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Varia

De l’action sociale au système social

Les deux réceptions de l’œuvre de Pareto par Parsons
From social action to the social system: Parsons’s two receptions of Pareto’s works
Coline Ferrant
p. 237-254

Résumés

Cet article expose les deux réceptions de l’œuvre de Vilfredo Pareto par Talcott Parsons. L’accent est porté sur leurs caractéristiques théoriques et épistémologiques ainsi que les contextes intellectuels dans lesquelles elles ont lieu. La première réception, concomitante de The Structure of Social Action (1937), voit Parsons élaborer une théorie de l’action sociale appuyée par une interprétation originale de la pensée parétienne. La deuxième réception, correspondant à The Social System (1951), s’associe au projet parsonien de construction d’une théorie du système social. Parsons critique alors les failles méthodologiques de la sociologie parétienne, tout en saluant son caractère avant-gardiste. Ces deux réceptions différenciées de la sociologie parétienne par Parsons sont ainsi liées au développement de son travail théorique entre The Structure of Social Action et The Social System.

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Notes de l’auteur

Je remercie chaleureusement Yoann Demoli et les deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions.

Texte intégral

Introduction: Pareto et Parsons, deux classiques de la sociologie

1Les classiques de la sociologie sont ceux qui ont établi une tradition ou élaboré un cadre théorique séminal. Les traditions sociologiques « loyalistes », selon Randall Collins, consistent à poursuivre l’œuvre d’un fondateur via notamment exégèses et commentaires (Collins, 1995 [1994]). Le sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923) est à l’origine d’une telle tradition. Ainsi, Giovanni Busino édite en italien et en français ses œuvres complètes et en propose des commentaires érudits (en particulier, Busino, 1967).

2Le sociologue étasunien Talcott Parsons (1902-1979) est un classique dans la mesure où le structuro-fonctionnalisme, cadre théorique qu’il élabore à partir de l’après-guerre, devient l’étalon de comparaison de la majorité des entreprises de théorisation sociale de la seconde moitié du xxe siècle (Camic, 1989, p. 39). Mentionnons toutefois que l’influence de Parsons est peut-être surévaluée rétrospectivement (Calhoun et Vanantwerpen, 2005, p. 390). D’une part, le cadre théorique parsonien fut la cible de nombreuses critiques, ce qui tend à surestimer sa centralité disciplinaire ; d’autre part, la postérité retient plus souvent la théorie que les études empiriques.

  • 1 Andrew Abbott et James T. Sparrow (2005, p. 308) parlent de « florid abstractions », Gøsta Esping-A (...)

3Bien que figures capitales pour comprendre l’histoire de la discipline, la réception contemporaine des classiques peut néanmoins être ambiguë. Dans The Structure of Social Action [SSA] (1937), Parsons élabore une théorie de l’action sociale à partir d’une synthèse entre Émile Durkheim, Max Weber, Alfred Marshall et Pareto. Ainsi, la théorisation ne se fonde pas sur des recherches empiriques, mais sur une sorte d’ingénierie théorique, de juxtaposition de propositions d’auteurs classiques, parfois même déformées car prêtant à leur pensée une cohérence et une systématicité qu’ils n’avaient aucunement (Wirth, 1939, p. 400 ; Calhoun et Vanantwerpen, 2005, p. 391). Dans The Social System [TSS] (1951), Parsons élabore une théorie du système social, comprenant les composantes élémentaires de l’action – sociologiques, psychologiques, économiques (Parsons, 1951, p. 7). Or, la « grand theory », pour reprendre l’expression de Charles Wright Mills (1959), n’a plus la cote en sciences sociales. Selon le bon mot de John Levi Martin « the theorist who has an explanation for everything rightfully strikes us just as suspicious as the apprehended lawbreaker with a ready alibi for every time and place » (Martin, 2001, p. 281). Ainsi, nombre de sociologues contemporains moquent Parsons pour son hybris théorique et son déni de l’empirisme1. François Chazel appelle alors à l’« empathie » vis-à-vis d’un auteur qu’il convient de replacer dans son contexte intellectuel (Chazel, 2011, p. 21). Vers la fin de sa carrière, Parsons lui-même met en garde contre toute interprétation anachronique de ses écrits : « In evaluating my account it is essential to keep in mind that I – like Warner – was a ‘child of my age’ and, in working on The Structure of Social Action in the 1930s, thought in terms of the intellectual environment of the time. » (Parsons, 1978, p. 1351).

