1Les séries télévisées sont devenues depuis une vingtaine d’années un objet culturel de premier plan aussi bien dans les pratiques que dans les programmations. Bien qu’anciennes, elles ont été l’objet d’un renouvellement impulsé par la production étatsunienne à partir des années 1990 (Feuer, Kerr et Vahimagi, 1984 ; Brunsdon, 1990 ; Cardwell, 2007 ; Feuer, 2007) associé à l’essor d’un ensemble de supports et services numériques qui ont participé à l’élargissement du catalogue des séries disponibles pour le public français, plus nécessairement limité à l’univers télévisuel. Pour ce dernier, il s’agit là d’une « nouvelle culture » parce qu’elle prend souvent les contours d’une conversion à une nouvelle pratique, dévaluée quelques années auparavant, notamment dans les milieux diplômés qui s’y sont récemment convertis.
2Sur le plan du contenu, ces séries ont des traits spécifiques : la multiplication des personnages et des lignes narratives et les « effets de réel » qui désignent leur articulation forte à la conjoncture et aux êtres. Les séries contemporaines fondent leur intérêt sur la densification des personnages, la multiplication et l’allongement des lignes narratives à travers la « feuilletonnisation » (Sepulchre, 2011), ainsi que sur la mise en résonnance du contexte historique et sociologique (Glevarec, 2010). À ces traits formels s’ajoutent des contenus communs relatifs aux difficultés existentielles des personnages, déjà mis en évidence par Sabine Chalvon-Demersay (1999) dès la série Urgences, et, plus récemment encore, au dévoilement des faces cachées des individus et des situations. Par exemple, le dédoublement du personnage via la voix off ou l’adresse au spectateur représente une forme caractéristique de la dimension réflexive de ce type de fictions contemporaines. Pour d’autres analystes, les séries font figure de caisses de résonnance des problématiques socio-culturelles d’une époque ou encore de symptômes de l’état des rapports sociaux de notre société (Chalvon Demersay, 1994 ; Macé, 2006). En résumé, les séries contemporaines constitueraient une particularité dans le domaine culturel en tant qu’elles s’offriraient comme un « miroir de la vie » (Winckler, 2002 ; 2005).
3Aussi, une partie conséquente des travaux se concentre-t-elle sur les séries elles-mêmes en interrogeant leurs caractéristiques sociologiques, stylistiques ou narratologiques (Bianchi, 1985 ; 1990 ; Pasquier, 1994 ; 1999 ; Calbo, 1999 ; Chalvon Demersay, 2004 ; Villez, 2005 ; Maigret et Soulez, 2007 ; Esquenazi, 2009 ; 2010 ; Barthes, 2010 ; Sepulchre, 2011 ; Morin, 2017). Cette évolution est à mettre au crédit des sciences de l’information et de la communication, des études de littérature anglo-américaine ou de cinéma, mais aussi de la philosophie qui en fait un objet d’éducation éthique (de Saint-Maurice, 2009 ; Laugier, 2019).
4Les dimensions matérielles et techniques de la rencontre des spectateurs avec les séries ont acquises, ces dernières années, une valeur structurante à la faveur de la multiplication des « médiations » (Hennion, 2004 ; 2006) dans le domaine culturel (Combes, 2013 ; 2015 ; 2017). DVD, vidéo-à-la-demande (VOD) et télévision de rattrapage (replay TV), réseaux pair-à-pair (P2P), streaming, ordinateurs, smartphones et tablettes numériques, etc. sont, en effet, constitutifs de nouveaux modes de consommation et d’expérience des séries télévisées. Ils concrétisent pour la plupart le déplacement rhétorique opéré par les industries culturelles, substituant au terme « programme » celui de « contenu » (Caldwell, 2004). La conséquence en est que le visionnage télévisé en direct des séries est ainsi devenu une forme parmi d’autres de leur consommation. Le contexte contemporain peut se décrire alors comme l’articulation de deux logiques. Une logique de désinstitutionnalisation de leur cadre antérieur (le programme de télévision et le téléviseur) et de désynchronisation (la diffusion et la réception simultanées), d’une part, avec la mise à disposition d’une plus grande variété de séries télévisées selon leur genre, durée et calendrier de diffusion. Et une logique de diversification des configurations de la pratique, d’autre part, suivant les types de supports, moments, sociabilités et choix (Napoli, 2011) privilégiés. Ainsi Barbara Klinger (2006) et Jean-Michel Guy (2001) soulignaient-ils déjà dans les années 2000 l’importance qu’avaient représentée, pour le film cinématographique, l’environnement domestique, la télévision, la VHS puis le DVD.
5La sociologie du public des séries s’est principalement penchée sur les amateurs particulièrement investis (Chalvon-Demersay, 1999 ; 2003 ; Combes, 2011) et l’on sait que, dans les années 1990, les séries télévisées américaines étaient investies par les jeunes adultes. Ils étaient presque deux fois plus nombreux que les plus de 50 ans à déclarer avoir regardé trois séries postérieures à la décennie 1990 selon l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 2008 (enquête EPCF) (Donnat, 2009). Comme en atteste le questionnement régulier du ministère de la Culture, la série n’apparaît comme genre spécifique, interrogé comme tel, qu’à partir de l’enquête 2008. Olivier Donnat notait que 76 % des Français citaient alors une série. Il ajoutait : « si les femmes et les personnes de moins de 45 ans sont les plus nombreuses à citer trois séries ou feuilletons, les écarts sur les variables sociodémographiques usuelles restent d’ampleur limitée du fait de la très grande diversité des séries aujourd’hui accessibles, tant au plan du contenu que des modalités de diffusion » (Donnat, 2009, p. 91).
- 1 Sans doute, cette objectivité (détermination par le capital) et cette prise de position relative (...)
6Donnat ajoutait que « l’offre est suffisamment riche pour que chacun trouve un programme répondant à ses attentes » (ibid.). Dans le prolongement de cette affirmation d’un goût individualisé, nous souhaitons tester l’hypothèse d’une différenciation de la pratique et du goût pour les séries, faisant écho à une diversification culturelle des univers de goûts et de pratiques. Une telle hypothèse semble, à première vue, contraster notamment avec une interprétation sociologique des pratiques culturelles, fréquente, en termes de distinction et de structuration des goûts par « la position sociale » (Bourdieu, 1979, p. 199). Rappelons que selon Pierre Bourdieu, les goûts expriment, du moins au niveau général des « styles de vie », dans les années 1960-1970, la « structure du capital (économique et culturel) » des individus. Sur l’axe hiérarchique des classes sociales, les « goûts de nécessité » s’opposent aux « goûts de luxe », l’attention au « fond » à l’attention à la « forme » ; au sein de la classe dominante, les « manières de se distinguer » rendent compte d’une opposition entre les dépenses culturelles des professeurs, les dépenses somptuaires des professions libérales et les dépenses gastronomiques des industriels ou gros commerçants (ibid., p. 204). Le principe d’analyse du goût est sa valeur d’expression de la « position sociale » (via une analyse sociologique associant le conditionnement par la « position dans la structure » et le style de vie comme « prise de position » relative à un autre style de vie [ibid., p. 191], le déterminisme et le relativisme des styles de vie1). L’hypothèse de différenciation semble prolonger, elle, l’analyse des pratiques culturelles contemporaines décrites comme plus éclectiques, moins contraintes institutionnellement et matériellement, et diverses du point de vue de l’expérience. En effet, la sociologie de la culture et des médias a insisté ces dernières années sur une certaine érosion de la pratique des genres culturels classiques, à l’instar de Bernard Lahire (2004) – quoique ce dernier soutienne aussi l’idée d’une « légitimité culturelle » classique persistante, notamment de la part des catégories supérieures –, et sur la montée des genres récents dans les univers de pratiques. La structuration de la participation culturelle contemporaine apparaît notamment corrélée au niveau d’études des individus, tandis que des variables d’âge, de génération, de genre, de situation professionnelle et familiale, ou encore de territoire, ont acquis une valeur qu’elles n’avaient pas ou qui n’étaient pas mises en évidence (Bennett, Savage, Silva, Warde, Gayo-Cal et Wright, 2009 ; Glevarec et Cibois, 2018 ; Glevarec, Nowak et Mahut, 2020 ; Glevarec, 2019b). Toutefois, une explication par le niveau d’études n’est pas équivalente à une explication par le « capital culturel » si ce niveau d’études renvoie à la maîtrise d’une compétence et non à un rapport social de domination (Glevarec, 2019a). L’hypothèse de différenciation de la consommation sérielle peut porter sur deux dimensions de la pratique culturelle : au niveau des objets culturels (les individus regardent-ils des séries différentes ?) et au niveau du goût (les individus ont-ils des préférences différenciées ?). Elle peut recouvrir deux significations sociologiques : une signification (simplement) descriptive : rendre compte de différences ; et une signification interprétative : désigner des principes spécifiques permettant de comprendre les différences.
