De quelle société politique le citoyen numérique est-il membre ?
Résumés
La citoyenneté numérique ne renvoie pas à la simple dématérialisation des relations entre les citoyens et l’administration dont ils dépendent, et ne se limite pas au renouvellement des moyens et outils – numériques – dont ils bénéficient pour s’informer, s’exprimer et communiquer. L’avènement d’une citoyenneté numérique pourrait bel et bien marquer une rupture avec la citoyenneté politique au sens classique, et répondrait à des critères d’inclusion différents. Le rapport du citoyen à l’État et à la collectivité nationale pourrait en être modifié, les réseaux numériques favorisant la formation de nouvelles formes de communautés, potentiellement transnationales voire virtuelles. Cela soulève des questions relatives au sentiment d’appartenance, à la gouvernance de la société numérique, aux logiques d’inclusion/exclusion, au rôle de l’État, dans un contexte où le devenir de nos sociétés politiques paraît incertain.
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- 1 Michel Serres, « Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive », Conférence-déba (...)
- 2 Thomas Chamorro-Premuzic, « How different are your online and offline personalities? », The Guardia (...)
- 3 Irina Parachkevova-Racine, Jean-Baptiste Racine, Thierry Marteu (dir.), Droit et objets connectés: (...)
- 4 Pauline Türk, « L’État plateforme numérique », RDP, n° 5, 2020, p. 1189.
- 5 Éric Sadin, La siliconisation du monde : l’irrésistible expansion du libéralisme numérique, L’échap (...)
1La révolution numérique serait porteuse d’un nouveau bond cognitif pour l’humanité, comparé par certains à l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie1. Notre rapport au temps, à l’espace, à la connaissance, en est bouleversé. Notre adresse IP, correspondant à l’espace numérique, devient plus importante que notre adresse physique, relevant de l’espace métrique. Notre identité numérique virtuelle se construit progressivement, recouvrant seulement partiellement notre identité physique réelle2. L’importance des technologies numériques dans tous les secteurs d’activité laisse entrevoir un possible changement de civilisation, que l’on songe à internet et aux technologies de l’information et de la communication, aux objets connectés (santé, transports, logement, industrie..3), aux progrès de la robotisation et de l’intelligence artificielle, à la plateformisation de l’économie et maintenant des services publics4, à l’algorithmisation de nos administrations5, ou encore à la création de mondes virtuels (Metaverse).
- 6 Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, LGDJ, 2019.
- 7 Henri Oberdorff, La démocratie à l’ère numérique, Grenoble, PUG, 2010 ; « Internet et les droits fo (...)
- 8 Pauline Türk, La souveraineté numérique : le concept, les enjeux, Mare et Martin, 2017.
- 9 Zizi A. Papacharissi, A Private Sphere. Democracy in a Digital Age, Cambridge Polity Press, 2010.
- 10 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age: Reshaping the Future of People, Nations and Busines (...)
- 11 La révolution numérique s’ajoutant à la situation géopolitique pour faire douter de la fin de l’his (...)
- 12 Euvgeny Morozov, The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, NY, Public Affairs, 2011.
2Le passage à l’ère numérique, on le sait, bouleverse le fonctionnement de nos sociétés politiques. Il transforme les conditions de l’action publique6. Il entraîne une remise en question des modèles démocratiques7, éprouve la souveraineté des États8, redistribue les rôles entre secteur public et privé, renouvelle la confrontation entre intérêts individuels et intérêt collectif9. Il a des effets déjà très lourds sur le gouvernement des sociétés contemporaines et le fonctionnement de nos démocraties. Certains s’en réjouissent, promettant une société profondément transformée, tels Éric Schmidt, ancien PDG de Google, et Jared Cohen pour qui « l’avenir prendra la forme que lui donneront les États, les citoyens, les entreprises et les institutions en assumant les nouvelles responsabilités qui leur échoient »10. D’autres, on le sait, s’en inquiètent. Jacques Ellul dénonçait déjà la sacralisation de la technologie, qui aliène l’individu et déséquilibre l’ordre politico-social au bénéfice de l’économie. Francis Fukuyama, après avoir prédit la fin de l’histoire par le triomphe de la démocratie libérale, doute désormais, au vu des aléas du progrès technologique et des périls encourus par nos démocraties11. Evgueni Morozov s’interroge sur le déclin de l’État providence au profit d’une logique néo-libérale, et dénonce l’impasse du « solutionnisme technologique »12.
- 13 Will Kymlicka, Multicultural Citizenship: A Liberal Theory of Minority, Oxford University Press, 20 (...)
- 14 Catherine Colliot-Thélène, La démocratie sans « démos », PUF, 2011.
- 15 David Owen, « Transnational Citizenship and Rights of Political Participation », Normative Orders W (...)
- 16 Lincoln Dahlberg, « Re-constructing digital democracy: An outline of four ‘positions’« , New Media (...)
3Dans ce contexte de reconfiguration des appareils d’État, de bouleversement du lien social et politique, les relations gouvernants-gouvernés sont nécessairement impactées : homo numericus est aussi un citoyen, dont le rapport à la collectivité évolue profondément. Or, si les effets de la révolution numérique sur la démocratie ont déjà fait l’objet de nombreuses études, le statut du « citoyen numérique » reste largement indéfini. La notion même de citoyenneté, sa définition, sa conception classique, dessinées en d’autres temps et pour un autre monde, sont remises en cause. La notion était déjà discutée : citoyenneté multiculturelle13, citoyenneté européenne, « démocratie sans demos » où le citoyen s’émancipe de l’État14, citoyenneté post-nationale dans le cadre de sociétés politiques transnationales ou supranationales15. Mais l’émergence d’une citoyenneté numérique renouvelle la problématique et ouvre de nouveaux champs de réflexion. Le citoyen numérique, dans l’espace dématérialisé, est confronté à la multiplication des pouvoirs auxquels il peut s’adresser pour obtenir la garantie de ses droits et libertés. On dit de lui que son attachement à l’État est fragilisé, et que ses modes d’expression sont renouvelés16.
- 17 Karen Mossberger, Caroline J. Tolbert et Ramona S. McNeal, Digital citizenship. The internet, socie (...)
- 18 Fabienne Greffet et Stéphanie Wojcik, « La citoyenneté numérique, perspectives de recherche », Rése (...)
- 19 Conseil de l’Europe, 2017a, « Digital Citizenship Education », Conférence Discussion Paper, 21-22 s (...)
4Mais qui est le citoyen numérique ? La citoyenneté numérique, également dénommée e-citoyenneté ou cyber-citoyenneté, par traduction de la notion anglo-saxonne de digital citizenship, désigne, selon nous, la situation d’un individu connecté et prétendant exercer des droits et bénéficier de libertés dans un espace numérique. Elle correspond pour les uns à « la capacité à participer à la société en ligne »17, pour les autres à la situation du « citoyen dont la relation au politique est médiatisée par les technologies numériques »18. Les travaux menés au sein du Conseil de l’Europe sur le sujet comprennent la citoyenneté numérique, de façon plus ambitieuse, comme « la capacité à s’engager positivement, de manière critique et compétente dans l’environnement numérique, en s’appuyant sur les compétences d’une communication et d’une création efficaces, pour pratiquer des formes de participation sociale respectueuses des droits de l’homme et de la dignité grâce à l’utilisation responsable de la technologie »19.