4Pareto, quant à lui, cherchait délibérément « le succès de l’auteur maudit » (Aron, 1967, p. 423). Il ne se préoccupait guère de la diffusion de sa pensée. Comme il l’écrit dans une lettre adressée à son collègue Maffeo Pantaleoni (1918), « certaines approbations me feraient craindre d’avoir dit des âneries » (cité dans Valade, 1990, p. 247). La terminologie parétienne est difficile d’accès – « résidus », « dérivations », « ophélimité ». Comme l’exprime avec malice Alban Bouvier, Pareto avait « un sens très sûr des néologismes » (Bouvier, 1999, p. 4). Sa rédaction ne traduit pas un franc souci de pédagogie : les passages condensant le fond de sa pensée sont extrêmement sommaires, tandis que les exemples abondent. Ceux-ci proviennent d’une culture classique, typique du savant d’antan. Enfin, sa proximité avec les fascistes italiens vers la fin de sa vie ternit d’autant plus son image. En somme, comme le résume Busino, Pareto est « un auteur plus méprisé que lu » (Busino, 1967, p. 140).

  • 2 Cette ligne de recherche est davantage présente en sciences humaines (Sapiro, 2012). A. H. Halsey ( (...)

5L’objectif de cet article est ainsi double. Premièrement, nous souhaitons contribuer à la compréhension de deux classiques dont l’œuvre est aujourd’hui trop souvent soit méconnue, soit jugée selon des critères anachroniques. Deuxièmement, nous nous ajoutons aux quelques études sociologiques interrogeant la réception d’un classique par un classique2. Roland Lardinois (2000) analyse ainsi la construction d’Alexis de Tocqueville comme auteur classique par Raymond Aron. Mathieu Hauchecorne montre la réception différenciée des théories de la justice de John Rawls parmi différents acteurs du champ intellectuel français, tels que Paul Ricœur, les intellectuels marxistes et les organismes d’étude ministériels (voir respectivement Hauchecorne, 2017, 2009a et 2009b).

  • 3 Par « œuvre », nous entendons autant le Traité de sociologie générale (ci-après Traité) que les écr (...)

6À cet égard, le cas de la réception de l’œuvre de Pareto par Parsons nous semble particulièrement stimulant3. Parsons a non seulement contribué à exporter la sociologie de Pareto aux États-Unis, mais l’a aussi intégré dans ses propres développements théoriques. Il est donc possible de décrire à la fois les conditions d’importation de la pensée parétienne et les particularités de l’interprétation qu’en proposa Parsons. Notre exposé s’appuie sur un corpus de sources primaires (les écrits de Parsons, Pareto et leurs contemporains) et secondaires (la littérature à propos de Parsons, Pareto et leurs contemporains). Nous montrons que la première réception, celle de SSA, originale et enthousiaste, participe du développement d’une théorie de l’action sociale placée sous le patronage d’un classique (1). La deuxième, celle de TSS, critique et retenue, s’inscrit dans un projet théorique ambitieux, celui de système social (2).

1. The Structure of Social Action : une interprétation audacieuse et articulée autour de l’action sociale

7Dans la période concomitante de la publication de SSA (1.1), Parsons élabore une interprétation sélective de Pareto, articulée autour des notions de résidus et d’abstraction et apte à servir sa théorie de l’action (1.2).

1.1. Parcours intellectuel de Parsons avant The Structure of social Action : affirmation disciplinaire et élaboration d’une théorie de l’action sociale

8Le parcours universitaire pré-SSA de Parsons est marqué par une certaine instabilité académique et disciplinaire. Il effectue son premier cycle universitaire (undergraduate) à l’Amherst College, où il développe un intérêt pour la sociologie après avoir étudié l’économie institutionnaliste. Il voyage en Europe, où la sociologie est plus affirmée institutionnellement et académiquement qu’aux États‑Unis (Parsons, 1970). Son parcours sur le vieux continent le mène à la London School of Economics, puis à l’Université de Heidelberg, où il fut impressionné par le travail de Max Weber (ibid., p. 827) – Parsons traduisit du reste l’Éthique protestante en anglais. De retour aux États-Unis, Parsons devient lecteur (instructor) d’économie à Amherst, puis en 1927 à Harvard, avant de rejoindre en 1931 le département de sociologie de cette même université (ibid.).

9Le Harvard Pareto Circle, séminaire de discussion de l’œuvre de Pareto, se tient de 1932 à 1934 sous la direction de Lawrence J. Henderson. Y participent certains grands noms du conservatisme, comme l’historien Crane Brinton et l’économiste Joseph Schumpeter, ainsi que les jeunes sociologues George Homans et Parsons. L’engouement fut tel que Georges Gurvitch estime que les États-Unis ont vécu entre 1925 et 1940 « une véritable crise de parétisme » (Gurvitch, 1954, p. 69). Cette expérience fut significative pour Homans et Parsons, mais de manière différente. La lecture de Homans fut inféodée à celle de Henderson. Comme Homans l’expose dans An Introduction to Pareto : His Sociology, présentant la pensée de Pareto : « This book is the first fruits of the Seminar on the Sociology of Pareto which Lawrence J. Henderson has conducted at Harvard for the last two years. Nearly everything it says which is not Pareto’s and which is of any importance we have parroted from him. » (Homans et Curtis, 1934, p. vii).

