• 1 Schéma national du maintien de l’ordre du 16 septembre 2020 portant fixation d’un nouveau cadre d’e (...)

1Annoncé dès juin 2019 et publié le 16 septembre 2020, le schéma national du maintien de l’ordre (« SNMO ») exprimait simultanément la volonté « d’entériner les évolutions de la doctrine de gestion des manifestations » et de « fixer un nouveau cadre d’exercice du maintien de l’ordre ». Le texte se donnait ainsi pour ambition – outre l’affirmation d’une « doctrine protectrice pour les manifestants et fermes avec les auteurs de violence » – de fixer la « meilleure prise en compte de la présence des journalistes au sein des opérations de maintien de l’ordre, fondée sur une meilleure connaissance mutuelle »1.

• 2 Partie I, « un cadre garantissant une liberté de manifester » (4 points), partie II « Protéger les (...)
• 3 Suivant les termes mêmes du rapporteur public, M. Laurent Domingo.
• 4 Désignant en premier lieu les préfets, le secrétaire général du ministère, le directeur général de (...)
• 5 D’abord sur le site internet du ministère de l’Intérieur puis sur le site Légifrance le 28 septembr (...)
• 6 Conseil d’État, Sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142, au Recueil.
• 7 Conseil d’État, Sect., 7 février 1936, Jamart, n° 43321, au Recueil.

2Composé de trois parties2, ce texte énonce un nombre conséquent de mesures présentant un effet notable sur les droits ou la situation des organisateurs de manifestations, les manifestants eux-mêmes, ainsi que les journalistes, les observateurs indépendants et les tiers. Document « atypique »3, le SNMO dresse formellement une série d’instructions ainsi que des règles d’organisation et de bon fonctionnement des services placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur4, au demeurant publiées5, et prend la forme d’un document annexé à une circulaire sans toutefois faire exception à la récente solution « GISTI », par laquelle le Conseil d’État a élargi la possibilité de contestation des documents dits de droit souple6. En outre le texte entreprend d’assurer, en matière d’édiction et d’interprétation du droit positif applicable au maintien de l’ordre et à sa conciliation avec les libertés publiques, la consolidation d’une certaine hégémonie du pouvoir exécutif, dont la source est ici restreinte à un seul ministre agissant en simple qualité de chef de service, sur le fondement d’une interprétation étendue de la jurisprudence « Jamart »7.

• 8 À savoir le Syndicat national des journalistes, la CGT et le SNJ-CGT.
• 9 Respectivement n°444849, 445063, 445355, 445365, cette dernière requête ayant été introduite par un (...)
• 10 CEDH, du 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, Recueil 1996-II, p. 500, §39.
• 11 Pour mémoire, la nasse consiste « à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sei (...)

3Rapidement saisi par des syndicats, notamment de journalistes8 et par la Ligue des droits de l’Homme, le Conseil d’État a également examiné la requête présentée – pour la première fois – par une personne physique en qualité d’observateur indépendant9. L’intérêt à agir, reconnu et incontestable, d’un observateur indépendant se prévalant d’une atteinte à la liberté d’informer consacre ainsi une conception renouvelée de cette liberté fondamentale et souligne l’importance croissante que revêtent – au-delà de la presse – les sources d’information émanant de la société civile et des autres « chiens de garde » de la démocratie10. Il a ainsi a été demandé à la Haute juridiction de prononcer l’annulation du SNMO en raison de six griefs principaux, parmi lesquels figurent l’atteinte excessive à la liberté d’informer et au droit à l’information du public, l’application erronée du délit d’attroupement aux journalistes et aux observateurs indépendants dans des conditions faisant obstacle à leurs missions, la mise en œuvre d’un canal spécial d’informations soumis à accréditation et dont les conditions d’accès introduisent une différence de traitement en faveur des seuls journalistes porteurs d’une carte de presse, la formulation de restrictions injustifiées et inadaptées au droit des journalistes de porter des équipements de protection lors des manifestations et, bien sûr, la pérennisation de la pratique policière de la nasse et des encerclements, à la fois attentatoire aux libertés fondamentales et dépourvue de toute base légale11. Au terme de l’examen de chacun de ces griefs, la décision du Conseil d’État du 10 juin 2021 prononce l’annulation partielle d’un ensemble de dispositifs en ce qu’ils méconnaissent la liberté d’informer (I) et portent atteinte à la liberté de manifester (II).

