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Chronique bibliographique

Masha Cerovic, les Enfants de Staline : la guerre des partisans soviétiques (1941-1944)

Paris, Seuil, 2018, 366 p.
Paul Lenormand
p. 649-650
Référence(s) :

Cerovic Masha, Les enfants de Staline : la guerre des partisans soviétiques (1941-1944), Paris, Seuil, 2018, 366 p. ISBN 978-2-02-112167-4

Texte intégral

  • 1 Masha Cerovic, les Enfants de Joseph : les partisans soviétiques : révolution, guerre civile et r (...)

1L’ouvrage les Enfants de Staline : la guerre des partisans soviétiques (1941-1944) est la version publiée de la thèse de Masha Cerovic, maîtresse de conférences à l’EHESS1. Bien plus qu’une thèse magistrale, il s’agit aussi d’une synthèse remarquable sur un front méconnu de la Seconde Guerre mondiale : celui des « fiefs partisans » dans les territoires occupés de l’Union soviétique, en particulier en Biélorussie, Ukraine septentrionale et Russie occidentale. Ce large périmètre court de la frontière lettone au Nord-Ouest à Smolensk et Brjansk à l’Est, jusqu’à l’ancienne frontière polonaise à l’Ouest et à la Polésie au Sud. De 1941 à 1944, une contre-société de seigneurs de la guerre soviétiques se met en place, au gré des circonstances locales et des opérations de répression allemandes.

2La guerre des partisans avait déjà son grand film (Elem Klimov, Requiem pour un Massacre, 1985), elle dispose à présent d’une référence scientifique à la hauteur des enjeux qu’elle recouvre. Le filtre de l’imaginaire résistant / partisan, les manipulations de la propagande stalinienne, le nationalisme russe, biélorusse, ukrainien ou local, et les difficultés d’accès aux sources expliquent pour partie l’ignorance du grand public comme de la communauté académique sur cet objet. En réalité, et la bibliographie de l’ouvrage (en note) leur rend hommage, plusieurs historiens et historiennes avaient écrit sur les partisans. Les enfants de Staline, cependant, réunit des histoires fragmentaires, éparses ou basées sur les sources d’un « camp » seulement, souvent les archives allemandes. Les sources, si elles sont à rechercher dans les notes de fin et, pour un aperçu complet, dans la thèse de l’auteure, témoignent de la richesse documentaire mobilisée.

3Plus encore que l’ampleur du projet, l’ouvrage vaut pour la profondeur de son regard sur le monde disparu des partisans soviétiques. L’auteure mêle collecte savante de données sur les effectifs, les localisations, les rations, les ressources, l’équipement et l’armement, à une analyse d’histoire sociale et culturelle, dont la vocation anthropologique est évidente. Ce travail porte donc sur trois grands niveaux d’interprétation : à l’échelle soviétique, ou macro, il s’agit de comprendre la place tenue par les partisans dans le dispositif stratégique, les discours et l’art de la guerre sous Staline, ainsi que de dresser le portrait d’une société soviétique à part, celle des occupés, marquée par les épreuves du présent comme par les héritages du passé (la Guerre civile, la Grande Terreur, notamment). Deuxième niveau, celui des « royaumes de la forêt », ces fiefs bâtis par de véritables seigneurs de la guerre, avec leur organisation sociale, leur recrutement surtout masculin, la place assignée aux femmes et à la féminité, les soucis moraux et matériels qui agitent les partisans et leurs protégés. À cette échelle, rites et pratiques apparaissent clairement, comme dans une plongée au cœur des forêts, des marécages et des forteresses des partisans. Troisième et dernier niveau d’analyse, celui, presque individuel, des émotions du partisan, homme (le plus souvent) marqué par le deuil, la mort, la soif de vengeance, une construction eschatologique du monde, où la bête de l’apocalypse n’est jamais loin, dans un véritable syncrétisme orthodoxe et bolchevique.

4La faim, la maladie, la blessure, les passions de haine et de dévotion, le désespoir, enfin, irriguent ces trajectoires individuelles, souvent écourtées par une mort précoce.

5À la croisée de ces trois paliers – macro, méso et micro -– se trouve la violence de masse, reçue et infligée, qui décime les brigades de partisans, les populations civiles dans l’impossibilité de rester « neutres », les troupes d’occupation ordinaires et spécialisées, et qui inquiète les lointains décideurs soviétiques et allemands. Des camps de prisonniers allemands aux « zones mortes » et à la politique de terre brûlée, la violence occupe une place essentielle, marque d’une guerre coloniale et raciale, recours récurrent dans une logique continue de radicalisation.

6Les historiens du culturel – de même que les spécialistes de la littérature russe et soviétique – trouveront dans cet ouvrage matière à méditer, tant les motifs de l’intime surgissent fréquemment dans les documents cités, parfois empreints d’une candeur que seule l’assurance de la mort ou la certitude de son exemplarité peuvent donner.

7En parallèle, l’histoire de la guerre, quelle qu’en soit l’approche – politique et stratégique, sociale et culturelle, du genre, anthropologique et consacrée à l’histoire des émotions – s’en trouve enrichie.

8L’ouvrage se distingue aussi par sa clarté et par un jeu de cartes réduit mais efficace. Certes, l’iconographie en est presque absente – ce qui ne nuit pas au propos, mais provoque un sentiment de frustration.

9Au total, il s’agit d’une référence précieuse pour compléter une littérature abondante sur la guerre au front et à l’arrière, moins prolifique quand il s’agit d’aborder la place des « maquis ». Les historiens et étudiants de la guerre y trouveront leur compte, et la lecture des Enfants de Staline appelle à d’autres travaux sur les résistances yougoslaves, tchécoslovaques ou polonaises, italiennes ou françaises, susceptibles d’éclairer le rôle et le poids mémoriels de la guerre des partisans dans l’Europe occupée.

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Notes

1 Masha Cerovic, les Enfants de Joseph : les partisans soviétiques : révolution, guerre civile et résistance armée à l’occupation allemande en URSS (1941-1944), thèse de doctorat sous la direction de Marie-Pierre Rey, Université Panthéon-Sorbonne, 2012.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Lenormand, « Masha Cerovic, les Enfants de Staline : la guerre des partisans soviétiques (1941-1944) »Revue des études slaves, LXXXIX-4 | 2018, 649-650.

Référence électronique

Paul Lenormand, « Masha Cerovic, les Enfants de Staline : la guerre des partisans soviétiques (1941-1944) »Revue des études slaves [En ligne], LXXXIX-4 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/res/2544 ; DOI : https://doi.org/10.4000/res.2544

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Auteur

Paul Lenormand

Centre d’histoire de Sciences Po – (CHSP)

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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