Vaccination obligatoire pour les résidents d’Ehpad : vers une vision âgiste de la prévention ?
Résumés
Parmi les mesures prévues dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, il y a l’obligation vaccinale contre la grippe des personnes résidant en Ehpad. Alors que l’obligation qui existe théoriquement pour les professionnels exerçant dans les établissements de santé et les Ehpad n’a jamais été mise en œuvre depuis 2005, le fait que le Gouvernement envisage d’imposer cet acte prophylactique à une catégorie de la population sur laquelle les contraintes sont déjà nombreuses ne manque pas d’interroger.
Texte intégral
1Contexte. Le 4 novembre a commencé à être débattu à l’Assemblée nationale le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 1907, déposé le mardi 14 octobre 2025). Si, parmi les mesures, la hausse des participations forfaitaires et des franchises sur les actes de soins et les médicaments a été fortement médiatisée, il en est une autre qui l’a moins été et qui mérite pourtant attention : la proposition de rendre obligatoire pour les résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) la vaccination contre la grippe.
2Proposition. Le texte du Gouvernement prévoit en effet en son article 20 de créer un nouvel article L. 3111-2-1 au sein du Code de la santé publique ainsi rédigé :
3« Sous réserve d’une recommandation préalable en ce sens de la Haute Autorité de santé, la vaccination contre la grippe est obligatoire, sauf contre-indication médicale reconnue, pour les personnes résidant dans l’un des établissements mentionnés au I. de l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles [Ehpad] pendant la période épidémique ». Si le texte était adopté, seraient posées les bases légales d’une nouvelle obligation vaccinale pesant sur une catégorie de population : les personnes âgées résidant en Ehpad. Sa mise en œuvre exigerait toutefois un avis favorable de la Haute Autorité de santé dont les recommandations devraient intervenir au premier trimestre de l’année 2026.
- 1 Santé publique France, Équipes de surveillance de la grippe. « Surveillance de la grippe en France, (...)
- 2 Certes il existe des obligations vaccinales importantes pesant sur les enfants dont le respect cond (...)
4Critique. L’intérêt de la vaccination contre une maladie potentiellement mortelle, en particulier pour le sujet âgé qui est en outre particulièrement exposé du fait de la promiscuité existant dans son lieu de vie, n’est pas contestable. Pour l’épisode pandémique 2023-2024, sur les 1 861 décès recensés comme étant liés à la grippe, 1 643, soit 88%, concernaient des personnes âgées de 65 ans ou plus1. Il serait donc tout à fait justifié que les pouvoirs publics renforcent, auprès des personnes âgées - dont les résidents d’Ehpad -, l’incitation à la vaccination (à laquelle participe d’ores et déjà la prise en charge de cet acte à 100% par l’Assurance Maladie pour les personnes de 65 ans et plus) en organisant des campagnes d’information et de sensibilisation et en menant une démarche d’« aller vers ». Il est en revanche plus que discutable que pèse sur ces seules personnes une obligation vaccinale2. C’est oublier que les personnes âgées, y compris celles qui sont dépendantes et vivent en Ehpad, sont des citoyens à part entière et titulaires des mêmes droits que tout un chacun. Ce projet rappelle la tentation – jamais loin – de décider pour les vieux ce qui est bon pour eux, surtout quand ils vivent en Ehpad.
- 3 Ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, (...)
- 4 C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler, « Autonomie et droit médical spécial : les désillusions du majeur (...)
5En effet, pendant la crise Covid, la vaccination de ces derniers a montré combien le souci de protection a pu conduire à des pratiques tendant à s’écarter du droit. Lorsque les premiers vaccins ont été accessibles (fin 2020), les résidents d’Ehpad ont été considérés comme un public prioritaire, ce qui était parfaitement justifié au regard des données et connaissances d’alors, à savoir qu’ils étaient plus susceptibles que d’autres de contracter la maladie du fait de la vie en collectivité et de la proximité qui en résulte, et de développer des formes graves en raison de leur fragilité (liée à leur âge et à la fréquence de comorbidités). En revanche, on a pu constater avec inquiétude la tendance à se passer du consentement des personnes concernées au profit de l’accord de tiers, qu’il s’agisse de simples proches ou des personnes s’étant vu confier un mandat de protection par le juge (tuteur, curateur). Et cela au mépris de la loi, laquelle, depuis l’ordonnance de mars 20203, a levé toute ambiguïté. Sauf règles particulières prévues pour des actes médicaux spécifiques (ex : recherches médicales sur la personne humaine, dons d’organes entre vifs…)4, toute personne majeure juridiquement protégée doit en effet consentir elle-même aux actes médicaux (CSP, art. L. 1111-4 al. 8 et C. civ., art. 459), y compris lorsqu’elle bénéficie de la mesure la plus forte, à savoir une mesure de protection avec représentation relative à la personne, dès lors que la personne est apte à exprimer son consentement. C’est uniquement dans le cas contraire que son protecteur est habilité à autoriser l’acte – ici une vaccination – et toujours en tenant compte de l’avis que le majeur protégé aurait pu exprimer.
- 5 Défenseur des droits, Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, 2021, 68p.
- 6 Quatre associations - de personnes âgées et de directeurs de services auprès des personnes âgées on (...)
6Sous couvert d’un objectif légitime de prévention sanitaire, le Gouvernement paraît céder à la tentation âgiste en rendant une vaccination obligatoire pour la seule catégorie des personnes âgées résidant en Ehpad, lesquelles voient trop souvent leurs droits fondamentaux restreints5. Mais il est vrai que ce ne sont pas les plus enclins à s’élever contre des mesures discriminantes6.
- 7 Article 62 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 20 (...)