5Pour autant, la citoyenneté est un statut juridique, résultant d’une construction historique, qui renvoie à une logique d’appartenance à une communauté politique, ce qui se traduit par des droits et des devoirs attachés à la condition de citoyen. Dans sa conception classique, elle est exclusive dans la mesure où elle est soumise à certaines conditions, qui peuvent être liées à la nationalité, la capacité, l’âge, le sexe, la dignité.
6Quel sens et quelle portée juridique la citoyenneté numérique peut-elle revêtir ? Autrement dit, le citoyen numérique existe-t-il ? Est-il le citoyen ordinaire, simplement « augmenté » dans ses moyens d’information et d’expression, grâce aux outils numériques, dans le cadre de l’État dont il relève ? Ou est-il déjà un autre, dont l’attachement à l’État est fragilisé par d’autres formes d’appartenances ? Est-il membre d’une « société numérique », soumise à de nouveaux modes de gouvernance ? Se rattache-t-il à d’autres formes de sociétés politiques, transnationales, régies par de nouveaux types de pouvoirs ? Ou, dans une autre perspective, la défiance envers les pouvoirs institutionnalisés couplée à l’individualisme de l’utilisateur conduisent-ils à affaiblir la notion même d’appartenance à une collectivité politique, le besoin d’allégeance à un pouvoir politique ? Dans quelle mesure le contenu et les conditions d’exercice des droits civils et politiques, mais aussi des devoirs attachés à la citoyenneté, sont-ils modifiés ?
7On tentera ici d’ouvrir quelques perspectives relatives à l’identification du citoyen numérique (I), aux fins de déterminer de quelle société politique il peut être membre (II).
I - Qui est le citoyen numérique ? Les nouveaux facteurs d’inclusion/exclusion
8Il s’agit ici d’identifier le e-citoyen, de déterminer qui peut prétendre à cette qualité, et ce que recouvre cette dénomination. Le citoyen numérique est-il le citoyen au sens classique, simplement « augmenté » dans sa capacité d’expression et de participation en ligne, ou est-il un autre ? Il sera considéré ici que le citoyen numérique est autre chose que le citoyen doté d’outils numériques de participation, et qu’il ne se définit pas au regard des mêmes critères (A). Cette citoyenneté a priori plus inclusive laisse entrevoir cependant de nouvelles formes d’exclusion (B).
A - La citoyenneté numérique comme concept autonome
- 20 Denis Alland, Stéphane Rials, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003.
- 21 Yves Sintomer, Petite histoire de l’expérimentation démocratique : tirage au sort et politique d’At (...)
- 22 Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, LGDJ, 1995.
9Concept clef de la philosophie politique et du droit public, la citoyenneté renvoie au statut de celui qui est admis à participer à la vie de la cité, à la gestion des affaires publiques. La citoyenneté découle de l’appartenance, ou non, à une société politique donnée. « Institution juridique positive »20, elle est attribuée selon certains critères variables (sexe, âge, nationalité, résidence habituelle, dignité, rôle social, etc.)21. Sous l’Antiquité grecque, le citoyen est celui qui participe à l’exercice des pouvoirs, au pouvoir délibératif, à la fonction de juger, à l’exercice d’une magistrature22. Dans l’État moderne, les citoyens sont soumis à une même autorité politique, dans le cadre d’un État, dont ils contribuent à légitimer et à exercer le pouvoir normatif. Ils « participent à l’autorité souveraine », à la désignation des gouvernants, et concourent à l’expression de la volonté générale. Ils sont égaux en droit et devant la loi. Le citoyen est soumis à des devoirs. En contrepartie, il jouit de droits civils et politiques, qui lui sont garantis par l’État. Tels sont les fondements classiques de la citoyenneté dans « l’Ancien Monde ». Cette approche n’est pas adaptée à cette nouvelle forme de citoyenneté, dite numérique.
1 - Les facteurs d’inclusion classiques non déterminants
- 23 Rudolf Stichweh, « Inklusion/Exklusion, funktionale Differenzierung und die Theorie der Weltgesells (...)
10Déterminer qui est citoyen numérique met en jeu les notions d’appartenance, d’identité, d’altérité, d’inclusion23. Le citoyen numérique est-il le même, mais connecté, et donc « augmenté » dans sa capacité d’expression et de participation, ou est-il un autre ? Si la citoyenneté numérique découle de la seule capacité d’un individu, citoyen d’un État, à exercer des activités en ligne, alors elle n’est que le prolongement dans l’espace numérique de la citoyenneté politique au sens classique. Dès lors, le citoyen numérique peut être simplement défini comme une personne jouissant, dans l’État dont elle relève, des droits civils et politiques, qu’elle exerce grâce aux technologies numériques.
11Mais le citoyen numérique pourrait être autre que cela, plus que cela. Notamment parce qu’il est supposé exister dans l’espace numérique, y avoir une identité construite, et y développer une activité de nature politique, et qu’il pourrait donc s’identifier par référence à des critères différents de ceux applicables à la citoyenneté classique. Ainsi, l’âge, la nationalité, la résidence, la non domesticité, la position sociale, l’indignité constatée par un juge ou encore le genre, ont pu, dans l’histoire, être des critères d’obtention ou non du statut de citoyen. Or ces facteurs d’inclusion n’ont pas beaucoup de sens dans l’espace numérique. Nul besoin d’attester de son âge, de sa nationalité, ni d’une inscription sur les listes électorales pour s’exprimer en ligne, soutenir des amendements sur une plateforme, contribuer à certains processus participatifs. En effet, dans un grand nombre de cas, les plateformes ou les consultations en ligne n’exigent pas, pour l’instant, la vérification de l’identité « physique » du contributeur. Selon les modalités, les contributions peuvent être déposées après identification, simple inscription, sous pseudonyme, ou rester anonymes. L’adresse mail, renvoyant à une identité numérique virtuelle, est, elle, souvent déterminante. Mais l’âge ou le lieu de résidence doivent rarement être renseignés, et les contributions ne sont jamais soumises à la présentation d’une carte d’identité ou d’électeur. C’est ainsi que les internautes du monde entier ont pu participer à certaines phases de l’élaboration du projet de « wiki-constitution » islandaise en 2011, par exemple. Les internautes pouvaient librement commenter, sur la plateforme, les propositions relatives à différents thèmes (droits humains, élections, justice, système de santé, etc.) sans devoir présenter ni nom ni adresse, ni justifier de leur nationalité, à charge pour les membres du « Conseil constitutionnel » d’y réagir et de synthétiser les contributions. Les observateurs attentifs ont remarqué les nombreuses contributions d’étrangers, se signalant comme tels, qui ont notamment « pris le pouvoir » sur certains thèmes résonnant particulièrement dans leur État d’appartenance.
