• 1 Selon le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, l'intersexuation désigne « les p (...)
• 2 Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
• 3 L’article insère également de nouvelles dispositions au sein du Code civil relatives à l’inscriptio (...)
• 4 Nous mettons ici de côté les opérations qui sont pratiquées en cas de danger pour le pronostic vita (...)
• 5 Voir par exemple la campagne « Stop Mutilations Intersexes » lancée en 2018 par le Collectif Inters (...)
• 6 Dès 2009, le Rapporteur spécial sur le droit qu'à toute personne de jouir du meilleur état de santé (...)

1L’intervention du législateur sur la question de la prise en charge médicale des enfants intersexués1 était attendue. Ce fut chose faite avec l’adoption de l’article 30 de la loi relative à la bioéthique2, qui inscrit pour la première fois au sein du droit français un encadrement juridique des opérations de conformation sexuée3. Ces interventions chirurgicales ont pour seul but de conformer l’apparence des corps et notamment des organes génitaux des enfants intersexués aux normes attendues de la binarité sexuelle, en l’absence de toute nécessité médicale et du respect de leur consentement4. Elles sont en ce sens régulièrement dénoncées par les associations de personnes concernées5 ou par différents organes de protection des droits humains6 comme des actes portant atteinte au droit à l’intégrité physique et à l’autodétermination, nécessitant une interdiction stricte de leur pratique. Pourtant, bien loin de s’inscrire dans le sillage du droit des droits humains, l’article 30 de la loi de bioéthique envisage l’abstention thérapeutique non pas comme un impératif, mais seulement comme une option possible. De même, le texte prévoit que le « consentement du mineur doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ». La formulation de l'article fait de la condition du consentement une simple hypothèse, et non une obligation à proprement parler : si le mineur n'est pas apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, l'intervention médicale pourra tout de même avoir lieu avec le consentement des parents ou de ses représentants légaux.

• 7 Tamion Anna, Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, Pari (...)
• 8 Hennette-Vauchez Stéphanie, Bioéthique, biodroit, biopolitique : réflexions à l’occasion du vote de (...)
• 9 A. Tamion, Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, op. ci (...)
• 10 Heuschling Luc, « Le relativisme des valeurs, la science du droit et la légitimité. Retour sur l’ép (...)

3Discuter de cette neutralité « tout court » conduit également à un second niveau d’analyse, celui de la neutralité cette fois-ci axiologique de celles et ceux qui s’emparent de cet objet, à savoir la doctrine juridique. C’est en effet la position du chercheur et de la chercheuse face à un objet empreint de jugements de valeur qui peut être questionnée : comment faire état de cette opposition entre les choix axiologiques du législateur – fondés principalement sur une expertise extra juridique, et notamment médicale – et les valeurs prônées par les droits humains ? Comment le chercheur ou la chercheuse, s’il ou elle cherche à se conformer à un idéal de neutralité axiologique, peut-il étudier un objet – ici, l’article 30 de la loi relative à la bioéthique – qui est justement fondé sur des valeurs ? (qui plus est, qui ne relèvent pas uniquement de la sphère juridique mais bien de considération scientifique au sens d’extra-juridiques). Pour le dire plus généralement, comment « une approche axiologiquement neutre d’objets axiologiquement déterminés est-elle possible »7, en particulier lorsque cet objet est le « lieu de cristallisation de clivages axiologiques forts »8 ? En effet, le risque ici lorsque la doctrine s’intéresse à des objets fondés sur l’expression de valeurs serait de voir apparaître une « science du droit idéologique », empreinte des jugements de valeur9. Notre démarche s’attache donc à analyser les valeurs mobilisées par la doctrine dans le cadre de discours relatifs au nouveau cadre législatif relatif à la prise en charge des enfants intersexués. En effet, une analyse des jugements de valeur émis par la doctrine ne s’oppose pas nécessairement à une posture axiologiquement neutre. Si le ou la scientifique doit tenter d’évincer ses propres valeurs (c’est sa méthode), cela ne l’empêche pas pour autant d’étudier « les jugements de valeur d’autrui »10 (c’est-à-dire son objet).

• 11 Champeil-Desplats Véronique, Méthodologies du droit et des sciences du droit, 2e éd., Paris, Dalloz (...)
• 12 Jean-Baptiste JACOB, La valeur en droit, p. 99, §145.
• 13 Sur ce sujet, nous renvoyons à la contribution de Guillaume Robertson publiée dans ce même dossier.
• 14 L. Heuschling, « Le relativisme des valeurs, la science du droit et la légitimité. Retour sur l’épi (...)

