1Il a depuis longtemps été mis en avant que les interactions sociales jouent un rôle central dans les apprentissages (Vygotski, 1985). Rien d’étonnant, donc, à ce que le travail en petits groupes soit une modalité pédagogique courante en éducation (Reverdy, 2016). Or, la recherche a montré qu’il ne suffit pas de placer les élèves en équipe pour qu’ils coopèrent (Gillies, 2004), notamment lors de la construction de savoirs. En effet, si certaines conditions ne sont pas réunies, les élèves se contenteront généralement de travailler en parallèle, sans réellement le faire de concert. Cette situation pose, pour la didactique de l’oral, de nouveaux enjeux sur lesquels se penche le présent numéro. Cette contribution propose de se tourner vers une solution prometteuse en lien avec l’oral réflexif, qui permet notamment à l’élève d’entrer en relation avec ses pairs par l’entremise de la parole. Cet oral donne aussi l’occasion à l’élève d’apprendre à verbaliser ce qu’il pense, ce qu’il comprend, et à modifier, voire bonifier, sa façon de voir les choses au contact de ses interlocuteurs pour, conséquemment, réaliser des apprentissages (Plessis-Bélair et al., 2017).
2La posture de la personne enseignante sera toutefois déterminante dans ce contexte : plusieurs saisiront cette occasion où les élèves progressent de façon plus ou moins autonome pour les observer de l’extérieur, alors qu’il s’agit d’une situation dans laquelle un accompagnement est nécessaire pour permettre aux apprenants « de mettre en mots ce qu’ils ont appris, ce qu’ils [ont] à apprendre ou ce qu’ils anticipent de la suite de l’apprentissage » (Dumais et al., 2017, p. 111). Ce faisant, les élèves deviennent progressivement responsables de leurs apprentissages : la personne enseignante n’est plus simplement là pour contrôler les échanges, mais bien pour les soutenir. Elle accompagne ainsi les élèves sur le plan didactique comme sur le plan de la gestion de la classe, ce qui permet une forme de cohérence et optimise les pratiques (Butlen et al., 2011 ; Dumouchel, 2017).
3À la lumière de ces constats, nous avons vu la nécessité et la pertinence de mener une recherche collaborative dont l’objectif principal est de coconstruire, avec des personnes enseignantes du primaire (n = 12), des pratiques d’enseignement et de gestion de la classe soutenant les interactions entre pairs par la mise en œuvre de l’oral réflexif chez les élèves. La présente contribution porte plus précisément sur cette coconstruction à l’intérieur de communautés de pratique ayant eu lieu au cours de l’année scolaire 2021-2022. Après avoir présenté certains aspects du cadre conceptuel de l’étude, nous décrirons les éléments méthodologiques relatifs à notre démarche. Nous présenterons ensuite les résultats issus de l’observation de pratiques et des rencontres de communauté de pratique de façon descriptive. Enfin, la discussion permettra de mettre en évidence la transformation des pratiques des enseignantes tout au long de la deuxième année de la recherche.
4Considérant l’objectif principal de notre recherche, quatre éléments sont explicités dans les sous-sections qui suivent : le concept d’oral réflexif, l’apprentissage coopératif ainsi que l’intention d’apprentissage, le regroupement des élèves et la posture d’accompagnement.
5Au début de notre étude, nous avons défini l’oral réflexif comme « une situation où l’élève mobilise spontanément des objets ou des habiletés de l’oral et dans le cadre de laquelle il a l’occasion de se questionner, de se donner un point de vue qu’il pourra, par la suite, expliciter, approfondir et nuancer, et ce, dans le but de mettre en mots sa pensée (ses apprentissages, sa compréhension, etc.) » (Sénéchal et al., 2021, p. 182) en précisant que cette définition était inspirée des publications sur la question, mais que la notion demeurait en construction. De fait, cette définition, bien qu’elle mette en avant la fonction euristique du langage, occulte le principe de réflexivité avancé par Jean-Charles Chabanne et Dominique Bucheton (2002), qui concerne notamment la capacité à « reprendre-transformer » le discours de l’autre (p. 10). En effet, un oral pourra être qualifié de réflexif s’il permet « réellement de penser ensemble, l’un avec l’autre, l’un grâce à l’autre, l’un contre l’autre » (ibid., p. 8). Les auteurs rapprochent ainsi le concept de réflexivité de la vision socioconstructiviste de l’apprentissage de Vygotski : « […] la construction de la pensée est avant tout une co-construction : penser, apprendre, se construire, se font dans l’interaction, de bout en bout » (ibid., p. 8). Ce faisant, les interactions dépassent la simple visée de socialisation pour aller vers la conceptualisation : les élèves échangent pour apprendre ensemble. Pascal Dupont (2015) précise que l’activité même de parler ne suffit pas à apprendre et que tout oral n’est donc pas réflexif : l’activité langagière doit être orientée vers la construction d’apprentissages, s’inscrire dans un cadre participatif (Goffman, 1987) et comporter de véritables enjeux. Le cadre participatif constitue alors un espace de travail, commun à la personne enseignante et au groupe d’apprentissage, qui permet aux élèves de communiquer, d’agir ensemble et d’occuper différents statuts dans l’élaboration des connaissances (Dupont, 2015). D’où l’intérêt de placer les élèves dans des contextes d’apprentissage coopératif soutenus par une intention d’apprentissage visant explicitement la coconstruction de sens par les interactions entre eux.