- 2 Équipement d’excellence DIME-SHS financé par une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de l (...)
- 3 Quelques individus n’ont pas leurs variables socio-démographiques renseignées. Ils sont ainsi 77 (...)
- 4 Ces derniers doivent répondre tous les mois à des enquêtes portant sur des sujets divers élaborée (...)
7Cet article se donne pour objectif d’examiner l’hypothèse de différenciation du goût pour les séries télévisées à partir d’une enquête originale, dont le questionnaire a été réalisé par nos soins, intitulée « Sociologie des séries télévisées : goûts, dispositifs et modalités de la pratique » (SERIES), passée dans le cadre du dispositif Elipss (« Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales ») porté par le CDSP (Centre de données socio-politiques de Sciences Po et du CNRS)2. Réalisée en juin et juillet 2017 auprès de 2439 personnes représentatives de la population française adulte métropolitaine3, l’enquête SERIES a été administrée par le biais de tablettes connectées à Internet, mises à la disposition des panélistes d’Elipss4. Cette enquête est par ailleurs appariée avec une enquête annuelle qui permet de collecter les informations démographiques et socio-économiques concernant les panélistes. D’une durée d’une trentaine de minutes environ, le questionnaire recueille des données issues de questions fermées et ouvertes portant sur les pratiques et les préférences des Français en matière de séries.
8Pour l’examen de cette hypothèse de la différenciation nous procèderons en trois temps : en examinant tout d’abord la caractéristique du public privilégié des séries (1), puis la structuration des séries vues (2), et enfin, la structuration par le goût et la pratique (3). Au terme de l’analyse, une classification hiérarchique visera à inscrire ces pratiques sérielles différenciées au sein de trois grands ensembles associant types de série, usages et préférences (4).
9En 2017, la consommation de séries est une pratique largement répandue en France. Dans l’enquête SERIES, neuf Français adultes sur dix (91,0 %) déclarent avoir suivi une série au cours de leur vie, soit 2231 individus « spectateurs de séries ». La pratique hebdomadaire des séries caractérise une grande part d’entre eux, deux tiers (68,4 % au total) regardent au moins un épisode de série par semaine (Tableau 1). À l’inverse, un Français sur cinq ne serait pas ou peu concerné par ce genre culturel, qui déclare en consommer « plus rarement [qu’une fois par mois] voire jamais ».
Tableau 1. Fréquence de visionnage des séries et feuilleton
|
Sur 100 personnes déclarent regarder des séries, feuilletons
|
|
Tous les jours ou presque
|
26,9
|
|
Environ 3 ou 4 fois par semaine
|
19,3
|
|
Environ 1 ou 2 fois par semaine
|
22,2
|
|
Environ 1 à 3 fois par mois
|
10,7
|
|
Plus rarement voire jamais
|
13,2
|
|
Non concerné
|
4,0
|
|
N’a pas répondu
|
3,8
|
Note : N = 2439 Ensemble des individus ; Tous les effectifs sont supérieurs à 10.
Question : « Quels types d’émissions de télévision regardez-vous, que ce soit en direct ou en différé / rattrapage, sur un téléviseur ou un autre support ? »
Source : Enquête SERIES 2017.
10Les sociologues ont montré l’importance de la télévision dans les milieux populaires (Hoggart, 1970 ; Masclet, 2018) et sa consommation forte parmi les plus âgés et les faiblement diplômés (Le Grignou et Neveu, 2017, p. 59-62). Relativement aux séries, Donnat (2009) notait la surreprésentation des femmes et des moins de 45 ans parmi les forts spectateurs. L’enquête confirme que la consommation sérielle, qui n’est pas que télévisuelle mais aussi numérique (multiples supports [DVD, Blu-ray] et services légaux ou non [VOD, replay TV, téléchargement, streaming, etc.]), se caractérise par un investissement des femmes, des jeunes et des peu diplômés (cf. Tableau 2). Davantage que les hommes, les femmes déclarent suivre ou avoir déjà suivi une ou plusieurs séries et en visionner plus régulièrement. Une Française sur trois regarde des séries « tous les jours ou presque » (31,9 %), contre moins d’un Français sur quatre (23,2 %). La consommation de séries tend à diminuer avec l’âge. Si les 31-50 ans sont les plus nombreux à se dire spectateurs de séries, du point de vue de la fréquence, les plus jeunes regardent plus fréquemment. Ainsi, près de deux Français de 19-30 ans sur cinq regardent-ils des séries quotidiennement ou presque ; ce n’est le cas que d’un Français de plus de 70 ans sur cinq.
11Si le fait d’être ou non spectateur de séries est positivement corrélé au niveau de diplôme, il semble en revanche globalement peu lié à la catégorie socio-professionnelle. On constate seulement une légère prévalence des employés, des cadres et professions intellectuelles supérieures, et des professions intermédiaires. Les chômeurs et « autres inactifs » sont également très concernés, conformément à ce qu’Olivier Schwartz (1990) notait déjà dans les années 1980 à propos de l’omniprésence de la télévision chez les personnes en recherche d’emploi. On notera le taux de visionnage plus faible de la part des ouvriers, dont on sait le fort intérêt pour la télévision en général, laissant alors envisager une valorisation de la déclaration chez les catégories supérieures.
- 5 Également en situation de non-emploi, les retraités ne sont pas concernés par ce constat : ils ap (...)
12Les personnes en situation de non-emploi (chômeurs, autres inactifs)5 présentent la consommation sérielle la plus quotidienne, loin devant les cadres et professions intellectuelles supérieures dont la consommation se fait plus hebdomadaire. Cette fréquence de consommation s’espace à mesure que le niveau de diplôme augmente : tandis qu’un non diplômé ou titulaire du brevet sur trois dit regarder des séries et feuilletons tous les jours ou presque, cela ne concerne qu’un Français sur six détenteur d’un niveau baccalauréat plus trois années ou plus.
Tableau 2. Consommation de séries et feuilletons selon le sexe, l’âge, la PCS, le diplôme et le revenu
|
ont suivi une série au cours de la vie
|
regardent des séries, feuilletons
|
|
Sur 100 spectateurs
de chaque groupe
|
Tous les jours ou presque
|
Environ 3 ou 4 fois par semaine
|
Environ 1 ou 2 fois par semaine
|
Environ 1 à 3 fois par mois
|
Plus rarement voire jamais
|
|
Ensemble
|
91,0
|
27,7
|
20,0
|
22,9
|
11,4
|
14,1
|
|
Sexe
|
|
|
Homme
|
88,2
|
23,2
|
19,2
|
20,5
|
13,6
|
18,8
|
|
Femme
|
93,2
|
31,9
|
20,9
|
25,2
|
9,3
|
9,6
|
|
Âge
|
|
|
19-30 ans
|
88,8
|
38,4
|
23,8
|
16,6
|
12,6
|
6,0
|
|
31-40 ans
|
95,6
|
31,6
|
23,1
|
26,6
|
8,8
|
8,3
|
|
41-50 ans
|
96,1
|
26,7
|
20,4
|
25,3
|
12,6
|
12,3
|
|
51-60 ans
|
93,8
|
27,0
|
18,0
|
26,5
|
10,2
|
15,2
|
|
61-70 ans
|
88,0
|
23,7
|
21,5
|
17,9
|
11,0
|
18,9
|
|
71 ans et plus
|
76,0
|
17,8
|
11,2
|
22,5
|
14,7
|
26,4
|
|
Catégorie socioprofessionnelle
|
|
|
Agriculteurs, artisans, com., chefs ent.
|
92,6
|
20,6
|
22,2
|
25,4
|
12,7
|
14,3
|
|
Cadres, prof. intellectuelles sup.
