1Alors que le terme « urbanisme » a été forgé par Ildefonso Cerdá en 1867 dans sa Théorie générale de l’urbanisation et que la Société française des urbanistes est créée en 1911, sa reconnaissance institutionnelle comme discipline scientifique à part entière s’avère relativement récente en France. En effet, c’est seulement en 1992 qu’une section lui est attribuée au Conseil national des universités, ouvrant la possibilité de soutenir des thèses dans ce champ. Ainsi peut-on noter l’existence d’un décalage entre l’urbanisme comme pratique professionnelle constituée comme telle à la charnière du xixe et du xxe siècle et l’urbanisme comme champ scientifique dont l’autonomie n’est reconnue que depuis une vingtaine d’années. Si l’organisation concrète de la ville est bien évidemment porteuse d’enjeux théoriques, comme en témoigne l’anthologie de textes dirigée par Françoise Choay (1965), il n’en demeure pas moins que la reconnaissance de leur légitimité scientifique et de leur autonomie disciplinaire demeure fragile. Comment comprendre cette difficulté ? En raison du caractère hybride de l’urbanisme qui comprend un versant théorique et un versant opérationnel, de sorte que la production de connaissances possède toujours une articulation avec le faire et la production d’effets extérieurs distincts. Penser l’organisation de la ville implique nécessairement une réflexion sur la manière de la mettre en œuvre, qui n’est pas dénuée de perspectives normatives semblant alors mettre à mal l’exigence de « neutralité axiologique » à laquelle appelle Max Weber dans l’élaboration des connaissances (1965b [1917], p. 420). En effet, il s’agit bien de l’améliorer et de la rendre, sinon plus harmonieuse, du moins plus efficiente.
2En ce sens, l’urbanisme relève moins d’une praxis au sens aristotélicien, comme tend à le soutenir Pierre Merlin (1991, p. 57), que d’une technè : alors que la praxis est une activité qui ne produit aucune œuvre distincte de l’agent (tel le fait de marcher ou de s’asseoir), la technè est un ensemble de procédés servant à produire un certain résultat préalablement évalué et voulu comme tel (Aristote, 1997, p. 31). Or l’urbanisme semble bien écartelé entre une prétention scientifique à dire ce qu’est l’urbain et une composante technique à formuler des méthodes pour bien fabriquer ce dernier, même si force est de reconnaître que ces dernières ne vont pas de soi (Merlin, 1991, p. 55). Cette dimension mélioriste se trouve affirmée dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse qui le définit comme « l’art de disposer l’espace urbain ou rural au sens le plus large […] pour obtenir son meilleur fonctionnement et améliorer les rapports sociaux ». Ainsi l’analyse théorique emprunte-t-elle un certain nombre de cadres épistémologiques à d’autres disciplines qui se préoccupent également de l’espace au sens large, comme la géographie ou la sociologie. Mais son inévitable articulation à la question du faire et même du bien faire, ou à défaut du faire mieux, d’une part lui interdit de les reprendre comme tels, ce qui induit un certain nombre de déplacements conceptuels, et d’autre part l’oblige à assumer pleinement la tension entre son inévitable rapport aux valeurs dans l’explication des faits (Weber, 1965b [1917], p. 434), et l’interdiction de formuler uniquement « ce qui doit valoir » (ibid., p. 420), sans l’étayer par une analyse de ce qui est, faute de quoi il deviendrait pure et simple idéologie.
3L’urbanisme se tient ainsi sur la ligne de crête de ce qu’Aristote nommait la science poïétique, à savoir la disposition à produire accompagnée de règles exactes (Aristote, 1997, p. 282 et suiv.), celles-ci étant marquées du sceau de l’ambiguïté entre ce qui est et ce qui doit être, et étant soumises à des réévaluations constantes. Sans science de l’urbain tel qu’il est, on ne peut développer des méthodes pour le produire au mieux. En raison de cette articulation problématique entre science des faits et méthodes prescriptives révisables pour les façonner, faisant de l’urbanisme une science appliquée, selon le constat ancien déjà établi par Patrick Geddes (1905, p. 111), on peut effectivement parler d’un manque d’évidence de son épistémologie (Pinson, 2004, p. 506) et prendre acte d’une relative instabilité de ses règles et concepts. Si l’urbanisme ne peut être l’art de produire ou de changer la forme physique des villes que parce qu’il est la science de l’urbain et de sa transformation, il est évident que son versant théorique ne peut être de même nature que celui des sciences purement spéculatives. Est-ce à dire cependant que sa prétention scientifique comme discipline soit caduque ? Nullement.
