1Cet ouvrage commémoratif révèle au lecteur les ressources, souvent méconnues, que les archives de l’Académie des sciences offrent à ceux qui s’intéressent au monde russe et aux relations scientifiques franco-russes. La visite impromptue de Pierre le Grand à l’Académie, le 19 juin 1717, puis son élection par acclamation comme membre « hors de tout rang » de l’auguste assemblée, le 22 décembre de la même année, a ouvert la voie, en effet, à des échanges fructueux que les révolutions de 1917 ont simplement suspendus et qui se poursuivent jusqu’à nos jours. L’élégant volume rassemble les notices de 52 sujets de l’Empire de Russie ou de l’Union soviétique qui ont été élus membres de l’Académie des sciences. Il est illustré des portraits ou photographies des personnes concernées et de reproductions de documents tirées de leur dossier. À tout seigneur tout honneur, la première entrée est réservée au « czar » en personne. Prenant très au sérieux son élection, Pierre le Grand envoie une lettre d’acceptation circonstanciée, datée du 11 février 1721, dans laquelle il s’engage ainsi : « nous ne souhaitons rien que de pouvoir mériter le titre de Membre de votre Société par le zèle que nous aurons à mieux faire fleurir les sciences ». Il joint d’ailleurs à la lettre « une carte véritable et juste » de la mer Caspienne, exécutée sur son ordre. Peu de temps après, le 28 février 1724, il fonde l’Académie des sciences de Russie qui, après quelques changements dus aux vicissitudes historiques, a retrouvé son nom. Les 51 autres élus peuvent être répartis entre quatre groupes représentant quatre phases de la science russe.

3La seconde catégorie est celle des grands savants russes qui incarnent la montée en puissance de leur pays en matière de recherche, en particulier sous les règnes d’Alexandre III (1881-1894) et de Nicolas II (1894-1917). Le prince Anatolij Nikolaevič Demidov (1813 ?-1870) est sans doute connu comme l’un des hommes les plus riches de Russie, un dandy, et l’époux de la princesse Mathilde, fille de Jérôme Bonaparte, frère cadet de l’empereur Napoléon I^er. Toutefois, ce grand voyageur publie aussi des relevés de ses périples qui lui valent d’être élu à l’Académie des sciences en 1846, pour la section de géographie et navigation. On s’étonnera moins de retrouver dans ce paragraphe les noms célèbres du chimiste Dmitrij Ivanovič Mendeleev (1834-1907) et du prix Nobel de médecine Ivan Petrovič Pavlov (1849-1936).

4La troisième catégorie rassemble ceux qui sont nés sujets russes avant 1917 et ont quitté leur patrie plus ou moins tôt après la révolution. L’entomologiste Al′fred Arnol′dovič Balaxovskij (1901-1983), né dans le gouvernement de Kursk, est fils d’un grand propriétaire terrien et d’une mère française. Il quitte la Russie dès 1913 et fait ses études en France ; il se fait connaître sous le nom de Serge Balachowsky et s’illustre comme chercheur, mais aussi comme résistant. Konstantin Nikolaevič Davydov (ou Dawydoff, 1878-1960) est natif de Zubcov, gouvernement de Tver′. Formé à Saint-Pétersbourg, il s’intéresse à l’ornithologie et aux animaux marins et fait de nombreuses missions dans le grand Nord russe, en Crimée, au Caucase, mais aussi en Palestine, en Égypte et au Soudan, ou encore à Java, aux Moluques et en Nouvelle Guinée. Il quitte définitivement la Russie en 1922, mais en gardera la nostalgie toute sa vie. Il devient français en 1931, sa nouvelle carrière se partageant entre l’Indochine et la métropole.

5Enfin, le dernier groupe est celui des « savants soviétiques », incluant ceux qui sont nés avant la révolution, mais ont fait leur carrière pour l’essentiel en URSS. Après avoir connu bien des vicissitudes, le mathématicien S. N. Bernstein (1880-1968), né à Odessa et mort à Moscou, préfère n’informer personne de son élection comme associé étranger de l’Académie des sciences en 1955, très peu de temps après la disparition de Staline et l’arrêt de la campagne contre le « cosmopolitisme ». L’astronome V. A. Ambartsumian (1908-1996) traverse toute la période soviétique et finit ses jours dans l’Arménie indépendante. Le mathématicien I. M. Gel′fand (1913-2009), quant à lui, émigre à la fin des années 1980 aux États-Unis où il enseigne dans les plus prestigieux établissements (Harvard, MIT, Rutgers).

6Les lettres reproduites de ces correspondants russes à l’Académie, souvent rédigées en français, montrent qu’ils sont très sensibles à leur élection et inaugurent dans plusieurs cas un riche dossier. Précisons que les 52 cas traités dans ce volume ne sont qu’un échantillon et qu’il en reste d’autres à explorer. En outre, on peut trouver encore des perles dans les « plis cachetés », adressés chaque année à l’Académie des sciences. Il s’agit d’envois de scientifiques et d’inventeurs du monde entier, et donc aussi de Russie, qui souhaitent communiquer leurs découvertes, soit immédiatement, soit dans un délai variable. Les plis ne sont ouverts qu’à la date spécifiée par l’expéditeur et n’ont donc pas tous révélé leurs secrets.