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Appel à contribution : Enseignement supérieur, mondialisation et pouvoirs dans le monde arabe

(english version below)
  • 1 SULTANA Ronald G., « Les défis de l’enseignement supérieur dans les pays méditerranéens », Monde a (...)

Paru en 2003, le second rapport des Nations unies sur le développement dans le monde arabe portait une critique radicale sur l'état jugé désastreux des systèmes universitaires arabes. Il appelait les États concernés à investir massivement en quantité et en qualité dans un secteur perçu comme portant l'avenir des sociétés concernées. Si la perception négative des universités arabes a semblé nouvelle en raison de sa publicité inédite, la critique est fort ancienne. L'inadéquation des systèmes académiques arabes aux besoins sociaux est depuis longtemps dénoncée1. Fétichisme de la grande université généraliste, redondance des filières les plus valorisées, démonétisation consécutive de celles-ci en raison de l'émergence des chômeurs diplômés, absence de formations professionnelles adéquates avec les besoins sociaux, fuite des cerveaux : autant de maux dénoncés depuis plus de vingt ans dans le Monde arabe et ailleurs. Ils nourrissent un « discours de la crise » universitaire trahissant de considérables investissements politiques, sociaux, économiques et affectifs dans un secteur perçu et construit comme politiquement stratégique.

Ce regain d'intérêt récent pour l'enseignement supérieur cache également une histoire universitaire pluriséculaire dans le monde arabe. C'est dire que le projet de replacer les universités du monde arabe dans les dynamiques universitaires mondiales n'est pas nouveau. Mais le moment colonial transforme la question universitaire en enjeu politique et nationaliste : au Liban, en Palestine et en Égypte notamment, des universités « privées » sont fondées dès le début du xixe dans le cadre d'une concurrence précoce entre grandes puissances. C'est plus précisément l'histoire contemporaine des universités dans le monde arabe qui nous intéresse ici, à travers des modalités renouvelées d'interaction entre monde arabe et pays du Nord au cœur de la « mondialisation de marché ».

  • 2 MUSSELIN Christine, « Vers un marché international de l'enseignement supérieur ? », Critique inter (...)

Dix universités – au sens d'institutions d'enseignement post-secondaire – fonctionnaient en 1940 dans le monde arabe ; elles étaient plus de 140 en 2000, dont la moitié fondées entre 1980 et 1993, et 250 aujourd’hui. Le taux brut d'inscription dans l'enseignement supérieur varie de 49 % (en Libye) à 14 % (au Yémen) : les capacités universitaires sont donc très variables mais fortement croissantes partout. Érigées en joyaux par les luttes anticoloniales et/ou fondées par de nouveaux États postcoloniaux assoiffés de développement, de prestige et de légitimité, les universités du monde arabe sont confrontées à la crise économique, aux ajustements structurels et à une timide ouverture libérale dès le début des années 1980 suite aux échecs développementalistes. L’échec des ouvertures académiques conduit à une nouvelle vague d'ouvertures au secteur privé depuis une décennie, dans le cadre d’une mondialisation universitaire croissante imposant l’enseignement supérieur comme un bien marchand2. Les derniers acteurs du renouveau universitaire arabe sont les pays de la Péninsule arabique. Pour la seule Arabie saoudite, huit universités existaient en 2003 ; plus de cent établissements supérieurs sont créés depuis 2004, le budget du secteur ayant triplé pour atteindre 15 milliards de dollars annuellement, pour une population de 23 millions d'habitants.

Des changements récents considérables redéfinissent donc l'espace universitaire arabe, l'insèrent dans une logique économique libérale mondiale. Lorsque les universités des pays du Maghreb redéfinissent leurs stratégies en fonction des dynamiques européennes, du processus de Bologne, et de leur positionnement en tampon avec l'Afrique sub-saharienne, celles du Proche-Orient (Égypte, Liban, Syrie, Palestine, Jordanie) semblent prises en ciseaux entre l'essor considérable de la Péninsule arabique comme acteur universitaire majeur, le modèle anglo-saxon que les pays du Golfe embrassent, et le tournant européen pris par les universités maghrébines. Dans le même temps, la plupart des régimes autoritaires consolident leur emprise politique lorsque d'autres (dans les Territoires palestiniens, au Liban, en Irak)sont en crise : la violence est permanente quelle que soit sa forme ou sa source. Enfin, les circulations des savoirs, savants et technologies institutionnelles sont modifiées par les recompositions en cours – en particulier les flux entre Égypte et pays du Golfe.