4En effet, les difficultés rencontrées par l’urbanisme se retrouvent dans les sciences humaines en général, même si elles se voient exacerbées par son caractère disciplinaire mixte, entre science et production. Pourquoi ? Dans la mesure où en s’émancipant de la philosophie au xixe siècle, les sciences humaines d’une part se caractérisent par la mise en œuvre de concepts nomades, circulant et s’infléchissant d’une discipline à l’autre, destinés à proposer une approche positive du réel sous forme de théories qui doivent assumer leur incomplétude intrinsèque, de sorte que leur épistémologie se révèle toujours provisoire, et d’autre part ne peuvent échapper à des présupposés axiologiques dans la manière de sélectionner et de constituer l’objet de la recherche empirique (Weber, 1965b [1917], p. 434). Ainsi l’appropriation conceptuelle et la dimension axiologique sont-elles constitutives des sciences humaines en général, si bien qu’elles se présentent comme des paradigmes explicatifs toujours instables, impliquant des équilibres provisoires et une nécessaire réflexivité sur « les étalons de valeur qui servent à mesurer la réalité » (Weber, 1965a [1904], p. 133) et à guider l’action.
5En ce sens, l’usage que fait l’urbanisme de notions empruntées à d’autres disciplines depuis la philosophie et l’économie politique chez les précurseurs de la discipline (Choay, 1965, p. 14 et suiv.) jusqu’à la sociologie, la géographie et les sciences politiques auxquelles sont formés les étudiants en Master d’urbanisme, loin de le distinguer des sciences humaines, contribue au contraire à l’inscrire en leur sein, pour autant que ces dernières se distinguent par la labilité de leurs frontières disciplinaires. De la même manière, si sa dimension prescriptive est accentuée en raison de son versant productif, source d’effets dans le réel, elle se retrouve également dans les autres disciplines participant de ce vaste champ théorique. Epistémè relativement jeune, l’urbanisme doit prendre la pleine mesure de la spécificité des cadres théoriques dans les sciences humaines en général pour réfléchir à la manière dont il peut les interpréter et les traduire dans sa langue pour se consolider comme discipline consistante et singulière.
6Pour mettre en évidence que le flou épistémologique de l’urbanisme n’est qu’une version exacerbée de la situation que connaissent toutes les sciences humaines, sans qu’il faille le déplorer, il est tout d’abord nécessaire de faire une mise au point sur le champ d’extension de ces dernières.
7Force est de constater que leur unité est aussi difficile à définir qu’instable. Si elles s’opposent aux sciences de la nature en accordant un statut particulier à l’homme au sein des autres êtres vivants et si elles prétendent l’étudier par le biais de méthodes proprement scientifiques à la différence de discours idéologiques, la liste des disciplines pouvant relever de ce champ se révèle fluctuante. En effet, certaines disciplines, à l’instar de la psychologie ou de l’économie, se voient refuser cette appartenance en raison de leurs liens supposés avec les sciences naturelles ou les mathématiques, et d’autres se voient soupçonnées d’être trop normatives pour pouvoir prétendre à une approche scientifique positive, comme le droit ou la science politique. La donne se complique encore lorsque l’on souhaite opérer une distinction entre sciences strictement humaines d’un côté et sciences sociales de l’autre, alors que les deux dimensions apparaissent inextricablement liées.
8Leur unité ne semble pas résider dans l’étude d’un objet commun, l’homme, dont chaque discipline présente un visage si différent qu’il semble difficile d’y voir un pôle possible d’unification : l’homme étudié par l’historien en prise avec le contexte économique et l’esprit de son époque a bien peu à voir avec l’homme du psychologue, régi par ses aspirations singulières et les lois de son inconscient. Faut-il alors se tourner vers l’existence d’une méthode commune qui serait un meilleur point de convergence ? Nullement. En effet, non seulement chaque discipline présente des épistémès spécifiques, tant du point de vue des questions posées que des méthodes et des outils pour y répondre, mais des conflits importants les traversent de manière interne (holisme versus individualisme en sociologie, thérapie comportementale versus psychanalyse en psychologie, privilège de l’événement ou de la longue durée en histoire, etc.). Est-ce à dire qu’il faille renoncer à l’idée d’une quelconque consistance de ce champ ?
9Malgré leurs manières différentes d’aborder l’humain au sens large, les sciences humaines possèdent un point commun : une capacité partagée à dialoguer les unes avec les autres et à s’emprunter mutuellement des concepts et des perspectives (Hulak et Girard, 2011, p. 10). Autrement dit, l’unité de ce champ certes imparfaite mais néanmoins substantielle, réside dans des concepts communs dont elles font un usage divers pour autant qu’elles doivent les acclimater à leurs propres exigences. De manière remarquable, ces concepts ont été pour la plupart empruntés à la philosophie dont les sciences humaines se sont progressivement émancipées depuis le xixe siècle et l’on pourrait citer pêle mêle : les valeurs et les règles, les symboles et les représentations, l’observation et la causalité, etc. Chaque science s’autorisant, bien sûr, par la suite à forger ses propres cadres théoriques en fonction de ses orientations spécifiques, à l’instar du concept de classe ou encore d’exclusion en sociologie qui vont à leur tour irriguer d’autres champs disciplinaires des sciences humaines, comme l’histoire ou la psychologie. Bref, l’unité du champ des sciences humaines réside dans l’utilisation de concepts nomades transitant et s’infléchissant d’une sous discipline à l’autre pour aborder par des biais différents l’objet homme.
