1Ce numéro spécial marque les dix ans de RESET, revue que nous portons collectivement, au sein du comité de rédaction, avec un enthousiasme et une curiosité scientifique partagés, quel que soit le moment où nous l’avons rejoint. Comme dans chacun des numéros qui l’ont précédé, nous y mettons en avant des recherches actuelles s’intéressant à internet. Mais cet anniversaire nous offre également l’opportunité de porter un premier regard rétrospectif sur cette aventure éditoriale assez singulière et de revenir brièvement sur l’évolution du rapport de la sociologie et des sciences sociales à cet objet dans le champ académique français.
- 1 Voir, entre autres, Breton Philippe (2000). Le culte de l’Internet. Une menace pour le lien social (...)
- 2 Cet espace de publication devait contribuer à ouvrir le champ éditorial francophone au-delà de la r (...)
2Le projet de création de la revue remonte à la fin des années 2000, sa naissance et son positionnement éditorial étant révélateurs du contexte académique de cette période. Le projet de RESET s’est développé alors que la littérature consacrée à l’analyse d’internet était encore, de fait, assez limitée au sein des sciences sociales françaises. A fortiori sur le plan théorique, une partie des travaux existants pensaient l’apparition d’internet comme un changement social radical1, insistant sur une séparation grandissante entre un monde hors ligne « réel » et un monde en ligne « virtuel », ainsi que sur le caractère inédit des logiques sociales susceptibles de se développer dans ce dernier. C’est en réaction à ce type de perspective – dont plusieurs des auteurs mentionnés sont d’ailleurs revenus depuis – que l’idée de la revue RESET a émergé. Il s’agissait de proposer un espace de publication spécifique pour des recherches dédiées à certains aspects du fonctionnement d’internet et/ou du numérique2, en évitant de les aborder comme des innovations ex nihilo et en invitant à penser les transformations qui en découlent moins comme des « révolutions » que comme la prolongation ou la reconfiguration de processus sociaux ou de formes sociales existants. Pour cela, la réactivation de questionnements transversaux, voire fondateurs aux sciences sociales semblait pertinente et c’est ce qui a guidé et guide encore le choix des thématiques des numéros.
- 3 Voir le numéro n°116 de Réseaux, « Parcours sur Internet », co-dirigé par Valérie Beaudouin et Chri (...)
- 4 Voir notamment Cardon (2008) et Beuscart et al. (2009).
3Le contexte académique était également marqué par l’état encore balbutiant et déséquilibré de la littérature dédiée aux questions méthodologiques autour des enquêtes sur ou avec internet. Les questionnements de méthodes commençaient à faire l’objet de publications académiques dans le monde anglophone, notamment autour de l’ethnographie en ligne (Hine, 2000 ; boyd, 2008 ; Gatson & Zweerink, 2004 ; Kozinets, 2009 ; Mason, Coffey & Atkinson, 2005). Toutefois, en France, à l’exception de quelques travaux réflexifs interrogeant les liens entre les méthodes classiques et les possibilités d’enquête sur internet (Berry, 2012 ; Boutet, 2008 ; Héas & Poutrain, 2003 ; Pastinelli, 2011 ; Zabban, 2009 ; Béliard & Brossard, 2012), rares étaient les articles, dans les années 2000 et au début des années 2010, qui réfléchissaient aux conditions concrètes d’adaptation des méthodes de nos champs de recherche, voire, le cas échéant, au besoin d’en inventer de nouvelles. Plus précisément, certaines enquêtes avaient ouvert des pistes empiriques importantes, comme TypWeb puis SensNet autour des traces d’usage3 ou comme le projet AUTOGRAPH sur la cartographie des réseaux sociaux4, mais les manuels d’enquête n’intégraient pas encore cette réflexion sur l’analyse du web et des données alors disponibles en ligne. Si depuis, plusieurs ouvrages francophones ont commencé à combler ces manques (cf. Barats (dir.), 2013 ; Beuscart et al., 2019 [2016]), un enjeu fort au niveau méthodologique se posait, à cette période, pour les chercheur·es qui se lançaient dans des enquêtes où internet semblait dorénavant offrir des terrains incontournables : sous quelles conditions conduire des enquêtes qualitatives et quantitatives en ligne, et avec quels résultats ? Le détour par des travaux anglophones paraissait indispensable, comme en témoignent les références évoquées il y a quelques lignes, mais aussi parce qu’il se développait un espace éditorial spécifique en anglais, marqué par des revues comme First Monday (publiée dès 1996 sur un modèle open-access) ou New Media & Society (publiée à partir de 1999 chez SAGE).
