Michel Forst, vous venez d'être nommé, le 23 juin 2022, Rapporteur spécial sur la protection des défenseurs de l’environnement depuis le 23 juin 2022, comment envisagez-vous votre fonction ? Quels sont les principaux défis à relever selon vous ?

Je commencerais d'abord par un petit mot sur la convention de Aarhus qui est une convention qui a été adoptée en 1998 par 46 États membres des nations unies avec la volonté de créer une justice environnementale. Les 46 états parties ont été rejoints également par l’Union Européenne qui a ratifié récemment la Convention. Cette convention est construite autour de 3 piliers.

Un premier pilier sur l'accès à l'information qui prévoit que tous les États parties à la convention doivent fournir de l'information sur tout projet ayant un impact sur l'environnement d'une manière claire et détaillée et répondre à toute demande de fourniture d'informations d'une communauté d'un groupe d'individus ou d'une ONG qui pourrait éventuellement être affecté par un projet.

Le deuxième pilier prévoit que les communautés les individus ou les groupes potentiellement affectés par un projet environnemental doivent être consultées et donner leur avis et participer à la prise de décision même s'il y a des implications législatives. Cela n’implique pas forcément qu'un avis négatif sur un projet impliquera l'abandon du projet, mais au moins l’avis négatif sera mentionné dans le processus de prise de décision.

Le troisième pilier, probablement le plus important, prévoit un accès à la justice administrative ou judiciaire dans le cas où les droits prévus par la convention et notamment les 2 piliers précédents seraient bafoués par les États des individus ou des acteurs privés comme des entreprises.

L'une des nouveautés importantes de cette convention et que, bien évidemment, la compétence du rapporteur s'exercera vis-à-vis des états parties à la convention dès lors qu'ils seraient suspectés de porter atteinte aux droits prévus par la convention, mais lorsqu'il s'agit d'une entreprise internationale, la compétence s'étendra au territoire sur lequel les filiales ou les contractants de l'entreprise interviennent. On peut ainsi imaginer que si une entreprise française être accusée de porter atteinte aux droits de communauté locale en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, alors les défenseurs où communautés locales pourront s'adresser au rapporteur spécial qui aura compétence à traiter de leur plainte. Bien évidemment la directive européenne sur le devoir de vigilance offrira des possibilités d'actions nouvelles pour le Rapporteur Spécial qui pourra directement s'adresser aux entreprises internationales concernés.

En quoi votre expérience d'ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme vous sera-t-elle utile ? Quelle spécificité pourrait avoir la question des défenseurs de l’environnement ?

Si j'ai été élu par consensus par les États partis à la convention c'est aussi probablement parce que j'ai eu cette expérience de 6 années de mandat de Rapporteur Spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme. Les États ont pensé que je pourrais utiliser des méthodes de travail, des outils, des moyens qui ont fait leurs preuves dans le précédent mandat. Et comme il s'agit d'un mécanisme de réaction rapide, les États souhaitaient que le mécanisme soit mis en place rapidement et fasse la preuve de son effectivité. Je compte donc effectivement utiliser les techniques qui ont fait leurs preuves notamment les lettres d'allégation adressées aux États, les appels publics, la diplomatie confidentielle et les rencontres diplomatiques. Il est également prévu, et c'est un moyen que je compte utiliser, que le Rapporteur Spécial puisse faire des missions d'investigation dans les pays, dès lors que des allégations sont rapportées sur des violations systémiques ou sur des risques graves d'atteinte aux droits prévus par la convention. Dans la mesure où il s'agit de traiter de risques graves où imminents il est prévu que les victimes éventuelles puissent s'adresser à moi même s’ils n'ont pas même s'ils n'ont pas épuisé les voies de recours internes.

La question des défenseurs de l'environnement et des militants du climat prend une acuité certaine avec la crise climatique que l'on connaît à l'heure actuelle. Sur le plan international les Nations unies ont reconnu un droit à l'environnement sain et durable. Les États membres du Conseil des droits de l'homme des Nations unies ont également décidé de la création de nouveaux mandats de Rapporteurs Spéciaux sur les droits humains et l'environnement et sur le climat et les droits humains, répondant assis à une préoccupation plusieurs fois exprimée d'une urgence environnementale et climatique croissante. Les États ont par ailleurs compris que les défenseurs de l'environnement et les militants climatiques sont à l'heure actuelle parmi les premières victimes des attentes des menaces de la part des états et des entreprises. Salon un récent rapport de l'ONG Global Witness 59 % des défenseurs des droits humains tués en 2021 étaient des défenseurs de l'environnement et du changement climatique. Il est donc plus qu’urgent de mieux les protéger et de prévenir les risques auxquels ils sont confrontés

Les questions environnementales vous semble-t-elle suffisamment prises en compte par les instances traditionnelles de protection des droits et libertés en France, la CNCDH ou le Défenseur des droits ? Comment ces thématiques pourraient-elles s’articuler ?

Les questions environnementales, et j'ajouterais, climatiques, sont de mon point de vue des questions urgentes qu'il convient de prendre en compte de manière plus affirmée dans notre pays. Et je ne suis pas sûr que la France soit exemplaire en la matière. La France fait partie des 46 états qui ont ratifié la convention de Aarhus et elle a soutenu les votes des résolutions sur l'environnement, sur le climat et sur la création des mandats nouveaux de rapporteurs spéciaux. La France a donc des obligations importantes en matière de démocratie environnementale Et on peut regretter qu'elle ne soit pas à la pointe du combat comme le sont d'autres pays pour lesquelles l'environnement il a lutté pour le climat irriguent les politiques publiques. Une partie du mandat qui m'a été confiée par les États membre de la convention d’Aarhus consiste à faire un travail de promotion des droits prévu par la convention et notamment des 3 piliers sur l'accès à l'information, la participation à la décision publique et la justice environnementale. Je crois également que les entreprises internationales opérant à l'étranger, et notamment dans des pays dans lequel les droits humains sont fragilisés par l'action des états, devraient développer une ambition forte sur les droits humains et prendre en compte la démocratie environnementale là où elles opèrent.