6L’oral réflexif entretient des liens étroits avec l’apprentissage coopératif, modèle d’enseignement d’inspiration socioconstructiviste où les élèves sont regroupés pour réaliser ensemble une tâche qui tend vers une intention d’apprentissage commune (Plante, 2012 ; Tremblay et Plante, 2022). Pour assurer une mise en œuvre efficiente de ce modèle d’enseignement en classe, cinq conditions doivent être présentes (Plante, 2012) : les membres du groupe doivent être réunis autour d’une tâche pour laquelle ils ont besoin l’un de l’autre pour apprendre ; chaque membre doit se considérer comme responsable de ses apprentissages ; les interactions doivent être au centre des tâches vécues ; des habiletés sociales doivent être déployées par les élèves pour faciliter les interactions ; et un retour réflexif sur le travail en groupe doit se faire pour que l’expérience vécue puisse servir de repère dans d’autres situations. L’apprentissage coopératif a l’avantage de placer les élèves au premier plan, où ils ont comme responsabilité de réaliser la tâche prévue ensemble et de gérer les interactions pour y arriver, lesquelles le sont plus souvent par la personne enseignante (Tremblay et Plante, 2022). Dans ce contexte, cette dernière est plutôt responsable de former les groupes selon des modalités qui favoriseront les interactions (voir la section 1.3.), de mettre en place les conditions pour s’assurer que la tâche à réaliser soit accomplie, de soutenir les élèves pour qu’ils progressent dans leurs apprentissages et, finalement, d’évaluer s’il y en a eu (Tremblay et Plante, 2022).
7Une personne enseignante qui souhaite que ses élèves soient davantage impliqués dans des interactions orales pour coconstruire leurs apprentissages et qui s’appuie sur le modèle d’enseignement de l’apprentissage coopératif a tout avantage à réfléchir à la formulation d’une intention d’apprentissage qui précise ce que les élèves auront appris ensemble à la suite d’une séquence d’enseignement. Par intention d’apprentissage, nous entendons « [la cible] d’apprentissage à atteindre par les élèves » (Bergeron et Bergeron, 2020, p. 19). Celle-ci, généralement déterminée par la personne enseignante, sert de guide pour la planification de l’enseignement. Sans cette « destination finale » (Bergeron et Bergeron, 2020, p. 13) formulée à priori, les tâches proposées aux élèves pourraient ne pas être alignées avec l’intention poursuivie, ce qui peut avoir des effets négatifs ou contraires à ceux escomptés.
8L’apprentissage coopératif requiert que les élèves soient regroupés entre eux. Bien qu’il existe plusieurs façons de réaliser ces regroupements (par exemple selon le principe de l’interaction de tutelle entre pairs de Jérôme S. Bruner [1983]), les choix guidant leur formation peuvent entre autres être opérés à partir des proportions formulées par Agnès Florin (1995) quant à la taille et à la composition des groupes conversationnels. La petite taille de ces groupes est, en effet, inversement proportionnelle au nombre d’interventions des locuteurs qui les composent : moins il y a de personnes en interaction, plus celles-ci disposent, en principe, d’espace pour intervenir. En ce qui a trait à la composition de ces groupes, Florin préconise de regrouper les élèves « dont la tendance à intervenir spontanément dans un regroupement classe entière est comparable » (Pulido, 2016, p. 4) et de former des groupes de petits, moyens et grands parleurs. Ce faisant, « les petits parleurs peuvent […] devenir rapidement des participants actifs aux échanges [et] les grands parleurs [apprennent] à respecter des règles conversationnelles de prise de parole » (Florin et al., 1999, p. 72).
9Le défi que peut représenter la gestion des groupes à l’intérieur du travail coopératif est toutefois un facteur pouvant réduire le recours au regroupement d’élèves (Sénéchal, 2022 ; Plante, 2012). En effet, plusieurs problèmes peuvent survenir à l’intérieur de ceux-ci : « les élèves refusent de travailler en équipe, socialisent plutôt que de travailler, éprouvent des difficultés à gérer efficacement leur temps, ou rapportent des frustrations dues aux faibles compétences sociales de leurs coéquipiers » (Plante, 2012, p. 270). Afin de prévenir ces situations, il importe donc de préparer adéquatement les élèves au travail coopératif en leur enseignant les habiletés liées aux interactions verbales (par exemple gérer les tours de parole, reformuler, porter attention, etc.) ainsi que les habiletés sociales nécessaires (par exemple s’ouvrir aux autres, s’entraider, faire confiance, etc.). Le développement de ces habiletés peut se faire à travers des activités explicitement pensées en ce sens (Howden et Kopiec, 2000) et un accompagnement adéquat de la part de la personne enseignante.
10La mise en œuvre de l’oral réflexif dans les interactions entre pairs nécessite l’adoption d’une posture d’accompagnement (Bucheton et Soulé, 2009), qui permet à la personne enseignante d’être en cohérence relativement à ses pratiques de gestion de la classe et à celles soutenant la mise en œuvre de l’oral réflexif. Cette posture se caractérise par le fait que la personne enseignante avance conjointement avec l’élève. Elle n’est pas en avant pour le guider ou pour lui ouvrir la voie ; elle intervient au besoin et en tentant de provoquer des discussions entre les élèves plutôt que de leur donner les réponses ou les moyens pour y parvenir. De plus, elle accepte le temps nécessaire à la coconstruction, par les élèves, de leurs apprentissages, ce que Dominique Bucheton et Yves Soulé qualifient de capacité à « [ouvrir] le temps et à le laisser travailler » (2009, p. 40). En revanche, l’adoption d’une telle posture ne va pas de soi dans un contexte traditionnellement hiérarchisé comme celui de la classe (Dumouchel, 2017 ; Richard et Bissonnette, 1999). Elle requiert donc que la personne enseignante prenne régulièrement une distance critique par rapport à sa propre pratique pour y porter un regard réflexif.