|
96,6
|
14,1
|
19,7
|
30,3
|
16,7
|
18,7
|
|
Professions intermédiaires
|
96,4
|
22,5
|
23,0
|
30,0
|
12,3
|
10,2
|
|
Employés
|
96,6
|
29,8
|
24,8
|
25,4
|
9,1
|
9,7
|
|
Ouvriers
|
87,8
|
31,8
|
18,4
|
19,0
|
10,6
|
11,7
|
|
En études
|
76,6
|
34,3
|
14,1
|
23,2
|
17,2
|
11,1
|
|
Chômeurs
|
95,3
|
50,6
|
19,4
|
17,8
|
3,3
|
6,1
|
|
Retraités
|
83,6
|
21,5
|
17,5
|
19,7
|
12,2
|
22,4
|
|
Autres inactifs
|
93,9
|
42,3
|
19,8
|
17,1
|
8,1
|
7,2
|
|
Niveau de formation
|
|
|
Sans diplôme ou Brevet des collèges
|
88,7
|
35,0
|
20,0
|
21,3
|
6,9
|
12,0
|
|
CAP ou BEP
|
90,2
|
33,8
|
19,3
|
20,4
|
9,0
|
12,6
|
|
Baccalauréat
|
90,4
|
24,6
|
19,9
|
24,8
|
12,4
|
14,4
|
|
Diplômes de niveau Bac+2
|
92,4
|
22,3
|
20,6
|
25,3
|
16,5
|
12,5
|
|
Diplômes de niveau Bac+3 et plus
|
93,9
|
15,3
|
20,8
|
24,4
|
15,9
|
21,8
|
|
Revenus
|
|
|
< à 1200 euros
|
91,5
|
42,4
|
22,3
|
15,3
|
8,6
|
7,9
|
|
Entre 1 200 et 1 899 euros
|
91,0
|
27,9
|
18,5
|
24,6
|
10,8
|
14,8
|
|
Entre 1 900 et 3 200 euros
|
92,6
|
19,5
|
18,9
|
25,5
|
14,5
|
16,3
|
|
> à 3 200 euros
|
86,8
|
15,8
|
13,9
|
28,6
|
13,9
|
25,1
|
Note : N = 2362 (valeurs socio-démographiques renseignées des panélistes) ; Les effectifs inférieurs à 10 sont indiqués en italiques.
Questions : « Même de façon peu régulière, avez-vous suivi à un moment de votre vie une série ou un feuilleton télévisé, à la télévision ou ailleurs (en cassettes, DVD, sur Internet, etc.) ? » ; « Quels types d’émissions de télévision regardez-vous, que ce soit en direct ou en différé/rattrapage ou sur un autre support ? »
Source : Enquête SERIES 2017.
13Faisant suite à la question générale sur la pratique sérielle au cours de la vie, une question ouverte de l’enquête demandait aux panélistes spectateurs de séries au cours de leur vie (N =2231), de citer les séries vues « intégralement ou presque (plusieurs saisons) au cours des trois dernières années ». Si le critère des « trois ans » n’offre pas un filtre très strict parmi les souvenirs, il a été choisi toutefois en vue de recueillir des séries visionnées dans un passé récent. Un tiers de ces « spectateurs » n’a cité aucune série vue au cours des trois dernières années (cf. Tableau 3). La propension à ne pas citer de séries relève plutôt de personnes âgées et des catégories d’artisans, commerçants et chefs d’entreprises, d’ouvriers et de chômeurs.
Tableau 3. Nombre de séries vues en intégralité au cours des trois dernières années selon les variables socio-démographique
|
Sur 100 spectateurs de séries, déclarent avoir vue en intégralité au cours des trois dernières années
|
Aucune
|
1 seule série
|
2 à 4
|
5 séries et plus
|
|
Ensemble
|
33,9
|
18,6
|
25,5
|
22,1
|
|
Sexe
|
|
|
Femme
|
30,6
|
17,3
|
27,9
|
24,3
|
|
Homme
|
37,5
|
20,0
|
22,9
|
19,6
|
|
Âge
|
|
|
19-30 ans
|
36,7
|
5,3
|
30,0
|
28,0
|
|
31-40 ans
|
31,4
|
11,4
|
29,5
|
27,6
|
|
41-50 ans
|
36,5
|
17,7
|
29,3
|
16,6
|
|
51-60 ans
|
23,2
|
32,6
|
21,5
|
22,7
|
|
61-70 ans
|
30,3
|
28,3
|
23,7
|
17,7
|
|
71 ans et plus
|
49,6
|
18,0
|
15,0
|
17,3
|
|
PCS
|
|
|
Agri., arti., com., chefs ent.
|
56,7
|
16,7
|
20,0
|
6,7
|
|
Cadres, prof. intellectuelles sup.
|
21,3
|
9,8
|
31,1
|
37,7
|
|
Professions intermédiaires
|
31,9
|
10,0
|
27,5
|
30,6
|
|
Employés
|
21,4
|
18,5
|
34,7
|
25,4
|
|
Ouvriers
|
43,5
|
32,9
|
17,6
|
5,9
|
|
En études
|
34,4
|
3,3
|
36,1
|
26,2
|
|
Chômeurs
|
43,2
|
10,8
|
18,9
|
27,0
|
|
Retraités
|
37,5
|
24,9
|
19,8
|
17,7
|
|
Autres inactifs
|
15,9
|
24,6
|
37,7
|
21,7
|
|
Niveau de formation
|
|
|
Diplômes de niveau Bac +3 ou plus
|
35,4
|
10,4
|
19,8
|
34,4
|
|
Diplômes de niveau Bac +2
|
30,7
|
12,4
|
26,8
|
30,1
|
|
Bac général, techno. ou professionnel
|
32,0
|
14,6
|
25,1
|
28,3
|
|
CAP ou BEP
|
36,5
|
23,1
|
25,5
|
14,9
|
|
Sans diplôme ou Brevet des collèges
|
34,1
|
22,2
|
26,6
|
17,1
|
Note : N = 2158 (valeurs socio-démographiques renseignées des spectateurs de séries). Les effectifs inférieurs à 10 sont indiqués en italiques.
Question : « Au cours des trois dernières années, quelles sont les séries ou feuilletons que vous avez vus en intégralité, ou presque (plusieurs saisons) ? ».
Source : Enquête SERIES 2017.
14Les catégories déclarant le plus de séries sont les jeunes et les diplômés. Les maxima de séries mentionnées sont atteints par deux femmes citant respectivement 67 et 68 séries. La première, cadre d’entreprise de 37 ans, diplômée du second cycle au moins et célibataire, cite Game of Thrones, The Walking Dead, Grey’s Anatomy, Homeland et How I Met Your Mother comme ses cinq séries préférées. La seconde, personnel des services aux particuliers, âgée de 59 ans, bachelière et également célibataire a, quant à elle, indiqué comme séries préférées Dr House, Wallander, Capitaine Marleau, Grey’s Anatomy et Braquo.
15En résumé, si la pratique des séries rejoint l’univers des pratiques culturelles des catégories diplômées (Coulangeon, 2005), elle se spécifie comme féminine et jeune.
- 6 Nous remercions vivement Maxime Valette, directeur de BetaSeries, pour cette mise à disposition : (...)
16La déclaration des séries vues a été recueillie à l’aide d’une question par auto-complétion et suggestion à partir des premières lettres tapées par le panéliste, auto-complétion permise par une liste exhaustive de plusieurs milliers de séries fournies par le site BetaSeries6.
17Parmi les 2231 spectateurs de séries (au cours de leur vie), deux tiers (66,9 %), soit 1491 personnes, citent au moins une série vue au cours des trois dernières années. Ces spectateurs-déclarants ont indiqué 889 séries au total.
18La série la plus mentionnée en 2017 est la série « médicale » Grey’s Anatomy (cf. Tableau 4). Elle l’est par 11,2 % des spectateurs de séries et par 16,7 % de ceux qui ont cité au moins une série vue au cours des trois dernières années. Elle est suivie par Game of Thrones. Viennent ensuite, bien moins citées, les séries Plus belle la vie, NCIS et Esprit criminels. Les dix séries les plus citées comptent huit séries états-uniennes et deux séries françaises, Plus belle la vie et Alice Nevers.
