• 1 Vers l’été 1956, dans le contexte des négociations secrètes engagées entre le FLN et le gouvernemen (...)
• 2 J’ai retrouvé le texte du Projet à la BNF, dans le département des livres rares, en juillet 2021, à (...)

2Le Projet de la Fédération de France est daté du 23 mai 1962 (FLN, 1962 : 93)1. Il a été rédigé à Vincennes (Haroun, 2000 : 26), en français, à la veille de la session extraordinaire du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) qui devait se réunir à Tripoli, en mai-juin 1962, alors que le Parti communiste algérien (PCA), avait déjà adopté son propre programme, le 18 avril précédent (PCA, 1962). Il s’agit plus généralement d’un Projet de programme d’une centaine de pages, dont le titre exact est Projet de programme présenté par la Fédération de France au C.N.R.A. Session de Tripoli, mai-juin 19622. Tout en se réjouissant de la pleine réalisation des « conditions fixées dès le Congrès de la Soummam pour un cessez-le-feu » (FLN, 1962 : 3), il se propose d’emblée « de créer des hommes neufs […] dans un pays neuf » (ibid. : 4), et pour ce faire s’organise en trois parties : « programme économique » (ibid. : 7-33), « programme social et culturel » (ibid. : 35-59) et « l’édification de l’État » (ibid. : 61-92). C’est cette troisième partie qui intéresse principalement la Constitution, sans que l’on puisse clairement délimiter celle-ci, à défaut notamment de codification par numérotation d’articles. Différentes sous-commissions ont contribué à ce Projet de Programme, composées de militants issus de l’Organisation de la Fédération de France, de l’Amicale générale des travailleurs algériens (AGTA) et de la Section universitaire (SU) (FLN, 1962 : 1), tandis qu’avant le cessez-le-feu du 19 mars, « l’avis des cinq détenus d’Aulnoy avait été sollicité » (Haroun, 2000 : 26), c’est-à-dire Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohammed Boudiaf et Mohammed Khider.

• 3 Chems Eddine Chitour, « Abdelkrim Chitour. Un moudjahid de la plume s’en est allé sans bruit », L’E (...)

3La réunion du CNRA, pour la fin du mois de mai, fut l’occasion de réunir « en hâte », une commission de synthèse (FLN, 1962 : 1), dont le comité de rédaction se réunit début mai. Il comprenait, « entre autres » : Belkacem Benyahia, déjà plume « convoitée » du Parti du peuple algérien (PPA)-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), (Guenoun, 2021 : 234) ; Abdelaziz Benmiloud, ancien membre du PCA, licencié en droit (Gallissot, 2006 : 121) ; Medjoub Benzerfa, ancien membre du PCA, instituteur à Colombes (MacMaster et House, 2004 : 155) ; Abdelkrim Chitour, ancien adhérant du PPA et bachelier en philosophie3 ; Aboubakr Belkaïd, syndicaliste de la Confédération générale du travail (CGT) et de l’AGTA (Pitti, 2006 : 99) ; et Ali Haroun, avocat et membre du Comité des cinq dans la direction de la Fédération (Haroun, 2000 : 26). À l’exception de Belkaïd et Benzerfa, tous avaient figuré au sein de la Commission centrale de presse et d’information (CPI) de la Fédération (Haroun, 1986 : 115) ainsi que parmi les enseignants de l’école des cadres, fondée en 1959 en République fédérale d’Allemagne (RFA) (ibid. : 119).

• 4 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 21-22-23 VIII 62.
• 5 Alain Jacob, « Le Projet de programme présenté par la Fédération de France du F.L.N. », Le Monde, 9 (...)
• 6 J. de M., « Selon les documents reproduits hier par la presse. Les intentions des révolutionnaires (...)

5Le Projet de la Fédération n’en sera pas moins « ronéotypé [par le CNRA], distribué à ses membres et accepté comme annexe au rapport présenté par le G.P.R.A. et adopté par le C.N.R.A. » (FLN, 1962 : 1). Il sera ensuite publié et diffusé durant l’été, « dans la plupart des départements »4, afin d’être soumis aux militants, en « leur demandant d’en faire une étude critique, de l’enrichir de leurs remarques et observations », pour devenir « une œuvre de la base, un travail vraiment collectif auquel toute l’émigration aura participé » (ibid.). La presse contribuera alors à le faire connaître, aussi bien en France qu’en Algérie. En effet, alors que le Projet de programme de Tripoli n’était pas encore intégralement connu, Le Monde consacrera une page entière au Projet de la Fédération, le 9 août, en le présentant comme « le premier ensemble cohérent qui ait été rendu public depuis la “plate-forme” adoptée en 1956 au congrès de la Soummam. Il constitue une indication d’autant plus sérieuse que les militants algériens en France sont les mieux à même, au sein du mouvement nationaliste, de concevoir et de rédiger un programme politique, économique et social »5. Quant à Combat, il s’en fera aussi l’écho, le même jour, en affirmant que le Projet de la Fédération de France « rappelle la constitution soviétique »6.