- 24 Cette carte fait office de carte d’identité, permis de conduire, carte vitale, carte de transport, (...)
- 25 Pauline Türk, « L’État plateforme », RDP, n° 5, 2020.
- 26 Article 9 de la Constitution estonienne de 1992 : « les droits et libertés et devoirs énumérés dans (...)
12Un autre cas significatif est celui de l’Estonie, qui a pris le parti de déconnecter la e-citoyenneté de la nationalité. Souvent citée pour la plateformisation de ses services publics, son e-administration performante et l’instauration du vote électronique, l’Estonie se distingue surtout par la mise en circulation, en 2002, d’une carte d’identité électronique (ID-Kaart) multi-usage24 donnant accès à une série de droits et de services. Or, cette carte, obligatoire pour les citoyens estoniens dès l’âge de 15 ans, l’est aussi pour tous les étrangers résidant à titre permanent en Estonie, indépendamment de leur âge. En effet tout citoyen de l’Union européenne résidant en Estonie plus de trois mois doit demander une ID-Kaart auprès du registre de la population. Par ailleurs, il est possible de demander le statut de e-resident, et la carte électronique correspondante, pour bénéficier d’une partie des services en ligne proposés par l’État plateforme estonien25, sans même résider en Estonie, à condition de présenter certains documents et de rédiger une lettre de motivation. Ce statut donne accès à des avantages (signature numérique, facilités pour contracter, ouvrir un compte bancaire, créer une entreprise), et implique le devoir de payer certaines taxes en lien avec les éventuels bénéfices générés. La Constitution estonienne garantit d’ailleurs aux Estoniens et aux étrangers des droits, libertés et devoirs égaux26.
2 - Un détachement par rapport aux principes structurants de la citoyenneté politique
- 27 Irlande, Suède, Danemark, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Estonie, Lituanie, Slovénie, Hongrie ou G (...)
- 28 Cour EDH, gde ch., 6 octobre 2005, Hirst c. Royaume-Uni ; 4 juillet 2017, Isakov et autres c. Russi (...)
13Le citoyen numérique serait donc un autre. Il ne serait pas réductible à la situation du citoyen politique classique – habilité à participer à raison de son âge, de sa nationalité ou de son lieu de résidence – et qui mobiliserait des outils numériques. Les facteurs d’inclusion à prendre en compte ne seraient pas les mêmes s’agissant de la citoyenneté numérique, que l’on peut a priori considérer comme plus ouverte. La citoyenneté numérique viendrait de ce point de vue prolonger une tendance à l’élargissement des conditions d’accès à la citoyenneté : abaissement progressif de l’âge requis (parfois déconnecté de l’âge de la majorité civile) ; admission des non nationaux à voter aux élections locales27 ; restriction des cas de privation des droits civiques28 ; admission des citoyens de l’Union à voter aux élections municipales et européennes (États membres de l’Union européenne). Néanmoins, si la notion s’est élargie, la citoyenneté politique classique se fonde toujours sur un statut juridique différencié entre les individus, distinguant ceux qui sont membres de la cité et ceux qui ne le sont pas. Au contraire, la citoyenneté numérique se présente comme plus inclusive, puisqu’elle ne se fonde pas sur les critères classiques (d’âge ou de nationalité, lieu de résidence physique) conditionnant traditionnellement le droit de participer
- 29 Hubertus Buchstein, « Démocratie et secret du vote. La controverse entre scrutin public et vote sec (...)
14La citoyenneté numérique, également, se distingue de la citoyenneté au sens classique parce qu’elle se détourne de certains de ses piliers, tels le rattachement à l’État, le principe d’égalité, ou le secret du vote. L’égalité est un fondement du statut juridique des citoyens, lesquels ont le droit de participer d’une manière égale à la vie publique et à l’exercice de la souveraineté. Or les processus participatifs en ligne ne garantissent ni n’organisent les conditions de son respect, permettant à certains (payés pour, ou non) de compter plus que les autres, de contribuer à répétition, ou de soutenir plusieurs fois, éventuellement depuis différents comptes, une même proposition. Certains points de vue peuvent ainsi être renforcés par rapport aux autres, dans le cadre de mécanismes qui font la part belle à la démocratie d’opinion. Par ailleurs, certaines expériences de démocratie délégative en ligne (projets de liquid democracy porté par les partis pirates) reposent sur des mécanismes inspirés du vote plural, en rupture avec le principe one man one vote. En outre, les mécanismes proposés au citoyen numérique, impliquant des prises de position publiques et des clicks de soutien, réactualisent les pratiques antiques de la votation publique et remettent en cause la distinction entre scrutin public et vote secret, réanimant les débats du XIXe siècle sur le sujet29.
15La citoyenneté dans l’espace numérique échappe donc, sous différents aspects, au cadre établi pour la citoyenneté politique dans le monde physique, dont elle se démarque. Ainsi, le citoyen numérique ne peut être défini comme l’individu qui, remplissant les conditions de la citoyenneté dans son État d’appartenance, se connecte et développe des activités en ligne. Le citoyen numérique est plus que cela, il est autre chose que cela.
B - Une citoyenneté conditionnée : le citoyen numérique est un membre actif de la société numérique
16Dans une approche évidemment prospective, plusieurs critères d’identification du citoyen numérique peuvent être proposés : le citoyen numérique est une personne physique, il est connecté, il dispose d’une identité virtuelle, il est en capacité et désireux de jouer un rôle actif dans les processus de formation de l’opinion, de délibération et de décision en ligne, et aussi de faire prendre en compte ses droits et libertés dans l’espace numérique.
1 - La construction d’une identité numérique
- 30 Clare Sullivan, Digital Identity : An Emergent Legal Concept, University of Adelaide Press, 2010 ; (...)
17Un premier critère déterminant tient dans l’utilisation effective des technologies numériques : le citoyen numérique est un citoyen connecté, disposant d’une identité numérique. Il dispose évidemment d’une adresse électronique qu’il utilise régulièrement, d’identifiants multiples, d’un profil sur différents réseaux sociaux, d’un compte sur différentes plateformes. Il mène une activité en ligne, produit des données, laisse des traces, choisit des mots de passe, des pseudos, communique des données de santé, remplit des formulaires, fait des choix et des recherches, s’exprime, « like », soutient ou critique des positions, des informations. Il construit ainsi son identité numérique, parallèle à son identité dans le monde physique30. Un refus de construire cette identité numérique, encore possible, qui s’analyse comme une auto-exclusion, empêche ainsi d’accéder à la citoyenneté numérique, à laquelle il peut donc être renoncé.
2 - La capacité à interagir dans l’espace numérique
- 31 Daniel Kaplan, « E-inclusion : new challenges and policy recommandations », Rapport du groupe d’exp (...)
- 32 Conseil National du Numérique, Citoyen d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiation, Pouv (...)