11L’un des objectifs spécifiques découlant de l’objectif principal de la recherche (voir la partie introductive) était d’implanter, en collaboration avec les enseignantes du primaire québécois, des pratiques coconstruites d’enseignement et de gestion de la classe cohérentes soutenant la mise en œuvre de contextes d’oral réflexif. C’est cet objectif spécifique qui fait l’objet de la présente contribution.
12Après avoir brièvement présenté la composition de notre échantillon de recherche, nous décrivons la démarche qui sous-tend notre étude, l’une des modalités de travail que nous avons adoptées, soit la communauté de pratique, puis nous détaillons nos méthodes et outils de collecte et d’analyse de données.
- 1 L’échantillon comptait initialement douze enseignantes, mais l’une d’entre elles a quitté la reche (...)
- 2 Comme notre échantillon compte un seul homme, nous utiliserons uniquement le terme féminin « ensei (...)
13Notre échantillon est composé de onze1 enseignantes2 exerçant aux trois cycles du primaire dans quatre établissements majoritairement situés en milieu défavorisé. Comptant entre sept et vingt-six années d’expérience, elles détiennent, pour la plupart, un baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire. Quatre d’entre elles ont terminé ou presque terminé des études de deuxième cycle.
14Comme nous nous intéressons aux pratiques d’enseignement, nous avons choisi de réaliser une recherche collaborative (Desgagné, 1997). La particularité de ce type de recherche est que la personne enseignante est considérée comme un partenaire qui contribue au développement de la pratique en s’engageant dans une réflexivité conjointe avec les personnes chercheuses. La démarche est composée de trois étapes qui peuvent présenter des chevauchements entre elles :
- la cosituation, dont l’objectif est de faire en sorte que la pratique explorée dans le projet de recherche ait une pertinence pour l’ensemble des collaborateurs et réponde à un ou des besoins ;
- la coopération, au cours de laquelle est entreprise la réflexion conjointe et qui doit permettre autant le développement professionnel que la collecte de données ;
- la coproduction, qui doit générer des retombées positives pour l’ensemble des acteurs impliqués, tant en ce qui concerne les produits de la démarche que leur diffusion.
- 3 Pour des détails à propos de l’étape de la cosituation, voir Dumouchel et al. (2022) ainsi que Sén (...)
15Au cours de sa réalisation, la recherche évoluera en fonction des besoins auxquels elle tente de répondre. Dans le cadre de la présente contribution, il sera spécifiquement question de l’étape de la coopération3.
- 4 L’approche par problème place les élèves dans une démarche de résolution d’un problème inédit auqu (...)
- 5 « Des groupes de personnes qui partagent une préoccupation, un ensemble de problèmes ou une passio (...)
16Au début de l’année scolaire 2021-2022, les onze collaboratrices ont été invitées à réaliser une captation audiovisuelle d’environ trente minutes de ce qu’elles considéraient être une situation d’oral réflexif. L’observation de ces films de classe a mené à l’identification de deux pratiques dominantes, la lecture interactive et l’approche par problème4. Ce constat nous a conduits à former deux communautés de pratique, qui peuvent être définies ainsi : « groups of people who share a concern, a set of problems, or a passion about a topic, and who deepen their knowledge and expertise in this area by interacting in an ongoing basis5» (Wenger et al., 2002, p. 4).
17Les communautés étaient composées de cinq à six enseignantes, de deux conseillères pédagogiques qui agissaient à titre de cochercheuses du milieu enseignant ainsi que de trois chercheuses du milieu universitaire. Nous avons choisi cette façon de fonctionner, car les communautés de pratique rejoignent les principes de l’étape de la coopération de la recherche collaborative, en permettant la production de connaissances pertinentes pour l’ensemble des membres (dans notre cas, du milieu de la recherche et de la pratique) en rapport avec la pratique qu’ils ont en commun, ce qui est susceptible de favoriser leur engagement au sein du regroupement (Arcand, 2017). Ce faisant, la démarche repose sur la réciprocité et la coopération. Comme on vise le partage de pratiques, les membres de la communauté doivent autant recevoir que donner. Ajoutons que comme la communauté de pratique repose sur des interactions sociales où sont mises en commun des bonnes pratiques comme des difficultés, un climat de confiance doit régner : il ne doit pas y avoir de jugement, tout doit pouvoir être partagé, dit et reçu. Enfin, la composition de nos communautés de pratique permettait un recours plus facile aux pairs et un accès à l’expertise des personnes chercheuses, favorisant la complémentarité dans le partage et la pratique réflexive.
18Les membres des deux communautés se sont rencontrées à trois reprises au cours de l’année 2021-2022, soit en décembre, en mars et en mai. Quatre rencontres avaient initialement été prévues, mais l’une d’entre elles a dû être annulée en raison de la fermeture prolongée des écoles en lien avec la pandémie de Covid-19 lors du congé des fêtes de fin d’année. Les rencontres se sont tenues virtuellement, via l’application Zoom, et elles ont été intégralement enregistrées.