4Dans ce contexte enfin, les masterant·es ou doctorant·es qui, face à leur sujet de recherche, se trouvaient à devoir effectuer une partie de leur terrain « sur internet » ou osaient même faire d’internet ou du numérique leur objet principal d'interrogation, restaient dispersé·es, du fait de leurs appartenances disciplinaires, et de cette réflexion méthodologique encore hésitante au sein des sciences humaines et sociales. Malgré quelques tentatives, à l’image du Groupe de Recherche (GDR) « TIC & Société » du CNRS mis en place à partir de 2002 (Brousseau & Moatty, 2002) qui a permis des rencontres pluridisciplinaires, notamment lors de ses doctoriales jusqu’en 2008, les espaces universitaires institutionnalisés pour faire se croiser les travaux et les approches traitant de ces sujets étaient peu nombreux en France au tournant des années 2010. RESET trouve justement son origine dans la rencontre de doctorant·es et jeunes docteur·es en sociologie qui travaillaient sur des thématiques variées (santé, culture, relations amoureuses, etc.) mais qui partageaient un même intérêt pour l’étude d’espaces et de pratiques se déroulant en ligne, et dans leur envie de créer des lieux de partage et de discussion liés à l’enquête sur internet. Leurs échanges ont commencé à prendre un tour plus formel le 22 avril 2009 sous la forme d’une journée d’étude intitulée « Pratiques ethnographiques sur Internet » à l’École Normale Supérieure (ENS), sur le campus Jourdan, avant de se prolonger sous la forme d’un séminaire doctoral conjoint à l’ENS et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), intitulé « Ethnographie et Statistiques sur Internet » et organisé deux ans durant, entre 2009 et 2011. Ces deux démarches ont réuni progressivement toute une partie des personnes qui formeront le premier comité de rédaction de la revue (Anne-Sophie Béliard, Marie Bergström, Manuel Boutet, Baptiste Brossard, Samuel Coavoux, Éric Dagiral, Sébastien François) et dont plusieurs continueront à contribuer à la diffusion de travaux, d’enquêtes, de manuels, de réflexions théoriques et méthodologiques sur la prise en compte d’internet et des outils numériques par la sociologie (par exemple : Bergström, 2019 ; Beuscart et al., 2019 [2016] ; Martin & Dagiral, 2016, 2021 ; Coavoux & Roques, 2020).
- 5 https://journals.openedition.org/reset/329
- 6 Une première version de la revue, désormais inaccessible en ligne, a existé sous la forme de deux p (...)
- 7 Ces réunions ont en réalité presque toujours lieu sous un format hybride, en raison de la dispersio (...)
5La création de RESET visait donc, à l’origine et comme le note le texte de présentation générale de la revue, à combler un vide dans le paysage éditorial francophone en proposant une « plateforme éditoriale consacrée aux études prenant internet comme objet et/ou comme méthode » sans penser les études sur internet comme « des études ‟à part” »5. La concrétisation de ce projet a été marquée par des choix structurants pour le fonctionnement de la revue, qui guident encore son organisation et ses logiques de publication. Tout d’abord, laisser une place importante aux jeunes chercheurs et chercheuses : à ses débuts, l’ensemble du comité de rédaction n’était ainsi composé que de chercheur·es inscrit·es en doctorat ou en tout début de carrière, et le renouvellement du comité tend à garder cette spécificité, même s’il est aujourd’hui plus mixte (voir la section qui y est consacrée plus bas). Ensuite, proposer une revue en ligne, sans version papier et en open-access, afin de limiter les coûts de production mais surtout d’en faciliter l’accès et la lecture au plus grand nombre. Cette publication en ligne a été permise par OpenEdition que nous remercions tout particulièrement à l'occasion de cet anniversaire6. Enfin, fonctionner sur un statut associatif, afin de garder une forme d’indépendance par rapport aux institutions : même s’il y a eu quelques tentatives (infructueuses) pour s’adosser au départ à des laboratoires de recherche, en particulier ceux auxquels appartenaient les membres fondateurs, la revue ne fonctionne encore aujourd’hui que par la contribution bénévole des membres de son comité de rédaction et sur le travail des coordinateur·ices des numéros, sans personnel de renfort pour l'édition ou les échanges avec les auteur·ices, comme avec les relecteur·ices. Les laboratoires de rattachement des membres du comité, qui accueillent certes régulièrement dans leurs locaux les réunions du comité de rédaction7, ne jouent donc qu’un rôle de soutien indirect et non engageant. En revanche, nous sommes très redevables à tous les chercheur·es qui ont apporté leurs conseils et leur soutien d’estime à notre projet, plusieurs ayant rejoint le comité scientifique consultatif de la revue, à savoir, à l’origine, Nicolas Auray, Anne Beaulieu, danah boyd, Dana Diminescu, William Dutton, Nicole Elison, Cécile Méadel et Olivier Voirol, rejoints plus tard par Robert Ackland et Pierre Mercklé.