10En revanche, l’expérience européenne de Parsons lui permit recul et autonomie par rapport au truchement de Henderson que Homans, fraîchement initié à la sociologie, n’était pas en position d’acquérir (Chazel, 2000, p. 143). Ainsi, dans la préface de SSA, Parsons remercie simplement Henderson pour avoir examiné son manuscrit et indiqué des corrections, « particularly in relation to general scientific methodology and to the interpretation of Pareto’s work » (Parsons, 1949 [1937], p. vii).

  • 4 Un exemple en est l’article incendiaire Harvard Pareto Circle. intitulé « What’s the Matter with So (...)
  • 5 Comme le précise Parsons : « Though the situation was not strictly comparable to what it would be n (...)

11Par ailleurs, Parsons choisit Pareto afin de légitimer son passage de l’économie à la sociologie, discipline alors moins reconnue et institutionnalisée (Camic, 1987, p. 428 ; Marshall, 2007, p. 35), et ce d’autant plus à Harvard où les orientations intellectuelles du département de sociologie étaient encore mal définies (Camic, 1987, p. 428 ; 2005, p. 226)4. Pareto, en effet, avait l’avantage d’être un économiste qui avait voulu édifier une théorie sociologique (Parsons, 1970, p. 828). De ce fait, la théorisation grandiose de SSA relève d’une stratégie d’affirmation disciplinaire, visant à démontrer la capacité de la sociologie à expliquer l’action dans sa totalité. Cette volonté d’affirmation est également personnelle. Le départ de Parsons du département d’économie de Harvard s’explique, outre sa réorientation pour la sociologie, par de mauvais rapports avec la direction du département. Cette situation se répète au département de sociologie, où Parsons entretient des relations glaciales avec le directeur Pitirim Sorokin. Il doit ainsi attendre 1936, soit cinq ans, pour passer du statut de lecteur (instructor) à celui de professeur assistant (assistant professor) (ibid., p. 832)5.

1.2. Abstraction et résidus : une lecture épistémologique et conceptuelle originale

12En 1935, Parsons écrit une recension dithyrambique du Traité, tout en concluant prudemment que « Pareto’s Treatise was not written as and should not be taken as the bible of a new religion » (Parsons, 1935, p. 508). Si le Traité n’est pas un texte sacré, il est alors loisible pour Parsons d’en proposer une interprétation originale et indexée à ses propres fins théoriques. D’un point de vue épistémologique, Parsons adapte la démarche analytique parétienne pour asseoir son « anti-empiricisme ». D’un point de vue conceptuel, Parsons enrichit la notion parétienne de résidus dans le cadre de son schéma explicatif de l’action.

13Prouver le bien-fondé de l’abstraction dans les sciences sociales est l’une des priorités épistémologiques de SSA (Chazel, 2011, p. 69). Parsons se fait l’ennemi de ce qu’il nomme l’« empiricisme », c’est-à-dire l’idée selon laquelle la science n’est que le reflet direct et immédiat de la réalité concrète (Parsons, 1949 [1937], p. 69-70 et p. 728-730 en particulier, voir aussi 1951, p. 20 et 1954 [1945], p. 219). Au contraire, pour Parsons (1949 [1937], p. 466), la sociologie doit isoler et abstraire de la réalité concrète des catégories analytiques. Parsons s’intéresse donc à la conception parétienne de l’économie pure. Selon Pareto : « L’économie pure étudie l’homo oeconomicus qui est guidé uniquement par le désir d’obtenir le maximum d’utilité avec un minimum d’effort. L’économie appliquée ajoute à cette qualité principale de l’homo oeconomicus toutes les autres qualités que nous connaissons. » (Pareto, 1984 [1893], p. 386-387, traduit par Busino, 1967, p. 27).

14Ainsi, l’économie pure schématise par abstraction la réalité économique ; elle donne à voir la forme générale des phénomènes économiques. L’économie appliquée, en revanche, se concentre sur les perturbations que produisent les phénomènes négligés dans les abstractions de l’économie pure. Cela permet à Parsons de réfléchir sur la relation entre les éléments étudiés par l’économie et les autres éléments de l’action. Intervient ici le schéma actions logiques – actions non-logiques. Rappelons la définition qu’en donne Pareto : « Nous appellerons “actions logiques” les opérations qui sont logiquement unies à leur but, non seulement par rapport au sujet qui accomplit ces opérations, mais encore pour ceux qui ont des connaissances plus étendues. » (Pareto, 1968 [1916], p. 66, §150).