4Le concept de neutralité axiologique sera ici entendu au sens d’un idéal épistémologique à atteindre11, d’une tentative de mise à l’écart de tout jugement de valeur au sein d’une recherche scientifique permettant ainsi son intégrité. Qu’il ou elle soit juriste ou chimiste, cet idéal de neutralité axiologique doit être recherché par tout.e scientifique12. Il ne sera ainsi pas question de revenir ici sur les divergences d’interprétations attribuées au concept de Wertfreiheit développé par Max Weber13, mais plutôt de s’intéresser à l’usage même de la neutralité axiologique comme outils à travers un cas concret, à savoir la justification législative de l’encadrement juridique de la prise en charge des enfants intersexués. Nous partirons notamment du principe que le ou la scientifique doit indiquer clairement lorsqu’il ou elle se trouve dans l’expression d’un jugement de valeur, au risque de sortir de sa neutralité axiologique (c’est en effet ce qui constitue la condition de la « cohabitation transparente »14 : si des jugements de valeur personnels sont exprimés, il faut les mentionner).

• 15 Nous reprenons ici la distinction faite par Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ entre « arène politique » et (...)

5Nous verrons ainsi dans un premier temps les arguments qui ont été mobilisés lors du processus de construction de la loi de bioéthique au sein des débats parlementaires afin de montrer notamment la prégnance du recours à l’expertise scientifique, en particulier médicale (I). Il s’agira ensuite d’étudier les conséquences sur la teneur des discours menés par la doctrine, ou « l’arène savante », au regard de l’exigence de neutralité axiologique15 (II).

• 16 Voir par exemple l’amendements n° 1743 déposé et rejeté au stade de la première lecture devant l’As (...)

7Au sein de l’arène politique, une opposition franche s’est dessinée entre d’un côté des arguments s’inscrivant dans la lignée des valeurs et principes défendus par les organes de protection des droits humains, et de l’autre, des positions fondées sur la nécessité d’envisager l’objet – la prise en charge des « variations du développement génital » – dans un cadre exclusivement scientifique, médical et ainsi dire technique. C’est cette seconde approche qui s’est imposée à l’issue du processus d’adoption de l’article 30, laissant au corps médical une certaine autonomie afin d’apprécier la situation des enfants intersexués (2) et éclipsant les amendements déposés afin d’inscrire une interdiction claire et explicite des opérations de conformation sexuée au sein de la loi (1)16.

• 17 Pour ne mentionner que quelques interventions au sein des commissions et débats parlementaires, voi (...)
• 18 Séance publique, 2^ème lecture, Assemblée nationale, séance du vendredi 31 juillet 2020 (il poursuit (...)
• 19 Article 16-3 du Code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en c (...)
• 20 Amendement n° 2423 : « L’article 16‑3 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Son (...)
• 21 Assemblée nationale, 1^ère lecture, Séance publique, 8 octobre 2019, p. 8719.
• 22 Ibid., p. 8720.
• 23 Assemblée nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthiqu (...)
• 24 Sénat, 1^ère lecture, Séance publique, 29 janvier 2020.
• 25 Conseil d’État, Révision de la loi bioéthique  : quelles options pour demain  ?, Paris, 2018, p. 21 (...)
• 26 À noter d’ailleurs qu’à l’origine exclue du projet de loi, car ne relevant pas de la bioéthique sel (...)

8(1) Ainsi, face aux arguments médicaux ayant conduit à la rédaction finale du texte, des parlementaires ont rappelé la nécessité de faire respecter les droits humains par le corps médical en matière de prise en charge des enfants intersexués17. Le député Bastien Lachaud soulignera en ce sens que la question de l’intersexuation « n’est pas technique ou médicale ; c’est une question de droits humains »18. Cette démarche mettait en particulier en avant le fait que, jusqu’ici, bien que les médecins soient normalement tenus de respecter les principes du droit commun relatifs au respect du consentement des patients ou à l’exigence de nécessité médicale – issus notamment de l’article 16-3 du Code civil19 –, les opérations de conformation sexuées sont tout de même largement pratiquées. Or, l’encadrement prévu par la révision de la loi de bioéthique n’empêche pas la pratique de ces interventions chirurgicales, et donc une atteinte aux droits fondamentaux tels que le droit à l’autodétermination ou au respect du consentement. Par exemple, face à une proposition d’introduction d’un alinéa au sein de l’article 16-3 du Code civil afin d’interdire « les actes de conformation sexuée visant à modifier les caractéristiques sexuelles primaires et secondaires d’une personne »20, au titre notamment du respect du droit à l’intégrité physique et au consentement libre et éclairé des personnes21, la ministre Agnès Buzyn soulignait la nécessité de « laisser aux médecins le soin de définir ce qui relève ou non d’une nécessité médicale » afin de justifier le rejet d’amendements de ce type22. Selon elle, en effet, il « n’appartient pas au législateur de définir ce qui est une indication médicale et ce qui ne l’est pas »23. Plus tard au cours du processus d’adoption de la loi, la ministre Frédérique Vidal affirmait dans une même mesure sa « confiance inébranlable en la science et en la médecine »24. Dans la mesure où l’adoption d’un cadre législatif inédit avait notamment pour objectif de traiter de la situation des enfants intersexués « sur le plan biomédical »25, la majorité parlementaire s’est largement appuyée sur des arguments qui relèvent de l’expertise scientifique afin de défendre une approche de l’intersexuation au prisme de la science médicale26.

