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Libres propos

La liberté académique et le financement de la recherche

Aurélien Camus

Résumés

L’objet de l’étude est d’analyser la liberté académique par le prisme financier et budgétaire. Plus précisément, en articulant plusieurs niveaux d’analyse, il s’agit de porter un autre regard sur le cadre institutionnel et les conditions matérielles de la recherche académique. Or l’absence de sanctuarisation du financement public de la recherche met à mal la liberté académique. De même, les mécanismes de financement des EPSCP induisent une fragilisation du cadre institutionnel peu favorable au développement de l’activité de recherche. Enfin, par le biais de certaines modalités de financement qui ont désormais pris une place centrale, l’État exerce un contrôle accru sur l’activité des chercheurs.

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Texte intégral

L'auteur remercie vivement Marjorie Beulay, maître de conférences à l'Université de Picardie Jules Verne, de lui avoir proposé de traiter ce sujet dans le cadre d'une journée d'études sur le thème « Que reste-t-il des libertés académiques? » 

1Il est rare d’analyser une liberté par le prisme des finances publiques1. L’article de Paul Amselek qui traite du lien entre les finances publiques et les libertés publiques reste encore une étude isolée dans la littérature financière2. Pour autant, appréhender la liberté académique à l’aune de leurs modalités de financement va de soi en raison du statut de la plupart des enseignants-chercheurs, dont le traitement (au sens de salaire), les crédits d’équipement et de fonctionnement sont financés par des deniers publics et dont l’activité est protégée par les libertés académiques. Cette focale est toutefois restée dans l’angle mort des travaux sur le lien entre l’État et les libertés universitaires essentiellement axés sur le statut et la déontologie des enseignants-chercheurs3. Mais l’analyse des libertés académiques par le prisme financier s’impose désormais. L’actualité plus ou moins récente montre que les finances peuvent être un levier parfois utilisé à l’encontre des institutions académiques. L’ancien Président américain Donald Trump avait menacé de suspendre le financement des universités qui ne respectaient pas la liberté d’expression (selon une conception qui lui était propre)4. Mutatis mutandis, le Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a suspendu le financement régional de l’IEP de Grenoble en réaction à l’affaire qui a opposé sa directrice et un Professeur d’allemand accusé de « fascisme » et d’« islamophobie »5. Au-delà de ces faits quelque peu médiatisés, le rapprochement entre finances et liberté académique a surtout été réactualisé par le sous-financement chronique des universités, et plus généralement des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ; sous-financement perçu, en France ou ailleurs6, comme une atteinte récurrente aux libertés académiques des chercheurs. On se souvient du propos d’Emmanuelle Charpentier, alors fraîchement couronnée du prix de Nobel de chimie, qui affirmait dans la presse : « les moyens financiers que j’ai à Berlin, à l’institut Max-Planck, je ne les aurais certainement pas en France »7. Cette lecture, certes pertinente, doit être dépassée, car il est nécessaire d’intégrer tous les ressorts à l’œuvre dans les modalités de financement de la recherche ayant des effets sur la liberté académique. Outre le manque de moyens, les instruments de financement induisent une reconfiguration de la recherche académique. En somme, le prisme financier interroge davantage le cadre institutionnel et les conditions matérielles de la liberté académique.

  • 8 Cons. const. déc. n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, cons. 27.
  • 9 O. Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, op. cit., p. 69 et s.
  • 10 V. sur ce point tous les travaux d’O. Beaud sur la liberté académique qui prolongent ceux de G. de (...)
  • 11 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », RDP, 2010, n° 1, p. 3.
  • 12 J.-L. Halpérin, "Les universités au sein de l’enseignement supérieur : perspectives historiques et (...)
  • 13 Ibid.
  • 14 Loi n° 68-978 du 12 nov. 1968 d'orientation de l'enseignement supérieur.

2Mais l’analyse des effets du financement de la recherche sur la liberté académique nécessite de préalablement définir les contours de ladite liberté. Or la liberté académique est, de prime abord, difficilement saisissable. Elle inclut non seulement le libre exercice de l’activité de recherche, mais aussi la liberté d’enseignement. L’analyse portera principalement sur la liberté de recherche, sans pour autant nier la proximité entre les deux activités du chercheur, tant l’une peut exercer une influence considérable sur l’autre. En outre, si, dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté académique entretient une proximité forte avec l’indépendance des enseignants-chercheurs8, elle dépasse ce cadre. Elle est aussi proche de la liberté d’expression, mais, selon l’analyse d’Olivier Beaud, elle s’en distingue9, car elle protège la production du savoir académique, non la parole publique du chercheur. Précisément, deux dimensions de la liberté académique coexistent : une dite négative selon laquelle la liberté protège la recherche de toute ingérence, publique ou privée ; une autre dite positive qui postule un cadre d’action libre pour la recherche, collective et individuelle10. Mais il faut souligner que la liberté académique est avant tout une liberté professionnelle. Partant et dans le prolongement des travaux d’André Prüm11, il est nécessaire de combiner deux niveaux d’analyse, l’un sur le cadre institutionnel, l’autre sur l’activité individuelle ou collective des universitaires, des chercheurs ou des enseignants-chercheurs. C’est dire que la liberté académique ne peut pas être déconnectée de son cadre institutionnel, et inversement. La construction des EPSCP, particulièrement des universités, est indissociable de celle de la liberté académique. Celle-ci présuppose que l’institution académique lato sensu puisse fournir un cadre de recherche libre et indépendante, qu’elle doive être préalablement dotée d’une personnalité morale autonome et qu’elle soit, en conséquence, maître de ses biens et de son budget12. La question du financement est donc centrale. Pour reprendre la métaphore du corps, le budgétaire est le nerf et le muscle de la recherche, la condition de son action. Le droit français de la recherche se caractérise par la prédominance du financement public qui s’est imposé depuis les réformes napoléoniennes et celles adoptées sous la IIIe République13. Le résultat est à la fois fragile et curieux : l’activité de recherche est financée par les fonds publics, mais protégée, au nom de la liberté académique, de toute ingérence de l’administration. La tutelle de l’État recouvre ainsi une signification singulière, bien différente de celle que l’Etat peut exercer sur d’autres entités publiques. Mais ce modèle a progressivement laissé place à un autre modèle de gouvernance de l’État, qui plonge ses racines dans des réformes anciennes, notamment la loi Faure du 12 novembre 196814, dont il faut interroger les dynamiques et les effets sur la liberté de la recherche.