- 8 Décret 2006-1260 du 14 octobre 2006. Cette suspension - rendue possible par l’article L. 3111-1 al. (...)
- 9 V not. Cour des comptes, rapport public annuel 2018, p. 220 ; Académie nationale de médecine, 2020.
- 10 Cette volonté s’est manifestée récemment par le dépôt par l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Fi (...)
- 11 La liste de ces professionnels concernés sera fixée par décret en Conseil d’État pris après avis de (...)
- 12 “Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou héb (...)
7Les pouvoirs publics semblent en effet plus sensibles aux possibles oppositions de la part de professionnels de santé soumis à une telle obligation vaccinale. Rappelons que, tout juste mise en place par la loi du 19 décembre 20057, l’obligation vaccinale contre la grippe pesant sur les professionnels exerçant dans un établissement de soins ou accueillant des personnes âgées, avait été immédiatement suspendue par décret (14 octobre 2006)8 et jamais réinstaurée depuis, malgré plusieurs avis rendus en ce sens9. Un signe de volonté de la rétablir10 apparaît dans l’actuel projet de loi de financement de la sécurité sociale qui prévoit de modifier le texte légal portant sur les obligations vaccinales - dont la grippe - des professionnels pour les étendre à certains professionnels de santé exerçant à titre libéral11. Pour que l’obligation vaccinale pesant sur les professionnels devienne effective, il faudrait toutefois que le décret de 2006 soit abrogé. Or, le précédent de 2016 montre que ceci n’est aucunement garanti. Le législateur avait alors modifié le texte de l’article L. 3111-4 du CSP pour étendre l’obligation vaccinale contre la grippe des seuls professionnels exposés à un risque accru de maladie du fait de leur activité aux professionnels susceptibles de faire courir un risque aux personnes fragilisées dont ils ont la charge12. Pourtant, le décret de 2006 avait été maintenu de sorte que l'évolution législative restait neutralisée. Il faudra donc être attentif au sort réservé au décret de 2006 et voir si l’obligation vaccinale contre la grippe pesant théoriquement sur les professionnels de santé et les professionnels travaillant auprès des personnes âgées entre enfin en vigueur. A défaut, on comprendrait mal que les résidents des Ehpad soient contraints de se faire vacciner, sauf à considérer qu’il est toujours plus facile de limiter les libertés de personnes vulnérables, moins promptes que les autres à défendre leurs droits.
Notes
1 Santé publique France, Équipes de surveillance de la grippe. « Surveillance de la grippe en France, saison 2023-2024 ». Bull Épidémiol Hebd. 2024;(19):414-27. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/19/2024_19_1.html
2 Certes il existe des obligations vaccinales importantes pesant sur les enfants dont le respect conditionne l’accès à des lieux de vie collective tels que écoles, garderies, colonies de vacances ou autres collectivités d'enfants (CSP, art. L. 3111-2). C’est le même objectif de protection de la santé publique qui commande ces vaccinations infantiles, mais la contrainte est d’une ampleur différente : alors que l’absence de vaccination empêche, s’agissant des enfants, l’accès à des services publics importants, pour les résidents d’Ehpad, elle empêcherait l’accès à leur lieu de vie, leur domicile.
3 Ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique. V. not. C. Bourdaire-Mignot, T. Gründer, “Autonomie des personnes âgées et mesures de protection juridique. Quelle place dans le champ médical pour la volonté des personnes âgées juridiquement protégées ?”, oct. 2023, Institut Robert Badinter, https://institutrobertbadinter.fr/fr/publications/autonomie-personnes-ages/
4 C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler, « Autonomie et droit médical spécial : les désillusions du majeur protégé », in C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler (dir.) Dossier Thématique : Vulnérabilité et autonomie. Le majeur protégé, un patient comme un autre ? Revue des droits de l'homme, n°26.
5 Défenseur des droits, Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, 2021, 68p.
6 Quatre associations - de personnes âgées et de directeurs de services auprès des personnes âgées ont d'ailleurs saisi le CCNE sur l’article 20 du PLFSS en raison des sérieuses questions éthiques qu'il soulève selon elles.
7 Article 62 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.
8 Décret 2006-1260 du 14 octobre 2006. Cette suspension - rendue possible par l’article L. 3111-1 al. 2 du CSP qui prévoit qu'"Un décret peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie de la population, les obligations prévues aux articles L. 3111-2 à L. 3111-4 » - a fait suite à l’avis du Conseil supérieur d’hygiène publique (Avis19 mai 2006) jugeant qu’une telle obligation dont la finalité n’était alors, selon les termes de la loi, que la protection des professionnels eux-mêmes « risquerait d’altérer l’adhésion des professionnels ».
9 V not. Cour des comptes, rapport public annuel 2018, p. 220 ; Académie nationale de médecine, 2020.
10 Cette volonté s’est manifestée récemment par le dépôt par l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, le 11 juillet 2025 à l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi (n° 1722) visant à rétablir l’obligation de vaccination contre la grippe pour les professionnels de santé et à permettre son remboursement pour tous. Cette proposition partait du constat notamment qu’au sein de l’APHP seuls 19% des professionnels sont vaccinés contre la grippe.
11 La liste de ces professionnels concernés sera fixée par décret en Conseil d’État pris après avis de la Haute Autorité de santé en fonction du niveau d’exposition à des risques de contamination pour les professionnels ou pour les personnes dont ils s’occupent.
12 “Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe” (CSP, art. L. 3111-4, al. 1, tel que modifié par la loi du 26 janv. 2016, Modernisation de notre système de santé).
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler, « Vaccination obligatoire pour les résidents d’Ehpad : vers une vision âgiste de la prévention ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 04 novembre 2025, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/revdh/23675 ; DOI : https://doi.org/10.4000/153ad
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