sur les ressources et les dispositifs individuels ou collectifs que les populations déploient pour faire face aux imprévisibilités de la migration, souvent à distance des institutions, voire en antagonisme avec les pratiques administratives et les politiques migratoires.

Les analyses pourront s’intéresser aussi aux interactions entre ces pratiques et les dispositifs institutionnels de gestion du risque migratoire appliqués aux populations en migration, qu’on gagnera à appréhender dans leur profondeur historique. Ces rapports peuvent prendre la forme de cooptations, de détournements, mais aussi de tentative de contournement ou d’empêchement dans le cadre des relations profondément inégalitaires entre les individus circulants, les communautés migrantes et les acteurs publics et privés de la gouvernance des flux migratoires.

Interroger le risque comme catégorie de l’action en migration

Fondamentalement, c’est le concept de risque lui-même qu’il faut interroger. Comme mise en forme des aléas de l’existence, le risque est quantifiable, ce par quoi il se distingue de l’incertitude. En permettant de calculer un ratio d’exposition à des aléas identifiés, il donne prise à des décisions éclairées. L’incertitude, en revanche, se caractérise par l’absence d’information pertinente sur la survenue d’évènements indésirables (nature des aléas et ratio d’exposition). Elle « problématise » ainsi les situations (Goffman, 1974) en empêchant les anticipations, obligeant les acteurs à s’engager dans des paris « aveugles ».

Ainsi définis, ces concepts permettent-ils réellement de saisir les perceptions et les logiques d’action des acteurs ? Le rapport à l’avenir passe-t-il vraiment par une estimation des probabilités relatives de réussite ici ou là-bas (et, partant, par une mesure relationnelle des risques) ? La migration n’implique-t-elle pas, bien souvent, des répertoires d’action plutôt fondés sur des aspirations, des désirs (Carling et Collins, 2018), l’espérance (Kleist et Thorsen, 2017) ou la foi (Bastide, 2015 ; Mastrangelo, 2018) qui n’engagent pas le même travail de mise en équivalence calculatoire du présent et de l’avenir ?

Au fond, ces questions en soulèvent une autre, particulièrement cruciale : l’emprise de l’idée de risque sur les représentations sociales n’est-elle pas une réalité d’abord « occidentale » ? Si le futur est bien un « fait culturel » (Appadurai, 2013), n’existe-t-il pas en effet d’autres manières pour les acteurs de se lier à l’avenir, exclusives de la rationalité stochastique du risque ? À Java, par exemple, les migrants considèrent moins les aléas de la circulation en termes de risques que sous le rapport d’un destin (Bastide, 2015). Des observations similaires ont également été relevées dans des contextes africains (Hernandez-Carretero et Carling, 2017) ou latino-américains (Coubès, 2021).

Dans ces circonstances et du point de vue du rapport scientifique aux matériaux collectés, l’inconnu peut-il toujours être conçu dans les termes de l’incertitude, s’il n’est pas appréhendé de la sorte par les migrants ? Les aléas de la migration sont-ils thématisés par les personnes en migration comme risques et, si oui, sous quelles conditions sociales et culturelles ? Quelle diversité du rapport à l’avenir peut être appréhendée à partir des expériences migratoires ?