  • 15 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
  • 16 Loi n° 2020-1674 du 24 déc. 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et po (...)
  • 17 V. sur ce point, J.-F. Cervel et L. Védrine, Rapport concernant l’expérimentation de la mise en œuv (...)
  • 18 J.-F. Boudet, « La grammaire lolfienne », RFDA, 2015, p. 1215.
  • 19 M. Boitier et A. Rivière, « Les systèmes de contrôle de gestion, vecteurs d’une logique gestionnair (...)
  • 20 P. Philippart, « Le transfert de la recherche publique par le chercheur fonctionnaire : le cas de l (...)
  • 21 Il est notamment question de « stratégie nationale de recherche » (SNR) prévue par la loi n° 2013-6 (...)
  • 22 Par ex. C. comptes, « Universités et territoires », Rapport public thématique, Janvier 2023.

3Une telle analyse est néanmoins confrontée à la très grande complexité et à la disparité des mécanismes actuels de financement de la recherche. En sus des modalités de financement des universités, le financement de la recherche fait intervenir de nombreux acteurs, ayant des statuts et des missions divers et variés, le tout intervenant dans un réseau à multiples niveaux. Il y a aussi les financements de la recherche stricto sensu qui complètent le financement des chercheurs et celui des projets de recherche. Surtout, l’état du droit a fait l’objet depuis plus d’une dizaine d’années de nombreuses mutations dont les deux points d’orgue ont été la loi sur l’autonomie des universités (LRU)15 et la loi de programmation de la recherche (LPR)16. Sans oublier que l’évolution du financement de la recherche s’insère également dans un mouvement plus général de refonte des administrations publiques depuis l’adoption de la LOLF du 1er août 200117. L’air du temps a changé, tout comme la sémantique employée dans les discours institutionnels sur la recherche. Proche de la « grammaire lolfienne »18, il est désormais question de logiques gestionnaires19 et entrepreneuriales20, de stratégie21, d’efficacité, d’innovations, de pilotage de la recherche22.

4Aussi, pour mieux comprendre les effets du financement public sur la liberté académique, il conviendra de partir d’une vision large pour progressivement restreindre la focale. L’analyse générale du cadre budgétaire impose un premier constat : il y a une absence de sanctuarisation du financement public de la recherche qui met à mal la liberté académique (I). De même, les mécanismes de financement des EPSCP induisent une fragilisation du cadre institutionnel peu favorable au développement de l’activité de recherche (II). Enfin, par le biais de certaines modalités de financement qui ont désormais pris une place centrale, l’État exerce un contrôle accru sur l’activité des chercheurs (III).

I-L’absence de sanctuarisation du financement public de la recherche

5L’organisation du financement public de la recherche – Aux termes de l’article L. 719-4 du code de l’éducation, une très grande partie du financement des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel provient des dotations versées par l’État. Cet énoncé est le produit d’une lente construction du droit de la recherche supérieure, au centre duquel le financement public est érigé comme la garantie d’une recherche académique libre et indépendante. De ce point de vue, il y a une filiation avec l’article 3 de la loi de 1984, dite loi Savary, suivant lequel « le service public de l’enseignement supérieur […] doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Plus précisément, le financement public est une garantie de la liberté académique – dans sa définition négative – en ce qu’il protège la recherche publique des ingérences ou immixtions, notamment privées. Toutefois, l’organisation actuelle du financement public de la recherche prête à discussion, car le droit financier n’assure pas une sanctuarisation du financement public de la recherche.

6La recherche académique est une politique publique. Son périmètre est financièrement dessiné par plusieurs programmes qui relèvent de la mission « Recherche et enseignement supérieur » : notamment le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », le programme 193 « Recherche spatiale » et le programme 190 « Recherche dans le domaine de l’énergie, du développement et de la mobilité ». En étant le support des traitements des enseignants-chercheurs, le programme 150 « Formations supérieures » contribue, certes indirectement, mais certainement, au financement de la recherche. La mission « Recherche et enseignement supérieur » n’est pas la seule à porter des crédits budgétaires au profit de la recherche publique. Au sujet particulièrement des universités, elles sont aussi financées par une autre mission » Investissement d'avenir ». Or cette dernière mission est ventilée entre différents programmes : « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche », « Valorisation de la recherche » et « Accélération de la modernisation des entreprises » (programme n° 423). Et ce dernier programme, créé en 2010, finance différents projets d'investissement dans la recherche et le développement.

  • 23 J.-C. Rabier, « Les Investissements d’Avenir : une chance pour les SHS », Mélanges de la Casa de Ve (...)
  • 24 Cons. const., déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, consid. 26.
  • 25 Quelques exemples : Cons. const., déc. n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, cons. 8 ; Cons. const., déc. (...)
  • 26 Art. 47 LOLF.
  • 27 Séance n° 1 du lundi 28 oct. 2019, XVe Législature, n° 120 A.N. (C.R.). V.aussi C. Stromboni, « Ten (...)
  • 28 Mme Fr. Vidal, Séance n° 1, du lundi 28 oct. 2019, XVe Législature, n° 120 A.N. (C.R.), p. 9878.

7Le périmètre de la mission « Investissement d’avenir » en question – D’aucuns louent l’originalité du financement de la recherche dans le cadre de la mission « Investissement d’avenir » qui provient des intérêts consommables issus de placements23. Toutefois, son périmètre interroge dans la mesure où l'investissement pouvant bénéficier aux universités est associé à celui au bénéfice des entreprises. On pourrait discuter de la cohérence des programmes au sein de cette mission. Est-ce qu’ils concourent à la même politique publique au sens de l’article 7 de la LOLF ? Des doutes subsistent, car ces deux recherches poursuivent des finalités bien différentes. Mais, même en cas de réponse négative, l’architecture de la loi de finances ne peut pas être, en tout état de cause, contestée devant le Conseil constitutionnel qui contrôle éventuellement la structure des missions, et non leur contenu24. L’absence de contrôle du Conseil constitutionnel n’est pas surprenante : la délimitation du périmètre des missions est un choix discrétionnaire et le juge constitutionnel a toujours été soucieux de préserver l’appréciation souveraine du Parlement, et de manière générale celle du politique25. Il reste que l’absence de contrôle sur le choix de réunir le financement des recherches, publique et privée, dans le même périmètre budgétaire ne protège pas le champ du financement de la recherche publique. Ce choix organise une concurrence entre les deux recherches dans la mesure où, depuis la LOLF, la notion de charge est synonyme de mission et, en conséquence, des ventilations peuvent être organisées entre ces différents programmes26. En témoigne l’amendement de la loi des finances pour l’année 2020 qui a retranché une partie des crédits ouverts au bénéfice des universités à hauteur de 20 millions d’euros au profit de la banque publique d’investissement (BPI) pour amplifier l’aide aux PME et aux start-up27. Et, pour reprendre les mots même de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche lors des débats, le financement de la BPI ne contribue plus à « financer la recherche académique »28.