19Les trois rencontres ont été soutenues par des captations audiovisuelles préalables de ce que les enseignantes considéraient être de l’oral réflexif ainsi que par l’utilisation d’un journal de bord de la personne enseignante (Baribeau, 2005). Ce dernier a ultimement été composé de trois sections organisées autour de questions auxquelles les enseignantes devaient répondre. La première section regroupait des questions invitant les enseignantes à décrire l’activité prévue, à identifier l’intention d’apprentissage ainsi que la préparation nécessaire au regard de la gestion de la classe et des interactions entre élèves. La deuxième section proposait des questions permettant un retour sur l’activité basé sur la représentation qu’avait l’enseignante de ses pratiques. La praticienne était invitée à s’exprimer sur son ressenti pendant l’activité, sur les points forts de celle-ci et les défis rencontrés ainsi que sur ses interventions ayant favorisé les échanges entre ses élèves. La troisième et dernière section, ajoutée avant la dernière rencontre de la communauté de pratique, devait être remplie par l’enseignante après un visionnement de sa captation audiovisuelle : elle devait alors noter les points forts observés ainsi que les changements qu’elle apporterait si elle devait refaire l’activité.
20En plus de consulter le journal de bord des enseignantes, les trois chercheuses du milieu universitaire (désormais « nous ») ont observé leurs pratiques via les captations audiovisuelles. Cette observation a été accompagnée d’une prise de notes libre, essentiellement descriptive. Ces notes étaient à notre usage exclusif, c’est-à-dire qu’à aucun moment, elles n’ont été consultées par les enseignantes ou les conseillères pédagogiques, et servaient surtout à planifier les rencontres des communautés de pratique et à orienter nos interventions dans le cadre de celles-ci. Les rencontres des communautés de pratique ont été transcrites intégralement, ce qui a permis de réaliser ensuite une analyse de contenu (Bardin, 2003).
21Nous l’avons mentionné, les communautés de pratique ont été formées à la suite de l’observation des captations audiovisuelles réalisées par les enseignantes en septembre 2021. La formation des regroupements a été guidée par la nature des activités des enseignantes, selon qu’elles tournaient autour de la lecture interactive (groupe 1) ou de l’approche par problème (groupe 2), ainsi que par la posture des enseignantes et de leurs élèves dans ces activités. Dans les sections qui suivent, nous présentons en détail les résultats découlant des rencontres du groupe 2 uniquement, dans la mesure où les rencontres le concernant ont mis en lumière une plus grande diversité de contextes d’oral réflexif. Ce groupe comptait cinq enseignantes œuvrant au deuxième (E3) et au troisième (E1, E2, E4 et E5) cycle du primaire, soit auprès d’élèves de 8 à 12 ans, deux conseillères pédagogiques et trois personnes chercheuses du milieu universitaire. Les prochaines sous-sections détaillent chacune des trois rencontres de cette communauté de pratique. Pour faciliter la lecture des résultats, le tableau 1 présente les pratiques ayant fait l’objet d’une captation audiovisuelle au cours de l’année 2021-2022. Pour rappel, il s’agit de ce que les enseignantes considéraient être un contexte d’oral réflexif.
Tableau 1 : Pratiques captées de façon audiovisuelle
|
Septembre
2021 |
Février 2022 : formation des équipes selon le principe des petits et grands parleurs |
Avril 2022 : travail préalable des habiletés coopératives et utilisation d’une structure coopérative |
| E1 (3e cycle) |
Organisation de la rencontre de parents par les élèves |
Résolution de problème en mathématiques |
Travail de l’argumentation (casse-tête d’expertisea) |
| E2 (3e cycle) |
Exploration de la démarche scientifique |
Remue-méninge autour d’un personnage |
Révision en univers social (casse-tête d’expertise) |
| E3 (2e cycle) |
Discussion à visée philosophique |
Résolution de problème en mathématiques |
Phrase dictée du jour (partage d’informations) |
| E4 (3e cycle) |
Phrase dictée du jour et causerie mathématique |
Phrase dictée du jour |
Planification d’un projet (casse-tête d’expertise) |
| E5 (3e cycle) |
Lecture réciproque |
Lecture réciproque |
Écriture collaborative (casse-tête d’expertise) |
| a. Le casse-tête d’expertise est une technique d’enseignement où les élèves approfondissent d’abord un contenu pour en devenir experts (équipe d’experts) pour ensuite revenir partager cette expertise aux membres de leur équipe de base (Tremblay et Plante, 2022). |
22La première rencontre a eu lieu au début du mois de décembre 2021. Préalablement à celle-ci, les enseignantes avaient uniquement réalisé la captation audiovisuelle de septembre. Les activités ayant pu être observées dans ce contexte étaient très diversifiées (voir le tableau 1). Après avoir fait un bref retour sur l’observation de ces pratiques, nous présentons le déroulement ainsi que le contenu de la rencontre.