• 12 Pour une analyse de la non-reconnaissance en droit français de la protection accordée par le droit (...)

4Cette décision est importante au titre de la liberté d’informer en ce qu’elle reconnait enfin la mission des observateurs indépendants12 (A). Cependant, elle ne censure qu’à la marge l’encadrement de cette mission par un texte équivalent à une simple circulaire (B).

• 13 Arrêt, §10.
• 14 Ibid.

5Après avoir exposé l’articulation des compétences législatives et réglementaires relatives aux mesures de maintien de l’ordre, le Conseil d’État a rappelé, sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le caractère fondamental de la liberté d’expression. La Haute juridiction souligne ainsi que la liberté d’expression dont découle le droit d’expression collective des opinions et des idées est « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés »13. Statuant au visa des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le juge a classiquement réaffirmé que toute atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. S’agissant plus particulièrement des manifestations, la formation de jugement a ainsi relevé l’importance particulière de la présence de la presse en ce qu’elle permet de rendre compte des idées et opinions exprimées ainsi que « du caractère de cette expression collective ». Le Conseil d’État ajoute, comme indispensable prolongement de cette mission, celle de rendre compte « le cas échéant, de l’intervention des autorités publiques et des forces de l’ordre, et contribue ainsi notamment à garantir, dans une société démocratique, que les autorités et agents de la force publique pourront être appelés à répondre de leur comportement à l’égard des manifestants et du public en général et des méthodes employées pour maintenir l’ordre public et contrôler ou disperser les manifestants »14.

• 15 CC, décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021. Ayant suscité une vive émotion et déclenché des débats (...)
• 16 Circulaire n°2008-8433-D du 23 décembre 2008 : Il y était notamment indiqué que les agents « ne peu (...)

6Une telle précision n’est pas anodine, en particulier au regard de la proposition de loi dite « sécurité globale » – à ce titre, dépourvue d’avis au Conseil d’État – dont la procédure législative avait abouti à l’adoption définitive de son article 24, devenu article 52, visant à incriminer dans des conditions ambiguës le fait de diffuser tout élément d’identification d’un fonctionnaire de police ou de gendarmerie lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. À la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 mai 2021, ayant notamment censuré la nouvelle rédaction de cet article pour un autre motif que l’atteinte à la liberté d’expression15, le Conseil d’État a ainsi entendu enfoncer le clou en proclamant explicitement un droit d’informer sur les conditions dans lesquelles interviennent les fonctionnaires de police et de gendarmerie conformément à la législation en vigueur16.

• 17 Faits dénoncés par le Défenseur des droits dans sa décision-cadre n°2020-131 du 9 juillet 2020 rela (...)
• 18 V. point 4 confirmant ainsi la position du juge du référé sur ce point : CE, ord., 23 décembre 2020 (...)
• 19 Points 20 et 21.
• 20 Le point 2.2.4 du SNMO énonçait que « le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attrou (...)

8Ce faisant, le juge administratif ne semble pas exclure que la liberté d’informer puisse trouver dans ces sources constitutionnelles un complément à combiner avec l’article 11 de la DDHC. Cette affirmation tend par ailleurs à clore définitivement les débats relatifs aux multiples entraves aux missions des journalistes et des observateurs indépendants dès lors qu’elles portent sur les conditions d’usage de la force publique17. Outre le rappel du rôle prééminent de la presse, le Conseil d’État reconnait concomitamment celui des observateurs indépendants : si celui-ci ne figure pas explicitement au point 10 de la décision, il transparait d’abord dans la reconnaissance de la qualité et de l’intérêt à agir de ces derniers18, puis au fond, par l’énoncé que les dispositions du document litigieux portaient atteinte à la fois à la liberté d’informer des journalistes et des observateurs indépendants19. La nouvelle doctrine du maintien de l’ordre se bornait sur ce point à renvoyer à la notion indéterminée de « membres d’associations »20.

• 21 Défenseur des droits, décision-cadre n°2020-131 du 9 juillet 2020, op. cit.. Voir également l’avis (...)
• 22 CNCDH, avis sur les rapports entre police et population : rétablir la confiance entre la police et (...)