  • 29 Sénat, Rapport général n° 163 (2021-2022) de V. Paoli-Gagin et M. J.-F. Rapin, fait au nom de la co (...)
  • 30 Sénat, Rapport général n° 115 (2022-2023) de V. Paoli-Gagin et M. J.-F. Rapin, fait au nom de la co (...)
  • 31 V. le dernier rapport de la Banque centrale européenne, BCE, Economic Bulletin, Issue 8/2022.
  • 32 Par ex. le programme n° 421 « Soutien du progrès de l’enseignement et de la recherche » a subi en 2 (...)
  • 33 Les exemples sont multiples. On peut citer la récente modification budgétaire qui a touché la reche (...)
  • 34 F. Cardoni « Les lois de programmation ou l’avenir mythique des finances publiques », Gestion & Fin (...)
  • 35 Arrêté du 27 décembre 2022 fixant le montant annuel des composantes indemnitaires créées par l’arti (...)

8La pluriannualité du financement de la recherche en question – La rhétorique de l’augmentation des crédits au bénéfice de la recherche et, de manière générale, au profit des EPSCP est récurrente, sans pour autant représenter une réalité. On peut, à ce sujet, relativiser l’augmentation des crédits annoncée pour l’enseignement supérieur et la recherche au titre de la loi de finances 2022 (3,4 %)29 et de la loi de finances 2023 (5,1 %)30 dans une période de forte poussée inflationniste31. De manière générale, il y a aussi un décalage entre la promesse et la réalisation, comme il y a un décalage entre la prévision et l’exécution. Des réductions de crédits peuvent classiquement intervenir soit au titre de la régulation budgétaire (annulations, reports ou gels de crédits32), soit au titre de modifications des crédits initiaux par le biais de collectifs budgétaires33. En outre, la pluriannualité incarnée par la loi de programmation de la recherche (LPR) ne possède pas de normativité renforcée. À l’instar des lois de programmation pluriannuelle, sa portée est cantonnée à des recommandations souples et à la fixation de trajectoires non contraignantes de dépense. Le Gouvernement a – et aura – toujours la possibilité de s’en écarter, surtout sur une période aussi longue de programmation budgétaire (2021/2030). Même si, depuis la loi organique du 28 décembre 2021, le Haut Conseil des finances publiques est désormais compétent sur toutes les lois de programmation, ses avis restent peu contraignants. La conclusion risque d’être la même : la pluriannualité « entretient le mythe prométhéen de la maîtrise de l’avenir », voire elle est porteuse de la promesse d’un avenir meilleur, mais ce système « se solde le plus souvent par de cruelles désillusions »34. Il y a déjà une note dissonante dans la mélodie programmatique : si l’augmentation de la composante C1 du nouveau régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC) fut bien de mise, elle s’est quelque peu écartée de la trajectoire programmatique. Elle est fixée, pour l’année 2023, à 3500 euros au lieu du montant de 3800 euros initialement prévu35.

  • 36 V. sur ce point Sénat, Rapport général fait par J.-F. Husson au nom de la commission des finances s (...)

9La structure « lolfienne » des dépenses des programmes n’est pas non plus un gage de pérennisation du financement de la recherche. Certes, s’y trouvent, comme au sein de toutes les unités de spécialité, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement. Si les autorisations d’engagement peuvent être le support de financement pluriannuel – ce qui est adapté aux projets de recherche qui s’étalent nécessairement sur plusieurs années –, elles ne constituent que la « limite supérieure des dépenses pouvant être engagées » selon l’article 8 de la LOLF. Il peut donc y avoir des variations ou des décalages au moment des concrétisations annuelles par le biais des crédits de paiement. Par exemple, les crédits de paiement de la mission « Investissement Avenir » pour l’année 2022 ont subi une baisse de 12 % par rapport à la loi de finances 2021. Particulièrement, les crédits annuels des programmes n° 424 « Financement des investissements stratégiques » et n° 425 « Financement structurel des écosystèmes d'innovation » qui relèvent du PIA 3 ont baissé d’environ 14 % pour l’année 202236.

  • 37 Des propositions de refonte de la structure financière ont été formulées par la Mission d’informati (...)

10L’état du droit est, en somme, d’une très grande complexité entretenant un certain flou sur les mécanismes de financement37. Il en ressort un éclatement des financements, voire une concurrence des établissements au sein de la recherche publique qui se manifeste également par les modalités de détermination des dotations versées aux EPSCP.

II-La fragilisation du cadre institutionnel

  • 38 Sénat, Rapport d´information de Ph. Adnot fait au nom de la commission des finances sur la prise en (...)
  • 39 Art. L. 712-9 du code de l’éduction. La dotation globale de fonctionnement est versée à toutes les (...)
  • 40 A ce sujet, la non-compensation automatique du surcoût énergétique a renforcé la position de dépend (...)

11Le financement des universités et les dotations de l’État – Dans son acception positive, la liberté académique exige un cadre institutionnel propice à l’épanouissement de la recherche. Or les institutions académiques – en premier lieu les universités – engendrent de nombreuses contraintes. Les raisons sont multiples, mais les modalités de financement y contribuent grandement. À ce titre, le premier élément à souligner concerne la détermination du montant des dotations versées par l’État. Incarnant selon certains un tournant « néo-managérial »38, la loi LRU a institué une forme d’autonomie des universités circonscrite à une définition gestionnaire et financière. Plus précisément, elle a organisé un transfert massif de moyens, immobilier et financier, au profit des universités, tout en retenant une définition de leur autonomie financière réduite à une autonomie de gestion. Subvention pour charge de service public, la dotation de l’État a acquis, par le jeu de la loi LRU, le caractère de dotation globale de fonctionnement qui englobe les moyens de fonctionnement et d’investissement, mais aussi les montants affectés à la masse salariale39. Ainsi, non sans paradoxe, la loi LRU a conduit à une plus grande dépendance des universités vis-à-vis de l’État40.