• 7 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 31 20-21-23-24 VII.
• 8 « Les difficultés intérieures. Une interview au “Monde” de M. Mohamed Boudiaf », Le Monde, 20 juill (...)
• 9 29QO17, « Le programme politique du FLN », n° 6.981/DN/REN/CER/R/S, Clt : 211 Bis, 11 oct. 1962.
• 10 SHD, 1H1749/D2, 2^e Bureau, « Les projets de programme du F.L.N. ». Note suivie de « Comparaison ent (...)
• 11 Ibid.
• 12 Séance de l’ANC du 26 août 1963, JORA Débats parlementaires n° 68 du 18 mars 1964, p. 964.
• 13 SHD, 1H1749/D2, 2^e Bureau, op. cit.

6Derrière le Projet de Vincennes, Ben Bella subodorait la main de Boudiaf (Haroun, 2000 : 26), présenté à l’été 1962 comme son « grand rival » et le « grand patron de la Fédération de France »7. Ce dernier affirmera d’ailleurs, en juillet 1962, qu’en comparaison du programme de Tripoli, celui de la Fédération de France « offre […] un travail plus fouillé, et à plus d’un point de vue il est plus objectif et plus substantiel »8. Mohammed Harbi reprochera cependant au Projet de programme de ne pas avoir abordé « deux questions fondamentales pour l’avenir » : « les leçons de l’expérience du FLN et l’attitude à adopter à l’égard des Accords d’Évian » (Harbi, 1980 : 336). Quant à Ferhat Abbas, il y verra « un texte mal expurgé de son contenu marxiste […] préparé par la Fédération de France du F.L.N., très marquée par l’extrême gauche » (Abbas, 1984 : 47-48), alors qu’il avait qualifié le programme de Tripoli de « communisme mal digéré » (Harbi, 1980 : 341). Les projets de Hammamet et de la Fédération ne seront d’ailleurs pas nécessairement opposés, en étant même présentés, dans les sources françaises, comme exprimant « des conceptions très voisines »9, si bien que « les concordances et même les similitudes l’emportent largement sur les différences et les oppositions »10. C’est ce qui explique sans doute l’adoption à l’unanimité du premier Projet et le renvoi du second au congrès du parti, pour des approfondissements. La Fédération de France considérait en effet les deux textes comme des projets amenés à être rediscutés11, ce que rappellera Rabah Bouaziz, en août 1963, dans les débats de l’Assemblée constituante, lorsqu’il affirmera que « le programme de Tripoli n’est qu’un projet et il était entendu qu’il ne deviendrait la doctrine du F.L.N. que le jour où il serait adopté par le congrès »12. Or, dès 1962, le Bureau politique semblait déjà « sous-entendre que le projet présenté par Ben Bella [était] devenu véritablement le programme du parti »13.

• 14 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 31 20-24 VII 62.
• 15 Mourad Oussedik pour la Wilaya II ; Omar Boudaoud et Amar Ladlani, pour la Wilaya III ; ainsi que R (...)

7L’été 1962 sera d’ailleurs l’occasion d’une « guerre de succession » au sein du FLN, marquée par la victoire de l’EMG du colonel Boumediene, alors soutien du « groupe de Tlemcen » avec à sa tête Ben Bella, contre le GPRA, présidé alors par Benyoucef Ben Khedda, et les wilayas de l’intérieur : en partie la II, Nord-Constantinois, la III, Kabylie et la IV, Algérois, auxquelles s’était alliée la Fédération de France, lors de la réunion de Zemmorah, les 24 et 25 juin (Haroun, 2000 : 64-69). Si sa direction prit le parti du GPRA, les archives du Service de coordination des informations nord-africaines (SCINA), témoignent cependant des fractures qui vont diviser ses militants durant l’été. En effet, « quel que soit le caractère séduisant du programme politique que la Fédération de France s’efforce de porter à la connaissance de la masse [,] la propagande BEN BELLISTE se développe en France et gagne du terrain »14. Alors que la Fédération avait acquis le statut de wilaya lors du CNRA de décembre 1959-janvier 1960, et qu’à ce titre elle devait bénéficier d’un quota de seize députés à l’Assemblée nationale constituante (ANC) (Boudaoud, 2007 : 246), elle en sera finalement exclue des listes, six de ses membres parvenant néanmoins à être élus parmi les candidats des wilayas II, III et IV15.

• 16 SHD, 1H2738/D1, « Projet de Constitution établi par Ferhat Abbas ».
• 17 SHD, 1H2738/D1, « Étude du projet de Constitution faite par : Me BENABDALLAH, Député ; Me BENDIMERE (...)

8Quant à l’Assemblée constituante, revendication historique du mouvement national, depuis que l’Étoile Nord-africaine (ENA) l’avait réclamée en 1933, elle sera finalement élue le 20 septembre 1962, au profit du Bureau politique – formé le 22 juillet précédent, à l’initiative de Ben Bella –, néanmoins avec une véritable opposition, notamment issue des wilayas III et IV (Quandt, 1969 : 175-203). Nouveau président du Conseil, Ben Bella, reconnaîtra la souveraineté de l’Assemblée. Une commission constitutionnelle sera ainsi mise en place, dès le mois de novembre suivant, afin de rédiger un avant-projet. C’est dans ce cadre que Ferhat Abbas aboutira à un projet de Constitution, au printemps 196316, tandis qu’un autre projet sera porté par d’autres membres de la Fédération de France, issus cette fois-ci du Collectif des avocats du FLN : Me Abdessamad Benabdallah, M. Hocine El Mehdaoui et Me Mourad Oussedik, députés de l’ANC, ainsi que Me Kébir Bendimerad et M. Amor Benghezal, respectivement consuls à Lyon et à Lille17.