18L’inclusion numérique est une autre condition d’accès à la citoyenneté numérique. Elle implique l’accès aux technologies numériques et surtout leur maîtrise. « Levier d’insertion sociale et économique dans une société de la connaissance »31, la e-inclusion implique « la participation effective des individus à sa construction, ce qui dépend de leur aptitude à le faire : « chacun se rend compte que la question de la compétence numérique est plus complexe, multidimensionnelle, que celle de l’accès »32. La citoyenneté numérique est conditionnée par l’accès à une connexion haut-débit et la résorption des « zones blanches », mais aussi par la formation au numérique et la lutte contre l’analphabétisme numérique (digital illiteracy). Ainsi, l’exclusion de la citoyenneté numérique peut être subie, conséquence de difficultés matérielles, financières, techniques, ou intellectuelles.
- 33 Définie comme l’écart entre ceux qui ont la capacité à participer de manière concrète à une société (...)
- 34 Thibault Douville, Chloé Hervochon, Élodie Noël et Yann Paquier, « Les vulnérabilités numériques », (...)
19Le risque d’une citoyenneté numérique à deux vitesses n’est pas écarté, lorsque les uns se saisissent des potentialités du numérique, savent (à peu près) comment protéger leurs données, comment se prémunir contre la désinformation, décrypter l’environnement numérique, en tirer parti, explorant de nouveaux droits et libertés, quand d’autres se retrouvent exclus, victimes de la fracture numérique33, ou confrontés à l’illectronisme, à l’heure de la dématérialisation et de l’algorithmisation des services, y compris publics. Certains travaux mettent en évidence la vulnérabilité particulière de certains publics34. De ce point de vue, la citoyenneté numérique pourrait bien être plus exclusive que la citoyenneté politique classique. Une deuxième condition apparaît ainsi déterminante : le citoyen numérique est techniquement et intellectuellement apte à exercer et à faire respecter ses droits et libertés dans l’espace numérique.
3 - L’adhésion et la contribution au projet de société numérique
20Une troisième condition tient au comportement et à la volonté de l’individu : n’est un citoyen numérique que celui qui veut l’être, adhère au projet et aux valeurs de la société numérique. Le citoyen numérique est autonomisé, et poussé à apporter sa contribution à la construction d’une société numérique définie comme l’ensemble des personnes, physiques et morales, privées et publiques, qui interagissent dans l’espace numérique. Cela se traduit par le fait de confier ses données, de s’exprimer sur les réseaux, de contribuer sur les plateformes collaboratives. Le citoyen numérique est actif : il ne peut rester passif, s’il veut exister.
- 35 Zygmunt Bauman, La vie liquide, Fayard/Pluriel, 2006.
- 36 Bryan Ford, » Delegative democracy », 15 mai 2002, https://infoscience.epfl.ch/record/265695
- 37 Nicolas Baygert, « L’activisme numérique au regard du consumérisme politique : Pirates et Tea Parti (...)
21Sans doute, la citoyenneté numérique valorise davantage l’individu, autonomisé. Cela correspond d’ailleurs à certains traits de la société post-moderne, que Zygmunt Bauman dit « liquide », fondée sur l’émancipation de l’individu mû par ses intérêts immédiats, la mobilité, l’interchangeabilité35. Celui-ci dispose de nouveaux moyens instantanés et gratuits de s’informer, de s’exprimer à tout moment et sur tous sujets, d’être entendu, relayé, liké et suivi. Le fossé entre ceux qui sont légitimes à s’exprimer et les autres s’atténue. Le citoyen récupère ainsi des outils pour reprendre la maîtrise de son destin, devenir acteur de l’évolution des communautés auxquelles il appartient. L’intercession de représentants devient moins indispensable. Les citoyens ne sont plus nécessairement écartés des processus décisionnels ni tenus de s’effacer au profit de représentants chargés de « vouloir pour le peuple ou la nation ». Cela permet d’imaginer de nouvelles formes de démocratie, telle la démocratie délégative, inspirée par les idées de Charles Dodgson au XIXe siècle, puis dessinée par Bryan Ford36, et qui correspond à une forme de démocratie semi-directe rendue possible par les technologies numériques et les potentialités de la blockchain. Ce projet, qui met l’accent sur les transferts de voix choisis individuellement (« délégation ») plutôt que sur les élections de masse, repose sur un système de délégation fluide (liquid democracy) qui favorise la participation des citoyens grâce à des plateformes collaboratives et à des mécanismes de vote et de désignation flexibles. L’originalité consiste à laisser le citoyen décider au cas par cas quel rôle il entend jouer, variable selon les décisions à prendre, les sujets, les domaines, sur la base d’un système de délégation à géométrie variable où certains, jugés plus compétents, peuvent être chargés de voter pour les autres et peuvent eux-mêmes sous-déléguer au besoin. Toutes les décisions sont publiques et s’appuient sur l’outil numérique, qui doit présenter des garanties de fiabilité. Cette méthode délégative est expérimentée depuis les années 2000 par les partis pirates en Europe37, grâce à un logiciel libre et une plate-forme (LiquidFeedback) où les citoyens numériques proposent, soutiennent, amendent et votent, ou délèguent, en marge des États.
4 - La qualité de personne physique humaine
- 38 Alexandra Bensamoun, Les robots : objets scientifiques, objets de droits, Mare & Martin, 2016 ; Ala (...)
22L’identification du citoyen numérique répond à un dernier critère. Le citoyen numérique est bien une personne physique humaine ! Il n’est pas une personne morale ni – a priori et pour l’instant – une personne artificielle, même si la réflexion se poursuit quant au statut juridique potentiel des robots intelligents. Notamment parce que, dans un avenir proche, leur participation active et croissante au fonctionnement de la société pourrait conduire à penser la question de leur « appartenance » à la cité. Cela reste pour l’instant du domaine de la science-fiction, même si, dans certains pays, le droit à épouser une intelligence artificielle d’enveloppe humanoïde est déjà débattu38.
23On le constate, il n’est pas forcément besoin de remplir les conditions classiques (âge, nationalité, etc.) pour exister en tant que citoyen numérique, mais l’accès à ce statut implique d’autres conditions, facteur d’exclusion potentiel. Tenter de définir les contours du statut de citoyen numérique conduit à identifier de nouveaux critères d’appartenance, qui soulèvent la question de la communauté à laquelle se rattacherait cette nouvelle forme de citoyenneté.
II - À quelle(s) communauté(s) le citoyen numérique appartient-il ? Les nouvelles formes d’appartenance
- 39 Jacques Chevallier, L’État post-moderne, LGDJ, 2017, p. 291.
24Alors que la citoyenneté postule un rattachement à la nation et à l’État, en principe exclusive de toute autre allégeance politique, l’avènement d’une citoyenneté numérique peut contribuer à assouplir le lien entre citoyenneté et collectivité étatique ou nationale39 (A). La question de l’appartenance du citoyen numérique conduit à envisager d’autres formes de sociétés politiques ou de communautés dont il pourrait être membre, transnationales ou virtuelles (B).