  • 41 V. par ex. Sénat, Rapport d'information de Ph. Adnot, J.-L. Dupont, Ch. Gaudin, S. Lagauche, G. Lon (...)
  • 42 Sénat, Rapport d'information de Ph. Adnot et J.-L. Dupont fait au nom de la commission de la cultur (...)
  • 43 V. sur ce point, Sénat, Rapport d´information de Ph. Adnot fait au nom de la commission des finance (...)
  • 44 Sur la genèse de la contractualisation de la gestion des universités, v. C. Musselin, La Longue Mar (...)
  • 45 Dans ce prolongement, le décret n° 2019-1200 du 20 novembre 2019 a mis en place des recteurs délégu (...)
  • 46 S. Calviac, « Le financement des universités : évolutions et enjeux », art. cité.

12Les modalités de détermination des dotations et la performance de la recherche – En raison de l’importance accrue des dotations, l’enjeu concerne plus encore les modalités de détermination de leur montant. Or, à la suite de la loi LRU, les dotations ont été calculées à partir d’un nouveau référentiel intitulé SYMPA (Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité) qui a remplacé l’ancien système « San Remo » (Système analytique de répartition des moyens). L’ancien système reposait sur deux critères : le nombre des étudiants inscrits et la superficie des bâtiments. Il a fait l’objet de vives critiques : il aurait notamment incité les universités à inscrire davantage d’étudiants au détriment de leur condition d’accueil41. Le système SYMPA s’en est distingué par la mise en place, dans le prolongement de la révision générale des politiques publiques (RGPP), des critères de performances et d’efficience des activités académiques. Mais son introduction a été quelque peu chaotique42 et il fut jugé trop mécanique. Une nouvelle réforme sous le nom de MODAL (modèle d’allocation) a été appliquée aux écoles d’ingénieur, sans pour autant être étendue à l’ensemble des EPSCP en raison de l’opposition des universités43. In fine, les deux systèmes ont été abandonnés. Du moins officiellement, car les critères de performances restent présents dans la détermination des dotations par le biais du dialogue de gestion. En sus de la dotation générale de fonctionnement, les universités reçoivent des dotations dites « contractuelles » négociées tous les 5 ans et qui représentent environ 20 % des moyens des universités, c’est-à-dire une part loin d’être négligeable dans une période de tension budgétaire44. Depuis la loi du 22 juillet 2013, le cadre contractuel prend la forme des « contrats de site » qui ont remplacé les « contrats d’établissement » afin d’embrasser le regroupement des EPSCP. Interlocutrice des universités, la DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle)45 se fonde sur toute une série d’éléments statistiques, tels que le nombre d’étudiants inscrits, la réussite des étudiants, le taux d’encadrement et le plafond d’emploi prévu par le budget de l’État, mais également sur des informations propres à la recherche : nombre d’enseignements-chercheurs, nombre des lauréats de l’institut universitaire de France (IUF), nombre de doctorants, nombre de thèses qualifiées au CNU. Des indicateurs permettent enfin de mesurer les moyens matériels alloués à la recherche. L’objectif est en somme « d’établir une carte d’identité de l’université et de la comparer à d’autres établissements »46.

  • 47 I. Bruno et E. Didier, Benchmarking. L'État sous pression statistique, La Découverte, coll. « Zones (...)

13La détermination pluriannuelle des dotations par la voie contractuelle semble être, de prime abord, un cadre plus protecteur que celui de la programmation budgétaire annuelle. Fort d’une portée normative accrue – à l’instar des contrats dits « Cahors » conclus entre l’État et les collectivités territoriales –, ce système cristallise sur plusieurs années un niveau de dépense et, en conséquence, il est un facteur de limitation des ingérences de l’État. Mais, d’un autre point de vue, ce système de financement interroge. Les anciens référentiels (notamment SYMPA) présentaient au moins la vertu d’objectiver les critères permettant de mesurer la qualité de la recherche d’un établissement. Au contraire, le système actuel se caractérise par une certaine opacité entourant les critères de performance, tant s’agissant de leur signification que de leur portée dans les dialogues de gestion. L’État reste donc maître de leur utilisation. En outre, au-delà des difficultés inhérentes à l’évaluation de l’action publique47, mesurer la performance de la recherche se heurte à la spécificité de l’activité académique, dont les produits et les retombées ne sont pas immédiats et suivent souvent un chemin sinueux. À ce titre, il faut remarquer que les critères utilisés sont essentiellement « institutionnels » et quantitatifs (nombre de thèses qualifiées, de doctorants ou d’enseignements-chercheurs). Ils ne mesurent qu’une certaine performance de la recherche, et non sa qualité lato sensu. Au surplus, en combinant performance, pilotage et dialogue de gestion, le système organise, bon gré mal gré, une concurrence entre les opérateurs académiques et engendre des inégalités entre les établissements. Les conditions d’exercice de la recherche varient nécessairement en fonction du cadre institutionnel du chercheur, d’autant plus que la performance engendre la performance. Un établissement « performant » bénéficiera de moyens supplémentaires lui permettant de renforcer sa position vis-à-vis des autres institutions académiques. Par exemple, la capacité de financer des doctorats améliore en toute évidence le nombre de thèses qualifiées par le CNU, et ainsi de suite.

  • 48  V. sur ce point C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsab (...)
  • 49 V. sur ce point, M. Faure, Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de l’é (...)
  • 50 V. sur ce point, C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsab (...)
  • 51 O. Beaud, « Les libertés universitaires, in Ch. Fortier (dir.), Université, universités, op. cit.
  • 52 Art. 7 du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables (...)

14Une détérioration des conditions de travail – Pour revenir à la dotation générale de fonctionnement versée aux EPSCP, celle-ci est calculée en grande partie en fonction du nombre d’étudiants. Même si l’ancien système SYMPA aménageait une place à la performance de la recherche, les effectifs restaient le critère principal en représentant plus 80 % du montant de la dotation. L’économie du système a été préservée et le calcul se fonde encore très majoritairement sur ces éléments statistiques. Pourtant, de nombreuses études constatent une détérioration du taux d’encadrement, notamment dans les universités, et une baisse des moyens par étudiant. La raison est simple : la reconduction statique des crédits chaque année a engendré une décorrélation progressive entre le nombre grandissant des étudiants – les universités ont été confrontées à une augmentation de 9,6 % d’étudiants depuis les 5 dernières années48 – et les moyens alloués par l’État49. La conséquence est bien connue : la charge d’enseignement pèse plus lourdement sur le corps des enseignants-chercheurs. En témoigne l’augmentation générale des heures complémentaires, particulièrement dans les filières sous tension50. Aussi l’enseignant doit assumer davantage de charges administratives et d’enseignement qui parasitent son activité de recherche, qui implique pourtant une temporalité plus longue, sanctuarisée et libérée des contraintes internes et externes. Le propos d’Olivier Beaud résume parfaitement le quotidien d’une très grande majorité d’universitaires : avec « son scandaleux sous-encadrement administratif, le réformisme institutionnel a eu pour effet, au cours des trente dernières années, de réduire drastiquement le temps libre de l’universitaire pour le transformer en un homme Protée censé savoir tout faire : du secrétariat administratif au management d’équipe, en passant par l’enseignement sans oublier, éventuellement, la recherche réduite de plus en plus à la portion congrue et à partir de laquelle pourtant il est évalué ! »51. La réalité du travail d’un universitaire est désormais loin du cadre fixé par l’article 7 du décret du 6 juin 1984, pourtant toujours en vigueur, selon lequel le temps du travail est réparti équitablement entre le temps d’enseignement et celui de la recherche52.