10Or, comme le constatait Pierre-Henry Chombart de Lauwe, dès 1961, « le génie du planificateur [ou de l’urbaniste, devrait-on dire, si l’on prend acte de la mise à mal du planning dans les sociétés post-modernes] ne consiste pas à faire des calculs irréprochables ou à inventer de toutes pièces une idée nouvelle. Il doit surtout saisir le sens d’un mouvement d’évolution et construire un cadre qui permettra à ce mouvement de se développer » (1961, p. 689.). En ce sens, « les sciences humaines doivent donner aux créateurs [de villes] de nouveaux modes de perception et de connaissance, de nouvelles possibilités de communion ». Autrement dit, l’urbanisme n’est pas une discipline ex nihilo, mais se nourrit de la compréhension de ce sur quoi il agit : l’espace, en empruntant à d’autres. Si Chombart de Lauwe en appelle encore à un partage des tâches entre chercheurs et urbanistes, se contentant d’envisager une collaboration entre eux, nous faisons au contraire l’hypothèse, en prenant acte d’une formation professionnelle spécifique aux différents métiers de l’urbanisme, que ce dernier ne peut se déployer de manière satisfaisante comme art d’aménager l’espace, s’il ne développe pas en son nom propre des études de morphologie physique et sociale, d’évolution des structures et des besoins humains, empruntant aussi bien à la sociologie, à l’histoire et à la géographie qu’à la psychosociologie. Pour façonner l’espace, il convient de le comprendre dans ses multiples dimensions en articulant les différentes manières théoriques dont les autres sciences humaines l’abordent, dans la mesure où c’est cette appréhension de la complexité de l’espace – que certains nomment parfois territoire pour souligner cette pluri-dimensionnalité (Moine, 2006, p. 116) – tournée vers l’action, qui singularise l’urbanisme.
11Dans ces conditions, il convient de se demander ce qu’est un concept en philosophie pour comprendre de quelle manière les sciences humaines peuvent l’acclimater à une approche positive du réel et prendre la pleine mesure de cette opération essentielle de traduction, qui doit guider toute réflexion sur la manière dont l’urbanisme doit former ses propres cadres.
12Un concept en philosophie se présente comme une représentation générale permettant de subsumer un ensemble de phénomènes sensibles singuliers en gommant leurs particularités contingentes pour ne retenir que leurs traits communs (Kant, 2006 [1781], p. 183). Si certains courants philosophiques, comme les nominalistes au Moyen Âge, considèrent que les concepts qu’ils appellent « universaux » n’existent pas et ne sont que des constructions intellectuelles sans réalité, la plupart des philosophes admettent que les concepts en possèdent une et nous disent l’essence des choses, suivant ainsi la perspective théorisée par Platon. Réels, immuables et universels, les formes ou concepts existeraient indépendamment des phénomènes sensibles dont ils sont l’archétype (Platon, 1969, p. 430).
13S’il est possible de proposer une compréhension réaliste des concepts moins exigeante que ne le fait Platon, en se contentant d’identifier leur réalité à celle d’une pure forme de l’entendement ou à ce qui résulte d’un acte synthétique de l’entendement subsumant du divers dans une unité (Kant, 2006 [1781], p. 182), il n’en demeure pas moins qu’un concept philosophique nous dit ce qu’est véritablement un phénomène en nous permettant de ne retenir de lui que ce qui est essentiel et non accidentel (Aristote, 2000, p. 180), ou encore de dépasser les apparences pour atteindre la forme ultime des choses (Platon, 1966, p. 267 et suiv.). Dans ces conditions, la philosophie semble avoir pour tâche essentielle de découvrir des concepts, que ce soit pour atteindre l’essence des choses dans une perspective platonicienne ou proposer une théorie générale permettant de comprendre le fonctionnement du réel dans une perspective kantienne.
14Or les sciences humaines vont présenter un rapport sensiblement différent aux concepts tant dans leurs usages que dans leur élaboration, montrant de la sorte les enjeux épistémologiques qui se jouent dans leur émancipation à l’égard de la philosophie. Puisqu’elles prétendent développer une approche positive du réel, attentive à l’expérience et rejetant toute spéculation métaphysique dans la mesure où elle n’est pas falsifiable (Popper, 1973 [1934]), elles doivent acclimater cette notion de concept à leur exigence scientifique : un concept, entendu comme une idée générale permettant de cadrer différents phénomènes et donc de travailler sur eux, est un outil théorique et non une réalité ontologique. Il est de l’ordre d’une élaboration intellectuelle possédant une vertu heuristique pour regrouper et comparer des phénomènes distincts mais possédant néanmoins des propriétés communes que le concept fait apparaître en révélant une logique sous-jacente. Son rôle est donc de fournir un modèle d’intelligibilité ou encore un schéma d’interprétation, ce que la notion wébérienne d’« idéal-type » exprime à la perfection : pure construction, il n’existe pas en tant que tel dans la réalité mais capture ce qu’il y a d’essentiel à un phénomène social en exagérant certains de ses aspects (Weber, 1965a [1904], p. 181).