  • 6 Le terme est bien « non-logique », et pas « illogique », car une action non-logique peut être la pl (...)

15Les autres actions sont dites non-logiques6. Parsons interprète cette dichotomie de la manière suivante : utilisée dans une perspective sociologique, l’action logique sert uniquement à révéler l’action non-logique. Elle n’a pas d’existence en soi hors de la perspective économique : « Logical action is not an element in Pareto’s theoretical system. He employs it, apparently, for a pragmatic purpose. […] Action which meets closely the criteria of ‘logicality’ is, to a first approximation, that for which economic theory is most nearly adequate as an explanatory tool. » (Parsons, 1949 [1937], p. 186).

16Par conséquent, pour Parsons, la conception parétienne de la sociologie est double. Elle se caractérise d’une part par une « dimension analytique » (l’analyse des actions non-logiques), d’autre part par une « dimension synthétique » (l’analyse des actions comprises dans leur totalité, c’est-à-dire en incluant leur aspect économique) (ibid., p. 766). Pourtant, Pareto fournit bien une définition de la sociologie, et ce dès le premier paragraphe du Traité : « La société humaine est l’objet de nombreuses études. Les unes portent des noms spéciaux ; ainsi le droit, l’histoire, l’économie politique, l’histoire des religions, etc. D’autres embrassent des matières encore confuses, dont la synthèse avec celles qui sont déjà distinctes, vise à étudier la société humaine en général. On peut donner à ce groupe d’études le nom de Sociologie.» (Pareto, 1968 [1916], p. 1, §1).

17Pareto se prononce donc pour une sociologie embrassant l’ensemble de la réalité sociale : cela correspond à la « dimension synthétique » mise en évidence par Parsons. Toutefois, la « dimension analytique », à savoir que les actions non-logiques seraient l’apanage de la sociologie et que les actions logiques relèveraient de l’économie est une mésinterprétation du Traité. Pour Pareto, l’action logique n’est pas purement abstraite ; elle existe bel et bien dans la réalité concrète : « On trouve une complication beaucoup plus grande en sociologie où aux actions logiques, seules considérées par l’économie, il faut ajouter les actions non logiques, et au raisonnement logique, les dérivations. » (ibid., p. 1594, §2408).

  • 7 Voir Dalziel et Higgins (2006, p. 111) et Aspers (2001, p. 525) pour d’autres exemples d’une interp (...)

18L’originalité du regard sociologique vient certes des actions non-logiques, mais il ne s’agit pas de son objet exclusif. La pensée parétienne est ainsi plus complexe que l’opposition « actions non-logiques pour la sociologie, actions logiques pour l’économie » schématisée par Parsons et d’autres sociologues7. Parsons projette ainsi sur la pensée parétienne sa propre conception de l’abstraction, c’est-à-dire dégager de la réalité sociale des catégories analytiques clairement délimitées ; en l’occurrence, les actions logiques s’arrêtent aux frontières de l’économique et les actions non-logiques ne dépassent pas la sphère du social.

  • 8 « Il faut bien prendre garde de ne pas confondre les résidus (a) avec les sentiments, ni avec les i (...)
  • 9 Comme le synthétise clairement Georges-Henri Bousquet (1928, p. 135) : « Pareto, en classant les fa (...)
  • 10 Nombre d’exégètes s’accordent sur le caractère obscur de cette classification. Busino, par ailleurs (...)
  • 11 Notons que le « psychologisme » de Pareto, trait qui le distingue des autres sociologues classiques (...)

19Parsons enrichit le cadre conceptuel parétien en distinguant deux catégories de résidus. Rappelons les notions de résidus et de dérivations pour Pareto. Les résidus, en grande partie dissimulés ou inconscients, sont les facteurs réels de l’action non-logique. Ce sont les « manifestations » des sentiments, et non les sentiments eux-mêmes (ibid., p. 461, §875)8. Les dérivations sont les raisonnements élaborés a posteriori pour rationaliser l’action non-logique et masquer ses causes et déterminismes réels. En effet, les hommes aiment à donner un « vernis logique » à leurs actions (Pareto, 1975 [1917], p. 37). Pareto adopte une démarche de classification, d’abord entre résidus et dérivations. Le principe de différenciation est que les résidus sont constants, dans la mesure où les sentiments de l’être humain sont peu variables. Les dérivations, en revanche, sont plus sujettes à changement9. Pareto distingue ensuite plusieurs classes de résidus et de dérivations. En particulier, il distribue les résidus en six classes. Les plus déterminantes pour l’équilibre social sont les classes I (« instinct des combinaisons », correspondant à un goût de la nouveauté) et II (« persistance des agrégats », soit, contrairement à la classe II, une réticence à l’innovation). Les classes III, IV, V et VI peuvent être conçues comme des spécifications des deux premières (Busino, 1999, p. 29)10. Ainsi, pour Pareto, « les actions humaines sont principalement déterminées par le sentiment, la passion et l’intérêt, et seulement d’une façon très secondaire par le raisonnement. » (1966 [1904], p. 264). Les notions de résidus et de dérivations ont donc une certaine épaisseur psychologique11.