9La décision converge ainsi avec la position du Défenseur des droits, dont la décision-cadre du 9 juillet 2020 recommandait que soit accordée aux observateurs « issus de la société civile et identifiables » la même vigilance que celle accordée aux journalistes21, ainsi qu’avec celle de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme du 11 février 202122. Les principes ayant été proclamés, le juge de l’excès de pouvoir n’en tire pas pour autant un plein effet et a dégagé des garanties contradictoires de l’exercice de la liberté d’informer.

• 23 Code pénal, article 431-9-1 issu de la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 (dite loi « anti-casseurs » (...)
• 24 Arrêt, point 13.

12Le Conseil d’État relève que, contrairement à ce que soutenait le ministre, le paragraphe litigieux ne se bornait pas à rappeler les dispositions de l’article 431-9-1 du code pénal relatives à la dissimulation volontaire de tout ou partie du visage sans motif légitime lors des manifestations23, mais fixait dans des termes « au demeurant ambigus et imprécis », des conditions de port, par les journalistes, d’équipements de protection lors de ces événements24. Or à cet égard, la Haute juridiction expose que le « Ministre de l’Intérieur ne disposant pas, en qualité de chef de service, d’une compétence pour édicter de telles règles à l’égard des journalistes, non plus d’ailleurs qu’à l’égard de toute personne participant ou assistant à une manifestation, les requérants sont fondés à soutenir, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés à cet égard, que le point 2.2.1 est entaché d’illégalité ».

• 25 CE, Sect., 7 février 1936, Jamart, précitée. À l’exception du Premier ministre, en application de l (...)
• 26 Par exemple, l’arrêté n°2021-00010 du 7 janvier 2021 du préfet de police de Paris qui a interdit le (...)

13La mesure en cause excède manifestement le pouvoir du ministre en qualité de chef de service qui se limite à prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité25. Le ministre ne pouvant, en aucun cas, modifier la portée d’une disposition pénale, compétence du pouvoir législatif. De ce fait, le risque est grand de voir valider une interdiction de détenir du matériel de protection par arrêté, au titre du pouvoir réglementaire26.

• 27 Point 2.2.2.
• 28 Arrêt, point 17.
• 29 Arrêt, point 18.

14Le juge se penche en deuxième lieu sur le dispositif d’accréditation des journalistes titulaires d’une carte de presse leur permettant d’accéder à un canal spécial d’informations délivrées par les autorités compétentes. Le texte27 ouvrait à cette catégorie particulière de journalistes, la possibilité d’obtenir des forces de l’ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d’une manifestation, plus précises et complètes que celles directement rendues publiques. À ce titre, le Conseil d’État rappelle qu’il est vrai que « l’exercice de la profession de journaliste n’est pas subordonnée à la détention d’une telle carte et qu’une proportion importante de journalistes exerce la profession sans en être titulaire » avant toutefois d’admettre que le ministre pouvait « légalement, compte tenu des contraintes opérationnelles auxquelles sont soumises les forces de l’ordre à l’occasion des manifestations sur la voie publique et en l’absence d’autre justificatif prévu par la loi permettant d’attester objectivement de l’exercice de la profession, prévoir de réserver l’accès au canal dédié prévu à l’article 2.2.2 aux journalistes titulaires » de la carte de presse28. Ainsi la Haute juridiction s’est bornée à annuler les dispositions en cause en tant qu’elles prévoyaient l’accès à ces informations aux seuls journalistes « accrédités auprès des autorités » sans préciser la portée, les conditions et les modalités d’une telle « accréditation »29.

• 30 SNMO, point 2.2.

15Par cette étonnante démonstration de pragmatisme, il est admis qu’un ministre puisse suppléer et distinguer là où la loi ne prévoit aucune distinction, eu égard aux seules « contraintes opérationnelles » auxquelles est soumise une partie des agents placés sous son autorité. Or, si l’institution d’un canal d’échange dédié avec les journalistes titulaires d’une carte de presse se donne pour finalité de protéger le droit d’informer et d’assurer une « collaboration fondée sur une meilleure connaissance mutuelle »30, il ne semble pas qu’elle ait directement pour objet de régir la situation des agents, ni les modalités d’organisation et le bon fonctionnement du service. La proclamation de la liberté de la presse est ainsi atténuée car le Conseil d’État a laissé subsister une différence de traitement entre journalistes fondée sur la seule possession d’une carte de presse.

• 31 Sur ce point et de manière plus évidente, l’avis du 30 novembre 2020 signale qu’il « appartient uni (...)