A - Le citoyen numérique se rattache-t-il nécessairement à un État-nation ?
- 40 Un fab lab est un espace ouvert au public propice à la co-conception de projets innovants, grâce à (...)
25La citoyenneté numérique ne se définit pas, a priori, par référence à une collectivité nationale ou étatique. Pour autant, cela n’exclut pas que le citoyen numérique tienne à une telle appartenance, et trouve dans les outils numériques le moyen de la faire vivre. Le citoyen numérique peut en effet mobiliser les technologies pour pouvoir répondre aux sollicitations tendant à le faire participer aux processus consultatifs ou décisionnels organisés en ligne par les autorités publiques, au niveau national ou local. Il peut aussi contribuer à la vie politique au sein de l’État, en interagissant avec d’autres citoyens sur les réseaux sociaux, les sites collaboratifs des élus, des partis politiques ou des associations, en signant des pétitions en ligne. Le citoyen peut ainsi investir les civic tech et autres « fab lab » ou « living lab40 », dans le cadre de son appartenance à la collectivité étatique. La citoyenneté numérique forme alors une nouvelle dimension de l’exercice de la citoyenneté politique telle que nous la connaissons.
1 - L’appartenance à l’État concurrencée
26Mais l’État n’est pas le seul cadre de référence dans lequel peut s’épanouir la citoyenneté numérique. On pourrait même dire que, pour beaucoup, il n’est pas, qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le cadre privilégié pour la construction d’une telle citoyenneté. Les perspectives de construction de sociétés transnationales s’en trouvent réactualisées. Et l’État s’en trouve fragilisé, en tant que cadre d’organisation des sociétés humaines, face à la concurrence d’autres lieux de pouvoirs et à la formation d’autres types de communautés, non nationales.
- 41 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age [trad. À nous d’écrire l’avenir], op. cit., p. 16.
27Le processus s’accélère : « À travers l’histoire, l’avènement des nouvelles technologies de l’information a toujours donné du pouvoir à de nouvelles catégories au détriment de celles qui le détenaient traditionnellement, le roi, l’Église, ou les élites. Aujourd’hui comme alors, l’accès à l’information et à de nouveaux modes de communication offre au citoyen de nouvelles occasions de participer, de réclamer des comptes au pouvoir et de maîtriser sa propre destinée »41. Mais la perspective a changé, puisque c’est l’État et le mode de structuration de nos sociétés politiques qui sont fragilisés, et non plus seulement les institutions qui les dirigent.
- 42 Jacques Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 294.
28On a déjà évoqué l’effet émancipateur des technologies numériques sur leurs utilisateurs (empowerment), l’individualisme qu’elles exacerbent. Cela fragilise le sentiment d’appartenance, multiplie les possibilités d’appartenance, fluidifie les changements d’appartenance, en fonction des intérêts du moment. La possibilité d’une multi-appartenance fait écho au constat de Jacques Chevallier qui notait, à propos de l’ère post-moderne, une tendance à la « diversification des espaces de citoyenneté », celle-ci dépassant le politique pour aller se loger dans d’autres espaces de la vie sociale, au niveau local, dans l’entreprise, et aussi dans l’espace numérique42. Les possibilités nouvelles d’intervention directe du citoyen peuvent fragiliser la démocratie représentative, et plus largement le pouvoir de commandement de l’État, et faire douter de l’utilité de certaines institutions de gouvernement.
- 43 L’individu est tenté de « reprendre ses droits face un État minimal, alors que « l’État-providence (...)
- 44 Zygmunt Bauman, La vie liquide, op. cit., p. 75.
29D’autant que, de plus en plus concurrencé par le secteur privé, y compris dans son pouvoir normatif et l’exercice de ses fonctions régaliennes, l’État va devoir adapter les services qu’il rend, pour qu’ils soient aussi efficaces que ceux que proposent les plateformes collaboratives en ligne, s’il veut préserver les fondements de son autorité. Car l’individu pourrait, dans l’avenir, ne plus attendre de l’État la fourniture des services dont il a besoin, et diminuer ainsi sa dépendance au cadre étatique et à son administration. Or les services rendus par l’État sont la contrepartie de l’obéissance à la loi et du payement de l’impôt, ce qui peut fragiliser le pacte social43. Comme l’écrit Zygmunt Bauman, « la souveraineté autrefois complète et intégrale de l’État-nation s’évapore vers le domaine anonyme des forces globales échappant aux allégeances et engagements territoriaux » d’autant que, « n’étant plus chargé de l’économie, de la sécurité ou de la culture, l’État ne peut plus promettre à ses sujets la protection intégrale, du berceau à la tombe, qu’il s’efforçait jusque récemment de fournir »44.
2 - Des appartenances plurielles
- 45 Delphi Mediation Online System (DEMOS), Forum d’Initiative Citoyenne Européenne créé en 2018 par la (...)
- 46 Howard Rheingold, « Les communautés virtuelles, Paris, Addison-Wesley France, 1996; Smart Mobs: The (...)
30Le citoyen numérique peut être tenté de développer d’autres appartenances, à des réseaux transnationaux et à des communautés d’intérêts soumis à des règles de fonctionnement propres. On a déjà évoqué certaines expériences, estonienne (construction des statuts de e-resident et de e-citoyen) ou islandaise (élaboration de la wiki-constitution, ouverte aux non nationaux), auxquelles s’ajoutent les conditions dans lesquelles s’exercent, sur les plateformes numériques dédiées45, les initiatives citoyennes à l’échelle de l’Union européenne. Sans méconnaître les phénomènes de « retour à l’État » causés dans la période récente par les crises sécuritaires ou sanitaires, la sphère numérique ouvre, sans conteste, à celui qui décide d’y exercer sa citoyenneté, des perspectives nouvelles, non limitées aux frontières physiques d’un État. Le citoyen peut se retrouver en situation de choisir, au cas par cas, celles des communautés d’intérêts, potentiellement transnationales, auxquelles il veut appartenir, et le rôle qu’il veut y jouer46. Face à différents projets collaboratifs, de nouvelles formes de pacte social se dessinent, dans le cadre d’une balance entre les services attendus en échange de devoirs et d’obligations consenties, telles que l’acceptation de CGU, de cookies, ou l’enregistrement de ses données par exemple.
- 47 Teresa Pullano, La citoyenneté européenne. Un espace quasi étatique, Presses de Sciences Po, 2014 ; (...)
31Certes, la perspective d’un citoyen émancipé, qui reprend le contrôle de sa destinée et s’autonomise par rapport aux modes traditionnels d’organisation du pouvoir, est, il est vrai, encore très hypothétique. Elle bouleverse cependant l’approche classique selon laquelle la citoyenneté est l’apanage d’un individu dans le cadre des frontières d’un État dont elle a la nationalité. On admet que la citoyenneté puisse être attribuée aux membres d’une société politique transnationale, telle l’Union européenne47. On admet qu’une sous-citoyenneté puisse être conférée aux résidents en Estonie. Peut-on admettre, à l’ère numérique, d’autres formes de citoyenneté, déconnectées de l’État, dans le cadre de sociétés politiques globalisées ?