23Lors de l’observation des pratiques en septembre 2021, nous avons constaté que les élèves étaient généralement placés d’office en sous-groupe. Ils échangeaient donc entre eux et l’enseignante était, pour sa part, plutôt en retrait et observait les échanges. Pour les enseignantes ayant placé leurs élèves en équipes, celles-ci étaient parfois assez nombreuses (jusqu’à six élèves) et le choix de leur composition n’était pas justifié. Nous avons noté que les élèves de l’enseignante (E4) ayant réalisé la phrase dictée du jour et la causerie mathématique étaient demeurés en groupe-classe pour toute la durée des deux activités et n’avaient pas échangé entre eux.
24Lors de notre première rencontre, les principes sous-jacents au fonctionnement de la communauté de pratique, tels qu’explicités dans la section 2.3., ont d’abord été présentés à l’ensemble du groupe. Les participantes se sont ensuite présentées. Par la suite, elles ont été invitées à énoncer leurs attentes par rapport à la communauté de pratique. Plusieurs d’entre elles ont dit souhaiter profiter des échanges en groupe pour améliorer leurs pratiques. Plus particulièrement, E5 a souligné son désir de bonifier le travail en équipe dans sa classe, notamment par rapport à l’autonomie de ses élèves. E4, pour sa part, a mentionné qu’elle était à la recherche d’outils pour mieux « faire parler ses élèves », leur donner plus de moments d’échange dans la journée et leur poser des questions plus porteuses pour soutenir ces échanges.
25Après une courte formation interactive, dans le cadre de laquelle deux personnes chercheuses ont présenté une définition de l’oral réflexif (voir la section 1.1.) et un exemple d’opérationnalisation en mathématiques (Nolin et Dumais, 2021), il a été demandé aux participantes de formuler des pistes, inspirées de ce qui venait d’être vu, pour bonifier les pratiques observées en septembre. D’emblée, quatre des cinq enseignantes ont mentionné qu’il serait aidant pour elles d’avoir une autre personne dans la classe pour mieux appuyer les équipes selon le principe du coenseignement. Plus concrètement, E2 a proposé que le retour en groupe prévu à la fin de son activité d’exploration de la démarche scientifique, pendant laquelle les élèves étaient placés en équipe de quatre, se fasse dans ces mêmes regroupements, ce qui permettrait aux élèves qui parlent moins de s’exprimer davantage. Les enseignantes ont également été invitées à exprimer les défis ou obstacles qu’elles envisageaient en lien avec la réalisation d’activités dans lesquelles les élèves étaient placés en contexte d’oral réflexif et devaient échanger entre eux. L’élève qui parle peu a alors été au cœur des échanges et plusieurs questions ont été soulevées : comment le faire parler davantage ? Est-ce d’office un élève en difficulté ? Comment mieux l’accompagner ? Il a également été question de la gestion des conflits au sein des équipes (E1 et E2) ainsi que de la difficulté à « superviser » la tâche (E5) et à utiliser efficacement le questionnement sans trop influencer la réponse des élèves (E4).
26Pour répondre au souhait exprimé par les enseignantes de faire parler davantage tous leurs élèves, incluant ceux qui sont habituellement moins bavards, nous leur avons demandé, pour la captation devant précéder la prochaine rencontre, de regrouper leurs élèves selon le principe des petits, moyens et grands parleurs (Florin, 1995) lors du travail en équipe.
27La deuxième rencontre de la communauté de pratique s’est déroulée en mars 2022. Comme pour la section 3.1., un retour est d’abord fait sur les activités ayant été filmées, puis le déroulement et le contenu de la deuxième rencontre sont présentés.
28Deux des cinq enseignantes (E4 et E5) ont refait la même activité, mais en modifiant les modalités comme demandé, alors que les trois autres en ont plutôt expérimenté une nouvelle. Bien que tous les élèves aient bien été placés en équipe cette fois, dans plusieurs activités menées par les enseignantes, ils se sont contentés de réaliser la tâche en parallèle, en mettant leurs réponses en commun. Cela a notamment été le cas pour les équipes dont tous les membres avaient une feuille à compléter (E3) ou pour les élèves prenant part à la phrase dictée du jour (E4), qui se réalise normalement en grand groupe. Dans le premier cas, en remettant une feuille à tous, l’enseignante a dit aux élèves qu’ils devaient « s’entraider » dans la réalisation de la tâche, surtout en « partageant leur réflexion ». Pour la phrase dictée du jour, nous avons remarqué que les élèves étaient souvent en attente de l’enseignante pour s’adresser directement à elle comme ils ont l’habitude de le faire.
29Après avoir accueilli les participantes, un retour sur les pratiques ayant fait l’objet d’une captation audiovisuelle a été fait. Lors des échanges, il a été mis en évidence que le regroupement des élèves selon le principe des petits, moyens et grands parleurs avait eu beaucoup de succès chez les enseignantes. Selon elles, bien que le fait de former les équipes de cette façon ait représenté un défi, cette pratique s’est néanmoins avérée gagnante en modifiant la dynamique du groupe et en permettant aux petits parleurs de « prendre leur place » (E4). Ce type de regroupement a également donné lieu à des interventions plus ciblées de la part des enseignantes, notamment au sein des regroupements de petits parleurs qui avaient besoin de plus de soutien. Dans le cadre des échanges sur ce sujet, à quelques reprises, il a été fait mention du jumelage « d’élèves forts et faibles » par les enseignantes. L’une des personnes chercheuses a souhaité clarifier ce point : « Les petits parleurs sont, selon ce que vous dites, les élèves plus faibles. C’est bien cela ? » Une enseignante a répondu qu’il s’agissait effectivement d’élèves qui parlaient moins, car ils avaient peur de se tromper (E1) et une autre a renchéri en confirmant que, selon elle, « les petits parleurs sont en difficulté », mais que cela dépendait de l’activité et du contexte (E5). Cela nous a permis d’apporter des clarifications indiquant que l’élève qui parle peu n’a pas automatiquement des difficultés langagières.