Tableau 4. Les séries vues les plus citées
|
Sur 100 Français déclarent avoir vu au cours des trois dernières années
|
Effectifs
|
Part des spectateurs (N=2231)
|
Part des répondants ayant cité au moins une série (N=1491)
|
|
grey’s anatomy
|
246
|
11,2
|
16,7
|
|
game of thrones
|
239
|
11,0
|
16,2
|
|
plus belle la vie
|
142
|
6,2
|
9,6
|
|
ncis
|
129
|
5,5
|
8,7
|
|
esprits criminels
|
111
|
5,1
|
7,5
|
|
the walking dead
|
98
|
4,9
|
6,6
|
|
alice nevers, le juge est une femme
|
94
|
3,8
|
6,4
|
|
docteur house
|
93
|
3,7
|
6,3
|
|
the mentalist
|
89
|
3,6
|
6,0
|
|
breaking bad
|
85
|
4,2
|
5,8
|
|
desperate housewives
|
81
|
3,9
|
5,5
|
|
candice renoir
|
80
|
3,1
|
5,4
|
|
homeland
|
76
|
2,8
|
5,1
|
|
les experts : miami
|
73
|
3,4
|
4,9
|
|
friends
|
68
|
3,2
|
4,6
|
|
prison break
|
67
|
3,0
|
4,5
|
|
les experts : manhattan
|
66
|
2,7
|
4,5
|
|
vikings
|
61
|
2,8
|
4,1
|
|
house of cards
|
60
|
2,4
|
4,1
|
|
section de recherches
|
58
|
2,9
|
3,9
|
|
dexter
|
58
|
2,6
|
3,9
|
|
castle
|
56
|
2,0
|
3,8
|
|
ncis: los angeles
|
54
|
2,3
|
3,7
|
|
bones
|
52
|
2,4
|
3,5
|
|
orange is the new black
|
51
|
3,5
|
3,5
|
|
le bureau des légendes
|
51
|
1,9
|
3,5
|
|
profilage
|
51
|
1,9
|
3,5
|
|
les petits meurtres d’agatha christie
|
50
|
2,2
|
3,4
|
Champ : séries citées par plus de 2 % des spectateurs.
Question : « Au cours des trois dernières années, quelles sont les séries ou feuilletons que vous avez vus en intégralité, ou presque (plusieurs saisons) ? »
Lecture : 11,2 % des spectateurs de séries ou encore 16,7 % des répondants (soit 246 individus) ont cité Grey’s Anatomy comme série vue au cours des trois dernières années.
Source : Enquête SERIES 2017.
- 7 En 2008, les séries les plus citées par les Français de 15 ans et plus déclarant en avoir regardé (...)
19Comme l’indiquent le tableau 4 et la comparaison avec l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 2008, le taux de plébiscite des séries s’accompagne d’une dépendance à l’actualité de la diffusion télévisée ou en ligne, qu’elle soit elle-même le fait d’une offre télévisuelle ou d’une disponibilité sur Internet, comme c’est le cas pour Game of Thrones7.
20Les séries citées appartiennent majoritairement à la période la plus récente (2000-2017) et, a contrario, rares sont mentionnées des séries antérieures aux années 1990. Le format feuilletonnant (des épisodes formant une trame narrative) domine le format unitaire (des épisodes indépendants les uns des autres), de même que les chaînes états-uniennes dominent les chaînes françaises.
- 8 Ces spectateurs citent d’autres séries par ailleurs. Seuls 13 spectateurs citent une seule série (...)
21Sur ces 889 séries citées comme vues au cours des trois dernières années, 382 sont des hapax, soit 43 % d’entre elles, citées une seule fois par un seul spectateur8. On remarque ainsi une longue traîne à la structure des séries vues représentant presque la moitié d’entre elles (cf. Graphique 1). Cette longue traîne témoigne d’un aspect particularisé de la pratique sérielle.
Graphique 1. Longue traîne des séries vues
Lecture : la série Grey’s Anatomy est citée 246 fois et elle est la série la plus citée (rang =1).
Source : Enquête SERIES 2017. Ensemble des séries citées.
22Un quart des séries (26,9 %) sont citées entre deux et quatre fois, soit par deux, trois ou quatre personnes (cf. Graphique 2). Les séries citées 5 à 19 fois représentent 20,7 % des séries citées. Enfin, celles citées 20 fois ou davantage représentent 9,4 % de l’ensemble. On appréhende là une caractérisation de la pratique : les séries citées une seule fois dominent l’ensemble des séries vues. Une différenciation des œuvres visionnées semble trouver une première manifestation dans la structure des citations des séries vues (cf. Graphique 2).
Graphique 2. Structure des citations des séries vues
Question : « Au cours des trois dernières années, quelles sont les séries ou feuilletons que vous avez vus en intégralité, ou presque (plusieurs saisons) ? »
Lecture : 43 % des séries citées l’ont été une seule fois.
Source : Enquête SERIES 2017. Ensemble des séries citées.
23La structure des citations des séries les plus citées peut se décrire selon deux perspectives (cf. Tableau 5). Selon la première, on note que 30,2 % des répondants citent au moins une des deux premières séries, 56,8 % au moins une des dix premières et 84,9 % au moins une des cinquante premières. Selon une seconde perspective, on peut relever que seulement 2,3 % des répondants citent les deux premières séries (c’est-à-dire à la fois Grey’s Anatomy et Game of Thrones), 22,9 % en citent au moins deux parmi les dix premières et 53,5 % au moins deux parmi les cinquante premières. Enfin, un nombre infime (1,5 %) citent au moins dix séries parmi les cinquante premières.
Tableau 5. Structure des citations cumulatives des séries les plus citées
|
Sur 100 spectateurs qui ont cité au moins
|
une série
|
deux séries
|
trois séries
|
quatre séries
|
cinq séries
|
dix séries
|
|
qui correspond à la série la plus citée (Grey’s Anatomy)
|
16,5
|
|
|
|
|
|
|
parmi les deux séries les plus citées (Grey’s A. et GOT)
|
30,2
|
2,3
|
|
|
|
|
|
parmi les trois premières séries les plus citées
|
37,4
|
4,6
|
0,1
|
|
|
|
|
parmi les quatre premières séries les plus citées
|
43,0
|
7,0
|
0,7
|
0,1
|
|
|
|
parmi les cinq premières séries les plus citées
|
45,7
|
10,3
|
1,9
|
0,2
|
0,1
|
|
|
parmi les six premières séries les plus citées
|
47,4
|
14,1
|
2,7
|
0,4
|
0,1
|
|
|
parmi les sept premières séries les plus citées
|
51,2
|
15,6
|
3,3
|
0,7
|
0,1
|
|
|
parmi les huit premières séries les plus citées
|
53,5
|
18,4
|
3,8
|
1,1
|
0,3
|
|
|
parmi les neuf premières séries les plus citées
|
55,0
|
20,9
|
5,0
|
1,6
|
0,6
|
|
|
parmi les dix premières séries les plus citées
|
56,8
|
22,9
|
6,6
|
1,7
|
0,7
|
0
|
|
parmi les 50 premières séries les plus citées
|
84,9
|
53,5
|
34,1
|
19,1
|
11,0
|
1,5
|
Champ : Ensembles des spectateurs et des séries citées (N = 1491). Les pourcentages ne sont pas pondérés.
Lecture : 30,2 % des spectateurs de séries citent au moins une des deux séries les plus citées et 2,3 % citent au moins les deux séries.
Source : Enquête SERIES 2017.
24Une telle structure confirme un goût sériel particularisé, à la fois polarisé par des séries partagées – mais partagées en nombre réduit –, et diffracté en une pluralité d’ensembles pour partie sécants. Les séries vues semblent soutenir l’hypothèse d’une première sorte de différenciation, une particularisation par les œuvres visionnées.
25Si la pratique des séries vues apparaît diffractée au niveau des œuvres, qu’en est-il au niveau des séries partagées ? Quels principes structurent les séries communes aux panélistes ? L’analyse factorielle, adaptée à la description des différences et des proximités entre modalités d’un grand nombre de variables (Cibois, 1983), permet de décrire les ensembles de séries vues proches et les principales oppositions qui structurent ces ensembles. Les variables supplémentaires socio-démographiques, d’une part, de goûts et de pratiques, d’autre part, aident à interpréter le sens de ces affinités.
- 9 Cet effet se maintient quelle que soit la méthode utilisée, notamment la méthode dite de l’ACM sp (...)