  • 53 Loi du 10 mai 1806 relative à la formation d'une université impériale, et aux obligations particuli (...)
  • 54 Loi du 10 juill. 1896 relative à la constitution des Universités.
  • 55 V. le dernier rapport en date du Conseil d’analyse économique porté par G. Fack et E. Huillery qui (...)

15La concurrence des financements publics – Les modalités de détermination des dotations par l’État conduisent finalement à creuser les écarts entre les établissements, tout en induisant un sous-financement chronique pour la plupart d’entre eux. La distinction, instituée par les lois napoléoniennes53 et républicaines54, entre les Universités et les grandes écoles portait en germe la possibilité d’une différence de traitement entre les institutions académiques qui s’est accentuée et déclinée au fil des réformes. La rhétorique actuelle faisant la promotion de l’effort « historique » à destination de la recherche cache des réalités très disparates. Ce constat est proche de celui fait sur les variations de coût par étudiant en fonction des formations et des établissements55. L’augmentation des crédits, qui sont essentiellement des moyens de recherches compétitives, bénéficie à une vingtaine d’établissements sur la centaine existante. L’administration oriente les fonds publics et sélectionne les établissements bénéficiaires et, chemin faisant, elle assure un contrôle accru sur l’activité de recherche.

III-Le contrôle accru sur l’activité de recherche

  • 56 V. sur ce point, J. Aust, « Financer la recherche sur projet. Figures historiques d’un dispositif d (...)
  • 57 V. sur ce point, A. Jacq, « Les nouveaux modes de pilotage de la recherche : quels effets ? Le sémi (...)
  • 58 Décret n° 91-819 du 26 août 1991 relatif à l'Institut universitaire de France.
  • 59 M.-C. Maurel, « Le financement de la recherche sur projet, facteur d’évolution de l’Institut univer (...)

16Au fondement du pilotage de l’État – Le pilotage de la recherche est loin d’être une création récente. En lien avec la planification, il existait des mécanismes de financement sur contrats de 1960 à 1981 entre les mains de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST)56, service placé sous l’autorité du 1er ministre. En raison de l’opposition du ministère de l’Éducation nationale et du CNRS, soucieux de préserver leur compétence, ce mécanisme de financement ne pouvait pas dépasser 10 % de l’ensemble du financement de la recherche. Mais il a progressivement pénétré les esprits. Dans les années 70, le CNRS et l’INSERM mettent en place des « actions thématiques programmées », mécanismes similaires pour piloter en interne leur recherche57 et pour développer des stratégies académiques. La création en 1991 de l’Institut universitaire de France58 se réclame, peu ou prou, de la même logique. Les lauréats sont « la reconnaissance de l’excellence académique » dans le cadre « d’une compétition inscrite dans un cadre normatif »59.

  • 60 V. sur ce point, v. M. Bollecker, « La réforme de l’université en France et son impact sur le manag (...)
  • 61 BVerfG, 7 août 2007, 1 BvR 2667/05.
  • 62 S. Calviac, « Le financement des universités : évolutions et enjeux », art. cité.
  • 63 L’organisme possède le statut d’établissement public administratif depuis le décret n° 2006-963 du (...)
  • 64 La gestion de l’ANR du programme « Investissement d’avenir » s’est déroulée par étape : PIA 1 : 22, (...)

17Les jalons sont posés et le mouvement s’accentue sous l’impulsion de la nouvelle gestion publique qui plonge ses racines dans l’économie institutionnelle et dans les théories du choix social60. Le droit français a suivi un processus déjà largement entamé dans d’autres pays, à l’image de l’Allemagne qui introduit des mécanismes de financement connus sous le terme d’« exzellenzinitiative ». La question est sensible, car une tension existe entre la stratégie menée par l’État sur la recherche au nom de l’intérêt national et la préservation de la liberté académique. Par exemple, la Cour constitutionnelle allemande a admis que l’État puisse décider de ne plus subventionner des institutions de recherche et d'enseignement ou de les restructurer pour répondre à des choix de stratégies nationales61. Par analogie avec le droit français, le principe de mutabilité du service public, motif d’intérêt général, pourrait justifier l’atteinte à la liberté académique. Il reste que le pilotage de l’État s’est, depuis la loi LRU, renforcé. Il en résulte que « la gouvernance et le contrôle de l’État ont cédé le pas à une supervision »62. Le point de bascule a été la création de l’Agence nationale de la recherche en 200563. Son érection répondait au souci de rationaliser et de centraliser le financement de la recherche. L’organisation a acquis une dimension supplémentaire en étant investie de la gestion du programme « Investissement d’avenir » (PIA)64. Des dispositifs (Labex, Idex, Idefi, Equipex) fleurissent parallèlement pour identifier les organismes lauréats des financements sélectifs et pour leur fournir une structure adéquate. Pour parachever le nouvel édifice, ces différents instruments sont complétés par les nouvelles agences d’évaluation de la recherche (AERES puis HCERES). Au fondement du pilotage financier de la recherche, la nouvelle gestion publique a été enrichie par la culture issue du monde industriel et de l’ingénierie. La logique est bien l’innovation et l’excellence par la compétition (ou par la concurrence), nouveau paradigme managérial de la recherche. Ce modèle se diffuse dans tous les rouages administratifs de la recherche. L’appel à projets se généralise en ce qui concerne tant les relations entre les EPSCP et les collectivités territoriales que l’organisation interne des universités. La plupart des COMUE (les communautés d’universités et établissement qui ont remplacé les PRES) mobilisent des mécanismes sélectifs pour labéliser et financer des travaux de recherche qui s’insèrent dans la stratégie scientifique de l’établissement.

