Навигация – План сайта

ГлавнаяНомераXCI 1-2Regard d’ailleurs : l’Institut d’...

Regard d’ailleurs : l’Institut d’études slaves vu par George Shevelov

A Foreigner’s Perspective on the Institute of Slavic Studies: George Shevelov’s Memoirs
Serhii Wakoulenko
p. 181-197

Резюме

L’extrait des mémoires de George Y. Shevelov, publié ici en version originale ukrainienne avec traduction française en regard, porte sur les deux visites du savant à Paris au début des années 1950. À cette occasion, il découvrit l’Institut d’études slaves et noua des relations avec plusieurs figures importantes de la slavistique française. L’auteur brosse, notamment, les portraits pittoresques d’Élie Borschak, Vladimir Boutchik, André Mazon, André Vaillant. L’attention du mémorialiste s’arrête également sur le rôle de l’Institut parisien dans la slavistique mondiale, ainsi que sur la place spécifique de la Revue des études slaves par rapport aux autres périodiques influents dans ce domaine. Ce témoignage précieux saisit l’atmosphère du monde savant français de l’après-guerre telle qu’elle se présentait aux yeux d’un récent émigré d’un régime communiste.

Верх страницы

Полное изложение текста

1Lorsque George Y. Shevelov, professeur des universités, mourut à New York le 12 avril 2002, il jouissait de la renommée du linguiste ukrainien le plus éminent du xxe siècle. Sa biographie tourmentée est celle d’un intellectuel qui a connu la soviétisation de la vie sociale, la terreur et les purges staliniennes, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et de longues décennies en émigration avant de pouvoir revenir en Ukraine et la redécouvrir en pays indépendant.

2Né à Kharkiv le 17 décembre 1908, il était fils de parents de souche allemande, Vladimir Schneider et Varvara, née Meder. Son père, major général dans l’armée impériale russe, obtint du tsar Nicolas II en 1916 la permission d’adopter un nom à consonance russe, Ševel′ov. Au lieu de son prénom originel Georgij (en russe) ou Heorhij (en ukrainien), Shevelov prendra l’autre variante de « Georges » : Jurij, vers la fin des années 1930.

3Sans pouvoir achever le lycée classique, Shevelov fit ses études secondaires dans une école dite « active », puis dans une école professionnelle spécialisée en comptabilité, écritures et statistique élémentaire. Après une brève période comme archiviste et enregistreur dans un « trust » industriel, il poursuivit sa formation, de 1927 à 1931, dans un établissement d’enseignement supérieur dit Institut d’instruction publique, apparu suite à la dissolution de l’université traditionnelle et rebaptisé en 1930 Institut pédagogique d’instruction professionnelle. Son diplôme l’habilitant à enseigner « la langue et la littérature » dans les écoles secondaires, il obtint une place de professeur d’ukrainien à l’École professionnelle supérieure de librairie et de presse écrite, puis également à l’Institut communiste ukrainien de journalisme. Il fit ses études doctorales sous la direction de Leonid Bulaxovs′kyj et soutint une thèse intitulée Le langage et le style de la poésie politique de Pavlo Tyčyna (1939) à l’Université de Kharkiv, qui avait été rouverte entre-temps. Shevelov y fut nommé maître de conférences et chargé des cours d’ukrainien contemporain ainsi que d’histoire des langues ukrainienne, polonaise et tchèque.

4L’occupation allemande de Kharkiv en octobre 1941 mit un terme à ses activités pédagogiques. Il vécut durement dans une ville dépourvue d’approvisionnement et de chauffage en hiver ; ce fut pour lui une épreuve pénible, qu’il put surmonter grâce au soutien des cercles patriotiques et anticommunistes ukrainiens qu’il fréquentait à cette période. En février 1943, il se décida à quitter Kharkiv sous la menace de persécutions que le retour imminent de l’Armée rouge pouvait amener, d’autant qu’il avait déjà attiré l’attention de la police secrète soviétique avant la venue des Allemands. Après un séjour de plus d’un an à Lviv, il prit le chemin de l’Occident, s’installant en Allemagne dans la ville saxonne de Plauen, puis il s’enfuit à pied vers la Bavière en mai 1945 pour échapper, en zone américaine, à un rapatriement forcé en Union soviétique.

5À Munich, de 1946 à 1950, Shevelov devient le spiritus movens du Mouvement artistique ukrainien et se fait un nom dans les cercles de l’émigration comme critique littéraire. Dans le même temps, il reprend son travail d’enseignant à l’Université libre ukrainienne comme professeur agrégé de philologie slave et obtient un second doctorat, sur le modèle occidental, pour son étude Essai sur la genèse et la nature des phrases nominales (1949).

6Établi en Suède de 1950 à 1952, Shevelov donne des cours de langues russe et ukrainienne à l’Université de Lund. Ce fut une période très intense, où Shevelov, ayant assimilé les acquis récents de la linguistique occidentale, formula une série d’idées novatrices, exposées dans plusieurs ouvrages : Probleme der Bildung des Zahlwortes als Redeteil in den slavischen Sprachen (1952), Participium universale im Slavischen (1953), Problems in the Formation of Belorussian (1953). Pour la première fois de sa vie, il put alors visiter en touriste plusieurs pays d’Europe, ses voyages le menant entre autres à Paris, en mai-juin 1951 et en juin-juillet 1952.

7Émigré aux États-Unis lors de l’été 1952, Shevelov travailla d’abord à l’Université Harvard, puis, à partir de 1954, à l’Université Columbia à New York. Il consacra alors sa recherche principalement aux problèmes de phonologie historique, auxquels il dédia deux écrits capitaux : A Prehistory of Slavic : the Historical Phonology of Common Slavic (1964) et A Historical Phonology of the Ukrainian Language (1979). La traduction en ukrainien du second d’entre eux fut élue en Ukraine livre de l’année 2002, toutes catégories confondues. Comme l’a souligné Roger Comtet dans le compte rendu qu’il en fit dans la Revue des études slaves (t. LXXVI, 2005, fasc. 2-3, p. 392), cet ouvrage « est souvent considéré comme la Bible des ukraïnistes ».