16Le Conseil d’État s’intéresse en troisième lieu au maintien sur les lieux des journalistes et observateurs après sommations de dispersion adressées à la foule. Le point 2.2.4 du texte rappelait « que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalises ou de membres d’associations ». En conséquence, « dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent, comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser ». Cette disposition n’échappe pas à la critique relative aux limites de la compétence du ministre en tant que chef de service, ce que n’avait d’ailleurs pas manqué de souligner le Défenseur des droits31.

• 32 Arrêt, point 20.
• 33 CE, ord. 27 octobre 2020, n°444876 ; CE, ord., 23 décembre 2020, M.A…, n°447876. Le juge du référé (...)
• 34 En particulier le fait justificatif tenant à « l’ordre de la loi » (code pénal, art. 122-4).

17Allant toutefois sur le fond, le Conseil d’État estime alors que les dispositions des articles 431-4 et 431-5 du code pénal « ne sauraient par elles-mêmes faire échec à la présence de la presse sur le lieu d’un attroupement afin que les journalistes puissent, conformément à ce qui a été dit au point 10, rendre compte des événements qui s’y produisent »32. On peut se féliciter du fait que sur ce point la présente décision s’écarte radicalement de celle du juge du référé-liberté33 ainsi que des conclusions du rapporteur public. Pour autant, le Conseil d’État a estimé utile d’ajouter que « les journalistes peuvent ainsi continuer d’exercer librement leur mission lors de la dispersion d’un attroupement sans être tenus de quitter les lieux, dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent obstacle à l’action des forces de l’ordre. Il en va de même pour les observateurs indépendants ». La Haute juridiction érige ainsi un motif légitime tenant à la poursuite de leurs missions d’information sur les conditions dans lesquelles la force publique est employée et excluant toute responsabilité pénale. Si malgré tout un journaliste faisait l’objet de poursuites, le respect de ces conditions pourrait sous doute valoir fait justificatif34 devant le juge pénal compétent.

• 35 Point 3.1.4 du SNMO. Voir l’analyse dans cette revue de l’inexistence de tout fondement légal, inte (...)
• 36 Arrêt, point 25.

20S’agissant de la nasse et des techniques d’encerclement35, le Conseil d’État refuse au préalable de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité formulée au titre des articles L.211-1 à L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, qui ne sont pas applicables au litige36.

• 37 Arrêt, point 28.
• 38 Constitution du 4 octobre 1958, article 34, al. 1^er. Également : CC, décision n° 85-187 DC 25 janvi (...)
• 39 Cass., Crim., 15 décembre 2020, 20-83.302, décision de renvoi de la QPC, point 4.

21Puis, le juge de l’excès de pouvoir admet que la nasse est « susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester, d’en dissuader l’exercice et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir »37. S’il apparait incontestable que les circulaires ont vocation à servir de véritable mode d’emploi à destination des agents auxquels elles sont adressées, il apparait toutefois plus surprenant de considérer qu’une telle mesure de police administrative, créée ex nihilo et sans aucune base légale, puisse être régularisée par sa simple mention dans un texte de droit souple formulé par le ministre de l’Intérieur en qualité de chef de service. Il appartient en principe au législateur d’assurer la conciliation entre d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public38. Tel a d’ailleurs été le point de vue de la Cour de cassation, dont la chambre criminelle avait retenu « qu’en ce que le recours au procédé de l’encerclement lors de manifestations pourrait porter atteinte aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, il n’est pas exclu qu’il doive être encadré par la loi »39.

• 40 Code de la sécurité intérieure, articles L. 435-1 (usage de la force) et L. 211-9 (dispersion d’un (...)
• 41 Xavier Bioy, « La doctrine du maintien de l'ordre » ne devrait-elle pas entrer dans la loi au titre (...)
• 42 À ce titre, il est aussi étonnant de constater que pour valider la contravention de dissimulation d (...)

22À titre de comparaison, il apparait pertinent de rappeler que l’ensemble des dispositions du code de la sécurité intérieure a été institué soit par voie d’ordonnance (partie législative), soit par voie de décret (partie réglementaire). Il en va ainsi des dispositions encadrant l’usage de la force ou encore la dispersion d’un attroupement40. Quel raisonnement justifierait que les mesures de dispersion de la foule relèvent du domaine de la loi, tandis que les mesures de rétention de la foule pourraient être adoptées par simple voie de circulaire ?41 Force est de constater que la décision du 10 juin 2021 ne va pas dans le sens d’une clarification de cette clé de répartition, les mesures de maintien de l’ordre pouvant ainsi relever du domaine de la loi, du décret42 ou d’une simple instruction du ministre de l’Intérieur.