15La revendication de cette approche scientifique des phénomènes humains oblige les sciences humaines à trouver le bon équilibre entre concept général et phénomènes particuliers. Elles ne veulent pas, bien évidemment, suivre la préconisation platonicienne de détourner les yeux de la pluralité du sensible pour remonter à son modèle idéal (Platon, 1966, p. 273 et suiv.), mais elles ne peuvent pas non plus prétendre proposer une explication générale d’un phénomène en dehors non seulement de toute perspective contextuelle mais également de toute perspective évolutive, comme pouvait le proposer la philosophie empiriste admettant certes la réalité de la diversité des phénomènes mais ne les appréhendant pas pour autant dans leurs transformations au fil du temps. Ce qui va caractériser les sciences humaines, c’est la conscience qu’il existe un hiatus entre le réel et les outils forgés pour l’appréhender, que Weber qualifie d’irrationnel (1968 [1903-1906], p. 35). Ainsi toute théorie en sciences humaines et sociales doit-elle assumer son incomplétude intrinsèque et nécessaire : ces cadres théoriques représentent les contours des phénomènes d’une manière toujours trop distincte, trop figée et trop simple, eu égard à leur complexité et à leur inévitable évolution (Weber, 1965a [1904], p. 202-204). À la différence de la philosophie qui fait des concepts des entités réelles dont les événements singuliers ne sont que des copies ou des manifestations, les sciences humaines comprennent leurs cadres théoriques comme des outils nécessaires mais toujours susceptibles d’être révisés pour cerner au mieux l’infinité inépuisable des phénomènes humains. Ainsi doivent-elles assumer que les concepts qu’elles empruntent les unes aux autres ne sont pas définis une fois pour toutes mais sont des notions générales instables qu’elles utilisent pour penser un phénomène selon une perspective qui leur est propre et qui est amenée à évoluer en fonction de la conscience de la complexité des phénomènes observés. Et lorsqu’une science humaine spécifique forge directement ses propres concepts, elle le fait selon la base d’une observation répétée en intégrant la possibilité d’évolution du sens.
16Enfin, les sciences humaines doivent assumer un certain rapport aux valeurs tout en le raisonnant pour ne pas se transformer en idéologies, ce qui implique de réfléchir aux implications potentiellement normatives ou critiques des concepts forgés. Elles sont conscientes d’une part que leurs cadres théoriques sont le résultat d’opération de constructions qui impliquent des choix dans les objets observés et la manière de les interroger, eux-mêmes indexés à des valeurs : ainsi doivent-elles réfléchir à la perspective singulière que leurs cadres offrent sur la réalité humaine et à ce qui l’oriente, afin de la soumettre à la discussion et de pouvoir vérifier les résultats scientifiques ainsi obtenus. Alors que les concepts philosophiques se donnent comme des réalités ontologiques à découvrir et à connaître, les cadres théoriques en sciences humaines se présentent comme des constructions provisoires en lien avec des préférences dont il s’agit de devenir conscient pour prendre la mesure de leurs implications sur le cours de la recherche. Entre une impossible distanciation et un engagement aveugle, le chercheur en sciences humaines doit objectiver sa propre position (Elias, 1993 [1939]). De la nature même et de la fonction des cadres théoriques spécifiques aux sciences humaines se dégage un ensemble de problèmes épistémologiques immanents à ce champ. Il ne peut pas réduire la diversité de la réalité humaine à des lois générales mais doit rendre compte de situations particulières à partir de concepts et de scénarios causaux qui n’ont pas valeur de loi universelle mais de cadres de compréhension provisoire, liés à des engagements personnels et théoriques que le chercheur doit réfléchir. De ce constat général, trois implications peuvent être dégagées. En premier lieu, les sciences humaines doivent trouver le bon rapport entre le particulier et le général. En deuxième lieu, elles doivent assumer un va-et-vient constant entre théorie et empirie, en intégrant l’incomplétude du cadre conceptuel proposé et le débordement toujours possible du réel par rapport à ce dernier. Enfin, elles doivent prendre conscience que les concepts ne sont pas neutres ou plus exactement qu’ils produisent des résultats qui ne sont pas seulement descriptifs, à l’instar du concept de « genre » de Judith Butler (2006 [1990]), ou encore de « résilience » de Boris Cyrulnik (1999).