8Les mémoires de Shevelov, publiés en 2001, couvrent sa vie jusqu’à 1952 (avec quelques digressions dédiées à l’étape américaine). Le fragment proposé ici en version bilingue ukrainien/français est extrait de l’ouvrage : Ševel′ov Ju. (Jurij Šerex), Ja – mene – meni… (i dovkruhy). Spohady. 2 : V Evropi, Kharkiv & New York, 2001, p. 284-290. Il dépeint les impressions que produisit sur l’auteur le Paris du début des années cinquante, l’un des endroits sur Terre qu’il aimera le plus. L’Institut d’études slaves en était, pour lui, l’une des attractions principales. Ces quelques pages, écrites comme un souvenir intime et teinté de nostalgie, évoquent de façon tangible ce passé captivant.

9Багато міст Італіï тоді ще лежало в руïнах, особливо Мілан, Верона, повоєнних злиднів не бракувало ніде, але неповторний і невідтворний італійський стиль життя був живий скрізь. Париж не мав цих проблем, бо французи спромоглися зберегти його крізь війну неушкодженим, як чехи свою Прагу. До того ж моя італійська мова була напівмова, напівмиґи, тож я в Італіï був тільки спостерігач і не шукав особистих контактів. Натомість у Парижі незаймані були не тільки вулиці, а й культурні центри (серед них – і найближчий до мого професійного серця Інститут Слов’янських Студій), працювала повною парою Національна Школа Східніх Мов, з якою був тоді пов’язаний – у ділянці украïнознавства – Ілько Борщак. І, нарешті, той таки Борщак видавав там свою «Украïну» з підзаголовком – дуже привабливим – «Украïнознавство і французьке культурне життя».

10Багато міст Італіï тоді ще лежало в руïнах, особливо Мілан, Верона, повоєнних злиднів не бракувало ніде, але неповторний і невідтворний італійський стиль життя був живий скрізь. Париж не мав цих проблем, бо французи спромоглися зберегти його крізь війну неушкодженим, як чехи свою Прагу. До того ж моя італійська мова була напівмова, напівмиґи, тож я в Італіï був тільки спостерігач і не шукав особистих контактів. Натомість у Парижі незаймані були не тільки вулиці, а й культурні центри (серед них – і найближчий до мого професійного серця Інститут Слов’янських Студій), працювала повною парою Національна Школа Східніх Мов, з якою був тоді пов’язаний – у ділянці украïнознавства – Ілько Борщак. І, нарешті, той таки Борщак видавав там свою «Украïну» з підзаголовком – дуже привабливим – «Украïнознавство і французьке культурне життя».

11Власне, з цього Борщакового журналу воно й починалося. Це був цікавий піврічник своєрідного стилю. Програмою редактора було поєднати легкість французькоï causerie, уникаючи і німецького ґелертерства, і украïнськоï хаотичности, поєднати ïï з точністю ґалльського тверезого esprit, його аналітичністю; і поєднати також украïнську проблематику з французькою, ставлячи наголос на контакти двох народів і культур. Дбайливо редаґований, критично наставлений, цураючися колонаукових мітів, стриманий у тоні, журнал мав своє виразне обличчя. Його статті були короткі і без лірики, його документи, які він систематично публікував, змістовні, хроніка багата й різноманітна. Журнал виходив рівно п’ять років, і кожне число робив Борщак сам, не мавши жадного редакційного апарату, а редакція його була уважна й коректа пильна. Найкраще він знав історію Украïни від вісімнадцятого сторіччя починаючи і – Париж, у всіх зустрічах міста з украïнцями, діяч за діячем і вулиця за вулицею. Борщак прибув до Парижу 1919 року з дипломатичним представництвом УНР і відтоді лишився в місті до кінця свого життя, пройшовши незаплямований роки німецькоï окупаціï. Уникнув він і украïнськоï націоналістичноï моди, зберігаючи своï засади демократизму доби Визвольних змагань, дещо лівіше від центру. Не був він і комуністом, але кожного ранку під своïми дверима (я ночував у нього, на Монпарнасі, кілька разів) він мав число комуністичноï «LHumanité» і пляшку молока. Газета, казав він мені, подає таку інформацію, якоï не знайдеш в інших газетах, правіших. Націоналістична частина еміґраціï ставилася до нього з застереженням, і він мало знався з еміґрантами в Парижі. Зате кількість знайомств у французьких наукових колах була величезна. Коли я гостював у Парижі, він раз-по-раз знайомив мене з ними, так що я загубив лік, а ïхні імена й поготів. Але до верхів’я французькоï славістики, Інституту Слов’янських Студій, він формально не належав, хоч у його виданнях брав активну участь. Мови на цю тему не було, але думаю, що для них там, на Олімпі, він був занадто журналіст. Здається, мав він також якісь біографічні (не ідеологічні) зв’язки з російськими еміґрантами – чи не через свою небіжчицю дружину, але він про це ніколи зі мною не говорив, а я його не питав. Його наступниця в викладанні украïнознавчих дисциплін у Національній Школі Живих Східніх Мов Марія Вікторівна Шерер, жінка гострого язика й рішучого судження, але без темпераменту науковця, здається, припадала йому родичкою саме по цій лініï. Не знаю, чи ïï
друге прізвище – Долґорука – походило звідти, чи перейшло до неï в заміжжі. Говорити вона явно воліла, якщо не по-французьки, то по-російськи.

12Борщак розкопав мене в Швеціï, дуже скоро після мого прибуття до Люнду. Я не був у ті роки такого аналітично-cкептичного наставлення, як Борщак, але, мабуть, був ближчим до цього, ніж більшість моïх колеґ украïнського роду. Він прислав мені перше число «Украïни», написав про можливості моєï співпраці. Наше листування стало систематичним, воно було мені цікаве. Уже в другому числі журналу було два моï матеріяли – стаття про украïнознавчі студіï польоніста, тоді вже покійного, Антуана Мартеля і матеріял зі спадщини Василя Мови-Лиманського. Після того ледве чи було число журналу без якогонебудь мого виступу, а наше листування могло б скласти, либонь, цілий том.