- 48 Kant, Pour la paix perpétuelle : essai sur une démocratie cosmopolitique [1795], rééd. Librairie gé (...)
- 49 John Perry Barlow, Déclaration d’indépendance du cyberespace, Davos, 1996.
- 50 Jürgen Habermas, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, Fayard, 2000 ; et, sur (...)
32L’aspiration à une citoyenneté mondiale, dans une société internationale unifiée régie par une constitution universelle, est bien antérieure, on le sait, à la révolution numérique, comme en témoignent les écrits de Kant sur la démocratie cosmopolitique ou les travaux de Verdross sur la société universelle des États48. La citoyenneté au-delà de l’État a déjà fait l’objet de nombreuses études, philosophiques, juridiques, sociologiques. La dimension cosmopolitique qui a inspiré les débuts d’internet, couplée à la négation de la souveraineté des États dans le cyberespace par ses concepteurs libertariens49, avait laissé imaginer la formation de communautés politiques transnationales, propices à la concrétisation d’une « citoyenneté post-nationale », déconnectée de l’État-nation, telle que dessinée par Habermas50.
33Sans doute peut-on admettre qu’à l’ère numérique, « nombre d’institutions et de hiérarchies anciennes vont devoir s’adapter » et que « l’effet le plus significatif de la banalisation des technologies sera la redistribution vers l’individu des pouvoirs aujourd’hui détenus par les États et les institutions », celui-ci étant moins enclin à une allégeance unique et exclusive à l’autorité d’un gouvernement. Certains n’hésitent pas à projeter la perspective de la construction de sociétés politiques immatérielles. Les projets de Metaverse, tel celui de Mark Zuckerberg, promettant de nouvelles formes de sociétés virtuelles, ajoutent de nouvelles perspectives à la réflexion.
B - Le citoyen numérique membre de sociétés politiques transnationales voire virtuelles ?
1 - Vers la concrétisation des projets de société virtuelle
- 51 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age …, op. cit., p. 150.
- 52 John Perry Barlow, Déclaration d’indépendance du cyberespace, op. cit.
34Le citoyen numérique peut-il jouer un rôle dans l’émergence de nouvelles formes d’organisation des communautés humaines, voire la construction de sociétés politiques nouvelles, immatérielles et transnationales ? Certains n’hésitent pas à parler de la création « d’États virtuels, qui seront amenés à chambouler le paysage des États physiques »51. D’autres imaginent une communauté virtuelle indépendante des sociétés politiques étatiques et de leurs gouvernements, dans le cadre d’un « espace social global naturellement indépendant des tyrannies » de gouvernements qui n’ont ni sollicité ni reçu le consentement de cybercitoyens en train de « former leur propre contrat social »52. Des projets collaboratifs visent à construire de nouvelles formes de communautés (netizen project), en transformant les utilisateurs passifs de technologies en « citoyens d’Internet » invités à participer aux affaires publiques, défendre leurs droits et l’intérêt général, reprendre la maîtrise de la technologie et de l’avenir de la société numérique. Si la perspective reste lointaine et encore très irréaliste, elle contribue à dessiner un autre niveau d’appartenance possible pour le citoyen numérique.
- 53 Tels “Second life” ou “Fornite”, dont les potentialités inspirent la littérature et le cinéma, v. N (...)
- 54 Morgane Tual, « Absurde, créatif et débauché : dix ans après, “Second Life” est toujours bien vivan (...)
35Des communautés virtuelles ludiques réunissent des amateurs de jeux vidéos immersifs53 et s’organisent durablement, fondées sur la solidarité de leurs membres qui poursuivent, au long des années, des objectifs communs. Les réseaux sociaux s’organisent également autour de la notion d’appartenance, créant des communautés dont les membres se sont acceptés mutuellement, ont souscrit aux mêmes CGU et sont soumis aux mêmes standards techniques, sous la gouvernance de conseils de surveillance ou d’organes de règlement des différends. Les communautés peuvent se former autour d’influenceurs, de centres d’intérêts, de services communs (Blablacar, homeexchange). Certaines communautés se dotent de cryptomonnaies virtuelles (bitcoin, Ethereum, LindenDollar), délaissant les monnaies fiduciaires et scripturales du monde physique. Et désormais, des projets de Metaverse se multiplient, univers virtuels parallèles telle la communauté Second life lancée en 2003, qui réunit quelques centaines de milliers de membres54, ou dernièrement le médiatique projet issu de Facebook. La promesse est d’offrir aux citoyens numériques un monde nouveau, parallèle, où ils pourront travailler, voyager, interagir avec les autres membres de la communauté en 3D, grâce à un casque de réalité virtuel, à une identité numérique matérialisée par un avatar, selon des règles acceptées lors de l’inscription.
2 - La gouvernance des communautés numériques
- 55 Rainer Bauböck, Transnational Citizenship: Membership and Rights in International Migration, Edward (...)
- 56 Rainer Bauböck, « Expansive Citizenship: Voting beyond Territory and Membership », Political Scienc (...)
36Si la dimension politique de ces communautés d’utilisateurs est pour l’heure assez faible, le citoyen numérique peut tisser des liens de solidarité et promouvoir des intérêts communs au sein de groupes sociaux qu’il choisit de rejoindre, sans rapport avec son État d’appartenance. La réflexion sur les communautés transnationales en formation dans l’espace numérique peut aussi s’appuyer sur le concept de « partie prenante de citoyenneté »55, développé notamment par Rainer Bauböck. Dans une logique utilitariste, il fonde l’appartenance à la communauté sur l’intérêt des individus à y participer, dès l’instant qu’ils se sentent concernés par son fonctionnement et par les objectifs communs qu’elle promeut : dès lors que « le futur de l’entité politique présente des enjeux personnels du fait des circonstances de leur vie »56, ils sont partie prenante et ont vocation à participer à son organisation politique.
- 57 Anne Peters, « The Merits of Global Constitutionalism », Indiana Journal of Global Legal Studies, n (...)
- 58 Pauline Türk (dir.), Les droits et libertés numériques : vers une 4e génération de droits fondament (...)
37Se posera tôt ou tard la question de la gouvernance de ces communautés émergentes, compte tenu des logiques de pouvoir qui s’y exercent. Cela inclut une réflexion vis-à-vis des garanties de légitimité, de transparence, de responsabilité, présentées par les opérateurs et les organismes de régulation qui y gravitent, non sans lien avec le mouvement du constitutionnalisme global57. Cela concerne aussi des droits et libertés qui y sont garantis au citoyen numérique58 : liberté d’expression, pluralisme, diversité linguistique, droit à l’intégrité mentale, etc.