  • 3 À l'exception des travaux d'Éric Gobe sur les ingénieurs maghrébins : GOBE É., dir., Les ingénieur (...)
  • 4 WAARDENBURG Jean-Jacques, Les universités dans le monde arabe actuel, 2 vols., Paris: Mouton, 1966 (...)

Comment rendre compte de ces dynamiques complexes ? Qui sont les acteurs universitaires anciens et nouveaux ? Comment – et par qui – leurs fonctions sont-elles énoncées, redéfinies et vécues ? Comment travaillent-ils aujourd'hui ? Comment se renégocient les pactes entre sociétés, gouvernants et acteurs universitaires ? Comment sont redéfinies les hiérarchies entre pays, institutions et filières ? Comment les sociétés du monde arabe articulent-elles l’ouverture de leurs systèmes universitaires à la compétition internationale avec la persistance de la coercition ? Les privatisations sont-elles une solution au chômage endémique ? Peu de travaux proposent une sociologie politique des acteurs et institutions académiques contemporaines du monde arabe3. Les seuls ouvrages exhaustifs de référence sont des sociographies en anglais datant de 1966, auxquelles il faut ajouter une publication récente importante sur l'éducation dans le monde arabe4. Un autre ensemble de travaux, le plus souvent d'expertise, mobilise les sciences de l'éducation et l'économie dans l'objectif d'améliorer le fonctionnement et l'organisation interne des institutions académiques, et/ou de les adapter à la libéralisation ; ils constituent la plus grande partie de la ''littérature grise'' sur le sujet, riches en information, asservis en analyse. Ce nouveau numéro de la REMMM projette d’explorer les différentes dimensions et échelles de ce renouveau académique, son histoire, ses acteurs et ses enjeux.

Nous souhaiterions, avec ce numéro, proposer un panorama renouvelé des différentes dynamiques universitaires, au sens de recherche et d'enseignement post-secondaire, dans le Monde arabe dans leur relation avec les politiques d'ouvertures néolibérales depuis la décennie 1990, à partir de terrains spécifiques, d’approches « par le bas » et pluridisciplinaires. Il s'agit d'éclairer leurs articulations avec des enjeux transversaux (la marchandisation mondiale de l'enseignement supérieur, les consolidations autoritaires dans le monde arabe, les crises économiques) et régionaux (positionnements spécifiques des pays du Maghreb, du Proche-Orient et de la Péninsule arabique par rapport à ces problématiques), les relations académiques Sud-Sud et Nord-sud notamment.

Sont donc bienvenues toutes les contributions qui, à partir d’études de cas concrets portant en priorité sur des pays du Monde arabe, permettront des comparaisons et mises en perspective théoriques, historiques, régionales et internationales : genèses et transformations du fait et du marché universitaire, redéfinition de l’action publique et gouvernement des universités, libertés académiques et consolidations autoritaires, féminisation des métiers et filières, transformation des publics et renouvellement des enseignements, enseignants-chercheurs et des programmes. Les propositions portant sur des périodes antérieures ou sur les pays voisins au Moyen-Orient et dans le monde musulman seront accueillis dans la mesure où elles permettent une réflexion comparative portant sur les problématiques prioritaires évoquées ici.

Les propositions ne dépasseront pas une page (2 000 signes), expliquant la problématique proposée, comment elle s’inscrit dans ce numéro, le terrain et l’approche théorique choisies.

Ces propositions peuvent être envoyées par courriel à Vincent Romani, Romani.Vincent@uqam.ca, avant le 15/09/2010.