- 8 https://journals.openedition.org/reset/90
- 9 https://journals.openedition.org/reset/329
6L’ensemble de ces réflexions inaugurales et de ces choix éditoriaux a abouti à la publication d’un premier numéro de la revue en octobre 2012, intitulé « Classes sociales 2.0 »8 et a accompagné celle des 11 suivants. Le titre de notre revue, RESET, est aussi le fruit de ce processus, puisqu’au-delà de l’acronyme approximatif de « REcherches en Sciences sociales sur internET », celui-ci a fait consensus au sein du premier comité de rédaction pour affirmer qu’il ne s'agit jamais de tout réinventer dans les recherches en sciences sociales sur internet. Réminiscence du bouton « RESET » des premières consoles – l’imaginaire des jeux vidéo étant plutôt partagé au sein du comité –, le terme renvoyait aussi à celui de l’informatique, comme en témoigne cet extrait de la présentation de la revue toujours en ligne sur son site web : « lorsqu’un ordinateur redémarre, sa configuration se met à jour, mais le système d’exploitation reste le même »9.
- 10 https://journals.openedition.org/reset/4127
7Le « système d’exploitation » de la revue lui-même, c’est-à-dire le processus sur lequel s’est accordé le comité de rédaction pour aller d’une idée de numéro à sa publication est quant à lui également resté stable depuis les débuts de RESET. Qu’il émane de membres du comité ou, plus récemment, de l’appel permanent à numéro thématique10, le point de départ d’un dossier s’inscrit dans la continuité des partis pris de la revue présentés ci-dessus. Il n’est en effet jamais un phénomène « purement numérique » – si tant est que ce soit possible – ou une innovation technologique, aussi intéressante et massive soit-elle, mais bien la reprise de notions, de questionnements, de travaux plus ou moins « classiques » en sciences sociales, appliqués à internet et plus largement aux technologies et usages numériques. Des objets de recherche qui ont marqué l’émergence ou le développement de la sociologie, des concepts travaillés abondamment par une ou plusieurs sciences sociales, ou encore des débats théoriques récurrents dans ce domaine qui commence à avoir lui aussi sa propre épaisseur historique (Cardon, 2019), sont remobilisés pour observer ce qui change (ou non), ce qui résiste (ou non), et pour continuer à en éprouver – au sens fort – la portée heuristique. Il n’est donc pas étonnant de retrouver en intitulé des numéros des sujets comme les classes sociales, la famille, la religion, ou les apprentissages pour n’en citer que quelques-uns (voir la section infra, pour une mise en perspective).
- 11 Trace de l’avance des travaux anglophones dans le domaine, la revue s’est d’emblée placée dans une (...)