  • 65 J. Aust, H. Mazoyer, et Ch. Musselin, « Se mettre à l’IDEX ou être mis à l’index. Conformations, ap (...)
  • 66 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », préc.
  • 67 A. Jacq, « Les nouveaux modes de pilotage de la recherche : quels effets ? Le séminaire 2014-2015 d (...)
  • 68 A.-C. Ollivier, « Chapitre 3. Modalités de financement public de la RDI. Le financement sur projet  (...)

18L’orientation de la recherche – Le nouveau système conduit « à hiérarchiser le système académique français »65 dans son ensemble et il offre aussi à l’administration un nouveau levier d’intervention : en conditionnant ses dotations, elle peut exercer « une influence déterminante sur le spectre d'activités »66 d’un EPSCP. Aussi les chercheurs sont incités à davantage développer des trajectoires de recherche guidées par les opportunités de financement67 et l’attention est principalement portée sur des travaux dont les innovations sont préalablement identifiées et réclamées au nom des différentes stratégies menées au niveau national ou local. Mais les effets du pilotage administratif sur la liberté académique ne se limitent pas à ce constat. Derrière l’affichage de l’augmentation générale du financement de la recherche, se dévoile un changement d’équilibre : le financement par appels à projets sous l’égide de l’ANR est privilégié au détriment du financement de la ressource humaine (ou, dit autrement, le « financement de base »68), comme les emplois non permanents liés à des projets sont privilégiés au détriment des emplois permanents. Par exemple, il était prévu dans le cadre de la loi de finances pour 2022 que le CNRS subisse une diminution de 128 emplois en temps plein travaillé (ETPT) sous plafonds, alors que parallèlement il devait bénéficier d’une augmentation de 995 ETPT hors plafond (CDI, contrats doctoraux, chaires de Professeur junior). Il s’agit tout autant de la question du financement que de celle de la dynamique profonde de réorganisation de la recherche opérée par l’État.

  • 69 Ord. n° 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l'expérimentation de nouvelles formes de rapproche (...)
  • 70 C. comptes, Universités et territoires, préc., p. 28.

19En outre, les conditions fixées dans les appels à projets et le jeu de la compétition impliquent des regroupements ou des collaborations qui dépassent souvent le périmètre strictement académique (les groupements comprennent souvent des EPSCP, des collectivités territoriales et des entreprises). Les regroupements se construisent parfois à partir de la création d’établissement bénéficiant d’un statut dérogatoire permis par l’État69 ; statut qui, pour reprendre les mots de la Cour des comptes, « achève l’éclatement du concept unifié d’université »70.

  • 71 V. sur ce point, E. Breton, « Répondre à l'appel (à projets). Récits d'un apprentissage silencieux (...)

20Pour obtenir des financements, l’activité collective de recherche s’impose, ce qui tranche avec la liberté académique qui présuppose la liberté de déterminer le cadre de la recherche. Toujours dans cette optique, lorsque la recherche est financée par des appels à projets, elle est soumise à des conditions particulières, elle est contrainte par des exigences bureaucratiques et elle est enfermée dans une temporalité singulière. Les chercheurs doivent répondre régulièrement à des évaluations, produire des rapports et réaliser les objectifs sur une période plus ou moins courte71.

  • 72 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », préc.
  • 73 C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités, préc.

21Conclusion – Si les différents constats sont tous unanimes sur les difficultés qui pèsent sur la recherche, les pistes de réflexion prêtent à la discussion. Le leitmotiv est celui du renforcement de l’autonomie des EPSCP. Pour se libérer de la contrainte de l’État, une des réponses, souvent invoquée, est la diversification des financements, particulièrement privés. Mais une telle proposition n’emporte pas la conviction pour la raison, bien connue, que la recherche serait, le cas échéant, dépendante des acteurs privés qui la financent. Il faut néanmoins préciser que les EPSCP ont déjà entamé un processus de diversification des financements. Près de 22 % de leurs ressources proviennent du secteur privé, un pourcentage plus élevé que celui des systèmes allemand, suédois ou autrichien72. Une autre piste envisage une diversification des ressources propres à partir de la gestion patrimoniale73. Mais une telle piste se heurte à la réalité des EPSCP, particulièrement des universités, qui souffrent d’un problème de saturation de leurs locaux. Quoi qu’il en soit, les établissements restent largement tributaires du financement public et c’est dans ce cadre que leur autonomie doit être (re)pensée. Tout l’enjeu concerne la détermination d’un seuil suffisant de moyens pour que toute recherche puisse s’exercer pleinement et la définition des critères de performances permettant d’embrasser la grande diversité des champs académiques. La production du savoir, objectif bien plus large que l’innovation, en sortirait renforcée.

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Notes

1 Hormis bien sûr les études consacrées au principe de consentement de l’impôt et à la légalité fiscale.

2 P. Amselek, « Peut-il y avoir un Etat sans finances ? », RDP, 1983, n° 2, p. 267.

3 G. Vedel, « Les libertés universitaires », Revue de l’enseignement supérieur, 1960, p. 128 ; J. Imbert, « Sur le statut particulier des enseignants (1800-1980) », RDP, 1983, p. 6 ; S. Rials, « Du métier d’universitaire », Revue Administrative, n° 291, juin 1996, p. 291 ; J. Mourgeon, « La déontologie de l’universitaire », M. Hecquard-Theron (dir.), Déontologie et droit, Presses de l’IEP Toulouse ; S. Caporal, « Des libertés universitaire », Pouvoir et libertés. Études offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 547.

4 https://www.reuters.com/article/us-california-ucberkeley-protests-trump-idUSKBN15I06N. Toutefois, La menace de suspension de financement par le Président Trump ne reposait sur aucun cadre juridique.

5 https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/21/science-po-grenoble-denonce-une-decision-politique-apres-la-suspension-de-financements-regionaux_6106913_3224.html.

6 Pour ex. au Québec, A. Surprenant, « Financement et liberté académique : la recherche universitaire au Québec », Revue L’esprit libre, 28 déc. 2020.

7 « Emmanuelle Charpentier prix Nobel : pourquoi les chercheurs fuient la France », RTL, 8 oct. 2020 (https://www.rtl.fr/actu/economie-consommation/emmanuelle-charpentier-prix-nobel-pourquoi-les-chercheurs-fuient-la-france-7800890981). Il faut toutefois relativiser son propos. Le manque de moyen n’est pas l’unique raison de son départ de la France. Il faut évoquer les contraintes liées à la loi sur la bioéthique. V. sur ce point, O. Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, PUF, 2021, p. 55 et 56.