• 27 Moron-Puech Benjamin, « Loi de bioéthique et intersexuation », in RDSS, 2021, p. 827‑835.

9Cet encadrement des opérations de conformation sexuée est donc le résultat d’un choix conscient du législateur, puisque celui-ci avait largement connaissance des difficultés posées en termes de respect des droits humains. La volonté de s’appuyer sur la science, et notamment l’expertise du corps médical, bien plus que sur le paradigme des droits humains, s’inscrit ainsi dans le conflit couramment observé sur la question de l’intersexuation entre « ontologie déshumanisante », d’une part, et « humanisante », d’autre part27.

• 28 Assemblée nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthiqu (...)
• 29 Ibid.
• 30 Sinclair Andrew H., Berta Philippe, Palmer Mark S., et al., « A gene from the human sex-determining (...)
• 31 Wiels Joëlle, « La détermination génétique du sexe  : une affaire compliquée », in Mon corps a-t-il (...)

10(2) Parmi les arguments dits techniques et médicaux, il est possible de relever une référence quasi constante à la « réalité corporelle », qui semble se rallier au bon sens : la science (et notamment la biologie) affirme l’existence de deux sexes biologiques chez les individus, femelle et mâle. Ainsi, lors des auditions menées par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, le député et rapporteur Philippe Berta – par ailleurs généticien et professeur des universités – rappelle que le choix du sexe (sous-entendu entre le sexe féminin ou masculin) « n’est pas le pur fait du hasard » mais est basé « sur du biologique », et « pas autre chose »28. Il serait donc logique, voire incontestable, que cette évidence scientifique serve de seul guide au législateur. Le député met ainsi de côté l’existence de mutilations pratiquées sur les enfants intersexués évoquées en amont par Laurène Chesnel, déléguée de l’association Familles Inter LGBT, pour insister au contraire sur la nécessité des interventions chirurgicales afin d’éviter un développement « dramatique » de l’enfant29. Le député prend ainsi l’exemple d’un enfant né avec des chromosomes XX – un caryotype attribué au sexe féminin – sur lesquels se trouve le gène SRY, désigné comme étant le gène à l’origine du développement du fœtus vers le sexe masculin (ou facteur TDS pour Testis Determing Factor)30 : dans un tel cas de figure, il faut alors, selon lui, « le développer en garçon ». Des travaux plus récents comme ceux de la biologiste Joëlle Wiels ont pourtant permis de relever les « présupposés idéologiques » (et notamment sexistes) à l’origine de la découverte de ce gène SRY, responsable de la différenciation sexuelle. Ces recherches soulignent la grande variété de mécanismes jouant un rôle dans le développement des organes sexuels, permettant ainsi d’affirmer que « vouloir à toute fin assigner une catégorie de sexe mâle ou femelle à tout le monde apparaît alors assez réducteur »31. Les arguments scientifiques sur lesquels s’appuie le rapporteur vont ainsi dans le sens d’une intervention du législateur en faveur de la pratique des opérations de conformation sexuée dès le plus jeune âge, afin de permettre le développement de l’enfant selon un sexe féminin ou masculin, conformément au processus naturel de différenciation entre les sexes. L’angle adopté est uniquement médical, et laisse de côté toute considération pour la protection des droits humains des enfants intersexués : puisque la binarité des sexes est une donnée biologique, il n’y a pas lieu de considérer une éventuelle interdiction des pratiques visant à conformer un sexe aux normes naturelles du féminin ou du masculin.

• 32 Ces arguments ont aussi été soulevés à l’occasion des débats relatifs à l’ouverture de la procréati (...)
• 33 Assemblée nationale, 1^ère lecture, séance publique, 8 octobre 2019, p. 8726, intervention de Xavier (...)
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• 35 S. Hennette Vauchez, « Bioéthique, biodroit, biopolitique  : politique et politisation du vivant », (...)
• 36 Au départ, Agnès Buzyn, puis dès février 2020, Olivier Véran.