30Comme nous avions remarqué que les élèves avaient tendance à travailler en silo dans les activités observées, nous avons invité les membres de la communauté à réfléchir ensemble à la coopération entre les élèves et à se questionner sur ce qui pouvait la favoriser. Diverses stratégies ont été énoncées, comme expliciter davantage la tâche pour favoriser l’engagement des élèves, accompagner ces derniers en modelant les comportements facilitant la coopération et leur donner plus de choix, par exemple quant à la forme du produit de la tâche. Une courte formation interactive a ensuite été animée par les personnes chercheuses. À cette occasion, les principes de la gestion de la classe responsabilisante et le lien entre la didactique et la gestion de la classe ont d’abord été présentés. Il a ensuite été question de la formulation d’une intention d’apprentissage claire favorisant la coopération, des habiletés coopératives (l’ouverture aux autres, l’engagement, l’égalité, la solidarité, l’entraide, le droit à l’erreur, le plaisir et la confiance [Howden et Kopiec, 2000]) et de leur traitement en classe. Enfin, différentes structures coopératives ont été décrites et exemplifiées (par exemple le remue-méninge, le casse-tête d’expertise, le partage d’informations, etc.).
31Il a ensuite été demandé aux enseignantes de se prononcer sur les réinvestissements possibles dans leurs pratiques. À propos de la coopération, ce sont les bénéfices du côté social qui ont été mis en avant. Pour ce qui est des habiletés coopératives, les enseignantes ont été en mesure de nommer des contextes directement tirés de leur quotidien en classe pour les travailler avec les élèves, ce qui allait dans le sens de ce que nous allions leur proposer en vue de la prochaine captation audiovisuelle. En effet, nous leur avons demandé d’utiliser une structure coopérative dans leur activité et d’enseigner préalablement une ou deux habiletés coopératives pour favoriser la coopération entre leurs élèves. Enfin, le canevas du journal de bord a été modifié pour permettre la formulation d’une intention d’apprentissage dans la partie à remplir avant la réalisation de l’activité, et un retour réflexif sur ses pratiques après le visionnement du film de classe par l’enseignante.
32La troisième et dernière rencontre de la communauté s’est déroulée au début du mois de mai 2022. À l’image des sections précédentes, un retour est fait sur les activités ayant été filmées, ce qui est suivi de la description du déroulement et du contenu de la rencontre.
33Toutes les enseignantes ont réalisé de nouvelles activités pour cette dernière captation. Préalablement, des habiletés coopératives ont été vues avec les élèves, comme demandé. Parmi ces habiletés, c’est l’ouverture aux autres (par exemple, accueil de différents points de vue) qui est revenue le plus souvent. En ce qui a trait aux structures coopératives, quatre enseignantes ont choisi d’utiliser le casse-tête d’expertise et en observant les pratiques filmées, nous avons pu constater beaucoup d’échanges entre les élèves. Cependant, en ce qui concerne le rappel et l’exemplification des habiletés coopératives travaillées en amont, c’est l’enseignante qui, dans la plupart des cas, a pris la parole. Nous avons également remarqué que l’intention d’apprentissage formulée par les enseignantes dans leur journal de bord ne précisait pas toujours ce que les élèves devaient faire « ensemble » (par exemple, coopérer à la recherche des différentes graphies d’un mot pour en arriver, ensemble, à un consensus) et que plusieurs soulignaient plutôt ce que l’élève devrait individuellement être en mesure de faire grâce à l’activité (par exemple consolider ses apprentissages, s’impliquer dans la discussion). Ajoutons que pour toutes les activités, aucune phase d’intégration n’avait été prévue pour permettre aux élèves de nommer la plus-value de la coopération pour la réalisation de la tâche qu’ils avaient, pour certains, l’habitude de faire individuellement. Enfin, les tâches proposées impliquaient toutes que chaque élève prenne des notes. Aussi, certains d’entre eux se sont rapidement mis à écrire, sans s’impliquer autant que souhaité dans les échanges avec leurs camarades.
34La rencontre s’est ouverte sur un retour interactif sur les pratiques filmées. À la demande des enseignantes, nous leur avons donné de la rétroaction (par exemple quant au caractère très interactif de leurs activités, sur la présence de structures coopératives dans chacune d’entre elles, sur les verbalisations qui auraient pu être faites par les élèves, la prise de notes ou sur le nombre d’élèves dans les équipes lorsque celles-ci étaient trop nombreuses pour favoriser les échanges entre tous), mais nous les avons surtout fait verbaliser en leur posant des questions réflexives (par exemple « En adoptant une structure coopérative, avez-vous senti que vos élèves avaient plus de place ? »). Grâce aux fonctionnalités de l’application Zoom, nous avons ensuite proposé un sondage anonyme aux enseignantes. Elles ont été invitées à compléter les deux phrases suivantes : « En contexte d’oral réflexif, les élèves font… » et « En contexte d’oral réflexif, l’enseignante fait… ». Les réponses obtenues, qui ont été partagées avec toute la communauté, indiquent que les élèves devraient pouvoir partager ce qu’ils pensent et les stratégies qu’ils utilisent, approfondir leur compréhension, développer leur écoute et leur ouverture aux autres. Les enseignantes, pour leur part, devraient « guider » les élèves dans leur réflexion, les questionner, participer aux échanges, observer et prendre des notes.
