• 1 « Les droits, la dignité et les libertés des personnes âgées en EHPAD trop souvent mis à mal » , ma (...)
• 2 L’étude vient d’être rendue publique (octobre 2021), https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communiqu (...)
• 3 Les plus de 65 ans représentent aujourd’hui un habitant sur cinq et à l’horizon 2070 un sur trois, (...)
• 4 Le Défenseur des droits souligne que « le rapport collectif à la vieillesse, imprégné d'un présuppo (...)

1Quelques mois à peine après son rapport sur la situation des résidents des EHPAD au regard de leurs droits fondamentaux1, le Défenseur des droits rend publique une étude qu’il a menée sur « les difficultés d’accès aux droits et les discriminations liées à l’avancée en âge »2. Estimant que la société s’emploie à répondre au défi démographique du vieillissement de la population3 sur le plan de la prise en charge des plus âgés, mais non à combattre les préjugés dont ces personnes sont l’objet - lesquels sont de nature à compromettre l’exercice de leurs droits4 -, le Défenseur des droits a souhaité objectiver les effets de l’âgisme.

• 5 Étude, p. 3.
• 6 L’activité du défenseur des droits auprès des personnes âgées, inactives ou retraitées est rappelée (...)
• 7 On pense en particulier aux travaux de l’INED, « Trajectoires et Origines, Enquête sur la diversité (...)
• 8 Les alertes se multiplient depuis quelques années. Dans son avis 128 du 15 février 2018 sur les « e (...)

2Pour ce faire, il a conduit une enquête quantitative sur 2 506 personnes âgées de 65 ans ou plus, vivant à domicile, par téléphone, du 22 septembre au 31 octobre 2020, complétée d’une petite étude qualitative sur 15 aidants. Cette enquête de terrain cherchait à « documenter les difficultés d’accès aux droits, les inégalités de traitement et les discriminations dans l’accès aux biens et services des personnes âgées vivant à domicile »5. Si l’enquête ne fait que confirmer de précédents constats – du Défenseur des droits6 ou d’autres7 – sur de véritables difficultés d’accès aux services publics et l’existence de discriminations (I), on l’espère porteuse d’un signal fort à l’attention des pouvoirs publics dont on est en droit d’attendre (enfin) une action cohérente et durable en faveur d’une société inclusive8. Une telle action est d’autant plus nécessaire que nombre des personnes âgées ont une perception relativement faible de ces discriminations pourtant bien réelles (II).

• 9 V. notamment le rapport annuel 2017 des Petits frères des pauvres, qui souligne l’exclusion numériq (...)
• 10 Étude, p. 9.

3Une contradiction dans les termes à l’ère du tout numérique. L’étude révèle la contradiction de plus en plus criante entre, d’une part, le vœu – constamment réitéré dans les politiques de la vieillesse – de préserver l’autonomie des personnes âgées le plus longtemps possible et, d’autre part, les évolutions sociétales de plus en plus rapides et, de fait, excluantes pour les personnes qui ont le plus de mal à s’adapter au changement. Les effets de l’e-administration sont à cet égard éloquents. Les personnes interrogées expliquent qu’en cas de difficulté avec une administration, elles parviennent difficilement à contacter un interlocuteur, manquent d’information, voire n’obtiennent pas de réponse. Certes, les personnes âgées ne sont pas les seules à subir ce type de difficultés. Toutefois, pour ces individus particulièrement exposés à la fracture numérique9, la difficulté peut devenir obstacle et « être à l’origine d’un renoncement aux droits »10. Les aidants soulignent les situations de souffrance qui résultent, pour les personnes âgées, de l’absence de relation humaine et de l’injonction qui leur est faite de s’adapter rapidement à de nouvelles modalités de fonctionnement et de communication, laquelle paraît peu réaliste, pour ne pas dire totalement illusoire.

• 11 Étude, p. 11.
• 12 La perception s’estompe également sous l’effet de la dégradation de l’état de santé, avec le niveau (...)
• 13 Étude, p. 14

6Une sous-estimation. L’enquête confirme que les personnes âgées ont une faible perception des discriminations dont elles peuvent être l’objet. En 2020, seuls 2% des réclamations des personnes de plus de 60 ans concernaient un problème de discrimination. Dans la présente enquête, 17% seulement des personnes interrogées déclarent avoir subi au moins une discrimination liée à leur âge au cours des 5 dernières années. Selon le Défenseur des droits, ces chiffres traduisent le fait que « la tendance chez les personnes âgées [est de] sous-estimer les discriminations », ce qui serait « le signe d’une forme d’intériorisation des situations d’inégalités et de discriminations »11. Le Défenseur des droits précise que cette perception des discriminations se réduit avec l’âge12. Par comparaison, les aidants – tiers au contact quotidien de ces populations fragiles – tiennent « un discours plus alarmiste que celui des personnes âgées »13 qui révèle une perception différente de ces situations qu’ils estiment bien réelles.

• 14 Étude, p. 14.

7Cette faible perception des discriminations par les principaux intéressés se double logiquement d’un taux de non-recours préoccupant aux yeux du Défenseur des droits, qui relève qu’une personne âgée sur cinq décide de ne rien dire14. Ces abstentions invisibilisent les discriminations à l’égard des personnes âgées et entravent l’action pour les combattre.

• 15 Voir le numéro spécial de la revue Retraite et Société, « Inclusion ou exclusion des personnes âgée (...)
• 16 Étude, p. 16.
• 17 Étude, p. 16.

9En plus de poser la question d’un accès au système de santé discriminatoire en fonction de l’âge15, la crise sanitaire a livré un discours âgiste, ce que l’ONU a déjà documenté en montrant que « la pandémie a exacerbé les stéréotypes et les discriminations liées à l’âge »16. En clair, « les personnes âgées ont été vues comme uniformément frêles et vulnérables tandis que les jeunes ont été présentés comme invincibles ou imprudents, voire irresponsables »17.

• 18 Étude, p. 15.

10La crise du Covid a agi comme un miroir grossissant de notre rapport collectif à la vieillesse : pour protéger les anciens, on les a isolés, coupés de leurs proches, jusque dans la mort ! Comment s’étonner, dès lors, qu’un tiers des personnes âgées interrogées aient déclaré à l’occasion de cette enquête « ne pas s’être senties protégées par la société » pendant cette crise sanitaire majeure18 ? S’il n’est pas trop tard, il est grand temps de changer d’approche et de poser le sujet dans le débat public. Car malgré les textes (internationaux notamment) qui interdisent la discrimination fondée sur le grand âge, malgré les discours très stigmatisants qui ont pu être tenus pendant la crise sanitaire, la question des discriminations fondées sur l’âge demeure en fait largement absente du débat politique.