8Cette exigence se concrétise également dans la préparation des appels à contributions de RESET qui sont plutôt longs (entre 15 000 et 20 000 signes, parfois plus) en comparaison de nombreuses revues française ou internationales, et il en va de même des introductions des numéros qui dérivent de ces appels. Cette amplitude trouve sa raison d’être dans le fait qu’ils sont chaque fois envisagés comme des boussoles pour ancrer les thématiques et questionnements dans une histoire longue des sciences sociales et aussi pour guider les jeunes chercheurs et chercheuses : ceux-ci ont certes accès à davantage de synthèses et de manuels en langue française qu’au tournant des années 2010 (tels Boullier, 2019 [2016], Beuscart et al., 2019[2016] ou Cardon, 2019), mais il n’est pas toujours facile de disposer en français d’états de l’art sur des entrées plus précises ou plus transversales que les présentations des cultures numériques contemporaines ne le permettent. Plus qu’une annonce problématisée des articles des numéros, les introductions se veulent ainsi des points de repères dans les littératures principalement francophones et anglophones11, et le comité a toujours grand plaisir à les découvrir et à les polir sous l’égide des coordinateur·ices.
9Ces dernier·e·s sont bien la clé de voûte des numéros tant dans la préparation des appels qui susciteront les propositions, qu’en aval, dans l’accompagnement des auteur·ices sélectionné·es dans la suite du processus éditorial. Le comité impose deux relectures en double-aveugle des résumés (effectuées en interne par des membres du comité), puis deux relectures en double aveugle pour les premières versions des articles retenus (à savoir une expertise interne au sein du comité et une expertise externe). Nous profitons d’ailleurs de ce numéro pour remercier de nouveau tous nos relecteur·ices, grâce à qui le niveau de qualité s’est maintenu de numéro en numéro, avec une reconnaissance toute particulière envers les trente relecteur·ices qui nous font l’amitié de rejoindre notre nouveau « comité éditorial » en 2024. Quant aux coordinateur·ices, leur rôle est d’animer ces processus de sélection et d’en être le relai auprès des auteur·ices : leur soutien à l’écriture sur certains articles a souvent été décisif et nous les remercions pour leur investissement.
10Nous ajouterons que l’un des critères de sélection articles retenus pour publication dans RESET reste l’attachement au travail d’enquête sur lequel reposent les résultats et conclusions. Même aux premières heures de la revue (voir les numéros 1 à 3), lorsque des rubriques connexes au dossier thématique ont été ouvertes, comme « Actualité des classiques » (qui cherchait à accueillir des contributions qui discutaient explicitement des auteur·ices et/ou des théories classiques face à internet) ou « Perspectives » (qui proposait d’emblée des ouvertures disciplinaires, au-delà de la sociologie et des SIC), il était clair pour le comité de rédaction que tous les articles se devaient de présenter une démarche empirique solide. Ainsi, les revues de littérature, les textes programmatiques ou les articles théoriques ont jusqu’ici été systématiquement refusés pour privilégier les enquêtes de terrain dans toute leur diversité, ce que nous réaffirmons dans chaque appel.
11Sans déroger à cette exigence empirique – bien au contraire –, le présent numéro a cependant partiellement dérogé à nous coutumes éditoriales, puisqu’il est issu d’une journée d’étude organisée le 24 mars 2023 et intitulée « Objets numériques, objets sociaux. 10 ans d’enquête en sciences sociales sur internet », pour laquelle le comité a sollicité des chercheur·es dont les travaux récents étaient proches de l’esprit qui a présidé au développement et à l’épanouissement de la revue. Exceptionnellement, les contributions de ce numéro spécial n’ont pas été soumises au processus habituel de sélection, puis de relecture en double-aveugle, laissant place à des relectures en interne au sein du comité de rédaction, sans anonymisation. Néanmoins, nous sommes heureux·ses et fier·es de pouvoir vous présenter l’état de ces recherches, qui mêlent les travaux de titulaires déjà établis comme ceux de jeunes chercheur·es. Avant d’entrer plus avant dans la présentation des sections et articles qui composent le numéro, nous voudrions évoquer, pour finir, quelques premiers enseignements plus quantitatifs et qualitatifs que nous tirons de cette expérience éditoriale.
12La présentation du fonctionnement et des règles de la revue nous conduit dans ce troisième temps à évoquer de façon synthétique la composition de son comité de rédaction et son évolution au cours de plus de dix années, pour porter ensuite un regard sur les articles produits et fournir quelques éléments de caractérisation de leurs auteur·ices.