  • 12 Aron pose le problème de cette manière : « Si le caractère logique et non logique s’applique unique (...)

20Parsons complète la notion de résidus en y intégrant les valeurs. Il prévient alors qu’il se démarque d’une lecture littérale de Pareto et distingue deux types de résidus, « non normatifs » et « normatifs » (Parsons, 1949 [1937], p. 200-201). Selon les termes de Perrin (1966, p. 140-141), le premier type est « psycho-physiologique et anti-intellectualiste » et le deuxième « psycho-sociologique et normatif ». Ce deuxième type possède davantage d’épaisseur sociologique : l’action n’est pas uniquement instinctive et biologique, mais aussi volontariste, orientée vers des valeurs et des fins. En effet, Parsons souhaitait que la sociologie soit la science de l’action sociale, et s’opposait donc à « toute forme de positivisme anti-intellectualiste dont les relents sont sous la forme d’une psychologie des instincts sont, dans l’œuvre de Pareto, plus manifestes que Parsons ne voudrait le reconnaître » (Chazel, 2011, p. 89). Cette extension de la notion de résidu aux fins de l’action sociale permet à Parsons de combler un point aveugle de la sociologie parétienne, à savoir précisément son manque de clarté quant à la nature des fins. Comme le soulignent Raymond Boudon (1999, p. 40) et Aron (1967, p. 413), Pareto suggère que les fins de l’individu, les objectifs qu’il poursuit et les valeurs qui le guident ne peuvent relever d’une action logique12. En définitive, l’interprétation parsonienne des résidus minimise leur portée psychologique et conceptualise une orientation normative de l’action.

21L’interprétation de Pareto dans SSA est donc audacieuse en ce qu’elle transforme la pensée parétienne. Premièrement, Parsons attribue à Pareto une dichotomie entre actions logiques économiques et actions non-logiques sociologiques. Il s’agit, en soi, d’une mésinterprétation du Traité. Mais cela procure à Parsons un argument d’autorité pour sa propre conception de l’épistémologie des sciences sociales, c’est-à-dire construire des catégories analytiques schématisées par abstraction. Deuxièmement, Parsons enrichit l’acception parétienne des résidus, ce qui complète sa propre théorie de l’action sociale, pensée comme dotée d’une orientation normative. Dans les deux cas, Parsons se place dans la lignée de Pareto et ne distingue pas clairement ses propres interprétations de la pensée parétienne originelle.

22Un débat s’ouvre alors : Parsons réussit-il une démarche interprétative inventive, ou, au contraire, se rend-il coupable d’une distorsion de la pensée parétienne ? Relevons l’avis des exégètes à ce propos. Pour Perrin (1966, p. 141), Parsons propose une interprétation originale, mais mélange ce qui revient à Pareto et ce qui revient à Parsons. Charles Powers (1987, p. 7), plus sévère, reproche à Parsons d’avoir déformé la pensée de Pareto au point de la rendre encore moins intelligible. Busino, au contraire, salue « la finesse des observations et la virtuosité des interprétations » (Busino, 1967, p. 88) de Parsons. Notre position est de reconnaître d’une part la créativité épistémologique et conceptuelle des interprétations de Parsons, et d’autre part de comprendre son absence de clarté quant à l’autorité de ces interprétations à l’aune du contexte intellectuel de l’époque.

2.The Social System : une interprétation réservée et centrée sur le système social

23Quatorze ans séparent SSA (1937) de TSS (1951). Pendant ce temps, Parsons développe des ambitions théoriques autour de la notion de système social (2.1). Sur la base de nouvelles orientations théorico-méthodologiques, il propose une interprétation plus circonspecte de la sociologie parétienne (2.2).

2.1. Parcours intellectuel de Parsons après The structure of social Action : succès du structuro-fonctionnalisme et réflexions sur le système social

  • 13 Mentionnons toutefois que le fonctionnalisme était aussi présent à Columbia avec Robert K. Merton, (...)

24Fort du succès de SSA, Parsons obtient le statut de professeur associé (associate professor) à Harvard en 1939, avec le soutien de Henderson (Parsons, 1970, p. 832). En 1944, il est nommé directeur du département de sociologie, poste qu’il occupe jusqu’en 1956. La sociologie étasunienne est alors dominée par deux départements aux dominantes méthodologiques et théoriques différentes : Harvard (structuro-fonctionnalisme parsonien) et Columbia (analyse d’enquêtes lazarsfeldienne) (Abbott et Sparrow, 2005, p. 285 ; Wallerstein, 2005, p. 429-430)13. Parallèlement, Parsons occupe plusieurs rôles stratégiques au sein de la sociologie étasunienne ; il préside notamment l’Association américaine de sociologie en 1949.