38En attendant la formation d’une très hypothétique société numérique transnationale, le citoyen numérique pourrait développer une « appartenance multiniveaux », selon les communautés virtuelles auxquelles il collabore. Le citoyen numérique ne serait alors pas enfermé dans une allégeance exclusive à l’État dont il relève physiquement dans le monde réel, sauf à restreindre considérablement le concept, s’il devait être ramené à l’approche classique de la citoyenneté, pensé pour un autre temps et un autre monde.
39On considèrera donc que la citoyenneté numérique ne renvoie pas à la simple dématérialisation des relations entre les citoyens et l’administration dont ils dépendent, et ne se limite pas au renouvellement des moyens et outils – numériques – dont ils bénéficient pour s’informer, s’exprimer et communiquer. L’avènement d’une citoyenneté numérique pourrait bel et bien marquer une rupture avec la citoyenneté politique au sens classique, et répondrait à des critères d’inclusion différents. Selon la proposition avancée, le citoyen numérique serait une personne physique régulièrement connectée, disposant d’une identité virtuelle, en capacité et désireux de jouer un rôle actif dans les processus de formation de l’opinion, de délibération et de décision en ligne, et aussi de faire prendre en compte ses droits et libertés dans l’espace numérique, et dont le rapport à l’État-nation pourrait être affaibli. Cette perspective suscite de l’intérêt et quelques préoccupations. La fragilisation des fondements de la citoyenneté politique au sens classique – dans une société fracturée et à l’heure de la remise en cause de nos démocraties représentatives – pourrait se compliquer encore du fait de l’avènement d’une nouvelle forme de citoyenneté numérique autrement exclusive. L’exclusion probable d’une partie de la population et la problématique de la gouvernance constituent à cet égard de réels défis, à la mesure de l’importance et de l’intérêt des mutations à l’œuvre.
Notes
1 Michel Serres, « Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive », Conférence-débat pour les 40 ans de l’INRIA, 24 juillet 2012, https://www.youtube.com/watch ?v =ZCBB0QEmT5g
2 Thomas Chamorro-Premuzic, « How different are your online and offline personalities? », The Guardian, 24/09/2015, https://www.theguardian.com/media-network/2015/sep/24/online-offline-personality-digital-identity
3 Irina Parachkevova-Racine, Jean-Baptiste Racine, Thierry Marteu (dir.), Droit et objets connectés: The law and connected objects, Larcier, 2020; Miltiadis D. Lytras, Kwok Tai Chui, Wen Liu (dir.), Internet of Things and Artificial Intelligence in Transportation Revolution, MDPI AG, 2021.
4 Pauline Türk, « L’État plateforme numérique », RDP, n° 5, 2020, p. 1189.
5 Éric Sadin, La siliconisation du monde : l’irrésistible expansion du libéralisme numérique, L’échappée, 2016.
6 Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, LGDJ, 2019.
7 Henri Oberdorff, La démocratie à l’ère numérique, Grenoble, PUG, 2010 ; « Internet et les droits fondamentaux du citoyen : vers une cybercitoyenneté », in O. Le Bot et J. Arlettaz (dir.), La démocratie en un clic ? - Réflexions autour de la notion d’e-démocratie, L’Harmattan, 2010.
8 Pauline Türk, La souveraineté numérique : le concept, les enjeux, Mare et Martin, 2017.
9 Zizi A. Papacharissi, A Private Sphere. Democracy in a Digital Age, Cambridge Polity Press, 2010.
10 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age: Reshaping the Future of People, Nations and Business [trad. À nous d’écrire l’avenir - Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde, Denöel, 2013], p. 17.
11 La révolution numérique s’ajoutant à la situation géopolitique pour faire douter de la fin de l’histoire. Francis Fukuyama, Our Posthuman Future : Consequences of the Biotechnology Revolution, NY, Ed. Farrar, Straus et Giroux, 2002 ; The Great Disruption : Human Nature and the Reconstruction of Social Order, NY Free press, 1999.
12 Euvgeny Morozov, The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, NY, Public Affairs, 2011.
13 Will Kymlicka, Multicultural Citizenship: A Liberal Theory of Minority, Oxford University Press, 2000.
14 Catherine Colliot-Thélène, La démocratie sans « démos », PUF, 2011.
15 David Owen, « Transnational Citizenship and Rights of Political Participation », Normative Orders Working Paper, Goethe University Frankfurt, Main, 2011, 06; Daniele Archibugi, David Held, « La démocratie cosmopolitique. Acteurs et méthodes », Cahiers philosophiques 2012/1 (n° 128), p. 9.
16 Lincoln Dahlberg, « Re-constructing digital democracy: An outline of four ‘positions’« , New Media and Society, vol. 13, 2011, n° 6; Stephen Coleman, Peter M. Shane (dir.), Connecting Democracy. Online Consultation and the Flow of Political Communication, MIT Press, 2012 ; Matthew Hindman, The Myth of Digital Democracy, Princeton University Press, 2009.
17 Karen Mossberger, Caroline J. Tolbert et Ramona S. McNeal, Digital citizenship. The internet, society, and participation, MIT Press, 2008.
18 Fabienne Greffet et Stéphanie Wojcik, « La citoyenneté numérique, perspectives de recherche », Réseaux. Communication, technologie, société, 2014, n° 184-185, p. 152.
19 Conseil de l’Europe, 2017a, « Digital Citizenship Education », Conférence Discussion Paper, 21-22 septembre 2017. Accès : https://rm.coe.int/digital-citizenship-education-working-conference-empowering-digital-ci/1680745545.
20 Denis Alland, Stéphane Rials, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003.
21 Yves Sintomer, Petite histoire de l’expérimentation démocratique : tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La Découverte, 2011 ; Adhémar Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, LGDJ, rééd. 2001.
22 Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, LGDJ, 1995.
23 Rudolf Stichweh, « Inklusion/Exklusion, funktionale Differenzierung und die Theorie der Weltgesellschaft », Soziale Systeme, n° 3, 1997, p. 123-36 ; Brigitte Bouquet, « L’inclusion : approche socio-sémantique », Vie sociale, 2015/3, n° 11, p. 15-25.
24 Cette carte fait office de carte d’identité, permis de conduire, carte vitale, carte de transport, carte d’étudiant, signature numérique, carte électorale, carte de paiement, ordonnance médicale, et facilite la signature de contrats, la déclaration fiscale, la création d’entreprise, la sécurisation d’opérations bancaires, etc.
25 Pauline Türk, « L’État plateforme », RDP, n° 5, 2020.
26 Article 9 de la Constitution estonienne de 1992 : « les droits et libertés et devoirs énumérés dans la Constitution sont égaux tant pour les citoyens de l’Estonie que pour les citoyens des États étrangers et des apatrides résidant en Estonie ».
27 Irlande, Suède, Danemark, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Estonie, Lituanie, Slovénie, Hongrie ou Grèce.