13Comme expliqué plus haut, l’idée de la revue a été élaborée par un groupe de doctorant·es curieux·ses de réfléchir ensemble et d’intégrer une variété d’enjeux associés à l’étude d’internet. Qu’il s’agisse d’un intérêt spécifique pour cet objet technique et/ou de sa prise en compte plus ponctuelle au sein de leurs analyses de sciences sociales – depuis une perspective de sciences sociales. Plus spécifiquement, pour l’essentiel de l’équipe fondatrice comme de ses membres ultérieur·es, la sociologie constituait le plus souvent la discipline première de formation et d’inscription en thèse. Entre 2009 et 2012, année de parution effective du premier numéro de RESET, ce petit groupe de 7 puis 8 « jeunes » chercheur·es a œuvré à imaginer ses règles (cf. section précédente), à permettre son fonctionnement et rendre ses textes accessibles.
- 12 Tout d’abord avec l’arrivée de Francesca Musiani, puis celle de Vinciane Zabban. Gabriel Alcaras, p (...)
- 13 Ces dernières années ont été convié·es Anne-Sylvie Pharabod, Céline Borelle puis Clément Mabi.
- 14 Le membre le plus récent, Valentin Goujon, réalise sa thèse à la date de parution de ce texte intro (...)
14Entre 2012 et aujourd’hui, 19 membres au total ont occupé la fonction de membre du comité de rédaction, un comité qui par ailleurs est entièrement horizontal depuis ses débuts, et qui ne s’est jamais doté de directeur‧ice de rédaction. De 8 membres actifs initialement, le comité de rédaction a progressivement compté entre 9 et – en 2024 – 13 membres, de façon à accompagner le développement de la revue. Au fil des ans, le comité de rédaction s’est d’abord renouvelé, toujours par cooptation, et prioritairement via l’intégration de collègues en cours de doctorat ou de post-doctorat12. Ce n’est que plus récemment que des chercheur·es titulaires, disposant d’un poste pérenne ou apparenté, ont pour la première fois rejoint RESET, à trois reprises13. Au cours de cette dizaine d’années, le statut des membres du comité de rédaction a souvent évolué. Fait notable, de doctorant·e, la quasi-totalité des membres du comité sont parvenu·es à accéder à un poste de titulaire. Le plus souvent, il s’est agi d’un poste d’enseignant‧e-chercheur‧e (pour 10 personnes), mais également de chercheur·e pour trois d’entre elle·ux. Pour autant, si le comité de rédaction s’est donc, par vieillissement, peuplé de titulaires, la revue réaffirme son souci de continuer à intégrer de jeunes chercheur·es au sein de son comité de rédaction14. Cette préoccupation vise à garantir le renouvellement du comité, des thématiques de recherche portées par ses membres et des méthodes d’enquête pratiquées, et à éviter une rupture générationnelle entre le comité et les jeunes chercheuses et chercheurs qui investissent internet et le numérique comme objet et/ou terrain. Enfin, soulignons qu’en termes de genre, si le comité comptait au départ nettement plus d’hommes que de femmes, ce ratio s’est sensiblement rééquilibré au fil des années (avec 6 femmes et 7 hommes aujourd’hui), même si au total, sur les 19 membres passés ou présents, on compte 7 femmes et 12 hommes.
15La question des disciplines d’inscription des membres du comité de rédaction n’est pas chose aisée au premier abord : les appartenances peuvent être plurielles, connaître des distinctions entre la formation initialement réalisée, le type de recherches effectivement conduites et la discipline d’affectation dans telle ou telle institution. La situation peut toutefois être décrite simplement : la sociologie constitue la discipline de formation et de rattachement de l’essentiel des membres passés et présents du comité de RESET, devant les sciences de l’information et de la communication d’une part (discipline de rattachement de deux d’entre elle·ux) et les études sur les sciences et les techniques ou Science & Technology Studies (à nouveau pour deux d’entre elle·ux). Ces rattachements n’empêchent pas d’ailleurs aux collègues inscrit·es dans ces disciplines d’entretenir des rapports étroits avec la sociologie, mais aussi la science politique, ou encore l’anthropologie. Enfin, compte tenu de l’objet dont s’est doté la revue, les liens avec les sciences de l’information et de la communication dans leur appellation francophone, mais également avec les communication studies, sont tout à fait conséquents.