25Dans deux articles programmatiques publiés en 1945 et 1948, Parsons esquisse une « théorie structuro-fonctionnelle des systèmes sociaux ». Il souhaite associer théoriquement le système social traditionnellement étudié par la sociologie aux autres systèmes propres à l’économie ou à la science politique, car tous ces sous-systèmes forment un même système global (Parsons, 1948, p. 158). Cette théorie s’appuie sur une méthodologie structuro-fonctionnelle. Celle-ci suppose que le prérequis fonctionnel des systèmes sociaux est l’interdépendance des acteurs ordonnée autour de « catégories structurelles », c’est-à-dire des types stables et réguliers (« patterns ») de relations entre acteurs (ibid., p. 157-161 ; Pareto, 1954 [1945], p. 214).

26En 1970, Parsons affirme : « the concept of the system, in the action field as in others, has been central to my thinking from a very early stage. » (Parsons, 1970, p. 849). Puis, en 1977, il justifie la publication de Social Systems and the Evolution of Action Theory par la nécessité de rendre compte des évolutions de sa pensée quant à cette notion (Parsons, 1977, p. ix). Au rebours, SSA y fait peu de références. Pour Alasdair J. Marshall (2007, p. xix et p. 35-36), Parsons était concentré à corriger ce qu’il percevait comme des déficiences théoriques de la notion même de résidus ; il détournait alors son attention de l’inscription de ces résidus dans un système social.

  • 14 Les intérêts sont au fondement des actions logiques. Pour les exégètes qui estiment que Pareto cant (...)
  • 15 Comme le rappelle Aron (1967, p. 459), l’hétérogénéité revêt deux sens. Il s’agit premièrement de l (...)

27Parsons évalue donc Pareto à l’aune de cette nouvelle inflexion théorico-méthodologique. Rappelons la notion parétienne de système social. Formé de quatre éléments (résidus, intérêts14, dérivations et hétérogénéité sociale15) (Pareto, 1968 [1916], p. 1410, §2205), il « change de forme et de caractère avec le temps » (ibid., p. 1308, §2066). Il acquiert donc deux dimensions, « dynamique » (les configurations changeantes des quatre éléments) et « statique » (l’équilibre social à un instant précis) (ibid., p. 1589, §2396). Parsons mentionne que Pareto a le mérite de formuler la notion de système social, mais dans une acception peu féconde empiriquement (Parsons, 1948, p. 158 ; 1954 [1945], p. 226). En un mot, son défaut est de ne pas s’accompagner d’une méthodologie structuro-fonctionnelle. Parsons entreprend alors un nouveau rapport à la pensée parétienne.

2.2. Intuitions fondatrices et défauts analytiques : une analyse critique du système social parétien

28Dans TSS, et dans la continuité des articles de 1945 et 1948, Parsons salue la tentative parétienne de théorisation du système social, mais en explicite les failles. Tout d’abord, il rend hommage à Pareto pour avoir été l’un des rares auteurs à avoir promu une conception « claire et explicite » du système social. « Genuinely systematic treatment of personality as a system on the action level or any other for that matter, has not as yet been common among even the most eminent theorists in the field. The situation is parallel to that in the social system field, where Pareto stands almost alone in his clear and explicit conception of the social system. » (Parsons, 1951, p. 546).

29Il estime cependant que la démarche analytique parétienne n’est pas satisfaisante. Parmi les quatre composantes du système social, l’hétérogénéité sociale pose problème. Pour Parsons, il s’agit plus d’un effet empirique des trois autres variables (intérêts, résidus, dérivations) que d’une véritable catégorie analytique. Conceptualiser ces quatre variables en termes de « catégories structurelles », c’est-à-dire heuristiques dans n’importe quel système et à n’importe quelle époque (ibid., p. 483), aurait donc été utile pour la cohérence analytique et la rigueur théorique du système parétien (ibid., p. 226). Parsons entend alors rendre opérationnelle la perspective parétienne en la complétant par la méthodologie structuro-fonctionnelle : « This book therefore is an attempt to carry out Pareto’s intention, using an approach, the “structural-functional” level of analysis, which is quite different from that of Pareto, and, of course, taking advantage of the very considerable advances in our knowledge at many points, which have accumulated in the generation since Pareto wrote. » (ibid., 1951, p. vii).