11Cet argument de la réalité corporelle se dresse notamment contre ce qui est décrié comme la « théorie du genre »32, qui serait encouragée par le droit à l’autodétermination, i.e le droit accordé aux individus de déterminer eux-mêmes leur propre identité. Une opposition se retrouve en effet entre d’un côté le sexe biologique (ce qui est désigné ici par la « réalité corporelle ») et de l’autre le genre (entendu au sens de « l’identité de genre »), et une confusion flagrante est d’ailleurs souvent opérée entre les deux. Introduire une réflexion « sous l’angle du genre » au sein des débats reviendrait ainsi à aborder la question « d’un point de vue militant » et à nier la différence naturelle entre les sexes. Au contraire, s’appuyer sur « la réalité corporelle » permet d’ancrer le débat sur un fondement fiable et d’intangible, à savoir le fait « que l’on a un corps d’homme ou un corps de femmes », et qu’à côté, il existe « quelques cas qui présentent une ambiguïté », comme les personnes intersexuées33. Le législateur serait ainsi en partie pieds et poings liés face au savoir du corps médical, seul à même de répondre aux besoins de ces enfants. L’usage de cet argument est d’ailleurs renforcé par le fait que certains parlementaires affirment une position d’autorité du fait de leur profession exercée en parallèle au sein du milieu médical. Par exemple, le député et généticien Philippe Berta intervient au titre de ses « activités passées » afin de mettre en avant la « complexité de la question » relative à la diversité des anomalies du développement sexuel34. Une certaine « solidarité professionnelle »35 au sein de l’arène parlementaire peut ainsi être mise en avant et expliquer en partie l’orientation du texte, tout comme la profession des deux ministres de la Santé ayant successivement porté le projet de loi36.

• 37 Marguet Laurie, « La loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement  : u (...)
• 38 Descamps Philippe, « Principes de la philosophie du droit de la bioéthique » in Le sacre de l’espèc (...)
• 39 Depuis la révision de la loi de bioéthique, ce même article prévoit désormais que « l'assistance mé (...)

13Le processus de construction de la loi de bioéthique oscille entre d’un côté, une appréhension des thématiques abordées comme relevant de questionnements de nature éthique – et donc devant laisser une place accrue à la parole de l’expert – et de l’autre, la nécessité de faire des choix entre plusieurs propositions axiologiques37. Cette dernière interprétation peut conduire à l’expression d’une volonté de limiter sous certains aspects la toute-puissance de la science afin notamment de protéger ce qui est désigné par une partie de la doctrine comme étant la fonction anthropologique du droit (c’est-à-dire la fonction ou la mission du droit de dire ce qu’est l’être humain et de l’instituer38). Ainsi, jusqu’à très récemment par exemple, l’encadrement de l’assistance médicale à la procréation était tel qu’il permettait de laisser penser que l’engendrement avait eu lieu selon un « processus naturel ». L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique prévoyait en effet que la procédure était ouverte aux couples de sexe différent, « vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans »39.

• 40 S. Hennette Vauchez, « Bioéthique, biodroit, biopolitique  : politique et politisation du vivant », (...)

14En ce qui concerne la prise en charge de l’intersexuation, la parole de l’expert scientifique ne semble pas s’opposer à la fonction anthropologique du droit, bien au contraire : les débats parlementaires ont fait apparaître un attachement fort à l’expertise médicale en lien (et non pas en opposition) avec des arguments essentialistes tels que la binarité des sexes comme donnée biologique naturelle, constitutive de l’identité humaine. La science intervient donc à l’appui du droit afin de lui permettre de remplir sa mission, « dire ce qu’est l’humain »40, et de conforter l’ancrage du droit dans la bicatégorisation. Le recours à la science est donc loin de vouloir être limité : il est au contraire encouragé afin de rétablir l’ordre normal – et normatif – du binarisme sexuel. Le droit s’en remet ainsi pleinement au corps médical afin d’assurer la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital, notamment dans la mesure où une limitation stricte des prérogatives du corps médical en la matière – via l’interdiction de principe des opérations de conformation sexuée par exemple – pourrait avoir pour conséquence une remise en question de la différence des sexes au sein même du droit et de la distinction des individus en seulement deux catégories de sexe.

• 41 Voir par exemple : Manent Pierre, Bellamy François-Xavier et Geffroy Elisabeth, « Bioéthique  : «   (...)
• 42 L. Marguet, « La loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement », art c (...)

15Ce large appui sur l’expertise du corps médical traduit également une volonté de ne pas brusquer les acteurs auxquels ce cadre législatif est en partie destiné. Une interdiction claire et explicite des opérations aurait certainement été la garantie d’une levée de boucliers de la part d’une grande partie du corps médical, au vu de différentes prises de position en la matière41. Un parallèle peut être fait avec la légalisation du droit à l’avortement en 1975, obtenu notamment par le biais d’un compromis permettant d’obtenir l’adhésion des médecins à la loi, via le « droit de réserve » ou la « clause de conscience ». Tandis qu’il s’agissait de ne pas « les contraindre à pratiquer un acte auquel ils sont opposés »42, le texte adopté concernant la prise en charge de l’intersexuation revient plutôt à leur permettre de pratiquer un acte qu’ils estiment indispensable. Dans le cadre des questions de bioéthique, le poids de la parole du corps médical est donc à prendre en compte.