16D’une petite équipe de thésardes et de thésards ou de tous jeunes docteur·es autour de 2009, le comité de rédaction a donc élaboré cette revue à mesure d’entrées toujours très incertaines dans la profession. Il s’est progressivement étoffé au fil des années pour accomplir le travail d’animation, d’évaluation et d’éditorialisation propre à une revue soucieuse de produire et d’inviter à produire des numéros thématiques – plutôt que des numéros de varia.
17Ce numéro anniversaire est finalement le 13ème à voir le jour : contrairement aux anniversaires des auteur·ices de la revue, qui connaissent des dates fixes au moins en partie administrativement définies, l’acte de naissance d’une revue est par essence plus difficile à établir, et peut fluctuer. Pour en juger, du temps a passé depuis l’évènement anniversaire lui-même, des textes ont été mis en chantier, et ce numéro paraît donc en 2024, soit 12 ans après le premier numéro mis en ligne en 2012, lui-même paru quelques années après les premières préfigurations de ce que deviendrait la revue RESET. Bien qu’il s’agisse donc d’une revue encore jeune, il est d’usage de fournir quelques caractéristiques du travail accompli et de proposer quelques éléments de description de la production réalisée à l’occasion des 12 numéros déjà parus, à un moment charnière qui voit la revue engager la parution de deux numéros par an au lieu d’un. Notre objectif est donc moins ici de tirer un quelconque bilan que d’exposer quelques éléments simples de la production de la revue, en insistant plus spécifiquement sur les thèmes traités jusqu’ici, ainsi que sur les auteur·ices qui y ont publié.
18Le tableau suivant reprend les thèmes des 12 numéros parus précédemment en rappelant leur date de parution et leur numéro. Un premier regard, même rapide, permet d’abord de souligner combien les thèmes ont été choisis pour leur variété, c’est-à-dire plutôt pour accroitre la couverture thématique d’une revue pourtant spécialisée, et éviter en cela les répétitions thématiques trop nettes entre les numéros.
Tableau : Liste des dossiers thématiques publiés par RESET, par année de parution (2012-2023)
Année/n°
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Titre du dossier thématique
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2012/n° 1
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Des classes sociales 2.0 ?
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2013/n° 2
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Des troubles en ligne. Les recompositions des enjeux de « santé mentale » sur internet
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2014/n° 3
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TIC, familles et célébrations
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2015/n° 4
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Les mondes du jeu
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2016/n° 5
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La critique culturelle : déclin ou hégémonie ?
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2017/n° 6
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Patrimoine et patrimonialisation numériques
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2018/n° 7
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Formes et mouvements politiques à l’ère numérique
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2019/n° 8
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Genre & internet. Sous les imaginaires, les usages ordinaires
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2020/n° 9
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Les pratiques religieuses et internet
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2021/n° 10
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Savoirs incertains. Étudier « complots » et « vérités » à l’ère numérique
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2022/n° 11
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Codes. L’informatique comme elle s’écrit
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2023/n° 12
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Technologies numériques et apprentissage
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19Il n’est pas question ici d’entrer dans le détail des numéros, ce que la lecture des introductions aux dossiers se charge déjà de faire. Il s’agit plutôt de relever l’articulation de thèmes tantôt fortement associés à l’étude d’internet en sciences sociales tels que la famille, la politique ou le jeu, et d’autres moins saisis jusqu’alors comme tels, dans l’espace francophone au moins : classes sociales, religion ou même, plus récemment, apprentissage. Ces choix prolongent le souci, présenté dès l’ouverture de la présente introduction, de réancrer l’étude des techniques d’information et de communication dans une pluralité de pratiques sociales et de contextes d’usage, en ayant une attention pour des thématiques classiques des sciences sociales, si l’on pense par exemple à celle de la religion. Selon les cas, les situations sont alors très différentes : dans certaines situations, l’existence de travaux en nombre est connue des membres du comité, et alors les espaces de circulation des appels et incitations éventuelles sont évidents, quand dans d’autres, le lancement d’un appel relève bien plus d’un pari.
- 15 Seulement quatre y ont en effet publié plus d’un papier, généralement une introduction et un papier (...)