13Моï перший і другий приïзди до Парижу зустрілися з незвичайною його гостинністю. Жив я, правда, в Сарселі, де мені дали якийсь закамарок і трохи мене підгодовували, але кілька разів лишався в Парижі на ніч – і тоді це було в Борщака на Монпарнасі, вулиця Вожірар. Була це типова, як кажуть поляки, kawalеrka, з безліччю книжок, а господар часом виглядав на гофманівського лиходія, але очі в нього були добрі, і гумор не був нищівний. Певно, він дуже не любив рідних примітивів, але він не виголошував філіпік проти них. Він був захоплений своєю ролею мого ґіда і радо висвячував мене в таємниці недавнього Парижу його молодих років – немодні вже тоді ресторанчики, кондиторські, букіністи, гостинні крамнички. Він знав, що до Лювру я знайду шлях сам, а от такі затишні куточки й закутки – до них би я ніколи не дістався. З гастрономічних вражень я ніколи не забуду кондитерську, де подавали торт «Stanislas», чий рецепт до Парижу ніби завіз король Станіслав Лєщинський. Було це на бульварі Сен-Жермен, десь там, де тепер американізована Drugstore. Клієнти сідали в розлогі фотелі й смакували цей справді унікального смаку торт. У моï пізніші наïзди до Парижу я вже не знайшов цього затишного куточка, а на моï розпити деінде про торт або відповідали, що ніколи про таке не чули, або (старші люди) казали, що тепер його вже не роблять, бо занадто складне його виготовлення, а новітній Париж, як і всі, зрештою, великі міста сучасного індустріяльного світу, надто поспішає і надто механізований. Борщак умів насолоджуватися тортом, чаром учорашнього, тепер уже на відході, Парижу – і своєю ролею мого провідника по таких рештках раю.

14З таким самим задоволенням він водив мене на різні наукові доповіді, знайомив з кожним, кого він знав (а кого він не знав?): арабіст – то арабіст, таïтяніст – то таïтяніст; з польоністами, з богемістами… А якби хтось спеціялізувався на вивченні диявола, то він би знайомив мене й з дияволістом… Говорячи про ближче – це ж він запровадив мене й до сальону пані Шерер на вулиці Бонапарта. Мабуть, він був дуже самотній, – але без сантиментальности і без напосідання.

15До Слов’янського Інституту (офіційно – Інституту cлов’янських cтудій) я знайшов дорогу сам і був дуже гостинно зустрінений його двома провідними постатями – Андре Мазоном і – теж Андре – Ваяном. Інститут був заснований у поверсальській Франціï 1919 року і дуже скоро вийшов на одне з чільних і центрових місць світовоï славістики. Якщо не брати слов’янських краïн, то зі славістичним Парижем міг конкурувати тільки Берлін. Славістичних журналів було вже чимало, але три з них робили погоду – Фасмерів «Zeitschrift für slavische Philologie», Мазонів – Ваянів «Revue des études slaves» і празька «Slavia». Усі вони були філологічні, занурені в історію, але в Берліні виразну перевагу мали студіï давніх часів, а Париж сполучав плідні розшуки в минулому слов’ян з увагою до 19-го століття. Крім того, паризьке «Revue…» мало унікальну рису – це був єдиний журнал, що давав докладний і повний огляд світовоï славістичноï продукціï кожного попереднього року, тоді як берлінці й пражани обмежувалися на досить широкому, але вибірковому рецензуванні. За проблематику кожноï слов’янськоï краïни відповідав сталий співробітник. Так, украïнську частину вели Унбеґаун і Борщак; Унбеґаун провадив також російське мовознавство. У відділі наукових статтей «Revue…» систематично друкувало авторів з інших краïн, але й тут першість належала парижанам. Будинок Інституту на тихій і трохи заштатній вулиці Мішле, один квартал від південного кінця Люксембурзького парку, був також центром наукових доповідей на славістичні теми.

16У сенсі бібліотечному паризький Інститут почав з нічого, але на час моєï візити розбудував першорядну збірку книжок. За цим теж стояв Мазон, але практичним виконавцем був мосьє Бучíк – так вимовляли його прізвище. Владімір Бучік був з тієï хвилі російськоï еміґраціï, яка з’явилася на Заході після розгрому й втечі білих армій. У час моєï візити це були вже люди напередодні переходу на пенсію, люди, що не були науковцями, переважно в минулому офіцери. Таким був у Люнді Хандаміров, що натаскував студентів на практичне опанування російськоï мови. Трохи згодом, уже в Америці, в Колюмбійському університеті я застав з цього покоління саму мадам Дєнікін. Вона, звичайно, офіцером не була, але була вдовою офіцера – і ще якого! – що загрожував самому існуванню радянськоï влади в Російській імперіï. Вирвані з військовоï кар’єри, тепер останні могікани свого покоління, вони обернули свій безмежний патріотизм, своє русофільство на пропаґанду російського слова, книжки, літератури. Мосьє Бучік купляв, звичайно, і книжки інших слов’янських народів, але його серце було в поповненні російськоï колекціï. І як він знав “свою” книго-збірню! Він міг давати бібліографічні поради і фахівцям. До украïнських проблем ці люди здебільшого не ставилися активно вороже – вони просто для них не існували. Таж це все були піддані тієï самоï імперіï, ті самі русские люди. Якщо вони творили щось власне, це було трохи смішне, зайве, але, зрештою, не дуже шкідливе. Тільки мадам Дєнікіна ставилася виразно вороже до всього украïнського; вона ніколи не виявляла бажання ближче зі мною познайомитися. А Хандаміров сердечно допомагав мені влаштуватися в Люнді, і мосьє Бучік дав мені неоціненну допомогу в книжкових розшуках у Парижі. Цікаво, між іншим, скільки серед людей цього покоління – російських патріотів – було неросіян. Маю підозру, що й Бучік був украïнського роду.