- 10 Les valeurs propres des deux analyses (ACM et tableau de Burt suivi d’une AFC) sont liées par la (...)
26Dans un premier temps de l’analyse, nous avons soumis les 889 séries citées comme vues au cours des trois derniers mois à une analyse factorielle des correspondances multiples (ACM) afin de faire apparaître des ensembles de séries proches. Les non-réponses (les nombreuses séries non mentionnées par l’immense majorité des individus) étant massives, elles structurent le premier axe de l’analyse factorielle, rendant celui-ci faiblement interprétable – il représente un effet de codage résultant des non-réponses, envers de la particularisation des séries citées9. L’axe 1 oppose ces très forts effectifs, constitués des non-réponses, aux petits effectifs. Aussi, avons-nous abandonné la manière canonique de faire une telle analyse (ACM) au profit d’une analyse factorielle des correspondances (AFC), à partir d’un tableau dit « de Burt », croisant les séries entre elles, et en retirant lignes et colonnes correspondants aux non-réponses10.
27On notera toutefois que cet axe 1 de l’ACM initiale distingue, sur le plan des variables sociodémographiques, les catégories faiblement diplômés, populaires et de retraités des catégories fortement diplômés, moyennes et supérieures et d’étudiants. C’est un axe de la fréquentation des séries qui opposent ceux qui en citent et ceux qui n’en citent pas. Il s’agit là d’une première description qui porte moins sur les formes du goût que sur la pratique elle-même, laquelle est structurée par une opposition sociale traditionnelle dans le domaine culturel entre pratiquants et non-pratiquants. Aussi, si l’on veut s’intéresser aux goûts sériels, il faut considérer les spectateurs qui ont déclaré au moins une série comme vue au cours des trois dernières années et opéré un choix parmi l’ensemble des 889 séries. Autrement dit, s’il y a différenciation, elle opère dans l’univers des spectateurs de séries.
28Nous avons choisi de retenir les séries dont le nombre de citations (c’est à dire le nombre des individus l’ayant citée) est au minimum de 20 : soit 84 séries au total qui ont donc la particularité d’être « communes ». Ces 84 séries les plus citées représentent 1354 individus qui ont citées au moins l’une d’entre elles, soit 60,6 % des spectateurs déclarés. Ce choix s’accompagne de deux mises à l’écart : 1) par rapport aux 1491 spectateurs, 137 individus sont donc exclus de l’analyse parce qu’ils n’ont pas cité au moins l’une des 84 séries les plus citées par l’ensemble des spectateurs ; 2) les autres séries que les 1354 individus retenus ont pu citer sont exclues de l’analyse. Quelles sont les caractéristiques des spectateurs exclus ? Ces spectateurs citent massivement une seule série (63,9 % d’entre eux) et un seul en cite cinq.
- 11 Les fréquences actives de l’AFC jouent le même rôle que les modalités actives de l’ACM.
29L’analyse factorielle des correspondances a été menée sur les 84 séries citées utilisées en fréquences actives11. En fréquences illustratives sont utilisés, d’une part, le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle individuelle, le diplôme, le revenu (par unité de consommation), la vie en couple, le statut matrimonial et l’agglomération et, d’autre part, le genre de série préférée, le support/fréquence, la source/fréquence. Nous retenons le plan des deux premiers facteurs dont les deux premières valeurs propres (VP) sont VP1 =0,33 et VP2 =0,23. Pour étudier le premier plan factoriel, nous avons retenu l’ensemble des 84 modalités actives et symbolisé, par la taille du triangle, leur contribution à l’un ou l’autre des deux premiers facteurs.
30Le plan 1-2 articule deux logiques (cf. Figure 1). À droite de l’axe 1 sont situées des séries françaises de format essentiellement unitaire : Alice Nevers, Section de recherches, Julie Lescaut, etc. À l’opposé de cet axe, on trouve des séries américaines et feuilletonnantes : Game of Thrones, The Walking Dead, Homeland, etc. Ce premier axe donne à voir une différenciation contemporaine entre les séries télévisées nationales et les séries américaines vues hors du flux télévisuel. L’axe 2 précise cette opposition en différenciant les séries diffusées sur les chaînes publiques (France Télévision) et Canal + – Candice Renoir, Caïn, Le Bureau des légendes, etc. – et les séries des chaînes privées (TF1, M6, TMC, etc.) – Hawaï 5-0, NCIS, Les Experts : Miami, etc.
Figure 1. L’espace des séries vues. Plan factoriel des axes 1 et 2
Note : la taille des triangles est proportionnelle à la contribution de la série. Les ellipses représentées sur le plan factoriel sont les ellipses de concentration (kappa =2, contenant 86 % de la population) correspondant à la classification hiérarchique qui suit l’analyse factorielle (infra).
Champ : 84 premières séries citées comme vues en intégralité au cours des trois derniers mois correspondant à N supérieur ou égal à 20 citations.
Source : Enquête SERIES 2017.
31La figure 2 représente les variables supplémentaires sociodémographiques et des préférences. Nous avons indiqué les liens entre les modalités d’âge, de niveaux d’étude (le certificat d’études [CEP], lié à une génération ancienne, n’a pas été retenu), de revenu et de catégories socio-professionnelle. Ce graphique montre l’orthogonalité des deux dimensions d’âge et de niveau d’étude, la première liée à l’axe 1 et la deuxième à l’axe 2 mais se positionnant sur les diagonales du graphique. À l’intersection des deux dimensions se situent celle du revenu et, dans une moindre mesure, celle des catégories socio-professionnelles. Sur l’axe 2 se joue une différenciation entre cadres et employés, grosses agglomérations dont Paris, et petites agglomérations. C’est aussi sur cet axe que se manifeste une différenciation selon le sexe.
Figure 2. L’espace des variables illustratives sociodémographiques et de goûts. Plan factoriel des axes 1 et 2
Source : Enquête SERIES 2017.
32Le plan des variables supplémentaires des conditions de visionnage (cf. Figure 3) enrichit le sens de l’opposition propre à l’axe 1. Les modes de consommation font la part belle, à droite de l’axe, au téléviseur et au direct télévisé quotidien, à sa gauche, aux téléchargements et streaming hebdomadaires ainsi qu’à l’ordinateur (fixe et portable). L’axe 2 oppose quant à lui les supports smartphone et tablettes au support téléviseur.
Figure 3. L’espace des variables illustratives d’usages. Plan factoriel des axes 1 et 2
Note : Les libellés des modalités centrales ont été retirées ; les modalités d’usage du direct et du support télévisés ont été reliées, et les valeurs extrêmes du nombre de séries citées soulignées.
Source : Enquête SERIES 2017.
33Il apparaît en définitive que le parcours qui va du quadrant haut droit au quadrant haut gauche dans le sens des aiguilles d’une montre fait passer d’un goût – en considérant qu’une ou plusieurs saisons vues en intégralité ou en quasi-intégralité manifeste l’appétence – pour des séries françaises du service public privilégiées par des catégories diplômées et âgées, à des séries françaises et états-uniennes unitaires des chaînes privées vues par des catégories faiblement diplômées (quadrant bas droit), puis à des séries états uniennes jeunes, plus spécialisées, feuilletonnantes et davantage rattachées à l’écosystème d’internet (sites illégaux de streaming et téléchargement, plateformes SVOD comme Netflix, etc.) citées par les jeunes générations actuelles (quadrant bas gauche), et enfin, en remontant, des séries, toujours principalement étrangères et liées à l’univers d’Internet et à la chaîne à péage Canal+, vues par des catégories diplômées.
- 12 Nous reprenons là le mot de Jessica, 17 ans, lycéenne, qui, parlant de ses séries dans le cadre d (...)
- 13 Le « surnaturel » n’échappe pas à ce caractère anticipatoire. Jessica ajoute ainsi : « Ça me perm (...)
34Enfin, les goûts pour les séries télévisées dans les années 2000 semblent se comprendre comme un goût différencié selon des principes d’affinité générique et thématique avec des contenus fictionnels qui associent, suivant les diagonales (cf. Figure 2), le quart haut gauche avec les contenus liés à la conjoncture socio-politique (genres préférés : politique, dramatique, historique), le quart bas droit avec les séries mettant en scène des univers professionnels, des relations humaines et des enquêtes (genres préférés : romantique, médical et judiciaire), le quart haut droit avec les contenus sociaux socio-historiques (genres préférés, près du centre : policier, historique) et, enfin, le quart bas gauche le surnaturel12 (genres préférés : animation, fantastique, horreur mais aussi action et aventure). On pourrait qualifier ainsi quatre types d’effet de réel – préféré au réalisme parce qu’il est plus anticipateur que documentaire13 – portés par la fiction et recherchés par des publics aux attentes différenciées : socio-politique, émotionnel, social et fantastique.