20Depuis 2012, ces 12 premiers numéros thématiques ont permis de faire paraître un total de 78 articles, en faisant le choix d’inclure leurs introductions et leurs éventuels varia associés. On peut donc comptabiliser 66 articles originaux et 12 introductions disponibles à la fois en français et en anglais. La totalité de ces publications ont au total 117 auteur·ices signataires. L’immense majorité d’entre ell·eux sont auteur·ices d’un unique papier, ce qui donne un total de 112 auteur·ices « uniques », ou distinct·es, ayant publié dans la revue15. Cet élément est intéressant en ce qu’il rend visible à la fois la variété des auteur·ices publiant dans la revue, et en miroir l’évitement de multi-publications des membres concernés et investis, à commencer par les membres du comité de rédaction, qui à cette date sont encore nombreux‧ses à n’y avoir pas encore publié. Si, comme pour toute revue, de très nombreux articles au fil des années n’ont pas été retenus ou ont été abandonnés en cours d’écriture, beaucoup d’autres ont été délibérément soutenus et accompagnés de façon intensive, comme c’est souvent la marque des revues jeunes.
21Que sommes-nous en mesure de dire des auteur·ices ayant publié dans RESET ? Un premier mot, pour commencer, sur la langue de publication de leur choix. La revue propose de publier indistinctement en français ou en anglais : un·e auteur·ice francophone peut ainsi souhaiter publier préférentiellement en anglais, un·e auteur·ice publiant d’habitude en anglais peut choisir de publier en français, mais l’idée initiale était surtout de pouvoir inviter des auteur·ices publiant en anglais à pouvoir le faire dans RESET. À nouveau, ceci a un coût très concret : celui de la double publication des appels en français et en anglais. Comment cette possibilité offerte aux auteur·ices s’est-elle traduite depuis 12 ans ? Si l’on écarte – bien que ce soit fondamental pour la revue – les douze versions anglaises des introductions de numéros, 14 articles originaux sur 66 l’ont été en anglais, soit plus d’un article sur cinq. Si l’on inclut les introductions en anglais (en comptant alors deux fois les introductions), la part de textes disponibles en anglais sur le portail de RESET atteint les 29 %.
22Pour finir cette analyse, nous proposons de rapides résultats relatifs au genre, au statut au moment de la parution, ainsi qu’à la discipline d’appartenance.
23En matière de genre, la revue a permis de publier au moins un article à 56 femmes et à 61 hommes, mettant en évidence une propension à un presque équilibre, bien que des variations notables puissent s’opérer en compulsant les sommaires de tel ou tel numéro : ainsi les 7 articles qui composent le numéro « Codes » sont-ils écrits exclusivement par des hommes, ceci au grand dam de ses coordinateurs, encore renforcé compte tenu du thème du numéro !
24Sensiblement plus détaillé, un second point d’analyse doit permettre de qualifier le statut des auteur·ices autour du moment de la publication de l’article qu’ils ont écrit ou contribué à écrire. Si RESET est et demeure encore une jeune revue, initiée par des chercheur·es d’« âge académique » initialement particulièrement jeune lui aussi, qu’en est-il des personnes qui y publient ? Il n’est pas toujours aisé à établir compte tenu de la période allant de 1 an et demi à 2 ans et demi que peut représenter l’ensemble du processus de publication sur la base d’un résumé : il arrive, et ce n’est pas rare, que ce statut change, notamment pour les jeunes auteur·ices entre une fin de thèse et une poursuite en post-doctorat, et l’obtention d’un poste. En privilégiant le statut des auteur·ices à la date de parution de l’article, une image même grossière se dessine toutefois. Un premier résultat est celui d’un quasi-équilibre entre la part des publiant·es non-titulaires (environ 49 %) et titulaires (environ 51 %). La revue publie autour de 26 % d’auteur·ices en cours de thèse, et environ 23 % à l’étape du post-doctorat, bien que cette frontière, nous l’avons dit, soit parfois difficile à marquer fermement.
25Quasiment la moitié des auteur·ices publié·es sont en thèse, en post-doctorat et/ou dans l’attente d’un poste, quel que soit leur statut d’emploi au moment de la parution. Pour la seconde moitié, celle des publiant·es titulaires d’un poste dans l’enseignement supérieur et la recherche, la répartition penche du côté des « rang B », les maître·sses de conférence et assimilés (environ 30 %) et les chargé·es de recherche (autour de 11 %) étant rejoints par une part de « rang A » (professeur·es des universités et assimilé·es, directeur·ices de recherche…) estimée à 10 %.