• 18 Séance de l’ANC du 28 août 1963, JORA Débats parlementaires n° 70 du 27 avr. 1964, p. 1003-1004.
• 19 SHD, 1H2739/D2, FFS, « La Constitution dictatoriale ne doit pas passer ! ».

9Cependant, après une campagne lancée durant le mois de juillet, afin de faire connaître le programme de Tripoli, Ben Bella organisera, le 31 juillet, une conférence des cadres du parti, au sein du cinéma Majestic, afin de faire adopter son propre projet de Constitution, ce dont il résultera la démission de Ferhat Abbas de la présidence de l’Assemblée, en août suivant. Ni son projet ni celui du Collectif des avocats ne seront donc discutés devant l’ANC, placée devant le fait accompli. Un véritable débat aura cependant lieu, du 24 au 28 août, où 26 % des députés prendront la parole (Quandt, 1969 : 188). Le projet gouvernemental n’en sera pas moins adopté, le 28 août, par 139 voix pour ; 23 contre, dont celle d’Ali Haroun ; et huit abstentions, alors que 22 députés étaient absents lors du vote18. Le texte sera ensuite adopté par référendum, le 8 septembre suivant, à près de 98 % des voix, la Constitution étant in fine promulguée le 10 septembre 1963. L’organisation de ce « référendum-plébiscite », consacrant « le pouvoir personnel » et légalisant « la dictature et le fascisme », sera alors l’occasion d’un appel au boycott par le Front des forces socialistes (FFS), fondé à cette occasion, contre la « “constitution” sur mesure », « dictatoriale », approuvée par « une soi-disant conférence des cadres du F.L.N. »19.

• 20 Si la proclamation du 1^er novembre 1954 revendiquait en effet « l’indépendance nationale par : 1°) (...)

15Le Congrès de la Soummam retiendra d’ailleurs, en 1956, que la Révolution algérienne n’est pas « une guerre de religion » mais la conquête de « l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination » (FLN, El-Moudjahid : 27), dans un texte plus généralement « peu disert sur l’islam » : « en non-dit, cela pouvait s’appeler laïcité » (Meynier, 2002 : 192). La CPI de la Fédération de France rappellera d’ailleurs ce point, en décembre 1959, dans un numéro de F.L.N.-Documents, alors intitulé « Les juifs d’Algérie dans le combat pour l’indépendance nationale » (FLN, 1959 : 2). Le Congrès de 1956 ignorait ainsi les « principes islamiques » de la Déclaration du 1^er novembre 195420 que le CNRA du Caire réintégrera à partir de 1957. De son côté, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) s’affirmera « pour une société laïque » (Sanson, 1983 : 101), tandis que le PCA appellera, en avril 1962 à « la neutralité et la non-ingérence de l’État dans les affaires des cultes » (PCA, 1962 : 89).

• 21 29QO17, Ambassade de France en Algérie, Affaires politiques, 051 AP, « Programme de Tripoli », Roch (...)
• 22 Séance de l’ANC du 27 août 1963, JORA Débats parlementaires n° 69 du 24 avr. 1964, p. 982.

16Quant au Projet de programme, il ne fait aucune référence à l’islam, en tant que religion, sur sa centaine de pages, et évoque tout au plus la « culture arabo-islamique » (FLN, 1962 : 54), dans une formulation proche de celle du PCA, qui avait déjà appelé, en avril précédent, à la « rénovation de notre patrimoine culturel arabo-islamique » (PCA, 1962 : 98). Pour la Fédération de France, cette culture doit être « restaurée », mais il « ne peut s’agir, en aucun cas, d’un repli nostalgique sur le passé » (FLN, 1962 : 54), ce que démontre le restant du Projet, notamment à l’égard de la femme (v. infra). Le Projet de Hammamet, se réfèrera, quant à lui, à un islam qui « doit se traduire, en plus de religion en tant que telle, dans ces deux facteurs essentiels : la culture et la personnalité » (FLN, Al-Chaab : 34). C’est Ahmed Ben Bella qui demanda d’y introduire une référence à la religion, face à l’opposition de Mostefa Lacheraf, selon lequel une telle référence pourrait servir de fondement aux « forces conservatrices », pour « perpétuer des mœurs rétrogrades en ce qui concerne la famille, la condition féminine et les rapports dans la société » (Harbi, 1981 : 333-334). Le programme de Tripoli avait cependant évoqué un islam « débarrassé de toutes les excroissances et superstitions qui l’ont étouffé ou altéré » (FLN, Al-Chaab : 34) et l’ambassade de France dira de ses rédacteurs qu’ils « considèrent [l’islam] moins sous son aspect religieux que comme un cadre original de pensée et d’épanouissement de l’individu »21. In fine, l’islam sera reconnu à titre de religion de l’État, en juillet 1963, dans le projet du Majestic (art. 4), et c’est sur ce fondement que l’oulémiste Brahim Mezhoudi fera adopter un amendement imposant au candidat à l’élection présidentielle la condition discriminatoire d’être de confession musulmane (art. 39, al. 3)22.