35Si l’essentiel des séries est encore produit par et pour la télévision, les modes de pratique des séries permettent de distinguer des séries du numérique, des séries de la télévision privée et des séries de la télévision publique. Les premières sont ainsi nommées car elles relèvent de l’univers d’Internet, du point de vue de leur production (avec les séries désormais produites par les acteurs de la VOD, Netflix ou Amazon) et de leur consommation (VOD, sites de téléchargement et de streaming) – univers auquel il faut toutefois associer les chaînes Canal+ et Arte. Ces séries mettent en scène des univers socio-politiques privilégiés par les plus diplômés, et des mondes fantastiques privilégiés par les plus jeunes. Les séries présentes sur les chaînes de télévision privées telles que TF1, M6 ou encore TMC, régulièrement produites par les networks états-uniens, oscillent entre, d’une part, des récits à énigmes basés sur des faits divers, dont la portée socio-politique est secondaire sinon absente, et, d’autre part, la mise en scène de relations humaines et la palette des sentiments qu’elles suscitent. Cette seconde catégorie de séries est consommée de préférence à la télévision, en direct ou en rattrapage, par un public plutôt d’employés et d’ouvriers faiblement diplômés.
36Les attentes liées au niveau de diplôme et au statut socio-professionnel expliquent la recherche, par les (très) diplômés d’âge intermédiaire, des séries traitant d’enjeux socio-politiques à travers des personnages agissant dans des univers nationaux ou internationaux, et à l’inverse, l’appétence des peu diplômés pour des séries romanesques mettant en scène des individus avant tout confrontés à des épreuves de la vie (Ang, 1985 ; Chalvon-Demersay, 2003). Olivier Masclet (2018) notait la recherche d’alternatives à la vie réelle dans les séries appréciées par les membres des catégories populaires.
37Un public âgé et généralement retraité, enfin, se porte plutôt vers un dernier ensemble de séries produites et diffusées par les chaînes du service public (françaises ou britanniques essentiellement). Ces fictions proposent des récits d’une nature plus socio-historique et patrimoniale, à l’instar de la série diffusée par France 3, Un Village français, qui met en scène la vie quotidienne d’un village jurassien pendant la seconde guerre mondiale. Comme le précédent public de séries de la télévision privée, ces spectateurs privilégient le direct télévisuel, voire parfois les services de rattrapage des chaînes.
- 14 Irène, 30 ans, assistante familiale, dit de son appréciation de Plus belle la vie : « je pense qu (...)
38Aussi les dimensions différenciantes de l’âge et du niveau de diplôme (voire du niveau socio-culturel) ont-elles, selon nous, une signification qui relève de ce que Danilo Martuccelli (2017, p. 349-74) appelle les « questionnements socio-existentiels ». Il caractérise ainsi la condition sociale contemporaine comme une condition où les individus, et les groupes sociaux qui les définissent, sont confrontés à des incertitudes variables en intensité et en nature, à la fois statutaire (prestige) et positionnelle. On avancera l’hypothèse que les quatre rapports aux séries que dessine l’exploration factorielle relèvent d’un rapport au monde, projeté (les plus jeunes), rétrospectif (les plus âgés), politique (les plus diplômés) ou domestique (les moins diplômés)14.
39À la suite de l’analyse factorielle, nous avons mené une classification hiérarchique ascendante (CAH) des 84 séries citées par au moins 20 personnes, classification qui permet de différencier des ensembles significatifs de séries proches et de les caractériser par les traits de leur pratique associée et de leurs spectateurs. Cette typologie caractérise la pratique sérielle du point de vue des séries les plus partagées, soit les deux tiers des spectateurs de séries.
- 15 La sortie synthétique des caractérisations des classes issues de la classification avec modalités (...)
40L’arborescence de la classification hiérarchique laisse apparaître une coupure entre une première classe (33,3 %) et deux autres. Nous avons retenu une coupure de l’arbre en trois classes (cf. Figure 4)15. Au-delà de trois classes, apparaît une classe-singleton de 4,1 % issue de la classe 2. Ainsi, la classification hiérarchique nuance la particularisation saisie au niveau des pratiques.
Figure 4. Dendrogramme de la classification hiérarchique
Note : CAH sur AFC des 84 séries.
Source : Enquête SERIES 2017.
- 16 Le terme « sériephile » est ici entendu selon une acception large. Synonyme de spectateur de séri (...)
41Le profil de la classe 1 (cf. Tableau 6), qui représente 33,3 % de la population des individus citant une série est celui du goût dominant pour les séries feuilletonnantes américaines, mais aussi françaises en nombre limité. Homeland, Vikings, Le Bureau des légendes, Orange is the new black, Breaking Bad, The Walking Dead, Game of Thrones et House of Cards définissent nettement cet ensemble. Celles-ci appartiennent à ce que nous avons appelé plus haut les « séries du numérique ». C’est une classe sociologiquement caractérisée par sa jeunesse (moins de 40 ans) et son haut niveau de diplôme. Ses membres sont également plutôt des hommes célibataires ou en concubinage. Cette classe rassemble les séries des quadrants haut et bas de la gauche de l’espace factoriel (cf. Figure 1), dont on a dit précédemment qu’ils correspondaient respectivement aux catégories diplômées et aux jeunes. Ce regroupement en une classe de ces deux populations manifeste un rapport partagé et privilégié aux nouveaux supports et services. Ses membres ont en commun de ne pas regarder les séries via le téléviseur et la télévision en direct. Ils recourent à la VOD ou encore aux sites illégaux de streaming et de téléchargement, et regardent sur un ordinateur, portable de préférence. Ils se définissent comme « très amateurs » de séries. Notons enfin que leurs genres préférés sont, pour le sous-groupe du haut, le politique, et pour le sous-groupe du bas, le fantastique et le thriller.