17Il convient ainsi de comprendre que les difficultés épistémologiques de l’urbanisme sont en réalité communes aux autres sciences humaines et se voient seulement radicalisées par son statut disciplinaire hybride, déployant un corpus de connaissances orientées vers une finalité bien précise : l’organisation des activités humaines dans l’espace. L’urbanisme ne peut se structurer de manière cohérente et consistante comme discipline que s’il produit des cadres théoriques et donc des savoirs qui peuvent guider cette organisation en réfléchissant à cette ambiguïté. En effet, il ne s’agit pas pour lui de produire des savoirs sur l’aménagement (d’autres disciplines le font déjà : la sociologie de la ville, les sciences politiques, la géographie, l’économie, etc.) mais surtout et avant tout du savoir pour l’aménagement, en assumant cette instrumentalisation et donc le fait que la recherche produise des effets dans le monde.
18Sa tâche, en ce sens, est double : articuler les différentes approches proposées par les autres sciences humaines sur l’espace pour rendre compte de la manière complexe dont la ville est aménagée mais aussi montrer comment on doit la réaliser, en évaluant les effets des différents processus appréhendés. Ainsi doit-il certes emprunter à d’autres mais en unifiant ces imports disciplinaires en vue de transformer le réel. C’est son caractère technique au sens aristotélicien du terme qui l’oblige à traduire dans une perspective opérationnelle cohérente les différents concepts issus d’autres disciplines, susceptibles d’éclairer l’espace sur lequel il intervient. Autrement dit, il ne s’agit pas pour lui d’interpréter l’aménagement du monde urbain au sens large seulement pour le comprendre, voire le critiquer, mais aussi pour le transformer, ce qui implique que le chercheur réfléchisse son positionnement à la jonction des différentes dimensions de l’espace, sociales, géographiques, symboliques, organisationnelles, etc., et sa responsabilité.
19En effet, si toutes les sciences humaines comportent peu ou prou une dimension prescriptive, celle-ci se voit particulièrement accentuée quand l’urbanisme est en cause en raison de son caractère précisément prospectif : il engage l’avenir en formulant des propositions et des stratégies pour les villes de demain (Cordobès, 2009). Ainsi se doit-il de prévoir et d’évaluer la dynamique urbaine dans ses différentes dimensions, physiques, sociales, économiques, politiques, à partir de ce qui est et des leçons du passé, afin de l’accompagner, l’infléchir ou l’inverser en fonction du diagnostic établi. En ce sens, son approche de l’espace est-elle non seulement complexe mais également marquée par un hiatus irrationnel entre ce dernier et les outils forgés pour l’appréhender encore plus profond que dans les autres sciences humaines, dans la mesure où elle intègre en elle l’indétermination du futur qu’elle ne peut projeter à partir de l’étude du présent et du passé que comme probable, plausible ou encore vraisemblable. C’est en assumant que ses actes éminemment concrets auront des implications futures qu’il faut prendre en compte et évaluer, sans pouvoir les prévoir de manière certaine que l’urbaniste pourra affronter sa singularité par rapport aux autres disciplines s’intéressant à l’espace au sens large.
20Dans ces conditions, comment l’urbanisme peut-il prendre en charge ces difficultés épistémologiques à partir de sa propre consistance disciplinaire ? En se rapportant de trois manières possibles aux cadres théoriques, la première prenant acte de la nécessité où il se trouve de déployer une approche complexe à l’espace, la seconde affirmant son caractère prospectif et prescriptif, la troisième assumant son rapport à des cas toujours singuliers.
21Le premier rapport possible aux cadres théoriques serait celui du braconnage disciplinaire que les autres sciences humaines pratiquent également puisque leur spécificité comme épistémès consiste à être un ensemble de disciplines ouvertes les unes aux autres, s’empruntant des concepts mais en les retravaillant selon la perspective qui leur est propre.
22L’appropriation que l’urbanisme peut faire de concepts relevant de disciplines voisines en passe notamment par une attention très fine à la manière dont ils s’incarnent dans l’espace physique. En effet, si l’urbanisme traite de l’espace dans la complexité de ses aspects, il n’en demeure pas moins que le premier d’entre eux auquel il est confronté est celui de l’urbain comme cadre matériel et tissu physique, ce que l’on nomme parfois la morphologie urbaine (Panerai, 1997, p. 11). La prise en compte des dispositifs qui spatialisent les concepts empruntés permet à l’urbanisme d’échapper à l’écueil de la généralité et de l’abstraction précédemment envisagé et d’articuler théorie et empirie.