Call for papers:Higher education, globalization and power in the Arab world

In 2003, the second UNDP Arab Human Development Report severely criticized the Arab higher education systems, deeming it to be in a disastrous state. It invited the Arab states to make massive investments, quantitatively as well as qualitatively, in a sector crucial for any society’s future. While newly expressed, the negative perception concerning Arab universities and their weaknesses is not recent. The mismatch between the curricula and social needs has long been denounced. Arab higher education is hindered by numerous problems: obsession with large, generalist universities; redundancy and devaluation of the most valorized university diplomas; unemployment of graduate students; absence of professional training matching social needs; and brain drain, to name just a few. These issues have been raised by many in the Arab world and outside. They fuel a discourse of “academic crisis”, which bears huge political, social, economic and emotional investments in a sector felt to be vital for the country.

Present Arab higher education stems from hundreds of years of history in the region. Medieval Islamic universities preceded nineteenth century universities, founded by Arab or colonial rule and emulating the European university model. But the development of modern higher education dates back to the independences. Considered strongholds of the anti-colonial struggles or created to quench the newly independent states’ thirst for development, prestige and legitimacy, universities multiplied in the Arab world. This trend was repeated after the 1980s when the developmentalist dead ends led to timid liberalizations. Ten universities (i. e. higher education institutions) existed in 1940; there were 140 in 2000, half of them founded between 1980 and 1993; today they are 250. University capacities vary – gross enrolment rates range from 14% in Yemen to 49% in Libya – but are increasing in every Arab country.

And yet, this academic opening has been hampered for two decades by economic crises, structural adjustments programs, drops in reputation, and graduate unemployment. In this context highlighted by the UNDP report, strategies of requalification emerge. The emphasis of this special issue of REMMM will be put on the current mutations of Arab universities, mutations materialized by new modalities of interaction between the Arab world and Northern countries in the context of globalization.

The poor results of the first wave of academic liberalizations led to two series of consequences. Firstly, a new wave of financing from the corporate sector, as part of the globalization of universities, has for a decade been imposing higher education as a commodity. The multiplication of universities is reconfiguring the higher education framework in the Arab countries. Secondly, the most recent actors of the Arab academic renaissance are the countries constituent of the Arabian Peninsula. In Saudi Arabia, there were only eight universities in 2003; more than a hundred have been created since 2004. The budget for higher education multiplied threefold to reach 15 billion dollars for a 23 million people country.

This evolution has introduced deep changes in the Arab academe and pushed it toward higher integration in the global economy. On the one hand, universities in the Maghreb are altering their strategies in order to emulate the European universities engaged in the Bologna process, and to mark their difference with Sub-Saharan countries. On the other hand, universities in the Near-East (Egypt, Lebanon, Syria, Palestine, Jordan) seem to be caught in the crossfire between the rise of the Peninsula’s universities shaping themselves toward the American model, and the North-African universities following the European model. At the same time, most of the authoritarian regimes are strengthening their grip over society while other regimes are going through crises (Lebanon, Palestinian Territories, Iraq); violence is ceaseless whatever its source or nature is. Finally, the circulation of knowledge, scientists and institutional technologies are altered by internal rearrangements – especially the faculty flows between Egypt and the Gulf countries.

How to elucidate these complex dynamics? Who are the older and newer academic actors? How – and by whom – are their functions formulated, reformulated and experienced? How are they working today? How are relations negotiated between societies, governments and universities? How are countries, institutions and university careers ranked? How do Arab societies articulate the opening of universities to international competition with the persistence of coercion? Is privatization an effective solution against massive unemployment?  For the time being, only a few studies offer a political sociology of academic actors and institutions in the Arab world. The only comprehensive and referential books are sociographies (in English) dating back to 1966, plus some recent publications on education in the Arab world. Another set of works, mostly expertise, mobilize the science of education and economics in order to enhance the functioning and internal organization of universities or to adapt them to liberalization. They form a major part of the “grey literature” on the matter, rich in information though poorly theoreticized. This new issue of REMMM aspires to explore the different aspects and scales of this academic renewal, its history, actors and stakes.

