Cher Mustafa Mohiqi, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien pour la Revue des droits de l’homme. Avant toute chose, pourriez-vous en quelques mots nous rappeler le contexte de votre présence en France et à Paris ?

Je m'appelle Mohammad Mustafa Mohiqi, je suis avocat, professeur d’université et titulaire d'un doctorat en droit privé en Afghanistan. J'ai été également membre de l'Association Afghane des Droits de l'Homme. Après l'arrivée au pouvoir des talibans, j'ai dû, face aux menaces qui pesaient sur moi, quitter l'Afghanistan. Aujourd'hui, je suis réfugié en France et je travaille comme chercheur à l'Université Paris-Est Créteil.

Grâce aux démarches du Doyen Laurent Gamet et du professeur Noé Wagener, j’ai été accueilli en septembre 2022 à la Faculté de Droit de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC) dans le cadre du programme PAUSE (Programme national d’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil). Ce programme, cofinancé par l’Université Paris-Est Créteil et par le Collège de France permet à des chercheuses et des chercheurs contraints à l’exil de continuer à exercer leur profession. J’ai ainsi rejoint le laboratoire Marchés Institutions Libertés pour poursuivre mes recherches.

Je suis très sensible à l’environnement chaleureux de la Faculté de droit de l’UPEC et à l’accueil sincère de mes collègues. Il me tient à cœur de remercier en particulier le Doyen et professeur Laurent Gamet, les professeurs Noé Wagener, Manon Altwegg-Boussac et Stéphane De La Rosa Fernandez. Je tiens également à remercier Carole Torriero et Ghyslaine Gauthier ainsi que Léa Pougnet qui m’ont permis d’apprendre et de parler le français.

Le retour des talibans a détruit toute trace de lutte pour l’émancipation des femmes afghanes. Pouvait-on parler d’un acquis pour les femmes afghanes ?

Durant vingt ans, avant l’arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, le régime politique, aux côtés des forces de l’OTAN, a connu une certaine stabilité. La nouvelle constitution a posé les conditions d’émancipation des femmes afghanes. Sur ces bases, et pendant deux décennies, elles ont pu progressivement construire leur vie sociale et retrouver l’espoir d’une vie libre.

Si l'éducation des jeunes filles afghanes a été l'une des réalisations majeures, l’amélioration de leur condition de vie est allée bien au-delà : les femmes sont entrées dans la société. On leur a reconnu le droit de travailler et de participer au destin de leur société. Elles ont été employées, ont occupé des postes gouvernementaux, sont devenues ministres, parlementaires, maires, avocates, juges et professeures d'université.

L’intégration des femmes afghanes dans la société a également trouvé un fondement juridique. La constitution afghane est en effet fondée sur l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Comme l’énonce le vingt-deuxième article de la constitution, toute forme de discrimination est interdite. Les femmes et les hommes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs devant la loi. En outre, la constitution afghane reconnaît les traités et accords internationaux. Conformément à son septième article, le gouvernement afghan doit respecter la Charte des Nations unies, les traités internationaux et la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Et tout a été détruit…

Après leur retour à Kaboul le 15 août 2021, les talibans se sont empressés de détruire vingt ans d'avancées en matière de droits des femmes. Aujourd'hui, les femmes afghanes sont prisonnières des interdictions imposées par les talibans et luttent désespérément.

Les talibans nient le droit des femmes à la liberté. Sous leurs ordres, elles sont tenues de porter les vêtements choisis par le régime. Avec ces restrictions, les talibans, en plus de supprimer l'identité des femmes, ont fait disparaître leur visage de la société. 

Les Nations unies ont insisté sur une autre dimension de la négation des femmes afghanes. Cette négation totale menace leur survie mentale. Des nouvelles quotidiennes de suicides de femmes sont publiées en Afghanistan.

Le caractère total et systématique de cette négation a pour effet voulu l’isolement radical du pays sur la scène internationale. Dans ces circonstances on peut se demander si on peut encore placer quelque espoir dans le droit.

Bien que l'Afghanistan adhère à toutes les conventions internationales portant déclaration des droits et libertés, les droits des femmes sont massivement bafoués par la législation des talibans.

Avec le retour des talibans, l'Afghanistan est le seul pays au monde où les femmes se voient explicitement refuser le droit à l'éducation. Sous ce régime, elles sont interdites d'école, d'université et de toute formation. Ces interdictions sont absolues. Or, le droit à l'éducation est l'un des droits fondamentaux de l'homme, souligné à l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. 

Les femmes afghanes se sont vu refuser le droit de travailler. Elles qui travaillaient dans les ministères, dans les tribunaux, dans l’administration, dans la police ou à l’université ont été licenciées sur ordre des talibans. Un récent ordre du chef suprême des talibans leur interdit de travailler, quel que soit le domaine, même au sein des institutions étrangères et des organisations humanitaires. Les talibans ont privé les femmes afghanes de cet accès au travail sous prétexte que c’est contraire à l’Islam. Pourtant, la religion n'interdit pas l'activité économique des femmes : dans d’autres pays musulmans, elles travaillent. Les femmes qui vivent seules et doivent subvenir seules aux besoins de leur famille sont brutalement affectées. Il arrive que ces femmes mendient ou vendent leurs enfants, y compris leurs filles. 

La violation des droits des femmes s’accompagne de leur négation politique. La participation politique des femmes a été complètement détruite par le régime des talibans. Plus aucune d’entre elles ne siège au sein du gouvernement. Elles ont été complètement exclues de la scène politique de l’Afghanistan. Ce droit des femmes à participer à la vie politique de la société est pourtant clairement énoncé dans les textes internationaux. L'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme fait notamment référence au droit de participation politique de tous les membres de la société, y compris les femmes.

La liberté de mouvement leur est également niée. Sans leur père, leur mari ou leur frère, elles ne sont pas autorisées à se déplacer à l’intérieur du pays ni à l’étranger. Elles ne peuvent pas se rendre auprès d’une administration, des hôpitaux ou encore des centres de santé. Ces mesures cruelles privent ainsi les femmes afghanes de tout accès aux services sociaux et sanitaires. Elles frappent là encore aussi les femmes qui vivent seules et doivent s’occuper seules de leur famille. Ces interdictions violent ouvertement l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme portant droit de circulation.

Toute forme de contestation est sévèrement réprimée. Aujourd'hui, en Afghanistan, les femmes qui se rassemblent et manifestent pour défendre leurs droits sont arrêtées, torturées et tuées par les talibans. La liberté de réunion et de manifestation, un des droits fondamentaux reconnus par l'article 20 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et par l'article 21 du Pacte sur les droits civils et politiques, n’a plus d’objet. 

Et l’on s’accoutume à cette situation

1La communauté internationale doit prendre des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin à ce régime. Qu’il s’agisse des Nations Unies ou bien des gouvernements, en particulier celui de la France, pays des droits de l'Homme et de l'égalité, ils doivent tous unir leurs efforts pour contraindre par divers moyens diplomatiques et économiques les talibans à cesser cette destruction violente de l’identité des femmes et rétablir leurs droits. Les médias nationaux doivent sans cesse s’atteler à rendre compte de cette situation tragique pour que les peuples du monde n’abandonnent pas, ne laissent pas les femmes afghanes seules.