• 43 Certains parlementaires ont pu défendre cette position en arguant notamment du manque d’information (...)
• 44 Une approche historique permet d’ailleurs de souligner que lorsque le corps médical ne maitrisait p (...)
• 45 Blondin Maryvonne et Bouchoux Corinne, Les variations du développement sexuel  : lever un tabou, lu (...)
• 46 Article 30 de la loi de bioéthique.
• 47 Binet Jean-René, Droit et progrès scientifique, Paris, Presses Universitaires de France, « Partage (...)
• 48 Hennette-Vauchez Stéphanie, « Les rapports entre droit et science au prisme du droit de la bioéthiq (...)
• 49 Assemblée nationale, 1^ère lecture, séance publique, 24 septembre 2019, p. 7977.
• 50 S. Hennette-Vauchez, « Les rapports entre droit et science au prisme du droit de la bioéthique, ou (...)
• 51 Catto Marie-Xavière, « La loi de bioéthique et les intersexes : contraindre les médecins ou confére (...)
• 52 Dès les premières auditions menées par la Commission spéciale de l’Assemblée nationale, le rapporte (...)
• 53 M.-X. Catto, « La loi de bioéthique et les intersexes », art cit, p. 2.
• 54 M.-X. Catto, « La loi de bioéthique et les intersexes », art cit. ; certaines études médicales adme (...)

16Or, le législateur n’était-il pas contraint d’adopter cette démarche et de s’en remettre pleinement à l’expertise du corps médical afin d’encadrer la prise en charge de l’intersexuation43 ? Il semble que non44. D’une part, la question de l’intersexuation est désormais documentée depuis plusieurs années par diverses instances juridiques, et a fait l’objet de rapports au sein même de l’enceinte parlementaire45. Ainsi, bien que la loi prévoie désormais la remise d’un rapport au Parlement relatif notamment au « nombre d’actes médicaux réalisés » ou » au respect des recommandations internationales en matière de protocole de soins »46 afin de renforcer les informations disponibles, le législateur n’était tout de même pas sans données, et était en mesure de se saisir davantage de la prise en charge de l’intersexuation. D’autre part, il parait naïf de penser que le droit ne dispose pas des armes nécessaires pour s’imposer face à la science : bien loin d’être « asservi par le scientisme »47, le droit peut, au contraire, « toujours intervenir pour, le cas échéant, marquer une résistance juridique au fait scientifique »48. Certains parlementaires ont d’ailleurs tenté de rappeler cette prérogative de l’ordre juridique, justifiant que l’objet même de la loi de bioéthique était justement de « se mêler des pratiques médicales », prenant l’exemple de l’avortement ou encore du suicide assisté49. C’est bien au législateur qu’il revient d’adopter un énoncé descriptif afin de « dire ce qui, parmi le scientifiquement possible, est légal et ce qui ne l’est pas »50. L’intervention du législateur aurait ainsi pu permettre d’expliquer en quoi, pour le dire avec Marie-Xavière Catto, le débat autour de la pratique des opérations de conformation sexuées est « mal posé »51. Tout au long des discussions, une distinction a été faite entre les opérations de conformations sexuées qui seraient pratiquées en urgence, car nécessaires à la survie de l’enfant et donc répondant à une nécessité médicale, et les autres qui seraient effectivement condamnables car pratiquées sans le consentement de l’enfant52. Une confusion est donc faite, comme cela a été le cas lors des débats parlementaires, entre les interventions chirurgicales ayant pour corolaire de modifier les caractéristiques sexuelles – sans que cela ne soit la finalité de l’opération en tant que telle – et les opérations de conformation sexuées – qui ont bien pour objectif de normaliser l’apparence des organes génitaux par exemple. Il faut en effet rappeler ici qu’il n’y a jamais de « nécessité vitale à assigner un sexe ou à conformer des organes sexués »53 : si répondre à une nécessité médicale peut certes avoir pour conséquence de modifier les caractéristiques sexuelles, cela ne doit pas être l’objet de la finalité de l’opération en tant que telle. Ainsi, il existe bien une différence entre pratiquer une opération pour permettre à un enfant d’uriner (ce qui répond à une nécessité médicale), et pratiquer une opération pour « qu’il puisse uriner debout », ce dernier motif ne relevant pas d’une quelconque nécessité médicale mais d’une simple exigence esthétique justifiée par des normes de genre (puisque, comme le souligne l’autrice, la moitié de la population urine assis)54. Une interdiction législative des opérations de conformation sexuées – c’est-à-dire celles qui ont seulement une visée esthétique – aurait donc pu être envisagée par le législateur, sans remettre en question la pratique d’opérations nécessaire pour la santé de l’enfant et présentant un caractère urgent.