Tableau 6. Le profil de la classe 1 (33,3 %)
|
Libellé de la variable
|
Valeur-Test
|
% de la fréquence dans la classe
|
% de la fréquence dans l’échantillon
|
% de la classe dans la fréquence
|
|
Modalités actives
|
Modalités illustratives
|
|
homeland
|
|
99,99
|
2,5
|
1,1
|
72,2
|
|
vikings
|
|
99,99
|
2,1
|
0,9
|
73,9
|
|
le bureau des légendes
|
|
99,99
|
1,6
|
0,7
|
71,7
|
|
orange is the new black
|
|
99,99
|
1,8
|
0,9
|
69,4
|
|
breaking bad
|
|
99,99
|
2,7
|
1,2
|
73,9
|
|
the walking dead
|
|
99,99
|
3,2
|
1,5
|
71,6
|
|
game of thrones
|
|
99,99
|
6,4
|
3,1
|
69,0
|
|
genre préféré : fantastique, sci-fi
|
99,99
|
6,2
|
4,2
|
49,2
|
|
house of cards
|
|
99,99
|
2,1
|
1,0
|
68,4
|
|
TV en direct jamais
|
|
99,99
|
3,5
|
1,8
|
63,9
|
|
19-30 ans
|
11,8
|
2,3
|
1,3
|
61,5
|
|
fear the walking dead
|
|
11,7
|
1,3
|
0,6
|
74,1
|
|
true detective
|
|
10,2
|
1,1
|
0,5
|
71,5
|
|
Sur TV jamais
|
10,1
|
2,0
|
1,1
|
59,1
|
|
narcos
|
|
9,7
|
0,7
|
0,3
|
82,1
|
|
Téléchargement 3-4/sem
|
9,5
|
0,8
|
0,4
|
76,0
|
|
the 100
|
|
9,5
|
1,2
|
0,6
|
65,9
|
|
the flash (2014)
|
|
9,1
|
1,0
|
0,5
|
69,5
|
|
the big bang theory
|
|
9,1
|
1,2
|
0,6
|
63,8
|
|
Téléchargement 1-2/sem
|
8,9
|
1,1
|
0,6
|
65,2
|
|
vampire diaries
|
|
8,4
|
1,1
|
0,6
|
62,3
|
|
arrow
|
|
8,2
|
1,5
|
0,9
|
57,2
|
|
VoD TLJ
|
8,2
|
1,0
|
0,5
|
63,8
|
|
genre préféré : politique
|
8,1
|
2,0
|
1,2
|
52,7
|
|
dexter
|
|
8,1
|
1,6
|
0,9
|
55,6
|
|
scandal
|
|
8,1
|
1,2
|
0,7
|
59,8
|
|
braquo
|
|
7,9
|
0,7
|
0,4
|
69,2
|
|
Sur ordinateur portable 1-2/sem
|
7,9
|
1,2
|
0,7
|
58,7
|
|
how i met your mother
|
|
7,7
|
0,9
|
0,5
|
62,5
|
|
Visionnage avec ami
|
7,6
|
0,6
|
0,3
|
71,0
|
|
Streaming TLJ
|
7,5
|
1,0
|
0,5
|
61,4
|
|
31-40 ans
|
7,5
|
3,4
|
2,5
|
45,7
|
|
Streaming 1-2/sem
|
7,5
|
1,2
|
0,7
|
57,1
|
|
genre préféré : thriller, épouv., horreur
|
7,4
|
2,8
|
2,0
|
47,2
|
|
friends
|
|
7,3
|
1,4
|
0,9
|
54,3
|
|
Sur ordinateur portable TLJ
|
7,3
|
0,9
|
0,5
|
60,8
|
|
Streaming 3-4/sem
|
7,2
|
1,0
|
0,6
|
58,7
|
|
Sur ordinateur portable 3-4/sem
|
7,2
|
1,1
|
0,7
|
56,9
|
|
TV en direct 1-3/mois
|
7,1
|
1,8
|
1,2
|
50,6
|
|
Téléchargement 1-3/mois
|
7,0
|
1,2
|
0,7
|
55,7
|
|
Se déclare très amateur
|
6,9
|
2,9
|
2,1
|
45,8
|
|
24
|
|
6,8
|
0,6
|
0,3
|
68,9
|
|
diplôme : 2e-3e cycle
|
6,6
|
4,5
|
3,5
|
42,5
|
|
grimm
|
|
6,5
|
0,8
|
0,5
|
58,9
|
|
Prêt de l’entourage 1-3/mois
|
6,5
|
1,8
|
1,2
|
48,7
|
|
gossip girl : l’élite de new york
|
|
6,4
|
0,7
|
0,3
|
62,9
|
|
Homme
|
6,3
|
5,9
|
4,9
|
40,6
|
|
Téléchargement TLJ
|
6,3
|
0,8
|
0,5
|
58,6
|
|
Célibataire
|
6,3
|
3,3
|
2,5
|
43,7
|
|
Sur ordinateur Fixe TLJ
|
5,9
|
0,4
|
0,2
|
69,1
|
|
once upon a time
|
|
5,9
|
1,3
|
0,9
|
50,2
|
|
revenge
|
|
5,7
|
0,8
|
0,5
|
55,2
|
|
Concubinage
|
5,5
|
1,9
|
1,4
|
45,8
|
|
VoD 1-2/sem
|
5,5
|
1,1
|
0,7
|
50,4
|
|
Prêt de l’entourage TLJ
|
5,3
|
0,4
|
0,2
|
65,2
|
|
Sur ordinateur portable 1-3/mois
|
5,3
|
2,1
|
1,6
|
44,4
|
|
Lieu de visionnage : bureau
|
5,2
|
0,4
|
0,2
|
63,2
|
|
Streaming 1-3/mois
|
5,2
|
1,7
|
1,2
|
45,6
|
|
engrenages
|
|
5,1
|
0,7
|
0,5
|
53,6
|
|
Visionnage avec frère/sœur
|
5,1
|
0,7
|
0,4
|
54,8
|
|
Sur ordinateur Fixe 1-2/sem
|
5,0
|
0,7
|
0,4
|
54,3
|
Note : Valeurs-tests supérieures à 5.
42La classe 2 (cf. Tableau 7) représente le second gros tiers de la population (39,8 %). La catégorie socio-professionelle des « employés » est la variable sociodémographique la plus significative de la classe, devant celle des « femmes » (qui n’apparaît pas dans le tableau car sa valeur-test (4,4) est sous la barre de 5 que nous nous sommes fixée pour délimiter nos tableaux de profil de classe). Cette classe privilégie les séries de la télévision privée : de format plutôt unitaire, de genres médical, judiciaire, policier et romantique. Les plus significatives d’entre elles étant NCIS, Les Experts : Miami, Esprits criminels, Grey’s Anatomy, Hawaï 5-0, NCIS : Los Angeles et Plus belle la vie. À l’inverse de la précédente, la télévision est au centre de cette classe, à la fois en tant qu’écran-support et service d’accès. Ses membres tendent à regarder « tous les jours » les séries sur leur téléviseur et via le direct télévisé. Ils mobilisent également, quoique de façon moins significative, les services de rattrapage associés aux chaînes de télévision (valeur-test = 2,94). L’ordinateur portable est en revanche absent des pratiques, tout comme le streaming et le téléchargement illégal (les variables « streaming jamais » et « téléchargement jamais » ont une valeur-test équivalente de 4,89). Remarquons enfin la présence des enfants comme compagnons du visionnage, témoignant d’un âge type des individus de la classe que l’on peut estimer entre 30 et 50 ans environ.
Tableau 7. Le profil de la classe 2 (39,8 %)
|
Libellé de la variable
|
Valeur-Test
|
% de la fréquence dans la classe
|
% de la fréquence dans l’échantillon
|
% de la classe dans la fréquence
|
|
Modalités actives
|
Modalités illustratives
|
|
ncis
|
|
99,99
|
3,5
|
2,2
|
63,2
|
|
les experts : miami
|
|
99,99
|
2,2
|
1,2
|
73,6
|
|
esprits criminels
|
|
99,99
|
3,0
|
1,9
|
64,4
|
|
grey’s anatomy
|
|
99,99
|
4,7
|
3,1
|
60,1
|
|
genre préféré : médical
|
99,99
|
4,0
|
2,6
|
61,8
|
|
hawaii 5-0
|
|
11,8
|
1,6
|
0,9
|
73,7
|
|
ncis: los angeles
|
|
11,5
|
2,1
|
1,2
|
68,2
|
|
plus belle la vie
|
|
11,1
|
2,0
|
1,2
|
67,5
|
|
TV en direct TLJ
|
10,9
|
6,2
|
4,6
|
53,2
|
|
les experts : manhattan
|
|
10,8
|
2,0
|
1,2
|
66,3
|
|
les experts
|
|
9,6
|
1,5
|
0,9
|
67,2
|
|
Sur TV TLJ
|
8,9
|
6,6
|
5,2
|
49,9
|
|
bones
|
|
8,8
|
1,6
|
1,0
|
63,3
|
|
elementary
|
|
8,0
|
1,3
|
0,8
|
64,4
|
|
docteur house
|
|
7,4
|
2,1
|
1,5
|
56,2
|
|
PCS : employés
|
6,9
|
3,7
|
2,9
|
50,7
|
|
prison break
|
|
6,9
|
1,1
|
0,7
|
62,2
|
|
les feux de l’amour
|
|
6,9
|
0,7
|
0,4
|
70,3
|
|
the mentalist
|
|
6,7
|
2,2
|
1,6
|
54,1
|
|
cold case : affaires classées
|
|
6,5
|
1,2
|
0,8
|
59,8
|
|
l’arme fatale
|
|
6,1
|
1,1
|
0,7
|
59,5
|
|
desperate housewives
|
|
5,8
|
1,6
|
1,2
|
54,3
|
|
new york unité spéciale
|
|
5,8
|
1,0
|
0,7
|
58,9
|
|
Visionnage avec les enfants
|
5,7
|
2,5
|
1,9
|
50,9
|
|
scorpion
|
|
5,4
|
0,7
|
0,4
|
62,0
|
|
Sur ordinateur portable jamais
|
5,3
|
8,2
|
7,3
|
44,9
|
Note : Valeurs-tests supérieures à 5.4.3. Les « sériephiles de la télévision publique ».