• 43 Arrêt, point 28.
• 44 CEDH, 15 mars 2012, Austin et autres (GC), req. 39692/09-40713/09-41008/09, point 59. « La Cour con (...)

23C’est donc sur le fond que la Haute juridiction censure la disposition en estimant que « faute d’apporter de telles précisions de nature à garantir que l’usage de cette technique de maintien de l’ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances » les requérants sont fondés à soutenir que le point 3.1.4 est entaché d’illégalité43. Le Conseil d’État formule également une opinion tendant à la réécriture du SNMO, en estimant que la nasse « peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l’ordre public ». Il y a ainsi lieu de relever que, loin de considérer la nasse comme une pratique intrinsèquement illégale, la solution s’inspire ici de l’arrêt « Austin » de la Cour européenne des droits de l’Homme pour tenter d’en esquisser un cadre d’emploi44.

• 45 Cass., Crim., 22 juin 2021, n°00785, point 12. ; voir aussi sur cette affaire : Benrabah Yannis, Bl (...)

25Dans chacun de ces deux cas de figure et suivant les circonstances, ce contrôle s’exercerait à l’occasion d’un recours indemnitaire devant le tribunal administratif compétent, n’excluant pas que l’affaire soit par ailleurs portée devant le juge pénal. À ce titre, il convient d’observer que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a très récemment statué sur la nasse de Bellecour à Lyon45, en adoptant un raisonnement similaire à celui du Conseil d’État (nécessité, proportionnalité), mais dont l’appréciation diverge sensiblement. S’agissant d’une part de la nécessité de la mesure, le juge judiciaire s’est ainsi borné à faire état de ce que la mesure d’encerclement avait eu pour objet « d’éviter les violences graves contre les personnes et les biens que les autorités étaient fondées à redouter », identifiant un simple risque de trouble, loin de l’exigence d’un trouble caractérisé à l’ordre public. S’agissant d’autre part de la proportionnalité de la mesure, celle-ci en déduit que « de nombreuses personnes » ont pu quitter la place au cours de l’après-midi, éludant la situation des personnes retenues plus de sept heures. En ce sens, il est d’ores et déjà possible d’entrevoir la mise en œuvre d’un dialogue des juges s’agissant de l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité de la nasse, le juge pénal ayant manifestement défini un seuil de violation des libertés fondamentales bien plus restrictif que celui de son homologue administratif.

• 46 Suivant l’expression nouvelle retenue par le SNMO, indiquant le choix de grenades moins « vulnérant (...)
• 47 CE, ord., 1^er février 2019, CGT et autres, n°427390, point 9.

26Dans sa décision du 10 juin 2021, le Conseil d’État a affirmé le caractère divisible des dispositions du SNMO, de sorte que les multiples illégalités dont il est entaché – et qui ont été analysées précédemment – ont conduit le juge à en prononcer l’annulation partielle. Présentée comme un désaveu, la décision s’apparente davantage à un sursis octroyé au ministre de l’Intérieur pour promouvoir une nouvelle version de sa doctrine du maintien de l’ordre. L’œuvre de réécriture du texte, en partie menée par le juge au moyen de ses obiter dictum, n’a pas compromis les nombreuses dispositions ayant échappé au débat mené à l’instance : il y a ainsi lieu de relever que de nombreux points du SNMO entérinent, sans avoir été contestés, une doctrine intégrant l’intervention d’unités non spécialisées ou l’usage d’armes mutilantes ou « vulnérantes »46, dont la dangerosité n’est plus à démontrer. Ainsi l’abandon de la grenade GLI-F4 a-t-il ouvert la voie à l’usage de la grenade GM2L. Dans le même sens, est pérennisé l’usage du lanceur de balles de défenses de calibre 40mm (« LBD-40 ») dont la Haute juridiction avait pourtant admis qu’il « a provoqué des blessures, parfois très graves (…) sans qu’il soit établi que toutes les victimes se trouvaient dans les situations justifiant cet usage »47.