• 1 Son manuel faisait alors autorité, C. Stoliaroff, R. Chenevard, Introduction au russe, préface de (...)

1François-Xavier Coquin fait partie des historiens reconnus de la Russie qui n’a ni lien de famille avec ce pays, ni sympathie particulière pour le communisme et se situe « à égale distance des conformismes de droite comme de gauche » (Combats pour l’histoire russe, p. 33). Il s’est intéressé à l’URSS dans les années cinquante du siècle dernier, au moment où ses maîtres lui disaient que l’avenir était soit aux études arabes, soit aux études russes. Né d’une mère bordelaise et d’un père mayennais agrégé d’allemand, il entre à l’École normale supérieure en 1951, passe l’agrégation d’histoire en 1955, mais profite de son séjour dans l’établissement pour suivre les cours de russe de Valeria Edouardovna Stoliarova1. Dès 1958-1959, il effectue un séjour de recherche en URSS, tout de suite après les pionniers que furent ses congénères normaliens, Michel Aucouturier (1933-2017) et Claude Frioux (1932-2017). Il est ensuite pensionnaire de la Fondation Thiers (1959-1962), attaché de recherche au CNRS (1962-1963), maître-assistant à la Sorbonne (1963-1969). Il donne ses premiers articles à la Revue d’histoire moderne et contemporaine et aux Cahiers du monde russe et soviétique, puis à la Revue historique et à la Revue des études slaves.

• 2 C’est N. Karamzin qui parle du « bon exemple » dans sa préface à l’Histoire de l’État russe, en (...)
• 3 On lui doit encore « Un inédit de Marmontel : épître à Sa Majesté Catherine II », Revue des é (...)

2C’est en 1969 qu’il soutient sa thèse de doctorat, sous la direction de Roger Portal. Elle est consacrée à la colonisation de la Sibérie et publiée à l’Institut d’études slaves sous le titre : la Sibérie : peuplement et immigration paysanne au XIX^e siècle. Elle est l’une des premières études de fond réalisée hors de l’URSS sur l’un des grands terrains de l’expansion coloniale européenne. Certes, le scénario d’une extension « naturelle », due à la continuité territoriale, et pacifique, « par la seule force du bon exemple », est toujours défendu de nos jours en Russie. Toutefois, il est contesté à juste titre et le travail de F.-X. Coquin est un jalon important dans le tableau général du mouvement colonial2. La thèse complémentaire, publiée, en 1972, sous le titre la Grande Commission Législative (1767-1768) : les cahiers de doléances urbains marque un autre point d’ancrage important des recherches de F.-X. Coquin, le règne de Catherine II et l’image flatteuse du Despotisme éclairé que l’impératrice projette vers l’Europe des Lumières3. Les révolutions russes sont le troisième de ses sujets de prédilection. F.-X. Coquin est l’auteur du Que Sais-Je ? consacré à la Révolution de 1917, paru en 1962 et plusieurs fois réédité, jusqu’en 2005. Il devient un membre de l’Institut d’études slaves, assidu à ses assemblées générales, et rejoint le comité de rédaction de la Revue des études slaves (1990), ainsi que celui de la Revue d’études comparatives Est-Ouest.

• 4 Ces lacunes ont été en grande partie comblées depuis, Sophie Cœuré, Pierre Pascal : la Russie e (...)

5Le recueil Combats pour l’histoire russe, publié en 2011, réunit quinze contributions de l’auteur sur toute sa carrière et constitue son testament scientifique. Si ce combat est aussi un plaidoyer (p. 33), F.-X. Coquin refuse de s’engager dans « l’histoire dénonciatrice... comme si l’historien n’avait pas, de par son état, l’obligation d’instruire à décharge, non moins qu’à charge, au risque de se voir aussitôt suspecté de complaisance » (p. 27). Soucieux de rester ancré dans les sources, il privilégie la période tsariste, dont les archives lui ont été plus facilement ouvertes, tandis que les documents de la période soviétique restaient en grande partie sous le boisseau. À cet égard, il laisse percer une certaine frustration sur le caractère involontairement inachevé de son évocation de « Pierre Pascal en émigration (1916-1933) »4. Reprenant les articles-clés de F.-X. Coquin, le livre peut ainsi mettre en parallèle la conception de « l’État liturgique... où le souverain se considérait lui-même comme le “père spirituel” de ses sujets » qui se met en place sous Ivan le Terrible et la confession de Bakounine à Nicolas Ier trois siècles plus tard (p. 14). Il esquisse une sémiotique de la propagande visuelle, à travers le monument de Catherine II à Saint-Pétersbourg, celui de Pouchkine

• 5 Première parution dans Europe, 2006, janvier-févier, p. 283-307

6à Moscou, l’affiche révolutionnaire des années 1918-1921 à laquelle il confronte l’affiche contre-révolutionnaire et l’image de Lénine. Le dernier texte, qui lui tient visiblement à cœur, « Réflexions sur l’assimilation du stalinisme à l’hitlérisme »5, revient sur la question largement débattue des convergences et divergences entre les totalitarismes allemand et soviétique. En 2011, comme en 2006, F.-X. Coquin conclut sans hésiter que les deux « divergent en réalité sur l’essentiel » et que « cette pseudo- équivalence sert essentiellement aujourd’hui à diaboliser la Russie » (p. 28-29). Il n’hésite pas à ouvrir en quelques paragraphes un débat auquel, depuis 2014, l’annexion russe de la Crimée et la guerre du Donbass ont donné une intensité sans précédent. Nous sommes bel et bien face aux « nouveaux irrédentismes » et à la « nostalgie néo-impériale » que l’on pensait encore pouvoir conjurer il y treize ans, tandis que « les fenêtres ouvertes sur l’Europe par Pierre le Grand et ses successeurs » (p. 32) se ferment. Les combats militaires ont hélas repris. Celui de l’historien ne doit pas cesser.