43La classe qui lui est immédiatement contiguë, la classe 3 (cf. Tableau 8), représente le troisième tiers – en haut à droite de l’espace factoriel (cf. Figure 1) (26,9 %). Cette classe est centrée sur des séries françaises de genre policier, judiciaire et historique diffusées à la télévision par les chaînes du service public. Les premières d’entre-elles sont Caïn, Les Petits meurtres d’Agatha Christie, Candice Renoir, Alice Nevers, Capitaine Marleau, Cherif et Le Sang de la vigne. Il s’agit de la classe des plus âgés (50 ans et plus) et mariés. À l’instar de la classe 2, mais de façon moins soutenue, ils consomment les séries à la télévision : les valeurs-tests s’y rattachant (hors tableau) sont « TV 1 à 2 fois/semaine » (3,77), « TV en direct 1 à 2/sem » (2,95) et « TV en direct tous les jours » (1,72). Plus encore que ceux de la classe 2, les membres de la classe 3 se distinguent par leur non-usage des services numériques (VOD, streaming, téléchargement) et des nouveaux écrans (ordinateur, tablette, téléphone), qui présentent tous des valeurs-tests négatives.
Tableau 8. Le profil de la classe 3 (26,9 %)
|
Libellé de la variable
|
Valeur-Test
|
% de la fréquence dans la classe
|
% de la fréquence dans l’échantillon
|
% de la classe dans la fréquence
|
|
Modalités actives
|
Modalités illustratives
|
|
caïn
|
|
99,99
|
1,8
|
0,7
|
75,7
|
|
les petits meurtres d’agatha christie
|
|
99,99
|
2,4
|
1,0
|
64,8
|
|
candice renoir
|
|
99,99
|
3,4
|
1,3
|
68,1
|
|
alice nevers, le juge est une femme
|
|
99,99
|
3,1
|
1,4
|
60,0
|
|
capitaine marleau
|
|
99,99
|
1,6
|
0,6
|
72,1
|
|
cherif
|
|
99,99
|
1,7
|
0,6
|
75,9
|
|
le sang de la vigne
|
|
11,6
|
1,6
|
0,7
|
63,4
|
|
fais pas ci, fais pas ça
|
|
11,4
|
1,7
|
0,7
|
61,6
|
|
profilage
|
|
11,3
|
2,0
|
0,9
|
57,6
|
|
meurtres au paradis
|
|
11,1
|
1,5
|
0,6
|
63,9
|
|
section de recherches
|
|
10,8
|
2,0
|
1,0
|
54,9
|
|
inspecteur barnaby
|
|
10,6
|
1,5
|
0,7
|
60,5
|
|
dix pour cent
|
|
10,3
|
1,6
|
0,7
|
58,8
|
|
un village français
|
|
10,3
|
1,0
|
0,4
|
70,2
|
|
61-70 ans
|
10,2
|
3,4
|
2,0
|
45,1
|
|
julie lescaut
|
|
9,8
|
1,1
|
0,5
|
65,6
|
|
falco
|
|
9,6
|
1,3
|
0,6
|
60,4
|
|
castle
|
|
9,2
|
1,8
|
0,9
|
51,4
|
|
downton abbey
|
|
9,0
|
1,6
|
0,8
|
52,7
|
|
hercule poirot
|
|
8,9
|
1,4
|
0,7
|
55,4
|
|
broadchurch
|
|
8,9
|
1,2
|
0,6
|
58,0
|
|
camping paradis
|
|
8,5
|
1,1
|
0,5
|
57,8
|
|
71 ans et plus
|
8,0
|
1,2
|
0,6
|
54,4
|
|
columbo
|
|
7,6
|
1,1
|
0,5
|
54,3
|
|
joséphine, ange gardien
|
|
7,2
|
0,9
|
0,5
|
54,9
|
|
borgen, une femme au pouvoir
|
|
6,8
|
0,9
|
0,4
|
54,2
|
|
scènes de ménages
|
|
6,8
|
0,8
|
0,4
|
56,6
|
|
genre préféré : policier
|
|
6,6
|
9,4
|
7,8
|
32,5
|
|
51-60 ans
|
6,5
|
3,7
|
2,7
|
36,8
|
|
peaky blinders
|
|
5,9
|
0,8
|
0,4
|
51,1
|
|
genre préféré : judiciaire
|
5,8
|
3,0
|
2,2
|
36,5
|
|
Marié.e
|
5,3
|
7,0
|
5,9
|
32,2
|
|
Assise visionnage : fauteuil
|
5,3
|
0,7
|
0,4
|
49,6
|
|
genre préféré : historique
|
5,0
|
3,0
|
2,3
|
35,0
|
|
sherlock
|
|
5,0
|
1,0
|
0,6
|
43,7
|
Note : Valeurs-tests supérieures à 5.
44Les grandes classes de séries partagées que met à jour la classification viennent contrebalancer les différenciations par la pratique. Trois types de spectateurs ayant en commun des séries se dessinent : public à dominante jeune, diplômée, masculine, célibataire ; public à dominante populaire, familiale, féminine ; et, enfin, public à dominante âgée et en couple. Elle n’en demeure pas moins une différenciation par des variables d’âge, de diplôme, de sexe et de statut matrimonial. Ceux qui sont différenciés sur le plan socioculturel, catégories supérieures et catégories populaires, partagent une condition d’âge (un rapport au temps) qui les rapprochent sur le plan de leur goût.
45Nous avions décrit en 2015 deux grands modes de consommation (Combes, 2015). Le premier consistait à respecter la temporalité fixée par les diffuseurs et le principe du rendez-vous télévisuel récurrent, tandis que le second mode se caractérisait par une reprise en main par le spectateur de la temporalité spectatorielle. La typologie produite par la classification hiérarchique enrichit ces deux modes de consommation en rattachant le premier mode – historique – aux classes 2 et 3 et le second mode – monté en puissance ces dernières années – à la classe 1, composée des jeunes et des diplômés. Le mode de consommation de ces derniers, en partie libéré du cadre contraignant de l’institution télévisuelle, tend à rapprocher leur pratique sérielle moins de la pratique filmique que de celle de la lecture. Ces deux genres culturels étaient déjà proches de par leurs caractéristiques respectives : un récit au long cours qui appelle son découpage en chapitres et nécessite une fréquentation dans la durée, un rapport plus intime, voire personnel, à la pratique. Si l’une a peut-être pris, ces dernières années, une part de la place de l’autre auprès des lecteurs, les deux pratiques partagent cette même diversification exponentielle des œuvres et différenciation de leurs publics.
46La série apparaît moins comme une culture commune qu’en tant que pratique culturelle différenciée à la fois sur le plan des œuvres visionnées et sur le plan du goût – bien que dans une moindre mesure. Le nombre de séries différentes citées manifeste une diversification des œuvres fréquentées faisant écho à l’inflation récente du nombre de séries produites, que d’aucuns nomment peak television (Barthes, 2018). L’âge, en premier, le diplôme, en second, voire la catégorie socio-professionnelle en ce qu’elle ajoute des dimensions économique et statutaire, rendent raison des goûts différenciés. Ces variables jouent sur le plan aussi bien matériel, en favorisant ou non le recours aux services numériques (VOD, replay TV, sites de téléchargement et streaming) et aux nouveaux écrans (ordinateur, tablette, téléphone), que du point de vue des préférences, en déterminant des attentes liées à l’âge, d’une part et à la formation scolaire, d’autre part. Les attentes relatives à l’âge expliquent la préférence des moins de 30 ans pour des séries animées, fantastiques et humoristiques présentant des collectifs de personnages plutôt jeunes et, a contrario, la prédilection des plus de 60 ans pour des séries historicisantes et policières portées par des (binômes de) personnages « tête d’affiche » d’âge plus mûr. L’inclinaison des premiers tend à s’appuyer davantage sur les nouveaux écrans et les services numériques tandis que les seconds demeurent avant tout attachés à la télévision et à son direct.
47Par différenciation, il faut alors entendre, dans le cas de la pratique sérielle, le résultat d’une détermination par le moment du cycle de vie et par le niveau socio-culturel qui définissent pour chacun un rapport au monde, plus précisément des questionnements socio-existentiels. Ceux-ci sont articulés à des incertitudes et des interrogations propres à une situation historique qu’ils partagent. Mais l’on pourrait tout aussi bien dire, rendant aux séries leur force propre de détermination, d’anticipation et d’invention, ou de segmentation, que cette différenciation est révélée / produite par la création sérielle elle-même.
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