With this issue, we would like to shed new light on the higher education (research and teaching) dynamics in the Arab world, and the influence of the academic liberalizations since 1990. This study is to be based on field research and case studies, favoring multidisciplinary perspectives. The aim is to examine the reactions of universities to both transversal (the global commoditization of higher education, the reinforcement of authoritarian regimes, economic crises) and regional stakes (positioning differences between Maghreb, Near-East and Gulf countries). South-South and North-South academic relations are of particular interest.

Every paper inducing comparisons and theoretical, historical, regional and international appraisal is welcome.  The theme is open: formations and transformations of the academic practice and market, redefinition of public policies and university governance, academic freedom and coercive regimes, feminization of the workforce, transformations of the student population and renewing of the curricula, faculty and programs. Papers focusing on a precedent period or on states neighboring the Middle East will be accepted to the extent that they allow a comparative reflection on the main issues highlighted here.

The paper proposal – English or French - must not exceed one page (2 000 characters), explaining the problem explored, how it integrates the main theme of the current issue of REMMM and the material, field and theoretical approach chosen.

You may send your proposals to Vincent Romani, romani.vincent@uqam.ca, by September 15, 2010.

Bibliographie

Gobe Éric, 2001, Les ingénieurs maghrébins dans les systèmes de formation, Tunis, IRMC.

Mazawi André, Sultana Ronald, 2010, World Yearbook of Education 2010 - Education and the Arab “World”: Political Projects, Struggles, and Geometries of Power. New York, Routledge.

Mazzela Sylvie (ed.), 2008, Alfa 2007: L’enseignement supérieur dans la mondialisation libérale, Paris, Servedit/Maisonneuve & Larose.

Musselin Christine, 2008, “Vers un marché international de l'enseignement supérieur ?” Critique internationale & Presses de Sciences Po 39, p. 1-23.

Qubain F. I., 1966, Education and Science in the Arab World, Baltimore (MD), Johns Hopkins University Press.

Rafeq Abd el Karim, 2004, Tarikh al-Jâmi'a al-Suriya : al-bidaya wa-al-numuw (1901-1945), Damas, Maktabat Nûbil.

Reid Donald, 1990, Cairo University and the Making of Modern Egypt, Cambridge (MA), Cambridge University Press.

Sultana Ronald G, 2001, “Les défis de l’enseignement supérieur dans les pays méditerranéens”, Monde arabe Maghreb-Machrek 171-172, p. 26-41.

Waardenburg Jean-Jacques, 1966, Les universités dans le monde arabe actuel (2 vol), Paris Mouton.

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Notes

1 SULTANA Ronald G., « Les défis de l’enseignement supérieur dans les pays méditerranéens », Monde arabe Maghreb-Machrek, n°171-172, janvier-juin 2001, p. 26-41.

2 MUSSELIN Christine, « Vers un marché international de l'enseignement supérieur ? », Critique internationale - Presses de Sciences Po, Juin 2008, n° 39, p. 1-23.

3 À l'exception des travaux d'Éric Gobe sur les ingénieurs maghrébins : GOBE É., dir., Les ingénieurs maghrébins dans les systèmes de formation, Tunis, Éd. de l'IRMC, 2001.

4 WAARDENBURG Jean-Jacques, Les universités dans le monde arabe actuel, 2 vols., Paris: Mouton, 1966 ; QUBAIN F. I., Education and Science in the Arab World, Baltimore, Md,  Johns Hopkins University Press, 1966. On citera parmi ces monographies : REID Donald, Cairo University and the making of modern Egypt, Cambridge University Press, 1990 ou bien RAFEQ Abd el Karim, Tarikh al-Jâmi'a al-Suriya : al-bidaya wa-al-numuw (1901-1945), Damas, Maktabat Nûbil, 2004. Citons un travail précurseur sur le Maghreb : MAZZELA Sylvie coord., L’enseignement supérieur dans la mondialisation libérale, Alfa 2007, IRMC, Tunis, 2008. Et enfin dernièrement MAZAWI André, SULTANA Ronald, World Yearbook of Education 2010. Education and the Arab 'World': Political Projects, Struggles, and Geometries of Power, New York, Routledge, 2010.

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