• 23 Texte issu d’un premier « Mémoire des Oulémas », publié entre septembre et novembre 1944 dans l’heb (...)
• 24 M’Hamed Chebouki, « Un appel des ulémas de l’islam et de la langue arabe au peuple algérien », Dépê (...)
• 25 Séance de l’ANC du 25 août 1963, JORA Débats parlementaires n° 67 du 11 mars 1964, p. 931.

17Le principe de séparation s’inscrivait pourtant dans la continuité d’une revendication largement partagée au sein du mouvement national. En effet, le décret du 27 septembre 1907, adopté en vertu de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, prévoyait que dans un intérêt public, les ministres du culte désignés par le gouverneur général pouvaient toucher des indemnités temporaires de fonction (art. 11). Ces indemnités furent néanmoins maintenues jusqu’à l’indépendance, afin de mieux contrôler l’islam algérien, ce à quoi s’opposera l’Association des Oulémas musulmans algériens (AOMA), notamment à travers un Mémoire sur la séparation du culte et de l’État, publié en 1950, qui appelait « avec insistance », à « l’application intégrale du principe de la séparation du culte musulman de l’Administration algérienne » (Association des Oulamas d’Algérie, 1950 : 13)23. Cependant, une fois l’indépendance acquise, les « Oulémas de l’islam et de la langue arabe » dénonceront, dans un appel du 21 août 1962, « cette Fédération [qui] demande la laïcité de la constitution algérienne » – bien que le Projet de Vincennes n’use pas du terme « laïcité » –, alors que le FLN « oublie l’engagement qui a été fait à l’égard de nos martyrs », tout en en appelant au Bureau politique, afin de « sauvegarder nos principes islamiques » et au peuple, afin de « barrer la route à quiconque essaie de porter atteinte à nos idéaux »24. La place de l’islam agitera ensuite les tout premiers débats de l’ANC (Cherbi, 2023 : 818-820), avant que le projet du Majestic ne l’inscrivît en tant que religion de l’État, ce dont se félicitera le cheikh Mohammed Kheireddine, le 25 août 1963, en affirmant qu’il s’agissait là de « la consécration du combat opiniâtre […] mené […] pendant un tiers de siècle »25 par les Oulémas, alors même qu’il avait été cosignataire, en 1950, du mémoire susmentionné réclamant la stricte application de la loi de 1905 en Algérie.

• 26 Séance de l’ANC du 26 août 1963, op. cit., p. 961.

18Le rapporteur du projet de Constitution, Me Benabdallah, devait cependant affirmer que « la laïcité est un principe qui retient incontestablement la majorité des auteurs du projet de constitution »26. Il répondait alors à un amendement proposé par Zerrouki Boumehdi, qui visait à dispenser un enseignement religieux aux enfants de confession musulmane. Le Projet de Constitution de la Fédération de France prévoyait d’ailleurs la liberté de l’enseignement religieux, mais « hors des établissements publics » (FLN, 1962 : 64), tout comme le PCA proposera, en octobre 1962, la laïcité de l’école (Sanson, 1979 : 99). L’assertion de Me Benabdallah faisait par ailleurs écho au projet de Constitution dont il avait été le coauteur, en 1963, puisque celui-ci se réclamait de « la séparation de l’État et de toutes les églises et confessions religieuses » ainsi que de « la laïcité du pouvoir à tous les degrés » (art. 5, al. 2), dans une revendication qui semble avoir été largement partagée au sein de la Fédération de France du FLN.

• 27 FLN, Fédération de France, Section des femmes, « Directives d’orientation », juin 1962, document d’ (...)
• 28 Ibid.

21C’est ainsi que l’égalitarisme du Projet de Constitution de mai 1962 doit plutôt être recherché dans les traditions propres de la Fédération de France. Rabah Bouaziz avait en effet réussi à y imposer, « probablement vers la fin de 1960 », une Section des femmes du FLN (MacMaster, 2012 : 168). Sur le plan du statut personnel, les « jeunes modernisatrices » de la Section y demanderont « avec force la fin des mariages arrangés pour les filles mineures, la majorité à dix-huit ans, le libre choix d’un partenaire, l’égalité totale au sein du couple pour ce qui était du droit sur les enfants et des héritages, la suppression de la répudiation et du port du voile, et le droit à un développement personnel complet (éducation) et à l’emploi » (ibid. : 179). Sur le plan politique, les « Directives d’orientation » de la Section, datées du mois de juin 1962 feront peser, parmi les « causes importantes de l’échec » des partis d’avant 1954, « la non-participation de la moitié de la population » à ces mouvements27, tout en invitant les femmes « à remplir notre devoir de citoyenne, à voter : élire et être élues »28. Animatrice de cette Section, Salima Bouaziz, Sahraoui de son nom de jeune fille, avait été pressentie pour siéger à l’Assemblée constituante, mais en sera néanmoins exclue, à l’occasion de la « guerre de succession » de l’été 1962 (Vince, 2015 : 112), période durant laquelle les femmes de la Fédération feront passer une déclaration, contre « le culte de la personnalité, l’établissement d’une dictature militaire, et pour le soutien au GPRA, seule autorité légale en Algérie » (MacMaster, 2012 : 185).

