• 1 Articles 20 et 21 de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

3L’essentiel de leur analyse a porté sur un autre pan de la contestation parlementaire, à savoir l’étendue des recherches réalisées sur les embryons in vitro. L’article 20 de la loi élargit effectivement le champ des recherches pouvant être menées sur les embryons humains : celles-ci ne sont plus circonscrites aux seules recherches à finalité médicale, mais également possibles afin « d’améliorer la connaissance de la biologie humaine » et peuvent être menées sur des embryons jusqu’au quatorzième jour qui suit leur constitution. L’article 23 quant à lui lève l’interdit de la création d’embryons transgéniques ou chimériques (ancien article L. 2151-2 CSP) pour ne prohiber que « la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces ». Aussi, la création d’embryons transgéniques comme celle de chimères par l’introduction de cellules humaines dans un embryon animal sont-elles autorisées1. En limitant l’interdiction à la seule insertion de cellules animales dans un embryon humain, le législateur offre de nouvelles possibilités aux scientifiques et marque un pas supplémentaire sur le chemin de la libéralisation de la recherche embryonnaire engagé depuis 2013 (I). Amené à examiner la constitutionnalité des extensions adoptées par le législateur, le Conseil constitutionnel fait des références répétées au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, éminent principe dont la mobilisation demeure toujours aussi floue (II).

• 2 Article 20 de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
• 3 Le quatorzième jour correspond au début de la gastrulation, phase durant laquelle les différents fe (...)
• 4 International Society for Stem Cell Research, « Guidelines for Stem Cell Research and Clinical Tran (...)

4 Des lois « suiveuses » en matière de recherche embryonnaire. Pour éviter que la recherche accuse en France un retard conséquent face aux progrès de la connaissance et des techniques ainsi qu’aux initiatives scientifiques étrangères, il a paru nécessaire au législateur d’adapter le droit biomédical, notamment en entérinant la limite de quatorze jours pour le développement d’un embryon in vitro sur lequel est réalisée une expérimentation2. Ce seuil qui pourrait paraître arbitraire correspond en fait à la limite fixée préalablement par les scientifiques3. Or, sans le consensus scientifique mobilisé en faveur de l’adoption de cette disposition, quelle justification persisterait ? Cette limite ne serait-elle pas discutable ? Ces questions doivent être posées et ce d’autant plus que la société internationale pour la recherche sur les cellules souches a supprimé ce seuil dans ses dernières recommandations4 : en d’autres termes, le consensus scientifique auquel souscrit le législateur français n’existe déjà plus.

• 5 S. Paricard, « La recherche médicale et le droit : une relation ambivalente », RDSS, 2009, p. 98.
• 6 Loi n°2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la (...)

5La dyssynchronie qui peut être identifiée entre le temps législatif et le temps des évolutions scientifiques, c’est-à-dire la difficile correspondance entre les révisions législatives et le progrès scientifique, se traduit par l’existence de « lois suiveuses »5. L’encadrement de la recherche sur l’embryon constitue un terrain favorable à l’identification de telles lois. L’abandon du régime dérogatoire6 au profit d’un régime d’autorisation a marqué une première étape favorable au développement de cette pratique scientifique. L’extension des possibilités expérimentales, permise avec l’adoption de cette nouvelle loi, en constitue une deuxième, qui ne sera certainement pas la dernière.

• 7 Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994 – Saisine par 60 députés.
• 8 Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994, §11.
• 9 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021 – Saisine par 60 députés.
• 10 B. Mathieu, « La recherche sur l’embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels », D., (...)
• 11 « Une recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assis (...)

6 La quête d’une définition de l’embryon humain. Comme en 1994, les actes pouvant être réalisés sur les embryons humains conçus dans le cadre d’une AMP sont au cœur de la décision du Conseil constitutionnel. Les recherches sur l’embryon étaient absolument interdites par les premières lois de bioéthique, ce qui n’empêchait pas la réalisation d’études à finalité médicale dès lors qu’elles ne portaient pas atteinte à l’embryon et qu’elles obtenaient un avis conforme d’une commission ad hoc. Les députés requérants de l’époque considéraient alors qu’il y avait là une forme de libre disposition d’êtres humains et des risques de dérives eugénistes7. Dans sa décision de 1994, le Conseil constitutionnel estimait au contraire suffisantes les garanties légales offertes8. Si le juge s’est intéressé aux questions suscitées par la recherche embryonnaire bien avant la décision du 29 juillet 2021, l’embryon demeure une entité insaisissable, tant pour les députés requérants que pour les Sages. Les premiers critiquent la formulation retenue dans la loi, au motif que « l’embryon humain [utilisé] à des fins de recherche ne connaît aucune définition ou protection juridique »9. Les seconds considèrent au contraire que cette notion, déjà présente dans la législation antérieure, est suffisamment précise. On le voit, depuis 1994, le statut juridique de l’embryon questionne, l’embryon étant toujours « un "objet" que le droit constitutionnel a beaucoup de difficultés à appréhender »10. Au demeurant, ce n’est pas tant la définition de l’embryon qui doit interroger que la protection qui lui est accordée. Quelques éléments relatifs au contexte de la disposition législative litigieuse permettent de cerner l’embryon humain visé par le texte. Il ne s’agit pas de n’importe quel embryon, mais de l’embryon conçu in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et ne faisant plus l’objet d’un projet parental (art. L.2151-5, al. 1^er du Code de la santé publique)11.