35S’en est suivie une courte formation interactive dans le cadre de laquelle une personne chercheuse a présenté des outils langagiers que les élèves devraient pouvoir utiliser en contexte d’oral réflexif ainsi que des façons de les travailler en classe (par exemple la reformulation, la justification, le questionnement et la gestion des tours de parole). Les membres de la communauté ont ensuite été invités à réaliser une coconstruction d’activités diverses qui seraient mises en place dans les classes des enseignantes dans les jours suivant la rencontre. À partir de trois activités réelles autour du texte argumentatif, de la bande dessinée et de l’écriture collaborative, différentes pistes ont été explorées pour favoriser les contextes d’oral réflexif, tant sur le plan de la didactique de l’oral que sur celui de la gestion de la classe. Prenons l’exemple du texte argumentatif. L’enseignante avait l’intention de faire des ateliers d’écriture avec ses élèves sur le texte d’opinion, sans qu’il y ait nécessairement d’échanges planifiés. Ensemble, les membres de la communauté l’ont amenée à voir les moments potentiels où les élèves pouvaient faire de l’oral réflexif, notamment dans la coconstruction d’arguments sur le sujet du texte, et comment elle pourrait soutenir les échanges en sous-groupe, entre autres par le questionnement.
36Cette deuxième année de notre étude nous a permis d’obtenir des résultats en lien avec notre objectif de recherche, à savoir coconstruire, avec des enseignantes du primaire, des pratiques d’enseignement et de gestion de la classe soutenant les interactions entre élèves en contextes d’oral réflexif. La transformation des pratiques et des réflexions des enseignantes mise en lumière à travers l’observation d’activités et les rencontres de la communauté de pratique est présentée en trois temps.
37Malgré des élèves assez actifs dans le cadre des activités filmées en septembre, nous avons pu observer une certaine préoccupation des enseignantes quant à la possibilité de perdre le contrôle. Lors de la première rencontre de la communauté de pratique, elles nous ont effectivement dit avoir l’habitude de se placer en retrait lors du travail en équipe et avoir du mal à intervenir régulièrement dans les sous-groupes, car selon leurs dires, elles ne savent pas ce qui se passe ailleurs dans la classe lorsqu’elles sont avec une équipe en particulier. Il convient alors de se demander si cette posture d’observation majoritairement adoptée par les participantes de cette communauté dans les pratiques filmées ne constituerait pas en réalité une posture de contrôle (Bucheton et Soulé, 2009). Le besoin exprimé en lien avec le coenseignement semble également aller dans ce sens et dénoter le besoin des enseignantes de se sentir en contrôle de ce qui se passe dans toute la classe lors du soutien au travail en équipe. Ce faisant, les élèves demeurent en partie dépendants de la gestion que fera implicitement l’enseignante de leurs échanges. Cette réflexion nous a amenés à établir le constat suivant : les participantes auraient avantage à passer à une posture d’accompagnement (Bucheton et Soulé, 2009) dans le cadre des échanges entre élèves, ce qui permettrait à ceux-ci de disposer de l’espace nécessaire pour potentiellement s’engager dans une coconstruction de sens (Chabanne et Bucheton, 2002 ; Dupont, 2015). Cela nous a amenées à réfléchir à nos interventions pour accompagner progressivement les enseignantes dans ce changement de posture.
38Notre choix d’orienter les enseignantes vers les regroupements des élèves en petits, moyens et grands parleurs pour la deuxième captation audiovisuelle reposait sur le principe selon lequel la réduction de la taille du sous-groupe augmente le temps de parole des locuteurs qui le composent et son homogénéisation réduit la pression concurrentielle entre les interlocuteurs, permettant aux petits parleurs d’être plus actifs dans les échanges (Florin et al., 1999), ce qui s’est avéré positif selon les dires des enseignantes. Bien que cette façon de faire ait été initialement proposée pour le fonctionnement des ateliers de langage animés par une personne enseignante (Pulido, 2016), elle nous semblait prometteuse pour les moments d’échanges entre les élèves pendant lesquels nos collaboratrices, plutôt que d’animer, devaient proposer une forme d’étayage. Au cours des échanges s’étant tenus lors de la deuxième rencontre de la communauté de pratique, il a été mis en évidence que certaines participantes associaient le petit parleur à un élève en difficulté, alors qu’il doit plutôt être identifié en fonction de la quantité de ses interventions et non de leur qualité. Selon ce principe, « un élève qui participe peu aux discussions du groupe-classe, mais qui possède une bonne maitrise de la langue, se retrouvera dans un groupe de petits parleurs » (Doré, 2012, p. 60). Il est possible de supposer que cette représentation des enseignantes découle de leur habitude de former des groupes selon le principe de l’interaction de tutelle entre pairs (Bruner, 1983).