• 29 Séance de l’ANC du 26 août 1963, op. cit., p. 960.
• 30 Ibid.

22Le principe d’égalité entre hommes et femmes n’en sera pas moins évoqué lors des débats parlementaires relatifs au projet du Majestic. Celui-ci prévoyait en effet que « tous les Algériens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs politiques » (Borella, 1964 : 88). Une députée, ancienne étudiante en droit et mujāhida d’Alger, Samia Salah Bey, Lakhdari de son nom de jeune fille, proposera alors un amendement, selon lequel « tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La loi n’introduira aucune discrimination juridique entre l’un et l’autre sexe »29. Le rapporteur croira lui donner raison, en retenant, dans le projet final, que « tous les citoyens des deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs » (art. 12). La députée maintiendra cependant son amendement, en considérant que la formulation retenue par Me Benabdallah ne pouvait être entendue que dans un sens politique, alors qu’« on ne sait si cela sous-entend l’égalité, économique ou sociale »30.

• 31 Séance de l’ANC du 5 mars 1963, JORA Débats parlementaires n° 27 du 8 juill. 1963, p. 409.
• 32 Séance de l’ANC du 12 mars 1963, JORA Débats parlementaires n° 30 du 29 juill. 1963, p. 459.

24Dans les débats de l’ANC, c’est notamment à l’occasion du débat sur le Code de la nationalité, en mars 1963, que se posera plus généralement la question de la nation. Le projet de loi prévoyait en effet qu’est Algérien d’origine, celui qui peut attester de deux ascendants mâles de statut musulman nés en Algérie, ce qui excluait les personnes d’origine européenne, qui ne pouvaient devenir algériennes que par acquisition. Une telle exclusion engendra une vive opposition, animée notamment par l’abbé Bérenguer, selon lequel « nous étions nombreux, je crois, Algériens Européens et Musulmans, à rêver d’une Algérie allant vers l’avenir et non pas d’une Algérie qui entrerait dans l’Histoire à reculons »31, tandis que le communiste Abdelkader Guerroudj fera remarquer que la part juive de la population, présente avant 1830, « était indigène », alors que « les textes du F.L.N., nos textes depuis 1954 jusqu’aujourd’hui, ont dit que cette minorité était nationale »32.

• 33 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 31 20-24 VII 62. Sur les six rédacteurs connus, une moitié est d’origine (...)

27C’est ainsi que par le renvoi au pluriel « langues » dans le Projet, la Fédération de France aurait pu permettre une place au tamazight, en réveillant une revendication tue durant la guerre. L’un des auteurs connus du Projet de programme, Abdelkrim Chitour, avait d’ailleurs été journaliste d’expression berbérophone, dans les années 1950, à la radio kabyle de Paris (Harbi, 2001 : 229), tandis qu’un autre, Belkacem Benyahia, avait tenu la plume du Bulletin d’information de la contestation à la direction du PPA-MTLD, dans le contexte de la crise dite « berbériste », et avait quitté ou été exclu un temps du parti, au mois d’octobre 1949 (Guenoun, 2021 : 234). Les archives du SCINA révèlent du moins que durant l’été 1962, « pour neutraliser les cadres kabyles fidèles à BEN KHEDDA, les Benbellistes de la région parisienne disent que les partisans du G.P.R.A. sont les anciens ou les successeurs du “berbérisme” »33. Le Projet de Vincennes ne prévoit cependant pas de décentralisation politique, a contrario du fédéralisme soviétique ou yougoslave, mais évoque seulement des « régions économiques » (FLN, 1962 : 24-25), puisque « pour l’unité du pays et par souci d’efficacité, la centralisation est nécessaire » (ibid. : 78), non sans rappeler « la ferme volonté d’édifier un État Algérien UN et INDIVISIBLE » de l’Algérie libre vivra ! (El-Wattani, 1949 : 8).

• 34 Louis Noyer, « Une interview exclusive d’un responsable du F.L.N. », La voie communiste, n° 27, mar (...)
• 35 La phrase qui supporte cette dernière assertion dans le programme de Tripoli est très proche d’une (...)
• 36 SHD, 1H1749/D2, 2^e Bureau, op. cit.