30En somme, comme le résume Chazel, « la place dévolue à Pareto devient ainsi de plus en plus nettement celle d’un précurseur typique : il innove de façon géniale par la visée de son projet d’ensemble mais ne fournit pas en revanche les outils analytiques requis pour l’exécution de ce programme de recherche. » (Chazel, 2000, p. 148). Pareto perd son statut de fondateur pour devenir une référence : importante et pertinente, ainsi que critiquable et amendable.

Conclusion

31Cet article a exposé deux réceptions différenciées de la sociologie de Vilfredo Pareto par Talcott Parsons. Le Parsons de SSA voit en Pareto, alors auteur à la mode, une référence légitimatrice pour asseoir sa théorie de l’action sociale. Le Parsons de TSS cherche à élaborer une théorie du système social ; il loue la richesse des intuitions parétiennes, mais entend dévoiler et corriger ses défauts analytiques.

32Toutefois, distanciation ne signifie pas reniement. Parsons continua à éprouver un profond respect pour Pareto. En témoignent le ton reconnaissant de l’entrée qu’il lui consacra dans l’International Encyclopedia of the Social Sciences de 1968, et le fait qu’il se chargea de l’adresse inaugurale de l’International Conference on Vilfredo Pareto (1973). « Although he enjoyed a short-lived vogue in the United States in the 1930s, it seems fair to suggest that his reputation and influence have not been as great as they intrinsically deserve. » (Parsons, 1968, p. 411).

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Notes

1 Andrew Abbott et James T. Sparrow (2005, p. 308) parlent de « florid abstractions », Gøsta Esping-Andersen (2000, p. 76) de « highly abstract skeleton ».

2 Cette ligne de recherche est davantage présente en sciences humaines (Sapiro, 2012). A. H. Halsey (2004, p. 49) spécule que la reconnaissance du rôle des classiques est source d’embarras pour les sociologues, comme s’ils étaient réticents à imposer à leur propre discipline l’entreprise démystificatrice qu’ils appliquent au reste du monde social.

3 Par « œuvre », nous entendons autant le Traité de sociologie générale (ci-après Traité) que les écrits relatifs à l’économie et à la science politique. Comme le signalent Bernard Valade (1990, p. 10 et p. 16) et Giovanni Busino (1967, p. 42 et p. 61), le Traité n’est que l’exposé synthétique (en 1818 pages et 2612 paragraphes tout de même) de la pensée sociologique de Pareto. Ainsi, comme le préconise Aron (1967, p. 413-414), « on peut […] étudier la pensée sociologique de Pareto en s’attachant exclusivement au Traité de sociologie générale ; il n’en reste pas moins qu’une analyse complète de la pensée de cet auteur exigerait la considération des œuvres économiques, c’est-à-dire du Cours d’économie politique et du Manuel d’économie politique ».

4 Un exemple en est l’article incendiaire Harvard Pareto Circle. intitulé « What’s the Matter with Sociology », publié en 1939 par l’historien Brinton, pourtant membre du Il parle de « poor thing [that] has been ailing since Auguste Comte a hundred years ago », de « pariah subject », de « would-be science » portée par des « non-academics » (Brinton, 1939, p. 3).

5 Comme le précise Parsons : « Though the situation was not strictly comparable to what it would be now, it was even then anomalous that I remained at the instructor level for nine years, the first four in the Department of Economics, the last five in the newly constituted Department of Sociology. I had the misfortune of serving under unsympathetic chairmen in economics the late H. H. Burbank, in sociology P. A. Sorokin. My promotion to an assistant professorship occurred in 1936 and was pushed not by Sorokin but, notably, by E. F. Gay, E. B. Wilson, and Henderson, all of whom were «outside members» of the Department of Sociology. The first draft of The Structure of Social Action was in existence by then, and known to all the principals. » (Parsons, 1970, p. 832).

6 Le terme est bien « non-logique », et pas « illogique », car une action non-logique peut être la plus adaptée dans certaines conditions : « Remarquons d’ailleurs que non-logique ne signifie pas illogique ; une action non-logique peut être ce qu’on aurait pu trouver de mieux, d’après l’observation des faits et la logique, pour adapter les moyens au but ; mais cette adaptation a été obtenue par un autre procédé que par celui d’un raisonnement logique. » (Pareto, 1981 [1909], p. 41).

7 Voir Dalziel et Higgins (2006, p. 111) et Aspers (2001, p. 525) pour d’autres exemples d’une interprétation actions logiques – économie et actions non-logiques – sociologie.

8 « Il faut bien prendre garde de ne pas confondre les résidus (a) avec les sentiments, ni avec les instincts auxquels ils correspondent. Les résidus (a) sont la manifestation de ces sentiments et de ces instincts, comme l’élévation du mercure, dans le tube d’un thermomètre, est la manifestation d’un accroissement de température. » (Pareto, 1968 [1916], p. 461, §875).