8 Cons. const. déc. n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, cons. 27.

9 O. Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, op. cit., p. 69 et s.

10 V. sur ce point tous les travaux d’O. Beaud sur la liberté académique qui prolongent ceux de G. de Humboldt, la déclaration de 1915 de l’Association américaine des Professeurs d’Université (AAUP) ou la recommandation de 2006 du Conseil de l’Europe (Recommandation n° 1762 (2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) : O. Beaud, Les libertés universitaires à l’abandon ?, Dalloz, coll. « Le sens du droit », 2010 ; « Les libertés universitaires, in Ch. Fortier (dir.), Université, universités, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 315.

11 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », RDP, 2010, n° 1, p. 3.

12 J.-L. Halpérin, "Les universités au sein de l’enseignement supérieur : perspectives historiques et comparées", in Charles Fortier (dir.), Université et universités, 2010, op. cit., p. 232.

13 Ibid.

14 Loi n° 68-978 du 12 nov. 1968 d'orientation de l'enseignement supérieur.

15 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

16 Loi n° 2020-1674 du 24 déc. 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.

17 V. sur ce point, J.-F. Cervel et L. Védrine, Rapport concernant l’expérimentation de la mise en œuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances dans l’enseignement supérieur, Rapport MEN, janv. 2006, n° 2006-001.

18 J.-F. Boudet, « La grammaire lolfienne », RFDA, 2015, p. 1215.

19 M. Boitier et A. Rivière, « Les systèmes de contrôle de gestion, vecteurs d’une logique gestionnaire : changement institutionnel et conflits de logiques à l’université », Comptabilité Contrôle Audit, vol. 22, n° 3, 2016, p. 47.

20 P. Philippart, « Le transfert de la recherche publique par le chercheur fonctionnaire : le cas de la loi sur l'innovation », Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 2, n° 1, 2003, p. 43.

21 Il est notamment question de « stratégie nationale de recherche » (SNR) prévue par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche : NOR : ESRJ1304228L.

22 Par ex. C. comptes, « Universités et territoires », Rapport public thématique, Janvier 2023.

23 J.-C. Rabier, « Les Investissements d’Avenir : une chance pour les SHS », Mélanges de la Casa de Velázquez, 47-1, 2017, p. 349.

24 Cons. const., déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, consid. 26.

25 Quelques exemples : Cons. const., déc. n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, cons. 8 ; Cons. const., déc. n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, cons. 6 ; Cons. const., déc. n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, cons. 9 ; Cons. const., déc. n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, cons. 14.

26 Art. 47 LOLF.

27 Séance n° 1 du lundi 28 oct. 2019, XVe Législature, n° 120 A.N. (C.R.). V.aussi C. Stromboni, « Tension entre le gouvernement et les universités sur la question des budgets », Le Monde, 04 nov. 2019 (https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/04/tension-autour-du-budget-des-universites_6017957_3224.html)

28 Mme Fr. Vidal, Séance n° 1, du lundi 28 oct. 2019, XVe Législature, n° 120 A.N. (C.R.), p. 9878.

29 Sénat, Rapport général n° 163 (2021-2022) de V. Paoli-Gagin et M. J.-F. Rapin, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 nov. 2021.

30 Sénat, Rapport général n° 115 (2022-2023) de V. Paoli-Gagin et M. J.-F. Rapin, fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 nov. 2022.

31 V. le dernier rapport de la Banque centrale européenne, BCE, Economic Bulletin, Issue 8/2022.

32 Par ex. le programme n° 421 « Soutien du progrès de l’enseignement et de la recherche » a subi en 2021 différentes annulations (annulation nette de 158 M€ en AE et 38 M€ en CP). Ces fonds ont été reventilés vers d’autres programmes, notamment le n° 423 « Sociétés de projets industriels ». V. sur ce point, Projet de loi de finances rectificatives pour 2021, n° 4629. Pour l’année 2022, la mission « Recherche et enseignement supérieur », « l’exécution a été marquée par la réduction temporaire des crédits de la réserve de précaution des programmes de la MIRES, à la suite des annulations du décret d’avance n° 2022-512 du 7 avril 2022 pour gager l’ouverture de crédits visant à répondre à la hausse des prix de l’énergie et aux conséquences de la guerre en Ukraine » (C. comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2022. Mission « Recherche et enseignement supérieur », avril 2023, p. 8. Autrement dit, l’annulation des crédits a servi à compenser l’ouverture des crédits pour compenser l’augmentation du coût de l’énergie.

33 Les exemples sont multiples. On peut citer la récente modification budgétaire qui a touché la recherche supérieure agricole. Cette dernière a subi une annulation de crédits à hauteur de 2 267 883 euros au titre d’une loi de finances rectificative pour l’année 2021.

34 F. Cardoni « Les lois de programmation ou l’avenir mythique des finances publiques », Gestion & Finances Publiques, n° 1, 2021, p. 43.

35 Arrêté du 27 décembre 2022 fixant le montant annuel des composantes indemnitaires créées par l’article 2 du décret no 2021-1895 du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs : NOR : ESRH2237007A.

36 V. sur ce point Sénat, Rapport général fait par J.-F. Husson au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale pour 2022, 18 nov. 2021, n° 163.

37 Des propositions de refonte de la structure financière ont été formulées par la Mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF) de l’Assemblée nationale, mais elles n’ont jamais été reprises. V. sur ce point, C. comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2019. Mission « Recherche et enseignement supérieur », avril 2019.

38 Sénat, Rapport d´information de Ph. Adnot fait au nom de la commission des finances sur la prise en compte de la performance dans le financement des universités, n° 130 (2019-2020), 19 nov. 2019, p. 19.

39 Art. L. 712-9 du code de l’éduction. La dotation globale de fonctionnement est versée à toutes les universités qui ont accédé aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE) prévues par la loi LRU. Depuis le 1er janvier 2013, toutes les universités ont acquis ce statut. V. sur ce point, S. Calviac, « Le financement des universités : évolutions et enjeux », RFAP, vol. 169, n° 1, 2019, p. 51.

40 A ce sujet, la non-compensation automatique du surcoût énergétique a renforcé la position de dépendance des universités vis-à-vis des universités. Certes, la loi de finances pour l’année 2023 a institué un fonds de compensation, mais cela signifie que le surcoût sera compensé en gestion, et non intégré dans la dotation générale de fonctionnement, obligeant les établissements à d’abord piocher dans leurs fonds de roulement pour ensuite demander, si besoin, une compensation auprès de l’État qui restera maître de la détermination de son montant.