28 Cour EDH, gde ch., 6 octobre 2005, Hirst c. Royaume-Uni ; 4 juillet 2017, Isakov et autres c. Russie.
29 Hubertus Buchstein, « Démocratie et secret du vote. La controverse entre scrutin public et vote secret dans les luttes électorales en Prusse », Politix, 2001, n° 55, p. 61 ; Malcolm Crook, Tom Crook, « L’isoloir universel ? La globalisation du scrutin secret au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2011, n° 43, p. 41.
30 Clare Sullivan, Digital Identity : An Emergent Legal Concept, University of Adelaide Press, 2010 ; Jessica Eynard, L’identité numérique : Quelle définition pour quelle protection ?, Larcier, 2020 ; Armen Khatchatourov, Pierre-Antoine Chardel et al., Les identités numériques en tension, ISTE, 2019, vol. 3 ; Jean-Paul Fourmentraux, Identités numériques : expressions et traçabilité, CNRS éd., 2019.
31 Daniel Kaplan, « E-inclusion : new challenges and policy recommandations », Rapport du groupe d’experts e-europe, juillet 2005, p. 7.
32 Conseil National du Numérique, Citoyen d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiation, Pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, octobre 2013, p. 4.
33 Définie comme l’écart entre ceux qui ont la capacité à participer de manière concrète à une société et une économie fondée sur l’information et la connaissance et ceux qui ne le peuvent pas.
34 Thibault Douville, Chloé Hervochon, Élodie Noël et Yann Paquier, « Les vulnérabilités numériques », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 18, 2020, p. 111-119 ; Caroline Lequesne-Roth, « Le service public à l’ère digitale : de la conditionnalité numérique au ciblage de la fraude, réflexion sur les vulnérabilités technologiques », 17 septembre 2021, conférence en ligne : observatoire-ia.ulaval.ca/webconference-service-public-ere-digitale/
35 Zygmunt Bauman, La vie liquide, Fayard/Pluriel, 2006.
36 Bryan Ford, » Delegative democracy », 15 mai 2002, https://infoscience.epfl.ch/record/265695
37 Nicolas Baygert, « L’activisme numérique au regard du consumérisme politique : Pirates et Tea Parties sous la loupe », Participations. Revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté, vol. 1, n° 8, 2014 ; Nicole Bolleyer, C. Little, « The Organizational Costs of Democratic Openness in Participatory Parties. A Comparative Assessment of the Swedish and German Pirate Party », ECPR General Conference, Bordeaux, 2013.
38 Alexandra Bensamoun, Les robots : objets scientifiques, objets de droits, Mare & Martin, 2016 ; Alain Bensoussan, Jérémy Bensoussan, IA, robots et droit, Bruylant, 2019 ; George B. Dyson, Darwin among the Machines : The Evolution Of Global Intelligence, Basic Books, 1997 ; Alexandra Mendoza-Caminade, « Le droit confronté à l’intelligence artificielle des robots : vers l’émergence de nouveaux concepts juridiques ? », Rec. Dalloz, 2016, p. 445.
39 Jacques Chevallier, L’État post-moderne, LGDJ, 2017, p. 291.
40 Un fab lab est un espace ouvert au public propice à la co-conception de projets innovants, grâce à la mise à disposition de machines et outils utiles à la formalisation des idées et à l’expérimentation de prototypes. La démarche living lab favorise la participation des citoyens-usagers, considérés comme des acteurs clés des processus de recherche et d’innovation. Voir pour de nombreuses expériences, notamment locales, Léonie Marion, Territoires d’intelligences : favoriser l’innovation par le droit, Thèse de doctorat, Université Paris II, 2022.
41 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age [trad. À nous d’écrire l’avenir], op. cit., p. 16.
42 Jacques Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 294.
43 L’individu est tenté de « reprendre ses droits face un État minimal, alors que « l’État-providence et son corollaire – l’impôt –, sont considérés comme abusif » : v. Éric Sadin, La siliconisation du monde, op. cit., p. 107.
44 Zygmunt Bauman, La vie liquide, op. cit., p. 75.
45 Delphi Mediation Online System (DEMOS), Forum d’Initiative Citoyenne Européenne créé en 2018 par la Commission Européenne, soutenu par un consortium (ECAS, CARSA et Réseau Européen de Services).
46 Howard Rheingold, « Les communautés virtuelles, Paris, Addison-Wesley France, 1996; Smart Mobs: The Next Social Revolution, New York, Basic Books, 2002.
47 Teresa Pullano, La citoyenneté européenne. Un espace quasi étatique, Presses de Sciences Po, 2014 ; Bertrand Vayssière, « La citoyenneté européenne face aux nations. D’une souveraineté à l’autre ? », Sciences de l’Homme et de la Société, 2013, hal-00976531
48 Kant, Pour la paix perpétuelle : essai sur une démocratie cosmopolitique [1795], rééd. Librairie générale française, 2002 ; Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, rééd. Bordas, 1997 ; Thomas Kleinlein, « Alfred Verdross as a Founding Father of International Constitutionnalism ? », Göttingen Journal of International Law, 2012, n° 4, p. 385.
49 John Perry Barlow, Déclaration d’indépendance du cyberespace, Davos, 1996.
50 Jürgen Habermas, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, Fayard, 2000 ; et, sur la notion de communauté d’appartenance et la dénationalisation de l’individu, Hannah Arendt, Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, coll. Folio/Essais, 1985, p. 167.
51 Eric Schmidt, Jared Cohen, The New Digital Age …, op. cit., p. 150.
52 John Perry Barlow, Déclaration d’indépendance du cyberespace, op. cit.
53 Tels “Second life” ou “Fornite”, dont les potentialités inspirent la littérature et le cinéma, v. Neal Stephenson, Snow Crash, Spectra, 1992 ; Ernest Cline, Ready player one, Random House, 2011, adapté par S. Spieberg en 1998.
54 Morgane Tual, « Absurde, créatif et débauché : dix ans après, “Second Life” est toujours bien vivant », Le Monde, 28 avril 2016 ; « “Second Life”, “Minecraft”... Les “confinés” se retrouvent dans les mondes virtuels », Le Monde, 1er avril 2020.
55 Rainer Bauböck, Transnational Citizenship: Membership and Rights in International Migration, Edward Elgar Publishing Ltd, 1994; Stakeholder Citizenship: An Idea Whose Time has Come?, Migration Policy Institute, 2008.
56 Rainer Bauböck, « Expansive Citizenship: Voting beyond Territory and Membership », Political Science and Politics, vol. 38, n° 4, 2005, p. 683.
57 Anne Peters, « The Merits of Global Constitutionalism », Indiana Journal of Global Legal Studies, n° 16, 2009 ; Jean-Yves Chérot, Benoit Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012 ; Jean-Bernard Auby, La Globalisation, le droit et l’État, LGDJ, 2010.
58 Pauline Türk (dir.), Les droits et libertés numériques : vers une 4e génération de droits fondamentaux ?, LGDJ, 2023 (à paraître).
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Référence électronique
Pauline Türk, « De quelle société politique le citoyen numérique est-il membre ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 22 | 2022, mis en ligne le 05 septembre 2022, consulté le 22 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/revdh/15235 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.15235
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