30Mohammed Boudiaf s’était très tôt prononcé en faveur du socialisme, dès mars-avril 1962, en tant que « seule voie d’édification », « pour l’Algérie, pays sous-développé »34. Quant à la Section universitaire, dans son rapport d’avril 1962, elle avait affirmé à son tour, que « pour son développement, l’Algérie ne peut adopter qu’un système économique de type socialiste » (Farès, 1966 : 92). Le programme de Tripoli suivra, en adoptant une référence au socialisme, à la suite d’un amendement proposé par Ali Haroun (Harbi, 1980 : 341), en retenant ainsi l’édification du pays « dans le cadre de principes socialistes » et son développement « dans une perspective socialiste »35 (FLN, Al-Chaab : 28), après quoi la Constitution de 1963 évoquera elle aussi l’édification du pays « conformément aux principes du socialisme » (préambule, § 6). Ces références étaient cependant « surtout dans l’ordre de ce que Abdallah Laroui dénomme un “marxisme objectif”, c’est-à-dire une recette de développement » (Meynier, 2004). C’est d’ailleurs ce que note le 2^e bureau, en comparant les projets de Hammamet et de la Fédération de France, lorsqu’il en conclut que « le vocabulaire utilisé, les méthodes préconisées et les buts fixés, sont indéniablement tirés du marxisme. Mais ni la philosophie de Marx, ni les principes d’action du communisme n’apparaissent. L’influence du marxisme se limite à des emprunts »36. Les deux projets ignorent ainsi la notion de lutte des classes.

• 37 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 23 10 VII 62, Texte de la circulaire de la Fédération de France, « Appel (...)
• 38 SHD, 1H1798/D2, ANC, séance du 26 sept. 1962, p. 7.

33L’été 1962 sera ensuite l’occasion de slogans et de directives opposés au « culte de la personnalité », désormais dans des allusions à peine voilées contre Ben Bella. Alors que ce dernier avait appuyé l’EMG dans son opposition au GPRA, le 1^er juillet 1962, une circulaire interne de la Fédération de France, datée du lendemain 2 juillet, affirmera que « l’indépendance ayant été arrachée par le peuple, il n’admettra jamais que la victoire soit appropriée par quelques-uns, même s’ils passent pour prestigieux »37. C’est finalement Krim Belkacem qui se réclamera à son tour du principe de collégialité, le 26 septembre 1962, devant l’Assemblée constituante, cette fois-ci contre les modalités d’investiture du président du Conseil, c’est-à-dire Ben Bella38.

• 39 SHD, 1H2738/D1, « Projet de Constitution établi par Ferhat Abbas ».

34Quant au Projet de la Fédération de France, afin d’éviter toute tentation césariste, les membres du présidium ne sont pas élus au suffrage universel direct, mais indirectement, par le Conseil national, en son sein, et ce pour un an (FLN, 1962 : 67). Ils exercent la fonction de chef de l’État, en accréditant les agents diplomatiques étrangers, en promulguant les lois et en exerçant souverainement le droit de grâce (ibid. : 68). Primus inter pares, le président du présidium est non rééligible, dirige « les débats du Conseil national » (ibid. : 67) et représente « l’État algérien au-dedans et au-dehors » (ibid. : 68). L’essentiel du pouvoir exécutif est donc exercé par le gouvernement. C’est ce que retiendront aussi bien le projet de Ferhat Abbas, selon lequel l’« essentiel [est] d’éviter la personnalisation du pouvoir. Ce n’est donc pas le Président de la République qui gouverne »39, que celui du Collectif des avocats du FLN, selon lequel le gouvernement a pour mission « de conduire la politique intérieure et extérieure du pays en collaboration avec l’Assemblée Nationale et sous son contrôle » (art. 33).

• 40 Séance de l’ANC du 24 août 1963, op. cit., p. 922.
• 41 Séance de l’AN du 3 oct. 1963, JORA Débats parlementaires n° 74 du 15 mai 1964, p. 1020.
• 42 Proclamation du Conseil de la Révolution du 19 juin 1965, JORA n° 56 du 6 juillet 1965, p. 647-648.

36A contrario, la première Constitution de l’Algérie indépendante prévoira un exécutif monocéphale avec un président élu au suffrage universel direct disposant de pouvoirs propres, non soumis à contreseing, ce qui suscitera une dénonciation du pouvoir personnel, lors des débats de l’ANC. L’abbé Bérenguer en appellera ainsi à la tragédie grecque qui « insiste sur ce drame de tous les temps, “l’excès de puissance, […] engendre la démesure d’orgueil. Celle-ci excite la jalousie des dieux, lesquels frappent de folie l’homme au pouvoir, le menant ainsi à sa perte.” Hélas, il s’ensuit en même temps la perte du peuple innocent. “Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend fous.” C’est pourquoi il faut à tout pouvoir des contrepoids, des digues, des limites »40. La Constitution promulguée et Ben Bella devenu président de la République, il proclamera rapidement l’état d’exception (art. 59), le 3 octobre 196341, à la suite de l’insurrection du FFS, en assumant les pleins pouvoirs, jusqu’au coup d’État du 19 juin 1965. Celui-ci sera d’ailleurs légitimé au prétexte du « pouvoir personnel aujourd’hui consacré […] d’un seul homme qui […] impose les options et les hommes, selon l’humeur du moment, les caprices et le bon plaisir »42.