17Року моïх перших відвідин паризького Інституту Париж і Берлін не мали суперників у краïнах Заходу. Лондон мав славістичний центр, але мав спрямовання на недавню історію й політику, а Італія, Скандінавія, Австрія не входили поважно в гру. Так само американська славістика робила тільки перші спроби і то дуже непевними ногами. Попри все це, світова славістика йшла до кризи, яка стала очевидною кілька років пізніше та найсильніше позначилася якраз на паризькому й берлінському центрах, бо в них старі стандарти були найвищі. Уже накреслювався кількісний вибух слов’янських публікацій – журнальних і книжкових. Охопити ïх в одному річному огляді ставало неможливим для одного оглядача, а ще важливіше – читач утрачав змогу орієнтуватися в тих оглядах. Краïна за краïною творили своï славістичні центри. З другого боку, втрачався інтерес до філологіï й давньоï історіï. Антиісторична в суті речі друга половина двадцятого сторіччя висувала на перший плян синхронні студіï, машинізація життя не тільки змінювала методи дослідників, вона змінювала й самий триб ïхнього мислення. Коли говорити конкретно про паризький інститут і його журнал, вони дожили сяк-так до смерті Мазона (1967) і Ваяна (1977), але тоді молодші славісти рішуче розірвали з традицією. Кілька років журнал не виходив, а тоді відродився під тією ж назвою (вона не вказувала на будь-які конкретні методи й підходи), але це був у суті речі зовсім інший журнал – зникли широкосяжні огляди, зникла філологія і те, що звалося “старожитності”, запанували зовсім інші методи… Інститут і журнал постали в 20 му сторіччі, але ïхні творці були люди, народжені ще в 19-му, і ïх час минув. Змінилися й людські звичаï, моди й стиль життя й поведінки. Годі уявити, щоб Мазон прийшов до Інституту без краватки, щоб його черевики не блищали і щоб його штани не були свіжо випрасувані. Я ніколи не бачив і пушинки на його вбранні, плащі або капелюсі. Його манери були вишукані, а дотепи ніколи не були образливі. Під час нашоï зустрічі на початку п’ятдесятих років він був об’єктом брутальних нападів Романа Якобсона (правда, теж народженого в 19 му сторіччі, але далекого від його куртуазности) у дискусіï про автентичність «Слова о полку Ігоревім». Я пробував боронити Якобсона. Реплікою Мазона було тільки:

18Mais il nest pas un gentleman (Але він не джентлмен).

19І в цьому короткому й стриманому зауваженні була така нищівна правда, яка влучала просто в ціль й не потребувала ставити крапки над і в твердженні про недопущенність Якобсона з його плебейсько-хамськими манерами в коло порядних і вихованих людей. На цій короткій ремарці вся дискусія була вичерпана. Що я міг заперечити?

20Мазон прийняв мене дуже тепло. Ми пішли разом на перекуску під час обіду. Він надавав мені багато книжок і запропонував, що пошле ïх кимсь до місця мого перебування. Я тоді був у якомусь дуже низькопробному готельчику в непрезентабельному районі коло Північного вокзалу. Я відмовлявся, бо не хотів зрадити обмежености мого бюджету. Мазон, напевне, здогадався, в чому була причина моєï стриманости, але нічим цього не виказав. Раз він запросив мене до себе додому. Він жив на авеню Сюфран, широкій і тихій, без проïзних автомобілів і далекоï від (завжди плебейського) метро. Жив на найвищому поверсі в багатоповерховому (сім? вісім?) будинку – з тих, що будувалися в Парижі в ті роки, коли ліфт був розкішшю, і ним можна було користатися тільки ïдучи нагору, спускатися треба було кожною разу пішки. Дверцята ліфту, природна річ, автоматично не зачинялися, ïх треба було старанно причинити, інакше ліфт не рухався.

21Обід приготувала й страви приносила його дочка, некрасива й дуже мовчазна особа, але чарки виблискували всіма гранями, і скатертина була накрохмалено біла. Я полонив його серце остаточно, коли вжив від якогось дієслова форму subjonctif-a. Мазон підхопив ïï. Він був захоплений: тепер, сказав він, ніхто ïï не вживає, але вона абсолютно правильна. (Звісна річ, моя французька мова була вивчена, а не щоденна, природна). Тост на мою честь він проголосив:

22— За мого земляка!

23Справа в тому, що кілька років Мазон був лектором французькоï мови в Харківському університеті і жив у моєму місті. Було це перед початком Першоï світовоï війни.

24Для свого журналу Мазон замовив у мене статтю про етапи розвитку украïнськоï мови. Я ïï написав, ïï переклали в Інституті і – з великим запізненням – вона з’явилася в «Revue…». He думаю, що стаття сподобалася Мазонові – він був людиною російськоï орієнтаціï. Але кінець-кінцем він ïï видрукував. Він був, як знаємо, джентлмен.

25Він був людиною російськоï орієнтаціï, як більшість французів тоді, він багато зробив для пізнання російськоï мови й культури у Франціï, але він послідовно уникав говорити по-російськи. А коли говорив, то з дуже виразною, ніби нарочитою французькою вимовою й наголосами. Мені врізалася в пам’ять його фраза зі «Слова о полку». Він читав ïï: «Мстіслав (з дзвінким в) зареза (з французьким r) Редедю (з французьким r і французьким кінцевим и) пред полки касожcкі». Підкресленою французькістю вимови він, мабуть, прикривав можливість, що він зробить якусь помилку проти вимови й наголосу. Я завжди мав підозру, що він був хитрун і облесник. Унбеґаун, який недобре жив з Мазоном (казали, що той тримав його в Страсбурзі й не пускав до Парижу), а потім утік від Франціï й Мазона до Оксфорду, – він заповів там його й поховати – чи не викликом Мазонові й Франціï, що й зроблено згодом, теж натякав на цю Мазонову рису. Але докладніше про це не говорив. Бо він, Унбеґаун, був теж людиною 19-го сторіччя (що він сам підкреслював) і – джентлменом.

26Але хто без гріха, хай перший кине в Мазона каменем. Я з приємністю згадую зустрічі з Мазоном, його гостру борідку клином, артеріосклерозні вени на довгастому обличчі і – хай трохи роблену – привітність.

