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Notes de lecture

Cortina Adela, Aporophobia. Why we reject the poor instead of helping them

Lola Zappi
p. 180-181
Référence(s) :

Cortina Adela, Aporophobia. Why we reject the poor instead of helping them. – Princeton : Princeton University Press, 2022. – 216 p. ISBN : 978-06-91205-52-6

Texte intégral

1L’ouvrage d’Adela Cortina, professeure de philosophie à l’université de Valence, est pensé comme un manifeste. Partant du constat de la crise migratoire, l’auteure entend montrer que le fonctionnement de nos sociétés contemporaines est entaché d’un fléau sans nom : le rejet des personnes pauvres. Pour nommer ce mal et en faire l’analyse, elle propose le terme d’« aporophobie ». Son ouvrage vise à en explorer les causes ainsi que les conséquences morales et sociales, mais aussi à avoir une portée plus large : Adela Cortina souhaite faire reconnaître l’aporophobie comme une discrimination, au même titre que la xénophobie ou le sexisme.

  • 1 Plusieurs ouvrages récents de sociologie s’y consacrent cependant, comme Paugam et al. (2017) ou Co (...)

2L’intention est louable et la démarche de départ séduisante. De fait, si les sciences sociales se sont emparées de longue date de la question de la pauvreté, qu’il s’agisse d’étudier les populations pauvres ou leur gestion par les institutions, le sentiment anti-pauvres a moins souvent été considéré comme un objet d’étude en tant que tel1. L’ouvrage d’Adela Cortina, cependant, ne répond pas à ces ambitions et s’égare dans une argumentation qui relève plus de l’essai, voire de la pseudo-science, que du raisonnement scientifique.

3L’auteure pense l’aporophobie comme une peur morale, relevant de l’individu. Ce faisant, elle s’interdit d’en percevoir d’éventuelles causes structurelles. Le choix du terme même de « phobie », que l’auteure décline aussi tout au long de ses pages comme un « rejet », plutôt que de parler de « discrimination » (l’expression est presque absente de l’ouvrage), est en soi un signe révélateur. L’auteure ignore aussi tous les travaux, pourtant pléthoriques, des sciences sociales sur les questions de xénophobie anti-migrants, de pauvreté ou de construction de l’État social.

4L’introduction elle-même révèle ces faiblesses. Adela Cortina entend prouver que l’aporophobie précède la xénophobie dans le sentiment anti-migrants : à l’appui de cette thèse, elle relève que les figures migratoires concurrentes que sont les touristes blancs et riches, ne font pas, eux, l’objet de représentations négatives. Ainsi, c’est bien la pauvreté, et non pas l’ethnie, qui serait source de rejet. La démonstration de la preuve paraît cependant bien peu solide si l’on considère toutes les différences séparant des voyageurs temporaires des migrants de long terme, ou encore les écarts structurels entre pays du Nord et du Sud dans leur capacité à s’opposer aux circulations de personnes sur leur territoire. Ce postulat de départ éclaire aussi l’aveuglement de l’auteure à tous les enjeux spécifiques de la xénophobie et de son déploiement. D’ailleurs, le principe même de considérer qu’un type de discrimination serait premier à tous les autres a depuis longtemps été invalidé par les nombreux travaux ayant montré comment certains groupes sociaux se trouvent pris dans des entrelacs multiples de hiérarchies sociales.

5Ces défauts se retrouvent dans les trois axes argumentatifs déclinés au fil de l’ouvrage. Le premier situe la cause de l’aporophobie dans une faiblesse morale qui fait de toute personne un être intrinsèquement intéressé et individualiste. Ainsi, le problème n’est pas la xénophobie ou les inégalités sociales : l’aporophobie est un fléau sans coupable, ou plutôt le coupable n’est autre que nous, chacun en sa conscience. Dès lors la solution serait aussi individuelle avant d’être sociale. Adela Cortina prêche pour renforcer les hauts sentiments moraux et travailler le lien humain, afin de promouvoir la solidarité et l’altruisme. Elle en appelle pour cela à de nombreux auteurs philosophiques, mais l’avalanche de références peu étayées et la juxtaposition de penseurs aussi éloignés que Kant, Adam Smith et Socrate rend celles-ci peu efficaces.

6Le second axe argumentatif de l’ouvrage est plus problématique. L’auteure entend expliquer les causes de ce sentiment anti-pauvres en en appelant aux neurosciences, tout en mâtinant son propos de psychologie évolutive. « Notre cerveau est aporophobe », titre-t-elle dans le chapitre 4 (p. 45), car il serait naturellement tourné vers des dispositions égocentriques disparaissant avec l’éducation. Or, ces dispositions biologiques auraient prévalu à travers le temps par le jeu de la sélection naturelle. La survie des « chasseurs-cueilleurs » (p. 127) dans les « sociétés primitives » (p. 144) aurait en effet rendu essentiel ce réflexe de méfiance envers autrui. Enfin, les mutations biologiques étant plus lentes que l’évolution sociétale, notre cerveau serait resté étanche aux changements survenus depuis. Adela Cortina va jusqu’à s’interroger, dans le chapitre 6, sur les possibilités offertes par la science pour améliorer ces dispositions morales innées, avant d’en conclure que les risques eugénistes seraient trop importants.

7L’auteure estime donc que le meilleur moyen pour encourager les individus à se départir de leur égoïsme réside dans l’effort de nos sociétés envers une plus grande ouverture aux autres. Ce dernier pilier argumentatif comporte cependant deux biais. D’une part, l’auteure cède à une vision de l’histoire tendue vers un progrès linéaire : les sociétés « primitives » auraient laissé place à des sociétés « modernes » marquées par une élévation de la « conscience morale » collective (p. 48). D’autre part, elle réduit cette modernité aux sociétés occidentales et à leur modèle politique et économique libéral issu des Lumières. Les politistes s’étonneront de cette vision dépassée qui rejette du côté de l’antimoderne toutes les autres formes de régimes. Enfin, il resterait à prouver que le pluralisme politique et une économie de marché ouverte à l’économie sociale et solidaire, que l’auteure appelle de ses vœux dans son dernier chapitre, suffisent à éradiquer le rejet de la différence et de la pauvreté.

8Que retenir de ce livre, en somme ? Peu de choses, à l’exception peut-être de son titre. Et encore, il faudra soumettre ce concept d’« aporophobie » aux études empiriques afin d’en prouver le caractère heuristique pour les sciences sociales.

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Bibliographie

Colombi Denis (2019) Où va l’argent des pauvres : fantasmes politiques, réalités sociologiques, Paris, Payot.

Paugam Serge, Cousin Bruno, Giorgetti Camila et Naudet Jules (2017) Ce que les riches pensent des pauvres, Paris, Éditions du Seuil.

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Notes

1 Plusieurs ouvrages récents de sociologie s’y consacrent cependant, comme Paugam et al. (2017) ou Colombi (2019).

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Pour citer cet article

Référence papier

Lola Zappi, « Cortina Adela, Aporophobia. Why we reject the poor instead of helping them »Revue européenne des migrations internationales, vol. 41- n°1 | 2025, 180-181.

Référence électronique

Lola Zappi, « Cortina Adela, Aporophobia. Why we reject the poor instead of helping them »Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 41- n°1 | 2025, mis en ligne le 01 avril 2025, consulté le 24 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/remi/28227 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13rq1

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Auteur

Lola Zappi

Historienne, Maîtresse de conférence, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CNRS, CHS, Aubervilliers, France ; lola.zappi[at]univ-paris1.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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