41 V. par ex. Sénat, Rapport d'information de Ph. Adnot, J.-L. Dupont, Ch. Gaudin, S. Lagauche, G. Longuet et Ph. Richert fait au nom de la Commission des affaires culturelles et de la commission des finances, n° 382 (2007-2008), 10 juin 2008.

42 Sénat, Rapport d'information de Ph. Adnot et J.-L. Dupont fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances, n° 532 (2008-2009), 7 juill. 2009.

43 V. sur ce point, Sénat, Rapport d´information de Ph. Adnot fait au nom de la commission des finances sur la prise en compte de la performance dans le financement des universités, n° 130 (2019-2020), 19 nov. 2019.

44 Sur la genèse de la contractualisation de la gestion des universités, v. C. Musselin, La Longue Marche des universités françaises, chap. 5, PUF, 2001 ; M. Vasconcellos, L’enseignement supérieur en France, PUF, La découverte, coll. « Repères », p. 63 et s.

45 Dans ce prolongement, le décret n° 2019-1200 du 20 novembre 2019 a mis en place des recteurs délégués à l’enseignement supérieur dans 7 régions.

46 S. Calviac, « Le financement des universités : évolutions et enjeux », art. cité.

47 I. Bruno et E. Didier, Benchmarking. L'État sous pression statistique, La Découverte, coll. « Zones », 2013, p. 175 et s. ; J.-F. Calmette, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : un texte, un esprit, une pratique », RFAP, 2006/1 (n° 117), p. 4.

48  V. sur ce point C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités, oct. 2021, p. 12.

49 V. sur ce point, M. Faure, Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2012, t. IX, Recherche et enseignement supérieur, Enseignement supérieur et vie étudiante, 12 oct. 2011.

50 V. sur ce point, C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités, préc., p. 13. V. aussi Le Monde, « De retour à l’université, la lassitude des enseignants-chercheurs face à la ‘’gestion de la pénurie’’« , 28 sept. 2021.

51 O. Beaud, « Les libertés universitaires, in Ch. Fortier (dir.), Université, universités, op. cit.

52 Art. 7 du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences.

53 Loi du 10 mai 1806 relative à la formation d'une université impériale, et aux obligations particulières des membres du corps enseignant.

54 Loi du 10 juill. 1896 relative à la constitution des Universités.

55 V. le dernier rapport en date du Conseil d’analyse économique porté par G. Fack et E. Huillery qui prolonge une littérature déjà très abondante sur cette thématique. G. Fack et E. Huillery, Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 68, Déc. 2021.

56 V. sur ce point, J. Aust, « Financer la recherche sur projet. Figures historiques d’un dispositif de gouvernement », Genèses, 2014, n° 94/1, p. 2.

57 V. sur ce point, A. Jacq, « Les nouveaux modes de pilotage de la recherche : quels effets ? Le séminaire 2014-2015 du Centre d’Alembert de l’Université Paris-Sud », Natures Sciences Sociétés, vol. 24, n° 4, 2016, p. 371.

58 Décret n° 91-819 du 26 août 1991 relatif à l'Institut universitaire de France.

59 M.-C. Maurel, « Le financement de la recherche sur projet, facteur d’évolution de l’Institut universitaire de France », Mélanges de la Casa de Velázquez, 2017, 47-1, p. 347.

60 V. sur ce point, v. M. Bollecker, « La réforme de l’université en France et son impact sur le management des établissements : une transformation en accordéon », RFAP, 2021/3 (N° 179), p. 715. V. aussi pour une analyse étrangère, A. Schenker-Wicki et M. Hürlimann, « Universités suisses : échec ou succès du financement fondé sur les résultats ? Analyse a posteriori », Politiques et gestion de l'enseignement supérieur, 2006/1, n° 18, p. 61.

61 BVerfG, 7 août 2007, 1 BvR 2667/05.

62 S. Calviac, « Le financement des universités : évolutions et enjeux », art. cité.

63 L’organisme possède le statut d’établissement public administratif depuis le décret n° 2006-963 du 1er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche.

64 La gestion de l’ANR du programme « Investissement d’avenir » s’est déroulée par étape : PIA 1 : 22,5 Md€ sur les 35 milliards du Programme ; PIA 2 : 4,5 Md€ sur les 12 milliards prévus ; PIA 3 : 2,85 Md€ sur les 10 milliards prévus ; PIA 4 (en cours) : plus de 8 Md€ sur les 20 milliards prévus.

65 J. Aust, H. Mazoyer, et Ch. Musselin, « Se mettre à l’IDEX ou être mis à l’index. Conformations, appropriations et résistances aux instruments d’action publique dans trois sites d’enseignement supérieur », Gouvernement et action publique, vol. 7, n° 4, 2018, p. 9.

66 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », préc.

67 A. Jacq, « Les nouveaux modes de pilotage de la recherche : quels effets ? Le séminaire 2014-2015 du Centre d’Alembert de l’Université Paris-Sud », préc.

68 A.-C. Ollivier, « Chapitre 3. Modalités de financement public de la RDI. Le financement sur projet », in J. Lesourne (dir.), La Recherche et l’Innovation en France. FutuRIS 2013, Odile Jacob, 2013, p. 43.

69 Ord. n° 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l'expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Par ex. Décret n° 2022-1536 du 8 décembre 2022 portant création de l'Université Toulouse Capitole et approbation de ses statuts : NOR : ESRS2226136D.

70 C. comptes, Universités et territoires, préc., p. 28.

71 V. sur ce point, E. Breton, « Répondre à l'appel (à projets). Récits d'un apprentissage silencieux des normes de l'action publique patrimoniale », Politix, vol. 105, n° 1, 2014, p. 213.

72 A. Prüm, « Les facultés de droit dans la réforme universitaire », préc.

73 C. comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités, préc.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélien Camus, « La liberté académique et le financement de la recherche »La Revue des droits de l’homme [En ligne], 24 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 26 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/revdh/18060 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.18060

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Auteur

Aurélien Camus

Aurélien Camus est maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre et membre du Centre de recherche en droit public (EA 381). Il a notamment co-écrit un ouvrage en droit en comptabilité publique publié aux éditions des PUF et il co-dirige la chronique de droit public financier dans la revue Droit administratif chez LexisNexis.

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