27Ваян був мені ближчий професійно – він був мовознавець. І не такий, як я, продукт радянського виховання, а з солідною школою індоєвропеïстики, зі справді ґрунтовним знанням греки, латини, ґотськоï мови тощо. Методологічно, одначе, він не вів перед. Що його етимологіï були часто сміливіші, ніж водилося, не робило його шукачем нових підходів; він лишався традиціоналістом, лише схильним до сміливих, щоб не сказати – авантурних тверджень. Але було в ньому щось трохи від задерикуватого півника, і він, напевне, любив часом здивувати, а то й епатувати свого слухача чи читача відважними коньєктурами. Не мав він респекту й до звеличування слов’янських речей, притаманного стільком мовознавцям слов’янського кореня. Зокрема любив він знаходити в слов’янських мовах германізми, часто серед таких слів, які вважалися за споконвічно слов’янські. Був він також уродженим скептиком і патріотичні перекручення й перебільшення відкидав або руйнував з насолодою.

28Стиль поведінки був у нього дуже відмінний від Мазонового. Я не знаю його родоводу, може, був він і аристократичний, але мені завжди уявлялося, що його батько радше був якийсь швець або власник виноградника. Малий, на коротких ногах, з черевцем, з чорними вусиками й густими бровами, він нагадував мені Тартарена з Тараскону, і я був дуже здивований, коли довідався, що він був родом не десь із Провансу або з Ґасконі, а з Суасону, на північ від Парижу. Чомусь мені часом уявлялося, що, якби його роздягти, він був би найволохатішим з усіх моïх знайомих. Коли відзначали його ювілей, його колега П’єр Паскаль звертався до нього на “ти”. Між ним і мною була досить сувора демаркаційна лінія, але я б не здивувався, коли б він звернувся до мене на “ти”. Та й я до нього. Тим більше, що він ставився до мене добре і часом запрошував мене до себе – але не на трохи церемонний обід, а радше на чарку доброго французького вина з закускою.

  • 1 Украïна : украïнознавство и французьке культурне життя = l'Ukraine : revue sous la direction d'Él (...)

29Beaucoup de villes italiennes étaient en ruines, Milan et Vérone surtout, la misère de l’après-guerre était visible en tous lieux, mais partout se faisait sentir le style de vie italien, incomparable et inimitable. Paris n’avait pas ces problèmes, les Français avaient pu le conserver intact pendant la guerre, comme les Tchèques leur Prague. En plus, avec mon italien moitié parlé, moitié mimé, je n’étais en Italie qu’un observateur, sans chercher les contacts personnels. À Paris, en revanche, non seulement les rues, mais aussi les centres culturels (dont l’Institut d’études slaves, le plus proche de mon cœur professionnel) continuaient intacts, l’École nationale des langues orientales, à laquelle était lié Élie Borschak, dans le domaine des études ukrainiennes, fonctionnait à plein régime. Enfin, le même Borschak y publiait son Ukraine, avec son sous-titre, très attrayant, Études ukrainiennes : la vie culturelle en France1.

30En fait, c’était cette revue dirigée par Borschak qui avait servi de déclic. Cette édition semestrielle, vraiment intéressante, avait du style. Le rédacteur se proposait de combiner la légèreté de la causerie* française, exempte du dogmatisme allemand autant que du brouillamini ukrainien, avec la précision du sobre esprit* gaulois, avec son analycité, et de combiner également les deux problématiques, ukrainienne et française, en mettant l’accent sur les contacts entre les deux peuples et les deux cultures. Soigneusement rédigée, critique dans son attitude, fuyant les mythes parascientifiques, réservée dans son ton, cette revue avait une physionomie à elle. Les articles étaient brefs et sans lyrisme, les documents, publiés systématiquement, avaient de la matière, la chronique était riche et variée. La revue parut pendant cinq ans exactement ; Borschak produisait chaque fascicule lui-même, sans personnel rédactionnel ; pourtant sa révision et sa relecture étaient attentives. Ce qu’il connaissait le mieux était l’histoire de l’Ukraine à partir du dix-huitième siècle, et Paris, dans tous les contacts entre la ville et les Ukrainiens, personne par personne, rue par rue. Borschak était venu à Paris en 1919, avec la mission diplomatique de la République populaire ukrainienne, et il y resta jusqu’à la fin de ses jours, sans se compromettre, si peu que ce fût, dans les années de l’occupation allemande. Il s’est tenu également à l’écart de la mode nationaliste ukrainienne, conservant ses principes démocratiques de l’époque de la lutte pour la libération, positionné un peu à gauche des centristes. Sans être communiste, il ramassait chaque matin devant sa porte (j’ai couché plusieurs fois chez lui à Montparnasse) le nouveau numéro de L’Humanité* communiste et une bouteille de lait. Ce journal, me disait-il, donne une information introuvable dans les autres journaux, plus à droite. La fraction nationaliste de l’émigration se tenait sur la réserve à son égard, et il fréquentait peu les émigrés à Paris. En revanche, il avait d’innombrables connaissances dans les milieux érudits français. Lorsque je visitais Paris, ça n’était qu’une série de présentations, indénombrables, sans la moindre chance de retenir les noms. Mais formellement, il n’appartenait pas au sommet de la slavistique française, représenté par l’Institut d’études slaves, même s’il prenait une part active dans ses éditions. On n’en a pas parlé, mais je pense que pour eux, les Olympiens, il était trop journaliste. À ce qu’il paraît, Borschak avait aussi des liens biographiques (non idéologiques) avec les émigrés russes, possiblement par sa femme défunte, mais il n’abordait jamais ce sujet avec moi, et moi, je ne posais pas de questions. Marie Scherrer, qui a continué après lui l’enseignement des disciplines relatives aux choses ukrainiennes, à l’École nationale des langues orientales vivantes, femme douée d’une langue acérée et d’un ferme jugement, mais sans tempérament scientifique, semble avoir été sa parente de ce côté-là. J’ignore si son second nom de famille, Dolgorouky, venait de là, ou s’il était acquis par mariage. Il était évident qu’elle préférait le russe, à moins que ce ne fût le français, comme langue de conversation.