• 43 André Pautard, « Si je suis aux côtés de Benbella c’est qu’il est du côté de la légalité déclare M. (...)
• 44 Décret n° 63-297 du 14 août 1963 portant interdiction d’associations à caractère politique, JORA n° (...)
• 45 Arrêté du 16 août 1963 portant dissolution de l’association de fait dite « parti révolutionnaire so (...)
• 46 Séance de l’ANC du 24 août 1963, op. cit., p. 917.

40L’option pour le parti unique fut néanmoins rejetée, dès le mois d’avril 1962, par le PCA (PCA, 1962 : 101) et en juillet suivant par Ferhat Abbas43, ce qui se reflètera dans son projet de Constitution, par l’absence de toute mention à un régime mono-partisan. Quant au programme de Tripoli, il n’évoquera pas explicitement le parti unique, mais optera pour un parti qui « trace les grandes lignes de la politique de la nation et inspire l’action de l’État », notamment au travers du gouvernement, dont le chef et les membres en sont majoritairement issus (FLN, Al-Chaab : 56-57). Dans la pratique, le PCA sera interdit le 29 novembre 1962, tandis que le décret n° 63-297 du 14 août 196344 portera interdiction des associations à caractère politique. Il en résultera l’interdiction du Parti de la révolution socialiste (PRS), le 16 août suivant45, et la consécration du FLN en tant que « parti unique d’avant-garde en Algérie », dans la Constitution de septembre 1963 (art. 23). Dans les débats de l’ANC, le député Lamara Hamel, avait cependant proposé un amendement visant à supprimer la disposition selon laquelle il revenait au FLN de présenter les candidats aux élections parlementaires. Il considérait en effet que cette disposition était contraire au principe de souveraineté populaire, en ce qu’« il serait logique de reconnaître au peuple le droit absolu de se faire représenter par les militants de son choix. Si ce choix ne concorde pas avec celui du Parti, celui-ci ne manquera pas d’en tirer les leçons »46.

• 48 « Communiqué du bureau politique du Parti communiste algérien », Alger, 31 juill. 1962, in AAN, vol (...)
• 49 SHD, GR10T543/D2, Texte de la circulaire de la Fédération de France, « Appel aux militants », op. c (...)
• 50 « Aucun parti populaire ne pourra naître à l’ombre des mitraillettes », Le Monde, 7 sept. 1962.
• 51 « Tract du comité provisoire de coordination du Parti de la révolution socialiste », Le Monde, 23-2 (...)

45Cette opposition se manifestera à nouveau à l’occasion de la session du CNRA de Tripoli de mai-juin 1962. En effet, tandis que le Projet de Hammamet avait « élud[é] toute précision sur le rôle de l’armée » (Harbi, 1980 : 335), ce que le PCA fera remarquer, dans un communiqué du 31 juillet suivant48, Mohammed Boudiaf avait proposé, le 2 juin précédent, un nouveau bureau politique qui « respecte la séparation entre le politique et le militaire » (Mohand-Amer, 1962 : 122). Quant au colonel Boumediene et aux commandants Kaïd et Mendjeli, ils seront destitués par le GPRA, le 30 juin 1962. La Fédération de France diffusera alors, le 2 juillet, une circulaire interne dénonçant « quelques chefs militaires de l’A.L.N. [qui] stationnent aux frontières [et qui] ont par leur indiscipline caractérisée créé une situation grave », tout en affirmant que « le militant conscient comprend mal comment les chefs militaires pourraient être au-delà du barrage électrifié “plus révolutionnaires” ou plus “durs” que les responsables des wilayas deux ou trois par exemple, qui ont combattu l’ennemi sur le terrain »49. L’été 1962 sera en effet l’occasion de combats fratricides entre l’Armée des frontières et certaines wilayas de l’intérieur, notamment la Wilaya IV, ce qui fera dire à Mohammed Boudiaf, qu’« aucun parti populaire ne pourra naître à l’ombre des mitraillettes, à moins qu’il n’en soit l’instrument servile »50. Le Parti de la révolution socialiste (PRS) sera ainsi fondé le 20 septembre 1962, contre ceux qui préparent « la voie à un régime policier de dictature personnelle ou militaire »51, tandis que la Fédération de France du FLN, proche du PRS, sera dissoute, le 20 novembre suivant, au profit d’une Amicale des Algériens en France et bientôt en Europe, sous contrôle du nouveau gouvernement algérien.

• 52 29QO18, Argod, « Affaires étrangères. Déchiffrement. Télégramme à l’arrivée », 1^er août 1963.
• 53 Séance de l’ANC du 24 août 1963, op. cit., p. 914.

46Malgré la victoire de l’EMG et son entrée à Alger, le 9 septembre 1962, la Constitution du 10 septembre 1963 retiendra le principe de subordination. En effet, le 31 juillet 1963, les congressistes du cinéma Majestic avaient profité de l’absence du ministre de la Défense, le colonel Boumediene, alors en déplacement à Cuba, pour adopter un amendement au texte initial du projet de Constitution, en limitant « légèrement » le rôle de l’armée, c’est-à-dire en précisant que sa participation « aux activités politiques » devait avoir lieu « dans le cadre du parti » (préambule, 11 et art. 8, al. 2)52. Bien que le projet de Constitution précisât par ailleurs que l’armée « est au service du peuple et aux ordres du Gouvernement (art. 8, al. 1), le député Boualem Benhamouda, futur ministre de la justice (1970-1977), fera remarquer devant l’ANC, le 24 août, que l’article 8 est « vague », en ce qu’il ne précise pas « comment les djounoud [soldats] vont s’occuper des affaires politiques du pays. Il peut y avoir conflit. […] Naturellement, la Constitution ne peut pas tout prévoir ; mais dans l’intérêt national, elle doit prévoir le maximum, pour éviter les crises »53.