23À cet égard, l’appropriation que peut opérer l’urbanisme du concept philosophique foucaldien de « biopouvoir » est-elle particulièrement instructive. Foucault thématise cette notion dans La Volonté de savoir (1976) et Il faut défendre la société (1997 [1976]), avant de lui consacrer un cours entier au Collège de France sous le nom de Naissance de la biopolitique (2004b [1978-1979]), pour décrire les nouvelles modalités du pouvoir à partir du xviie siècle : le pouvoir disciplinaire d’un côté qui s’exerce sur le corps individuel pour le dresser en optimisant ses aptitudes, en le rendant observable et malléable et en l’intégrant à un système de contrôle efficace, de l’autre le pouvoir sécuritaire qui s’applique à la population en régulant ses processus biologiques et les conditions d’existence dans lesquelles ils s’exercent. Si Foucault déploie ce concept depuis sa discipline, la philosophie, il n’en souligne pas moins sa portée urbanistique. En effet, il décrit précisément dans la première leçon de Sécurité, Territoire, Population, la manière dont le pouvoir disciplinaire et le pouvoir sécuritaire rencontrent la question de l’aménagement de la ville et ont pu se déployer à travers différents dispositifs spatiaux (2004a [1977-1978], p. 13 et suiv.) : ainsi fait-il du plan en grille de la ville de Richelieu en Indre-et-Loire, construite ex nihilo à l’âge classique, le paradigme de la ville disciplinaire et de l’aménagement de la ville de Nantes au xviiie siècle passant par une régulation de ses différents flux, humains et naturels, celui de la ville sécuritaire. Il documente ainsi de manière historique l’un des visages de la notion philosophique de pouvoir dont il s’emploie à comprendre l’évolution et les enjeux.
24L’urbanisme, dans la nécessité où il est de comprendre l’espace urbain pour le façonner au mieux, a bien sûr tout intérêt à mobiliser l’analyse du philosophe afin de pouvoir analyser les effets politiques de la morphologie des villes, donc à confronter les analyses du philosophe à notre présent pour en mesurer la pertinence heuristique. Néanmoins, il ne peut se contenter d’importer le concept en tant que tel sans l’acclimater à sa propre perspective, l’aménagement de tel espace, faute de quoi il se contentera soit de répéter Foucault à un niveau très général, soit de réduire ses propres analyses à de simples illustrations de la théorie philosophique, faisant de l’enquête urbaine à proprement parler, la servante de la philosophie.
25En raison de l’articulation qui lui est consubstantielle entre théorie et opération, l’urbanisme comme discipline doit s’interroger sur les dispositifs spatiaux qui permettent à ce biopouvoir de s’exercer en faisant une analyse quasi absente du propos de Foucault des prises matérielles, des aménagements physiques qui disciplinent les individus et sécurisent la population, afin de pouvoir réfléchir aux enjeux politiques de l’aménagement urbain et faire apparaître non pas tant les effets du biopouvoir, ce que la philosophie fait fort bien, que les modalités concrètes par lesquelles il se déploie, ce que la philosophie a bien du mal à analyser dans la mesure où elle ne dispose pas de méthodes pertinentes pour les faire apparaître. C’est alors que l’urbanisme pourra projeter un aménagement inversant ces effets.
26À cette fin et à partir de sa capacité à articuler la lecture de l’espace à la possibilité de le concevoir à nouveaux frais, il se doit de forger des concepts de second ordre pour traduire le concept de biopouvoir dans sa langue, c’est-à-dire en faire un cadre théorique efficace pour comprendre la logique d’aménagements spatiaux situés, évaluer leurs effets et penser la manière de les transformer en les infléchissant ou en les radicalisant. Ainsi cette appropriation en passera t elle par l’élaboration de sous-concepts permettant de dresser une typologie des supports spatiaux du biopouvoir, commandée par l’analyse spécifique du lieu où ils se déploient. Le diagnostic d’une opération de requalification urbaine dans le centre-ville de Chambéry menée à partir de la perspective foucaldienne nous a ainsi conduit à spatialiser et à contextualiser les notions de discipline et de sécurité en mettant au jour des dispositifs de visibilité permanente par l’absence d’arbres et de recoins, de canalisation insidieuse par un système complexe de séparation des flux, d’aseptisation hygiénique par l’esthétique très particulière qui s’y déploie, etc. (Bonicco-Donato, 2016).
27Le braconnage disciplinaire en appelle à une seconde modalité par laquelle l’urbanisme peut aborder la question des cadres théoriques : celle de la dérivation constructive marquant son autonomie et sa consistance propre au sein des sciences humaines. Dans cette perspective, il se doit d’assumer son statut relativement jeune pour considérer qu’il peut se nourrir des disciplines ayant travaillé de près ou de loin sur l’aménagement de l’espace, afin de créer à partir des cadres théoriques de ces dernières ses propres outils qui peuvent l’aider à concevoir au sens fort cet aménagement, c’est-à-dire à le réaliser.
28La notion de « projet urbain » qui imprègne l’urbanisme depuis les années 1980 en offrant un autre paradigme que l’urbanisme de plan (Roncayolo, 1996 ; Ingallina, 2008 ; Mangin et Panerei, 2009 ; Vigano, 2012) nous semble exemplaire de cette démarche, lorsqu’elle ne se résume pas à un slogan vidé de sa substance épistémologique. En effet, elle capture la singularité disciplinaire de l’urbanisme, d’une part en articulant la question de la conception théorique à celle de la réalisation pratique tournée vers l’avenir, d’autre part en se situant à l’échelle pertinente. Cette invention conceptuelle correspond, dans le vocabulaire de Foucault, au stade de la formalisation d’une formation discursive : à savoir le moment où un discours scientifique est devenu suffisamment mûr pour « définir les axiomes qui lui sont nécessaires, les éléments qu’il utilise, les structures propositionnelles qui sont pour lui légitimes », et où il peut « déployer, à partir de lui-même, l’édifice formel qu’il constitue » (1969, p. 253).