31Borschak m’avait déterré en Suède, très vite après mon arrivée à Lund. Dans ces années-là, je n’avais pas l’attitude analytique et sceptique qui était la sienne, mais j’en étais plus proche, peut-être, que la plupart de mes collègues d’origine ukrainienne. Il m’avait envoyé le premier fascicule de L’Ukraine, signalant les possibilités de collaboration. Notre correspondance est devenue systématique, j’y prenais intérêt. Le deuxième fascicule de la revue publia deux pièces de ma plume : un article sur les recherches du polonisant défunt Antoine Martel, dans les matières ukrainiennes, et un fragment de l’héritage de Vasyl′ Mova-Lymans′kyj. Dès lors, on trouverait difficilement un numéro de la revue auquel je n’aie pas contribué, tandis que notre correspondance pourrait constituer un tome entier.
Son hospitalité à l’occasion de mes deux premières visites à Paris a été remarquable. Tout en ayant le gîte et le couvert, très humbles il est vrai, à Sarcelles, je suis resté plusieurs fois à Paris pour la nuit, et c’était alors chez Borschak à Montparnasse, rue de Vaugirard. C’était une kawalerka typique, comme les Polonais appellent une garçonnière, pleine de livres, dont l’hôte pouvait faire penser parfois au scélérat de Hoffmann, et pourtant ses yeux n’étaient pas méchants, ni son humour mordant. Il détestait, certes, les compatriotes simplets, mais il leur épargnait ses philippiques. Il était ravi de me servir de guide et m’initiait volontiers aux secrets du Paris des temps encore récents de sa jeunesse : de petits restaurants déjà passés de mode, des pâtisseries, des bouquinistes, des boutiques accueillantes. Il savait que je trouverais moi-même le chemin du Louvre, par contre je n’aurais jamais découvert ce genre de coins et de recoins agréables. Parmi les impressions gastronomiques, je n’oublierai jamais la pâtisserie qui servait le gâteau Stanislas*, dont la recette aurait été apportée à Paris par le roi Stanislas Leszczynski. Elle était située boulevard Saint-Germain, à peu près à l’endroit où se trouve aujourd’hui un drugstore* américanisé. Les hôtes se délectaient de cette tarte, au goût vraiment unique, assis dans de larges fauteuils. Plus tard, lors de mes séjours à Paris, je n’ai plus retrouvé ce coin agréable, la réponse à mes questions sur le gâteau, posées ailleurs, étant qu’on n’en avait jamais entendu parler, ou bien (de la part des personnes âgées) qu’on avait cessé de le fabriquer parce que sa production était trop compliquée, alors que le Paris moderne, pareil en cela, du reste, à toutes les autres grandes villes du monde industriel contemporain, était trop pressé et trop mécanisé. Borschak savait se délecter de ce gâteau, du charme du Paris d’hier, qui disparaissait déjà, – tout comme de son rôle de guide dans ces restes du paradis.

32Avec le même plaisir, il m’amenait à des conférences de toutes sortes, me présentait à toutes les personnes de sa connaissance (y avait-il quelqu’un qu’il ne connaissait pas ?) : un arabisant, soit ! un tahitiste, soit ! sans parler des polonistes et des bohémistes… À supposer qu’il y eût un spécialiste se consacrant à l’étude du diable, il m’aurait présenté à un diabliste… Revenant aux choses plus concrètes, ce fut lui qui m’introduisit dans le salon de Madame Scherrer rue Bonaparte. Il se sentait probablement bien seul, mais sans être sentimental et sans importuner les autres.

  • 2 Zeitschrift für slavische Philologie, Begründet von M. Vasmer, Berlin, 1924-, zsph.winter-verlag. (...)

33Quant à l’Institut d’études slaves, j’y suis parvenu moi-même, accueilli avec beaucoup de bienveillance par ces deux protagonistes, André Mazon et un autre André, Vaillant. Fondé dans la France post-versaillaise, en 1919, l’Institut avait très vite occupé une place éminente et centrale dans la slavistique mondiale. En faisant abstraction des pays slaves, seul Berlin pouvait rivaliser avec Paris en ce qui concernait les études slaves. Les revues de slavistique existaient déjà en nombre, mais il n’y en avait que trois qui faisaient la pluie et le beau temps : Zeitschrift für slavische Philologie dirigée par Vasmer, la Revue des études slaves sous la houlette de Mazon et Vaillant, et Slavia, publiée à Prague2. Plongées dans l’histoire, elles portaient toutes une empreinte philologique, mais c’étaient les recherches sur les temps anciens qui prédominaient clairement à Berlin, tandis que Paris combinait l’investigation fructueuse du passé des Slaves avec l’attention portée au xixe siècle. En outre, la Revue parisienne avait une particularité exclusive : c’était l’unique périodique qui offrait un panorama détaillé et exhaustif de toute la production slavistique mondiale de l’année précédente, alors que les Berlinois et les Pragois se contentaient de publier des comptes rendus, nombreux, mais sélectifs. La problématique de chaque pays slave était confiée aux soins de collaborateurs permanents. La section ukrainienne était gérée par Unbegaun et Borschak, le premier s’occupant également de la linguistique russe. Dans la rubrique des articles scientifiques, la Revue publiait systématiquement les auteurs étrangers, mais, là aussi, les Parisiens prédominaient. L’édifice de l’Institut rue Michelet, une rue calme et un peu retirée, à un pâté de maisons de l’extrémité sud du jardin du Luxembourg, accueillait aussi des conférences sur la slavistique.