• 12 Article L.2151-5 I, 2° du Code de la santé publique.
• 13 Article 20 de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
• 14 Article 20 de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
• 15 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021, loi relative à la bioéthique, §12.
• 16 Ibid., §13.
• 17 INSERM, « La recherche fondamentale », [https://www.inserm.fr/nos-recherches/recherche-fondamentale (...)

7 La modification de la finalité de la recherche embryonnaire. Depuis 2013, les recherches embryonnaires ne peuvent être autorisées que si « la recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale »12. La loi du 2 août 2021 opère une modification en prévoyant que « la recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ou vise à améliorer la connaissance de la biologie humaine »13. Cet ajout a été critiqué parce qu’il offrirait de nouvelles possibilités scientifiques14. Les députés requérants considéraient qu’il n’y aurait dès lors « aucune limite opératoire »15 aux recherches. Le Conseil constitutionnel retient quant à lui que la modification législative permet que de « telles recherches puissent être entreprises y compris lorsqu’elles ne présentent pas un intérêt médical immédiat »16. Si le Conseil paraît lui-même admettre la réalité du changement, il semble néanmoins que l’importance de la modification entreprise puisse être tempérée. Elle pourrait même passer pour purement sémantique, la recherche fondamentale étant considérée comme étant « avant tout source de savoir » et ayant « pour principal objectif la production de savoir et la compréhension des phénomènes naturels »17. Autorisée avant cette nouvelle révision législative, la recherche fondamentale sur l’embryon humain est donc très proche des recherches qui visent à cette amélioration des connaissances de la biologie humaine dorénavant permises.

• 18 B. Mathieu, « La recherche sur l’embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels », D., (...)
• 19 Article L.1121-1 du Code de la santé publique.
• 20 Le détournement de l’usage des techniques médicales et leur usage anthropotechnique n’est souvent p (...)
• 21 D. Cyranoski, « Baby gene edits could affect a range of traits », Nature News, 12 décembre 2018.
• 22 Certaines garanties inhérentes aux recherches impliquant la personne humaine, telles que le recueil (...)

9 La crainte du détournement de la recherche embryonnaire. Par ailleurs, l’inquiétude suscitée par cette modification législative et le lien réalisé par les députés requérants entre la nouvelle finalité des recherches embryonnaires et l’eugénisme n’est pas nouvelle. Le Professeur Mathieu l’avait formulé dès 1999, relevant qu’une « recherche dont la finalité est d’améliorer la qualité des embryons »18 présente des risques de dérives eugéniques. Déjà, les recherches impliquant la personne humaine, réalisées en principe sur la personne née et vivante, sont menées « en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales »19. Les finalités diverses des recherches embryonnaires semblent rejoindre celles des recherches impliquant la personne humaine. Or, en observant le glissement qui s’est opéré s’agissant de la médecine, celle-ci ne visant plus seulement à réparer l’humain, mais également à l’améliorer20, il est possible d’envisager que ce détournement des applications biomédicales se fasse également par le biais de la recherche embryonnaire. L’usage anthropotechnique des technologies expérimentées pourrait inquiéter. Plus encore, les expérimentations réalisées en Chine par He Jiankui en 2018 rappellent que le détournement de la recherche embryonnaire à des fins d’augmentation humaine est une potentialité à ne pas nier21. Le scientifique chinois aurait modifié le génome d’embryons humains avant de les transférer dans l’utérus d’une femme, permettant la naissance d’enfants dont le patrimoine génétique avait été modifié. Certes, une telle expérimentation reste interdite en France, les embryons sur lesquels les recherches visées par l’article L.2151-5, I, 2°, devant être détruits au bout de 14 jours maximum. Toutefois, l’identification du mouvement de libéralisation de la recherche embryonnaire conduit nécessairement à envisager les potentialités expérimentales pour définir les limites à ne pas franchir. Si le rapprochement entre les finalités des recherches embryonnaires et celles des recherches impliquant la personne humaine est craint, c’est certainement parce que l’embryon in vitro ne bénéficie précisément pas de la protection applicable à la personne née et vivante22. Le détournement de l’expérimentation embryonnaire se heurterait donc à moins d’obstacles que les recherches impliquant la personne humaine.