29Pour bien comprendre la force de ce geste théorique, il convient de préciser que cette notion s’inscrit dans la filiation du projet architectural, invention conceptuelle déjà épistémologiquement fertile, tout en la spécifiant par l’ajout de l’adjectif urbain. Ce dernier s’élabore en rupture avec la conception de l’architecture proposée par Vitruve comme art de bâtir, critiquée dès 1780 par Étienne-Louis Boullée dans son Architecture. Essai sur l’art (1968 [1780]), afin de mettre l’accent sur son caractère de production intellectuelle anticipant son éventuelle réalisation. Le terme même de projet s’efforce de capturer ce qu’Aristote nomme une science poïétique, à savoir le déploiement d’une démarche certes théorique mais tournée vers la production d’effets dans le réel, assumant de ce fait une dimension opérationnelle et prospective, dans la mesure où ce qui est produit possède une dimension pérenne qui engage l’avenir. Si le projet n’est pas l’art de bâtir qui oblitère la dimension conceptuelle et réflexive, il n’est pas non plus le plan ou le programme (Devillers, 1994) qui impose de manière a priori une idée préconçue et définitive au réel sans prendre en compte deux éléments essentiels. Premièrement, l’intégration dans la conception même de la question de savoir comment la mettre en œuvre, en tenant compte de ce qui est et des contraintes inhérentes à la production concrète : le comment faire n’est pas une question technique (Prost, 2014, p. 56) mais théorético-poïétique. Deuxièmement, l’intégration d’une relative flexibilité dans ce qui est envisagé, en raison de la conscience du caractère complexe de l’objet sur lequel on intervient et relativement indéterminé de l’avenir, ce qui est la modalisation urbanistique du hiatus irrationalis wébérien.
30À cette articulation entre le penser et le faire, partagée avec le projet architectural, le projet urbain ajoute la spécificité de se situer à une échelle plus vaste, non plus celle de l’édifice mais du territoire urbain, porteuse en raison de sa complexité de contraintes et d’enjeux spécifiques, tant matériels, symboliques, socio-économiques, qu’organisationnels, étant donné la pluralité des acteurs impliqués. Le projet urbain se doit de mettre en relation, dans une logique du temps long, les différentes échelles de son objet, dans une démarche qui ne peut donc être que concertée, afin de concevoir une ville la plus urbaine possible. Si la fin projetée est porteuse de valeurs, elle doit proposer un modèle d’organisation spatiale, économico-sociale et existentielle suffisamment souple pour pouvoir s’ajuster à un réel complexe et mouvant, dont il est impossible de prévoir toutes les dynamiques même si elles peuvent être partiellement anticipées.
31En ce sens, la notion de projet urbain, plus englobante que celle de projet architectural, se trouve porteuse d’une dimension stratégique absente des concepts propres aux sciences purement spéculatives, quelle que soit leur portée prescriptive : s’il s’agit d’analyser la ville pour savoir comment agir sur elle en vue d’accompagner ou d’infléchir son évolution, il convient à partir de la prise en compte de l’existant de choisir des objectifs opérationnels pour rendre effective la vision projetée. En raison de l’inscription du projet urbain dans un monde par essence complexe et contingent, le choix des moyens est affaire de savoir-faire, selon la belle expression française qui rend si bien compte de la tension inhérente à l’urbanisme. Il s’agit d’adapter à un cas particulier des données générales afin de produire un résultat qui ne pourra jamais prétendre être nécessaire, en faisant preuve de ce qu’Aristote nommait le sens des circonstances, qui est, rappelons-le, une vertu éminemment intellectuelle.
32Les analyses précédentes permettent d’envisager la recherche clinique comme une voie possible que peut emprunter l’urbanisme pour élaborer ses cadres théoriques. En effet, l’urbanisme assume, comme nous l’avons vu de manière encore plus exacerbée que les autres sciences humaines, une perspective axiologique : il s’agit d’agir sur le réel, fût-ce seulement une de ses strates complexes, pour l’améliorer, après avoir établi un diagnostic. Sa perspective n’est donc pas d’élaborer un savoir sur la ville, d’autres disciplines s’en chargent fort bien, mais de soigner celle-ci, cela étant certes impliqué par ceci mais ne s’y substituant pas. Or, dans la mesure où il intervient toujours sur une ville en particulier, son savoir ne saurait être a priori, mais s’élabore grâce à l’expérience.