34Côté bibliothèque, l’Institut parisien avait commencé à partir de rien, mais au temps de ma visite, il possédait déjà une excellente collection de livres. Le même Mazon en était l’esprit animateur, alors que la mise en pratique était dans les mains de Monsieur Boutchik, dont le nom portait l’accent sur la finale. Vladimir Boutchik faisait partie de la vague de l’émigration russe venue en Occident après la déroute et la fuite des armées blanches. Au temps de ma visite, c’étaient déjà des personnes proches de la retraite, sans formation scientifique, le plus souvent des ex-officiers. À Lund, il y avait parmi eux Khandamirov, chargé d’exercer les étudiants au maniement pratique du russe. De la même génération, j’ai rencontré un peu plus tard, en Amérique à l’Université Columbia, Madame Dénikine. Elle n’était certes pas officier, mais elle était la veuve d’un officier, et de quel officier ! – de celui qui avait menacé l’existence même du pouvoir soviétique dans l’Empire russe. Détournés de la carrière militaire, devenus les derniers des Mohicans de leur génération, ils avaient dirigé leur patriotisme sans borne, leur russophilie, vers la propagation de la langue, du mot imprimé, de la littérature russe. Monsieur Boutchik acquérait aussi, bien sûr, des livres produits par d’autres peuples slaves, mais son cœur le poussait à enrichir la collection russe. Et « sa » bibliothèque, comme il la connaissait ! Il était capable de donner des conseils bibliographiques même aux spécialistes. La plupart de ces gens-là ne nourrissaient pas d’animosité vis-à-vis des problèmes ukrainiens – ceux-ci n’existaient simplement pas pour eux. Ne s’agissait-il pas des sujets du même empire, des mêmes gens russes ? Leur création spécifique, s’ils la produisaient, était un peu ridicule, superflue, mais au fond pas trop nuisible. Seule Madame Dénikine avait une attitude franchement hostile à l’égard de toutes les choses ukrainiennes ; elle n’a jamais manifesté le moindre désir de me connaître de plus près. Pourtant Khandamirov m’avait cordialement aidé à m’installer à Lund, alors que l’appui de Monsieur Boutchik s’est avéré inestimable pour mes quêtes de livres à Paris. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître la proportion de non-Russes parmi les patriotes russes de cette génération. Je soupçonne que Boutchik était d’origine ukrainienne lui aussi.

  • 3 1970-1972 ; 1974-1976 (NDLR).

35L’année de ma première visite à l’Institut parisien, Paris et Berlin étaient sans rivaux dans les pays d’Occident. Londres possédait un centre d’études slaves, mais tourné vers l’histoire récente et vers la politique, tandis que l’Italie, la Scandinavie, l’Autriche n’entraient pas vraiment en jeu. La slavistique américaine ne faisait, elle aussi, que ses premières tentatives, encore balbutiantes. Malgré tout cela, la slavistique mondiale s’acheminait vers une crise, qui se manifesta quelques années plus tard et frappa au plus fort les deux centres parisien et berlinois, avec leurs vieux standards les plus élevés. L’explosion quantitative des publications en slavistique – livres et périodiques – commençait déjà à se dessiner. Il devenait impossible pour un seul observateur de les embrasser en un panorama, et surtout le lecteur était voué à s’y perdre. Dans un pays après l’autre, les centres de slavistique se multipliaient. Cela étant, l’intérêt pour la philologie et l’histoire ancienne diminuait. La seconde moitié du vingtième siècle, foncièrement antihistorique, mettait au premier plan les études synchroniques, la mécanisation de la vie, quitte à changer les méthodes de recherche, changeait le mode de penser des chercheurs. Si l’on s’en tient à l’Institut parisien et à sa Revue, ils ont continué à vivoter jusqu’à la mort de Mazon (1967) et puis de Vaillant (1977), après quoi les slavisants plus jeunes ont résolument rompu avec la tradition. La Revue cessa de paraître pendant quelques années3, puis elle renaquit sous le même titre (sans allusion aux méthodes et approches en vigueur). Pourtant, c’était au fond une revue totalement différente, les panoramas de grande envergure avaient disparu, comme avaient disparu la philologie et ce qui s’appelait « les antiquités », des méthodes bien différentes avaient pris le dessus… L’Institut et la Revue avaient surgi au xxe siècle, mais leurs fondateurs étaient des gens nés au xixe siècle dont le temps était révolu. Les coutumes, les modes, le style de vie et de conduite humaines avaient changé eux aussi. Il était inimaginable de voir Mazon paraître à l’Institut sans cravate, dans des souliers non cirés et un pantalon qui n’ait été fraîchement repassé. Je n’ai jamais remarqué un brin de duvet sur son vêtement, son pardessus ou son chapeau. Ses manières étaient élégantes, ses bons mots ne pouvaient jamais offenser. Au temps de notre rencontre au début des années 1950, il était la cible d’attaques brutales de la part de Roman Jakobson (né, il est vrai, lui aussi au XIXe siècle, mais bien éloigné de sa courtoisie) dans la discussion sur l’authenticité de la Geste du prince Igor. J’essayai de défendre Jakobson. Mazon se borna à répliquer :

36– Mais il n’est pas un gentleman.

37Et cette brève phrase discrète était d’une telle écrasante vérité qu’elle toucha exactement la cible et rendit inutiles les points sur les « i », pour constater qu’on ne pouvait admettre Jakobson, avec ses manières plébéiennes et sa goujaterie, au sein des gens honnêtes et polis. Cette courte remarque referma la discussion. Comment pouvais-je le contredire ?

38Mazon me reçut très chaleureusement. Nous allâmes prendre un en-cas ensemble à l’heure du déjeuner. Il m’offrit un tas de livres et se proposa de me les faire parvenir à l’endroit où j’étais descendu. Je logeais alors dans un petit hôtel de mauvais goût aux alentours, très humbles, de la gare du Nord. Je refusai, ne voulant pas révéler la modicité de mon budget. Mazon dut deviner le motif de mon embarras, mais il n’en montra pas le moindre signe. Une fois, il m’invita chez lui. Il habitait sur l’avenue de Suffren, large et calme, sans voitures et loin du métro (toujours plébéien). Son logement était au dernier étage d’une maison à plusieurs (sept ? huit ?) étages, typique de Paris dans les années où un ascenseur passait pour du luxe, et l’on ne pouvait l’utiliser qu’en montant : pour descendre, il fallait chaque fois prendre l’escalier. Les portes de l’ascenseur, inutile de le dire, ne coulissaient pas automatiquement, il fallait les refermer avec soin, sinon l’ascenseur ne démarrait pas. C’était sa fille, sans beauté et très taciturne, qui servait les plats, cuisinés par elle-même, mais les verres étincelaient sur toutes leurs facettes et la nappe amidonnée était d’une blancheur impeccable. Je touchai Mazon au cœur en employant un verbe au subjonctif*. Mazon le reprit. Il s’enthousiasma : personne, dit-il, n’utilise plus cette forme qui est pourtant parfaitement correcte. (Mon français était bien sûr une langue apprise, ni quotidienne, ni naturelle). Il porta un toast en mon honneur :

39– À mon compatriote !

  • 4 Mazon enseigne en effet le français dans cette ville de 1905 à 1908 (NDLR).