• 55 Voir par exemple M.-X. Catto, « La loi de bioéthique et les intersexes », art cit ; B. Moron-Puech, (...)
• 56 Fondimare Elsa, L’impossible indifférenciation  : le principe d’égalité dans ses rapports à la diff (...)
• 57 V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 26.
• 58 Heinich Nathalie, Ce que le militantisme fait à la recherche, Paris, Gallimard, « Tracts », 2021, 4 (...)

18L’adoption d’un cadre législatif destiné à préciser les modalités de prise en charge des enfants intersexués a été commentée aussi bien par le corps médical que la doctrine juridique55. Or, au regard des arguments mobilisés lors des débats parlementaires et notamment de l’importance accordée à la parole de l’expertise scientifique, il convient d’étudier la manière dont les chercheurs et chercheuses ont analysé le processus législatif et son aboutissement : le fondement de la loi sur des arguments de nature scientifique, et notamment médicale, a-t-il des répercussions sur les exigences de neutralité axiologique au sein de la doctrine, dans la mesure où ces arguments sont parfois appréhendés comme neutres et relevant de l’évidence, justement du fait de leur caractère scientifique ? (A). Il convient ainsi de distinguer les discours doctrinaux sur l’objet législatif qui nous intéresse – l’article 30 de la loi de bioéthique – de notre propre discours, qui cherche à s’inscrire dans le cadre de la neutralité axiologique en étudiant les jugements de valeur portés par ces discours56 dans une démarche critique ouvrant « sur des discours d’explication, de dévoilement des présupposés ou d’analyse des conditions de possibilité de l’objet étudié »57, sans pour autant tomber dans le « militantisme académique »58. Le recours au discours critique apparaît en effet indispensable afin d’expliquer les rapports de pouvoir qui se jouent à l’origine de chaque savoir, y compris médical, qui ne peuvent en tant que tels être tenus pour évidents et ainsi neutres (B).

• 59 Voir Mirkovic Aude et Sarton Olivia, « (Tribune) Introduction des «  variations du développement gé (...)
• 60 Ibid.
• 61 Cette position est par ailleurs cohérente avec l’engagement des autrices au sein de l’association J (...)

20Pour ce faire, il nous paraît intéressant de montrer la manière dont un même argument scientifique ou médical peut être utilisé à des fins bien différentes, voire opposées. Il en va ainsi de l’objectif de garantir le bien-être psychique des enfants porteurs d’une variation du développement génital. En s’appuyant sur cet argument – qui relève bien de la médecine – des autrices ont pu justifier la nécessité d’opérer les enfants intersexués dès leur plus jeune âge, en dépit du respect de leur consentement aux interventions chirurgicales59. Dès lors, même en l’absence de souffrance physique, la nécessité médicale des opérations de conformation sexuée tient au fait qu’un report des opérations conduirait à laisser les enfants « dans un état indéterminé ou avec des organes atypiques », et donc à « un risque de difficultés psychiques important ». Les propositions faites dans le cadre des débats parlementaires d’inscrire un report de principe des opérations tant que l’enfant n’est pas à même de consentir pourraient alors relever, selon cette approche, de la « privation de soin »60. Les autrices vont jusqu’à parler d’éventuelles « maltraitance », celle de faire peser sur l’enfant le regard d’une société qui n’envisage le sexe qu’à travers la binarité, et reprochent ainsi un « déni de la différence des sexes »61.

• 62 L’intersexuation est d’ailleurs ici décrite en des termes pathologisants : « atypique », « infirmit (...)
• 63 Le Monde, Tribune « Loi bioéthique : « La multiplicité des pathologies des anomalies du développeme (...)
• 64 Christian Flavigny et Michèle Fontanon-Missenard, « Pourquoi l’avis du Conseil d’État sur les enfan (...)
• 65 Marianne, « La tribune de 100 médecins contre un article de la loi Séparatisme "qui risque de menac (...)