• 23 Articles 20 et 21 de la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
• 24 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021, §26.
• 25 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021, §27.

10 L’admission de nouvelles techniques expérimentales. L’extension du champ des recherches sur l’embryon tient finalement sans doute moins à l’extension de leurs finalités, qu’à celle des techniques qui vont pouvoir être expérimentées. Une importante modification législative se trouve dans l’article 23 de la loi qui lève l’interdiction de la création d’embryons transgéniques et de certaines formes d’embryons chimériques. Jusqu’alors, l’article L.2151-2 alinéa 2 du code de la santé publique prévoyait que « la création d’embryons transgéniques ou chimériques [était] interdite ». Désormais, la seule prohibition porte sur « la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces ». En d’autres termes, la création d’embryons chimériques est autorisée lorsqu’il s’agit d’insérer des cellules humaines dans un embryon animal23, tout comme la création d’embryons transgéniques, c’est-à-dire, d’embryons dont le génome a été modifié par insertion ou suppression de séquences d’ADN. L’admission de telles possibilités a été vivement critiquée à l’occasion de la saisine du Conseil constitutionnel : d’une part, la création d’embryons transgéniques constituerait une atteinte au respect de la dignité humaine24 ; d’autre part, la création d’embryons chimériques, en ce qu’elle nierait la distinction homme-animal, porterait atteinte à la protection de l’environnement, à la diversité biologique, au principe de précaution et au principe de dignité humaine25.

• 26 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021, loi relative à la bioéthique, §28.

11 L’importante marge laissée au législateur. Les Sages ont jugé cette modification législative conforme aux exigences constitutionnelles. Ils ont en effet retenu qu’« il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs »26. Ce faisant, le Conseil constitutionnel ne justifie pas réellement l’absence de méconnaissance du principe de précaution ou du Préambule de la Charte de l’environnement et se contente d’entériner la modification législative réalisée au sujet des embryons chimériques.

• 27 Décision n°2021-821 DC du 29 juillet 2021 §33.
• 28 Voir notamment : Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994 ; décision n°2001-446 DC du 27 juin 20 (...)

12Les recherches sur l’embryon humain les plus discutées sont celles qui permettraient la création d’embryons transgéniques. À cet égard encore, le contrôle de constitutionnalité témoigne de l’importante marge laissée au législateur en matière de révision des lois relatives à la bioéthique. Ici en effet, les Sages considèrent que la délivrance d’une autorisation par l’Agence de la biomédecine est suffisante pour assurer la protection de l’embryon humain ne faisant plus – comme ils le rappellent – l’objet d’un projet parental et étant dès lors voués à la destruction. En définitive, ce n’est pas tant le procédé de modification du génome des embryons qui est examiné que le cadre dans lequel il s’inscrit. Ce seul cadre apporterait des « garanties effectives »27 en matière de recherches embryonnaires et assurerait le respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Un principe qui est, certes, systématiquement convoqué dans les décisions constitutionnelles portant sur le traitement de l’embryon28, mais qui manque indéniablement de clarté.

• 29 Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994, op. cit., §18
• 30 Décision n°2013-674 DC du 1^er août 2013, op. cit., §16
• 31 Décision n°2013-674 DC du 1^er août 2013, op. cit., §17.

13 Le contrôle renouvelé du respect de la dignité humaine. Qu’il s’agisse de l’élargissement des finalités (article 20 de la loi) ou des types d’expérimentations (article 23 de la loi) autorisés sur les embryons in vitro, le Conseil constitutionnel a conclu que les nouvelles dispositions législatives ne méconnaissaient pas le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Ce principe est protégé, selon le juge, par le biais de principes législatifs dérivés « au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine »29. Lorsque le régime d’autorisation des recherches embryonnaires a été adopté en 2013, la finalité médicale de ces dernières constituait un des éléments assurant, aux yeux du juge constitutionnel, le respect du principe de dignité30 : « si le législateur a modifié certaines des conditions permettant l’autorisation de recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires à des fins uniquement médicales, afin de favoriser cette recherche et de sécuriser les autorisations accordées, il a entouré la délivrance de ces autorisations de recherche de garanties effectives ; que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine »31.

• 32 P. Le Coz, « Chapitre 1. Dignité et liberté : vers une contradiction insoluble ? », JIB, 2010/3, Vo (...)
• 33 Ibid.
• 34 Décision n°2017-632 QPC du 2 juin 2017, « Union nationale des associations de familles de traumatis (...)
• 35 Voir supra. Décision n°94-343/344 DC op. cit., §18.