33Dans cette perspective, en prenant au sérieux le vocabulaire utilisé, il convient de rapprocher l’urbanisme de la médecine et de se souvenir de la mise en garde d’Aristote :
Ce n’est pas l’homme, en effet, que guérit le médecin, sinon par accident, mais Callias ou Socrate, ou quelque autre individu ainsi désigné, qui se trouve être, en même temps, homme. Si donc on possède la notion sans l’expérience, et que, connaissant l’universel, on ignore l’individuel qui y est contenu, on commettra souvent des erreurs de traitement, car ce qu’il faut guérir avant tout, c’est l’individu (Aristote, 2000, p. 3).
34Ainsi l’urbanisme comme la médecine ne doit-il pas se comprendre comme l’application de règles théoriques universelles indifférentes à la singularité de l’objet auquel elles s’appliquent mais comme un savoir productif qui s’élabore dans et à partir de l’expérience par nature singulière afin de pouvoir diagnostiquer des causes semblables et prescrire le traitement adéquat étant donné la conjonction de ces causes générales et de circonstances particulières. Le rapport entre l’empirie et la théorie, présent dans toutes les sciences humaines, se pose avec une acuité d’autant plus grande pour l’urbanisme qu’il intervient sur un objet singulier : il n’intervient pas sur la ville en général mais cette ville-ci en particulier. Dans cette perspective, la technè médicale comme la technè urbanistique apparaissent bien comme des savoirs rationnels mais se constituant à partir de la réflexion sur l’expérience de cas singuliers qui contribuent sans cesse à les déplacer par effets itératifs. Le bon médecin comme le bon urbaniste est celui qui a une longue expérience des différentes maladies et des formes différentes que peut prendre une même maladie selon les cas individuels, ce qui lui permettra de les diagnostiquer et de les traiter avec pertinence. Leur science sera d’autant plus efficiente qu’ils auront beaucoup exercé.
35Mais s’il ne peut y avoir de logos urbanistique sans expérience répétée du singulier, il en résulte que l’urbanisme ne saurait s’apprendre en chambre close en dehors de toute confrontation avec la pratique professionnelle. Comme le préconise Pierre Merlin, l’enseignement de l’urbanisme doit être à la fois gnoséologique et expérimental et doit supposer au-delà de l’enseignement de connaissances fondamentales « un contact avec la profession et la réalisation d’un travail créateur » (Merlin, 1991, p. 122), susceptible de raffiner et de complexifier celles-ci. Il devient alors possible de mobiliser le modèle des centres hospitaliers universitaires qui associent des étudiants à des professionnels avertis, où les premiers se forment au contact des seconds et d’envisager la création de centres de formation urbanistiques spécifiques, comme le fait François Ascher.
Des centres urbanistiques universitaires (CUU) pourraient alors traiter des problèmes urbanistiques complexes, un peu comme ce qui s’est passé avec certaines équipes du concours sur le Grand Paris, mais en travaillant sur la durée. Certains gros instituts d’urbanisme pourraient devenir des CUU et assurer ainsi simultanément la formation de jeunes urbanistes, mais aussi traiter des problèmes trop lourds et trop complexes pour une équipe classique d’urbanistes privés ou publics (2009, p. 27).
36Au terme de cette réflexion, il apparaît que les difficultés épistémologiques rencontrées par l’urbanisme ne tiennent pas seulement à sa relative jeunesse mais sont le signe de son appartenance au groupe disciplinaire des sciences humaines. Ces dernières se caractérisent en effet, d’une part par leur usage de concepts nomades assumant une relative instabilité et constituant des théories incomplètes toujours susceptibles d’être révisées lorsque le réel qu’elles prétendent expliquer les déborde, et d’autre part par une perspective axiologique dont elles ne peuvent se défaire. Du fait de la position singulière que l’urbanisme occupe en leur sein, il les radicalise. En effet, en raison de son statut disciplinaire hybride, celui de technè produisant des effets dans le monde, à la différence des sciences purement spéculatives, il ne se contente pas d’importer des concepts venus d’ailleurs et de considérer que les théories produites sont porteuses de valeur. Il doit faire un pas de plus : unifier les concepts empruntés pour les rendre opérationnels dans une démarche cohérente se déployant sur un espace complexe et assumer le fait qu’il ne produit pas du savoir sur l’urbain mais du savoir pour l’urbain dont l’unique raison d’être est d’améliorer ce qui est. Dans cette perspective, le braconnage disciplinaire doit aller de paire avec une traduction spatialisante des concepts ainsi empruntés, grâce à des méthodes d’analyse de la ville et du territoire déjà tournées non vers la compréhension mais la projection qui constitue son invention conceptuelle et méthodologique spécifique. Science poïétique, savoir-faire sans que ce terme doive être entendu négativement, l’urbanisme se révèle ainsi prospectif, prescriptif et en prise avec un espace toujours individuel : il se nourrit de l’expérience, de la complexité infinie des situations concrètes pour agir sur elles en élaborant de manière itérative un savoir dont la recherche clinique en milieu hospitalier pourrait être un paradigme épistémologique.