21Cette logique se développe à travers un prisme médical, dans la mesure où ces « variations des organes génitaux relèvent de situations pathologiques »62. Les autrices semblent en ce sens avancer que le seul moyen de parvenir au respect de la santé et notamment du bien-être des enfants intersexués serait la pratique de ces opérations, dès leur plus jeune âge. Cette position se retrouve d’ailleurs au sein du discours d’une partie du corps médical. Médecins et psychiatres ont fait savoir à plusieurs reprises en parallèle du processus de construction de la loi leurs inquiétudes quant à une éventuelle interdiction des opérations de conformation sexuée par le législateur : un cadre juridique trop restrictif » serait très préjudiciable à la santé physique et psychique des personnes concernées et de leur entourage »63. L’un des arguments avancés afin de justifier la nécessité de ces interventions chirurgicales est relatif au bon développement psychique de l’enfant, grâce à la perception qu’il a de son propre sexe en tant que fille ou garçon, dans la mesure où ce ressenti serait « au fondement de la vie psychique de l’enfant »64. Ainsi, une partie du corps médical estime qu’il est « fondamental pour l’enfant et ses parents qu’il soit le plus tôt possible inscrit dans une identité sexuelle et que son corps corresponde à cette identité »65. Pourtant, ce même argument de la recherche du bien-être psychique de l’enfant peut être mobilisé afin d’arriver à une fin tout autre : il est en effet possible de soutenir qu’une opération pratiquée sur un nouveau-né pourrait entraîner des conséquences tout aussi néfastes sur son bien-être. Comment, par exemple, la pratique d’une vaginoplastie (ie. le fait de créer une cavité vaginale qui implique l’utilisation répétée dans le temps de dilatateurs vaginaux) sur une enfant intersexuée, au motif qu’elle devra par la suite en tant qu’adulte pouvoir être pénétrée au cours de sa vie sexuelle, serait bénéfique pour son développement psychique ?

• 66 Carayon Lisa, La catégorisation des corps. Étude sur l’humain avant la naissance et après la mort, (...)
• 67 LOCHAK Danièle, « Le droit : du normatif à la normalisation », in Le sujet et la Loi, éd. Éres, 198 (...)
• 68 A. Mirkovic et O. Sarton, « (Tribune) Introduction des «  variations du développement génital  » da (...)

22Envisager la pratique des opérations de conformation sexuée sur les enfants présentant une variation du développement génital comme seul moyen de parvenir à respecter leur droit à la santé semble ici s’inscrire dans un présupposé selon lequel la différence des sexes est le seul fondement ou la seule finalité valable. En effet, la posture sous-entendue dans ce type de discours (la nécessité de pratiquer les opérations de conformation sexuée dès la naissance) s’appuie sur une position axiologique selon laquelle le caractère naturel et biologique de la binarité des sexes – autrement dit, son évidence – conduit justement à adopter cette seule posture. Or, justifier le fondement d’une norme juridique sur un argument issu des sciences biologiques (ie. l’être humain est distingué en deux catégories naturellement définies, la femelle et le mâle) « consiste à admettre comme « objectives » des informations qui ne sont pas forcément fausses mais sont nécessairement situées »66. Comme le souligne Danièle Lochak, « la normalité prétendument décrite par les disciplines biologiques fournit au droit une assise favorable à la transcription du normal au normatif »67. Ainsi, l’assimilation de l’intersexuation à une condition pathologique suggère que tout ce qui s’écarte de la norme naturelle et biologique du binarisme doit être corrigé. C’est d’ailleurs ce qu’expriment les autrices lorsqu’elles affirment que le « terme de « variations » ne semble pourtant guère adéquat, car, sous prétexte de ne pas stigmatiser les personnes concernées, il passe sous silence la dimension pathologique de leur état »68. L’exigence de neutralité axiologique admise au sein de la science du droit semble ainsi être mise à mal par la prise en compte des arguments extra-juridiques comme des fondements qui ne peuvent être discutés, car porteurs d’une vérité absolue : le discours doctrinal, sous couvert de prétendre à la neutralité, se révèle en réalité prescriptif. Le recours au discours critique apparaît alors indispensable afin de dévoiler le caractère non-objectif des arguments avancés.

• 69 A. Tamion, Droits fondamentaux et valeurs. La question d’une fondation axiologique du droit, op. ci (...)
• 70 Sur ce sujet, voir V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., (...)
• 71 L. Carayon, La catégorisation des corps. Étude sur l’humain avant la naissance et après la mort, op (...)
• 72 E. Fondimare, L’impossible indifférenciation  : le principe d’égalité dans ses rapports à la différ (...)
• 73 L. Carayon, La catégorisation des corps. Étude sur l’humain avant la naissance et après la mort, op (...)