26Évoquons enfin la question déjà abordée à plusieurs reprises dans cette introduction des disciplines et de l’interdisciplinarité, cette fois-ci à partir des auteur·ices. Il va sans dire que l’attribution d’une disicipline aux auteur·ices n’est là aussi pas un exercice facile, et est même problématique à plus d’un titre compte tenu des parcours souvent enchevêtrés des unes et des autres, dans et entre plusieurs disciplines, cet état de fait étant encore accentué par le type d’objets de problématisations au cœur de la revue. Dans cette optique, la rapide et fragile description qui suit est aussi le reflet d’un état du champ, toutefois étroitement articulé aux origines de la revue, qui contribuent à fonder son positionnement. En privilégiant la discipline d’inscription du poste pour les titulaires, et celle d’inscription en thèse pour les non-titulaires, trois grands ensembles, pas toujours si étanches que cela, apparaissent. Le premier est formé par des auteur·ices premièrement inscrits en sociologie (et estimé autour de 45 % des publiant·es de la revue). Le second regroupe des auteur·ices situé·es centralement en sciences de l’information et de la communication (pour la désignation francophone) et en communication and media studies (pour une désignation anglophone), soit approximativement 26 % des personnes ayant publié dans RESET. Le reste consiste en un ensemble plus disparate mais ô combien important en volume (autour de 29 % des auteur·ices), de disciplines plus faiblement représentées, au moins en tant que discipline principale d’appartenance : il s’agit d’abord des STS, de l’ethnologie/anthropologie, mais aussi de l’histoire et de la psychologie (souvent à l’aune d’un numéro thématique spécifique pour ces deux dernières, sur la patrimonialisation pour l’un et sur les « troubles » mentaux en ligne pour l’autre). Quelques occurrences d’auteur·ices inscrit·es prioritairement en science politique et en sciences de l’éducation sont, de la même façon, repérables. Enfin, le droit, l’informatique, la géographie, les lettres et la philosophie complètent ce tableau.
27Ce numéro anniversaire présente la particularité de proposer des articles aux formats variés qui ne correspondent pas exactement au format habituel de la revue. Suite à la journée d’étude des 10 ans de RESET, le choix a en effet été fait de laisser aux auteur·ices une liberté plus grande dans la rédaction d’articles issus des présentations qu’ils et elles avaient faites à l’oral. Qu’ils et elles soient chaleureusement remercié·es pour avoir participé à notre évènement de mars 2023, puis pour s’être livré·es, pour la plupart, à ce travail d'écriture, qui scelle officiellement les 10 ans de RESET par ce numéro spécial.
28Le présent dossier est donc un recueil de textes inédits qui se distinguent les uns des autres par leurs objets, leur statut et leur longueur mais dont la combinaison offre un contenu riche et un large panorama des enjeux actuels et à venir de la recherche en sciences sociales sur internet. Il compte au final huit articles, que nous avons organisé en trois thématiques :
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influenceurs et médias numériques, avec les textes de Valérie Beaudouin, Jaércio Da Silva et Quentin Gilliotte ;
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plateformes, avec ceux de Clément Mabi et Lizzie Richardson ;
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capitalisme numérique et contestation, à travers les contributions d’Olivier Alexandre, de Victor-Manuel Afonso Marques et d’Aube Richebourg.
29Des introductions thématiques présenteront plus en détail ces trois sections et leurs articles, dont nous espérons qu’elles reflèteront chacune encore une fois « l’esprit RESET ».
30Enfin, ce treizième numéro de RESET accueille avec plaisir deux articles hors dossier thématique. On retrouvera en varia deux enquêtes originales : celle de Thomas Jammet et Maël Dif-Pradalier, qui s’intéresse aux dynamiques contradictoires d’autonomisation et de contrôle dans l’accompagnement numérique des demandeurs d’emplois ; et celle de Julien Figeac, Anne-Sophie Béliard, Laëtitia Bideau et Liza Rives, qui s’intéresse aux pratiques de (non-)consommation d’informations anxiogènes sur les réseaux sociaux numériques, au moment de la pandémie de Covid-19.