9 Comme le synthétise clairement Georges-Henri Bousquet (1928, p. 135) : « Pareto, en classant les faits sociaux, cherche à séparer, comme on l’a fait dans les autres sciences, les parties constantes des parties variables. Ce qui reste, comme partie constante, ce sont certaines tendances, certains sentiments ; nommons-les “résidus” ; ce qui varie, ce sont les raisonnements, les théories, les manifestations verbales, qui dérivent de cet état d’esprit ; nommons-les dérivations. »

10 Nombre d’exégètes s’accordent sur le caractère obscur de cette classification. Busino, par ailleurs peu soupçonnable d’anti-parétisme, évoque un « embrouillamini typologique très énigmatique » (Busino, 1999, p. 28). Aron (1967, p. 450-451), insatisfait des critères de classification parétiens, propose même sa propre classification des résidus.

11 Notons que le « psychologisme » de Pareto, trait qui le distingue des autres sociologues classiques (Marshall, 2007), lui valut de nombreuses critiques. Par exemple, Guy Perrin qualifie la classification des résidus de « schème abstrait permettant d’expliquer l’action par un déterminisme psychologique élémentaire » (Perrin, 1966, p. 154). De la même manière, James Meisel soutient que le manque de clarté de Pareto quant aux résidus (« a muddle in Pareto’s mind ») traduit des connaissances psychologiques minimales, une « mid-Victorian approach to psychology » (Meisel, 1965, p. 28).

12 Aron pose le problème de cette manière : « Si le caractère logique et non logique s’applique uniquement à la relation entre les moyens et les fins, ces dernières peuvent-elles être autre chose que non logiques ? Ne résulte-t-il pas de la définition donnée du caractère logique des actions que le choix des fins ne peut pas être logique ? » (Aron, 1967, p. 413).

13 Mentionnons toutefois que le fonctionnalisme était aussi présent à Columbia avec Robert K. Merton, ainsi que l’analyse d’enquêtes à Harvard avec Samuel A. Stouffer.

14 Les intérêts sont au fondement des actions logiques. Pour les exégètes qui estiment que Pareto cantonne les actions logiques au domaine de l’économique, les intérêts sont uniquement de façade dans le système social. Par exemple, pour Perrin: « En fait, trois variables surtout importent au système social de Pareto : les résidus, les dérivations et l’hétérogénéité sociale. On y ajoute parfois les intérêts, liés à la motivation des actions logiques ; mais cette concession à la lettre des textes demeure purement formelle, car l’action logique ne tient qu’une place conventionnelle dans le modèle du système social, tel qu’il se trouve effectivement constitué dans le Traité. » (Perrin, 1966, p. 121). Busino critique fermement l’interprétation de Perrin, l’accusant de « scientisme » et de « rationalisme », se fixant sur les actions logiques et non-logiques en ce qu’elles indiqueraient une opposition entre rationnel et irrationnel : « On sent nettement la formation française de Perrin, docte combinaison de rationalisme moraliste et d’idéologie réformiste, de velléité scientiste et prétendue synthétique. » (Busino, 1967, p. 135, voir aussi 2003, p. 56).

15 Comme le rappelle Aron (1967, p. 459), l’hétérogénéité revêt deux sens. Il s’agit premièrement de l’hétérogénéité entre individus. Pareto distingue deux types d’individus : les rentiers (R), chez qui prédominent les résidus de la deuxième classe et les spéculateurs (S), davantage caractérisés par les résidus de la première classe. Par conséquent, « une société où prédominent presque exclusivement les individus de la catégorie (R) demeure immobile, comme cristallisée. Une société où prédominent les individus de la catégorie (S) manque de stabilité : elle est en état d’équilibre instable, qui peut être détruit par un léger accident à l’intérieur ou à l’extérieur. » (Pareto, 1968 [1916], p. 1433, §2235). Le deuxième sens de l’hétérogénéité sociale est la différenciation entre masses et élites. Pareto indique que dans « les pays démocratiques modernes », l’équilibre social se caractérise par la prédominance du type (S) chez les élites et du type (R) chez les masses (Pareto, 1968 [1916], p. 1435, §2236).

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Pour citer cet article

Référence papier

Coline Ferrant, « De l’action sociale au système social »Revue européenne des sciences sociales, 57-1 | 2019, 237-254.

Référence électronique

Coline Ferrant, « De l’action sociale au système social »Revue européenne des sciences sociales [En ligne], 57-1 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 17 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/ress/5312 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ress.5312

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Auteur

Coline Ferrant

CNRS – Sciences Po Paris, OSC – Northwestern University, Department of Sociology
coline.ferrant"at"sciencespo.fr

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Droits d’auteur

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