40De fait, Mazon avait été lecteur de français à l’Université de Kharkiv et avait vécu quelques années dans ma ville natale, avant la Première Guerre mondiale4.

41Pour sa Revue, Mazon me commanda un article sur les étapes de l’évolution de la langue ukrainienne. Je l’écrivis, on le traduisit à l’Institut, et il parut, avec un grand retard, dans la Revue… Je ne pense pas que l’article ait plu à Mazon, homme de tendance pro-russe. Mais finalement il le publia. Comme nous le savons, il était un gentleman.

42Il était en effet un homme de tendance pro-russe, comme la plupart des Français d’alors, il a fait beaucoup pour populariser la langue et la culture russes en France, mais il évitait autant que possible de parler le russe. Et quand il le faisait, c’était avec une prononciation et avec des accents français très marqués, qui paraissaient intentionnels. L’une de ses phrases, prise de La Geste du prince Igor, s’est gravée dans ma mémoire. Il la lisait : « Mstislav (avec le v voisé) zareza (avec le r grasseyé) Rededu (avec le r grasseyé et le y final aigu) pred polki kassojeski ». L’articulation délibérément française devait probablement exclure toute possibilité de commettre une faute de prononciation ou d’accent. J’avais toujours le soupçon qu’il était rusé et flatteur. Unbegaun, qui ne s’entendait pas bien avec Mazon (lequel, d’après ce qu’on disait, le cantonna à Strasbourg et l’empêchait de venir à Paris) – et qui finit par fuir la France et Mazon pour s’établir à Oxford, où il voulut être enterré, peut-être par défi envers Mazon et la France (ce qui s’est réalisé plus tard) – faisait lui aussi des allusions à ce trait du caractère de Mazon. Mais Unbegaun n’entrait pas dans les détails. Puisqu’il était, lui aussi, un homme du xixe siècle (comme il le soulignait lui-même) et… un gentleman.

43Mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre contre Mazon. Je me rappelle avec plaisir mes rencontres avec lui, sa barbiche en pointe, les varicosités sur son visage oblong et son affabilité, légèrement affectée toutefois.

44Du point de vue professionnel, je me sentais plus proche de Vaillant qui était linguiste. Et contrairement à moi, produit de l’éducation soviétique, il avait une solide formation indo-européaniste, avec une connaissance vraiment profonde du grec, du latin, du gotique, etc. Question méthodologie, cependant, il n’était pas à la pointe. Même si ses étymologies étaient souvent plus hardies qu’à l’habitude, cela n’en faisait pas un savant en quête d’approches nouvelles ; il restait un traditionaliste, bien qu’enclin aux affirmations osées, pour ne pas dire hasardeuses. Mais il avait un peu un tempérament de coq batailleur et aimait sans doute étonner et même épater son auditeur ou son lecteur, de temps en temps, par ses conjectures hardies. Il n’avait non plus aucune révérence pour l’exaltation de toutes les choses slaves, si répandue parmi les linguistes d’origine slave. En particulier, il avait plaisir à trouver des germanismes dans les langues slaves, souvent dans le lexique qui passait pour authentiquement slave. Il était en outre un sceptique par nature et rejetait ou renversait avec délice les manipulations et les outrances patriotiques.

45Sa manière de se comporter était très différente de celle de Mazon. J’ignore sa généalogie, il se peut qu’elle ait été noble, mais je me l’imaginais toujours plutôt comme fils de cordonnier ou de vigneron. Petit de taille, jambes courtes, un peu pansu, la moustache noire, les sourcils épais, il me rappelait Tartarin de Tarascon, et j’ai été très étonné quand j’ai su qu’il n’était pas originaire de Provence ou de Gascogne, mais de Soissons, au nord de Paris. Il me semblait parfois, je ne sais pourquoi, que, si l’on le déshabillait, il aurait été le plus poilu de toutes mes connaissances. Quand on fêtait son anniversaire, son collègue Pierre Pascal s’adressait à lui en le tutoyant. Il y avait une ligne de démarcation bien nette entre lui et moi, mais je n’aurais pas été surpris qu’il m’eût tutoyé. Et réciproquement. Car il avait de la sympathie pour moi et m’invitait parfois chez lui – non au déjeuner, un tantinet cérémoniel, mais plutôt pour prendre un verre de bon vin français accompagné de hors-d’œuvre.

46Traduit de l’ukrainien par Serhii Wakoulenko

Верх страницы

Заметки

1 Украïна : украïнознавство и французьке культурне життя = l'Ukraine : revue sous la direction d'Élie Borschak : études ukrainiennes : vie culturelle en France, 1949-1953, 10 numéros, accessible en ligne chtyvo.org.ua/authors/Ukraina_ukrainoznavstvo_i_frantsuzke_kulturne/ (NDLR).

2 Zeitschrift für slavische Philologie, Begründet von M. Vasmer, Berlin, 1924-, zsph.winter-verlag.de/ Slavia : časopis pro slovanskou filologii, Slovanský ústav, Praha, 1922-, ceeol.com/search/journal-detail?id=566 (NDLR).

3 1970-1972 ; 1974-1976 (NDLR).

4 Mazon enseigne en effet le français dans cette ville de 1905 à 1908 (NDLR).

Верх страницы

Чтобы цитировать эту статью

Ссылка в печатном виде

Serhii Wakoulenko, «Regard d’ailleurs : l’Institut d’études slaves vu par George Shevelov»Revue des études slaves, XCI 1-2 | 2020, 181-197.

Электронная ссылка

Serhii Wakoulenko, «Regard d’ailleurs : l’Institut d’études slaves vu par George Shevelov»Revue des études slaves [Онлайн], XCI 1-2 | 2020, Выложить онлайн 15 juillet 2021, Наводить справки в 29 mars 2024. URL: http://journals.openedition.org/res/3572; DOI: https://doi.org/10.4000/res.3572

Верх страницы

Автор

Serhii Wakoulenko

Université pédagogique Kharkiv, Ukraine

Статьи того же автора

Верх страницы

Авторские права

CC-BY-SA-4.0

The text only may be used under licence CC BY-SA 4.0. All other elements (illustrations, imported files) are “All rights reserved”, unless otherwise stated.

Верх страницы
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search