• 54 SHD, 1H1749/D2, 2^e Bureau, op. cit.
• 55 SHD, GR10T543/D2, SCINA 17 31 20-21-23-24 VII.
• 56 Ibid.

47Néanmoins, si d’un côté le Projet de la Fédération de France retient le principe de subordination, de l’autre, il fait du soldat algérien « un militant éduqué dans le respect de fidélité aux principes constitutionnels de la Patrie », si bien que l’armée a pour mission de protéger le peuple « contre toute atteinte aux lois fondamentales de notre État » (FLN, 1962 : 82), ce qui revenait à lui confier un pouvoir modérateur. Le programme de Tripoli prévoyait quant à lui « un travail de politisation de l’armée » et la « création en son sein de cellules politiques » (FLN, Al-Chaab : 59), si bien que le 2^e bureau en conclura que cette politisation de l’armée, recommandée par le GPRA, « n’est pas en contradiction évidente avec la conception de la Fédération de France, qui n’en traite d’ailleurs pas explicitement »54. Or, dans un document issu des écoles des cadres de la Fédération et intitulé « Perspective et programme », il est affirmé que « la dictature de l’organisation permettra de policer l’armée, d’y introduire la structure de l’organisation, pourvoyant ainsi à son encadrement politique, l’associant aux activités de l’organisation ainsi qu’aux tâches de construction »55. Un commentateur du SCINA notera ainsi que « le rédacteur entend par policer donner une formation politique à l’armée »56. Par ailleurs, lorsque le Projet proclame que la police doit être « au service du peuple » et doit veiller « au respect de la personne humaine », il affirme en même temps qu’elle « doit se préoccuper surtout de lutter contre les ennemis et saboteurs de la Révolution » (FLN, 1962 : 81), disposition qui aurait pu servir à légitimer la répression contre toute opposition au régime en place.

• 57 Le Projet de programme critique d’ailleurs « les erreurs tragiques des réformes agraires de type so (...)

48L’influence marxiste se ressent dans le Projet de Constitution de la Fédération de France du FLN, ne serait-ce que par la présence de deux anciens membres du PCA, parmi ses six rédacteurs connus, de même que par la participation de la Section universitaire à son écriture. Le Projet de programme de mai 1962 est cependant loin d’être un pastiche soviétique ou cubain57. Il est en effet partout émaillé par des problématiques proprement algériennes, qu’elles soient relatives au statut de la femme, aux relations entre civils et militaires ou au rejet du culte de la personnalité. Il partage d’ailleurs avec le projet du Collectif des avocats du FLN, lequel est absent de toute connotation marxiste, le souci de la subordination de l’armée aux autorités civiles, la séparation du culte et de l’État, ainsi que la prééminence institutionnelle du Parlement.

• 58 SHD, 1H1749/D2, 2^e Bureau, op. cit.

49Le 2^e bureau pouvait certes encore écrire, en septembre 1962, que « si le projet du G.P.R.A. [de Hammamet] avait exposé ses vues sur ce point [les institutions de l’État], il est peu probable qu’elles eussent été différentes »58 de celles de la Fédération. C’est ce qui explique sans doute, à la fois l’absence d’opposition entre les deux textes par les commentateurs français, mais aussi par les acteurs mêmes du FLN (Haroun, 2000 : 81). Quant au congrès du parti, censé approfondir le programme de Tripoli, il sera tardivement organisé, ce qui avait suscité plusieurs protestations parmi les députés de l’ANC, puisqu’il n’aura lieu qu’au printemps 1964, une fois la Constitution de 1963 adoptée et le FLN historique à la fois épuré et divisé, à travers une opposition désormais bien installée, notamment avec la fondation du PRS et du FFS.

• 59 William Quandt, “Interview with Mohamed Ali HAROUN, 21 February 1967, at his office, 5, rue Ali Bou (...)

51Le Projet de Constitution de la Fédération de France du FLN permet ainsi de redécouvrir une autre indépendance algérienne et constitue dès lors une étape majeure, aussi bien dans l’histoire de la pensée politique et constitutionnelle algérienne, que dans l’histoire de la Fédération. D’après Ali Haroun, ses « dirigeants avaient probablement 50 ans d’avance sur les masses »59 et à plus d’un demi-siècle de distance, plusieurs des propositions du Projet de programme répondent encore aux revendications d’un Ḥirāk horizontal qui se réclamait de la souveraineté populaire et d’un « État civil, non militaire », un Ḥirāk sur les pancartes duquel on pouvait lire que l’année 1962 avait été celle de l’indépendance du pays et que l’année 2019 serait celle du peuple algérien.