23Il faut reprendre ici la distinction posée par Kelsen entre d’une part, l’action de décrire, et d’autre part, celle de prescrire : selon les exigences propres à la science du droit en matière de neutralité axiologique, le ou la scientifique doit s’abstenir d’adopter un discours prescriptif, et donc de porter une « appréciation sur son objet » afin de garantir l’éthique de sa recherche69, au risque de décrire le droit tel qu’il devrait être et non tel qu’il. Or, nous pensons qu’un tel objectif – à considérer qu’il puisse être atteignable70 – se matérialise notamment et a minima en indiquant clairement quelle est la finalité recherchée ou soutenue dans un discours scientifique, et quels sont les différents moyens possibles afin d’y parvenir. Dans certains discours pourtant, la finalité réellement poursuivie peut être dissimulée, tout comme la multitude de moyens disponibles afin de parvenir à une fin. Nous pensons dès lors que c’est face à ce type de constat que s’exprime toute la force du discours critique, qui, sans prétendre nécessairement à l’objectivité (pas plus que tout autre discours), permet de « mettre en lumière un réel invisibilisé »71. L’approche critique permet d’aller au-delà de la simple description non pas en formulant des jugements de valeur, mais bien en décomposant un discours afin de souligner les processus de légitimation et les « rapports de force axiologiques » à leur origine72. Le recours au discours critique permet en effet « de rechercher les présupposés, implicites et non-dits » qui parcourent le droit73.

• 74 V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 26.
• 75 E. Fondimare, L’impossible indifférenciation  : le principe d’égalité dans ses rapports à la différ (...)
• 76 Fausto-Sterling Anne, « The fives sexes : why Male and Female are not enough », in The Sciences, 19 (...)

24Ainsi, tout en poursuivant l’idéal de neutralité axiologique, il semble possible d’expliquer en quoi l’appréhension de l’intersexuation par les chercheurs et chercheuses – juristes ou non – peut parfois s’exprimer sans révéler des jugements de valeur en apparence, dissimulés derrière une prétendue neutralité des sciences, comme la biologie. Par exemple, lorsque des autrices soutiennent que les opérations de conformations sexuées sont nécessaires au respect du bien-être des enfants intersexuées et que les variations du développement génital « relèvent de situations pathologiques », il est possible d’adopter une démarche d’explication et de « dévoilement des présupposés »74 – un discours critique en somme – en soulignant que cette pathologisation s’inscrit dans un cadre bien plus large de délégitimation des variations corporelles par les autorités médicales et juridiques, au profit d’une construction de la binarité des sexes comme norme naturelle selon des normes stéréotypées. La binarité sexuelle serait la seule finalité à atteindre, à travers le respect du bien-être psychique des enfants, puisqu’il s’agit d’une norme biologique qui ne peut être remise en question. Cela traduit un processus de catégorisation entre ce qui relève du féminin ou du masculin, du normal ou du pathologique, « issu de rapports de force axiologiques »75. Il est ainsi possible de critiquer le fondement de cette argumentation sans pour autant quitter l’idéal de neutralité axiologique, en expliquant qu’au sein même des sciences biologiques, la binarité des sexes est pourtant loin d’être un dogme. Les travaux de la biologiste Anne Fausto-Sterling montrent ainsi, depuis les années 1990, que bien que les sociétés occidentales et notamment leurs ordres juridiques admettent seulement l’existence de deux sexes, la science biologique peut au contraire permettre d’appréhender le sexe comme un spectre, ou un continuum, sur lequel une multitude de réalités corporelles s’expriment, bien loin de se limiter à la binarité76. Les présupposés tels que le binarisme sexuel doivent donc être questionnés, et ne peuvent en aucun servir de dogme ou de point de départ d’une argumentation qui relèverait indiscutablement de la neutralité axiologique du simple fait du recours à ces éléments scientifiques.

• 77 M.-X. Catto, « La loi de bioéthique et les intersexes », art cit,, p. 75.

25L'encadrement législatif prévu par la loi de bioéthique traduit ainsi une certaine « impuissance du politique à [...] interdire face à la pression de certains parents et du corps médical » les actes visant à conformer le corps des enfants intersexués aux normes des sexes féminin ou masculin77. Malgré la multitude de recommandations ou autres normes issues du droit des droits humains allant dans le sens d’une nécessaire interdiction de ces interventions chirurgicales, l’approche médicale et pathologisante a largement été privilégiée au sein de l’arène politique, qui a manqué de saisir la révision de la loi de bioéthique comme une occasion de conformer le droit français aux exigences des droits humains. La mobilisation de cette approche et notamment d’arguments extra-juridiques se retrouve également au sein de l’arène scientifique. Le recours à l’expertise scientifique peut conduire la doctrine juridique à prétendre à un discours axiologiquement neutre, puisque la recherche scientifique serait elle-même neutre, car basée sur des faits empiriques. Il nous paraissait toutefois important de souligner que l’approche adoptée par le législateur et parfois soutenue par la doctrine n’était pas la seule envisageable, et qu’accorder une place accrue à la position défendue par les organes de protection des droits humains – notamment en ayant recours au discours critique – aurait pu enfin permettre de tendre vers une protection du droit à l’intégrité physique des enfants intersexués.