16 La prédominance de la dimension objective de la dignité. Comme aucune explicitation n’est donnée dans la décision, il convient de chercher des éléments de réponse dans les utilisations déjà faites du principe de dignité. Or, il apparaît que les références à la dignité dans la jurisprudence du Conseil en retiennent tantôt une dimension objective, tantôt une dimension subjective. Dans la première acception, la dignité renvoie à « une grandeur incommensurable »32 tandis que dans la seconde, elle est « une variable tributaire de l’appréciation personnelle de chacun »33. Par exemple, lorsque le juge constitutionnel s’intéresse aux décisions de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, il semble que c’est une dimension subjective de la dignité qui est mobilisée en affirmant que « le législateur, qui a assorti de garanties suffisantes la procédure qu’il a mise en place, n’a pas porté d’atteinte inconstitutionnelle au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle »34. Le lien entre dignité et liberté personnelle est effectivement prépondérant dans l’appréciation de la dignité subjective. Pour ce qui est toutefois de la bioéthique en général et de la recherche embryonnaire en particulier, il semble que le juge constitutionnel recoure davantage à la dimension objective de la dignité en visant, comme nous l’avons vu, depuis la première décision relative à la bioéthique, ses principes législatifs dérivés35.

• 36 En ce sens, « la dignité désigne non pas d’ailleurs l’être de l’homme, mais l’humanité de l’homme » (...)

17 L’importance des bénéfices collectifs de la recherche embryonnaire. Si le juge constitutionnel adopte cette acception objective de la dignité, c’est sans doute parce qu’il s’intéresse aux bénéfices collectifs attendus de la recherche embryonnaire. La protection de la dignité de la personne humaine renverrait à l’humanité36 comme bénéficiaire potentiel des connaissances acquises lors des expérimentations embryonnaires. Par ces références au principe de dignité, le Conseil constitutionnel ne vise pas l’éventuelle dignité des embryons humains, ce qui explique l’admission des embryons transgéniques et de certains embryons chimériques. En outre, le fait qu’il s’agisse nécessairement de recherches réalisées sur des embryons in vitro ne faisant plus l’objet d’un projet parental et qui seront détruits au plus tard au quatorzième jour de leur développement semble déterminant aux yeux du juge. Celui-ci confirme ainsi que la potentialité de personne de ces embryons n’a plus à être prise en compte et ne raisonne donc pas autour des conséquences « individuelles » de la recherche réalisée.

• 37 « Des recherches menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation peuvent être réalis (...)
• 38 Article 16-4 du Code civil.

18 L’eugénisme contraire à la dignité humaine. Ce qui est clair en revanche c’est que cette décision du Conseil constitutionnel permet de lier explicitement l’interdiction législative des pratiques eugéniques et le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Cela témoigne du fait que l’usage de techniques biomédicales peut être contraire à la dignité et qu’il est primordial que les activités scientifiques s’exercent dans un cadre protecteur de la personne humaine suffisamment pérenne. La situation de l’embryon in vitro ne faisant plus l’objet d’un projet parental semble néanmoins offrir davantage de possibilités aux scientifiques. L’abandon d’un tel projet permet d’admettre que cet embryon devient une forme de matériau humain, plus objet que sujet d’expérimentation. Si le statut juridique de l’embryon conduit aujourd’hui à en faire une chose à défaut de pouvoir être une personne, la pratique expérimentale oblige à tenir compte de l’avenir qui pourrait être celui de l’embryon pour opérer une distinction : sujet d’expérimentation s’il est destiné à être implanté et à naître37, objet d’expérimentation s’il est voué à la destruction faute de s’inscrire encore dans un projet parental. Tandis que les modifications transmissibles des caractéristiques génétiques d’une personne née et vivante sont prohibées38, de telles modifications deviennent réalisables sur l’embryon avec les dispositions de l’article 23 de la loi du 2 août 2021. Cette distinction est possible non seulement parce qu’il s’agit d’un embryon et non d’une personne déjà née, mais surtout parce qu’il s’agit d’un embryon qui sera détruit et non implanté à des fins de gestation. En ce sens, la création possible d’un embryon transgénique rejoint la finalité d’acquisition de connaissances : il deviendrait possible d’observer comment se développent durant quatorze jours des embryons dont le génome aurait ainsi été modifié. Cela offrira certainement de nombreuses possibilités de progrès scientifiques, notamment, grâce à une meilleure maîtrise d’outils d’édition génomique comme CRISPR-CAS9. Si la dignité humaine conduit à protéger l’intégrité génétique des embryons in vitro qui seront implantés à des fins de gestation, des embryons in utero, et des personnes nées et vivantes, il n’en va pas de même pour les embryons in vitro qui sont voués à la destruction. Il est vrai que dans cette situation les modifications génomiques réalisées n’auront aucune conséquence sur le restant de l’espèce humaine.