39Nous avions remarqué que les contextes où les élèves avaient travaillé en parallèle étaient ceux pour lesquels au moins une condition nécessaire à la mise en œuvre de l’apprentissage coopératif était absente : soit les élèves n’étaient pas interdépendants pour réaliser la tâche et apprendre, soit les interactions n’étaient pas au centre des tâches vécues (Plante, 2012). Pour cette deuxième rencontre de la communauté de pratique, nous avions donc délibérément choisi de mettre l’accent sur l’apprentissage coopératif, car il s’agit d’un contexte dans lequel les élèves doivent interagir et où l’oral réflexif, tel que présenté en 2.1., est beaucoup plus facilement mis en œuvre. Lorsqu’il a été question de ce modèle d’enseignement, les enseignantes ont rapidement nommé des retombées sociales positives pour leurs élèves, ce qui en rejoint les principes fondateurs (Tremblay et Plante, 2022). Elles ont également pris conscience qu’elles disposaient, au sein même de leurs pratiques habituelles, de nombreux contextes à exploiter pour traiter les habiletés coopératives (Howden et Kopiec, 2000), ce qui permettrait de mieux préparer leurs élèves au travail coopératif.
40L’utilisation d’une structure coopérative semble avoir eu un effet positif sur la façon dont les élèves ont agi dans la tâche de façon générale. Lors des échanges s’étant déroulés en communauté de pratique, la plupart des participantes ont indiqué qu’elles avaient pris le temps de clarifier l’intention d’apprentissage de leur activité à l’oral avec leurs élèves. Selon elles, cela, en plus du travail d’au moins une habileté coopérative en amont, a permis à leurs élèves de prendre conscience de l’importance de coopérer dans la tâche proposée. Malgré des élèves très actifs dans les échanges, certains éléments observés, notamment la prise de notes individuelle réalisée par tous, laissent croire que cette prise de conscience n’a pas perduré pendant l’entièreté de l’activité. Nous pouvons supposer que le fait que l’intention d’apprentissage consignée par les enseignantes dans leur journal de bord ne mette pas nécessairement en avant la coopération n’a pas permis à toutes nos collaboratrices de bien transposer l’essence de leur activité à l’oral. Ce faisant, il est possible qu’elles n’aient pas réussi à bien faire voir à leurs élèves la « destination finale » (Bergeron et Bergeron, 2020) à atteindre par la réalisation de la tâche ainsi que la nécessité de coopérer avec leurs camarades à toutes les étapes de celle-ci ou dans des situations similaires. Cela aurait aussi été permis par un retour réflexif sur le travail en groupe (Plante, 2012), qui n’a cependant été fait pour aucune des activités observées.
41Enfin, en raison du fonctionnement particulier de la dernière rencontre de la communauté de pratique (utilisation d’un sondage, coconstruction à partir de pratiques existantes), nous avons pu apprécier les retombées des échanges en groupe et les apports des expertises variées. En effet, bien que le principe de réflexivité (Chabanne et Bucheton, 2002) n’ait pas été mis en avant dans la conception de l’oral réflexif des enseignantes mise en lumière grâce au sondage, cette conception s’est néanmoins affinée par rapport à ce qu’elle était au début des rencontres de la communauté. La coconstruction autour de pratiques existantes nous a, quant à elle, permis d’observer le réinvestissement d’éléments abordés tout au long des rencontres vers la planification en groupe. Par exemple, à cette occasion, les enseignantes ont été en mesure de sélectionner des moments propices au regroupement des élèves, de clarifier une intention d’apprentissage, de mettre de l’avant la coopération, de proposer des façons de faire de l’étayage, etc.
42Au terme de notre deuxième année de recherche, nous avons réalisé des entretiens individuels avec les enseignantes pour savoir ce qu’elles retiraient de cette année d’expérimentation en ce qui a trait à l’oral réflexif et à la gestion de la classe, ce qu’elles comptaient mettre en place dès la rentrée suivante (septembre 2022) et connaitre leurs besoins d’accompagnement pour l’année à venir (troisième année de la recherche). En ce qui concerne l’oral réflexif, les réponses les plus récurrentes ont fait état de l’existence d’une grande diversité de pratiques dont les enseignantes sont maintenant conscientes, de l’importance de multiplier les contextes d’oral réflexif, du fait que ces derniers facilitent les apprentissages et qu’ils doivent être réfléchis et planifiés. Du côté de la gestion de la classe, c’est la réflexion sur la formation des regroupements qui a été la plus notable. Les enseignantes ont d’ailleurs mentionné qu’elles placeraient leurs élèves plus tôt en situation de travail coopératif à la prochaine rentrée scolaire et qu’elles comptaient varier la composition des groupes, favorisant ainsi de meilleures relations entre les élèves ou, à tout le moins, une meilleure connaissance de leurs camarades. Elles ont également souligné être conscientes de la nécessité de formuler clairement leur intention d’apprentissage pour favoriser la réalisation de la tâche en équipe.
43Toujours dans le cadre des entretiens individuels, les enseignantes ont exprimé des besoins d’accompagnement plus propres à leur réalité individuelle. Aussi, pour la troisième année de la recherche, nous avons choisi de former plutôt des « groupes de besoins » (inspirés de l’enseignement différencié, selon le principe d’un regroupement homogène visant à répondre à un besoin précis partagé [Meirieu, 2017]) de deux ou trois enseignantes qui enseignent au même cycle. Évidemment, le fait de tenir compte des besoins exprimés par les enseignantes lors des rencontres des communautés de pratique et dans le cadre des entretiens individuels nous a amenés à adapter les modalités de la recherche en cours de route. Une flexibilité qui est, rappelons-le, indispensable à la réalisation de toute recherche collaborative.
Flux RSS
