Introduction : Amplification des inégalités de genre durant le confinement

1Si la pandémie a d’abord constitué une crise sanitaire, elle a engendré une crise sociale majeure, laquelle a accentué les inégalités sociales présentes au sein de la société française (Bessière et al. 2020 ; Thierry et al. 2021 ; Lambert, Cayouette-Remblière 2021). Les catégories populaires et les femmes en ont subi, les premières, les conséquences économiques (Lambert et al. 2020).

2Lors du premier confinement, les interruptions de l’emploi, de la même manière que la baisse des revenus, ont concerné davantage les femmes que les hommes (ibid.).

3Par ailleurs, la suspension des services employant essentiellement des femmes de milieux populaires (assistance dans les tâches ménagères et dans la garde des enfants) a entraîné une charge supplémentaire sur les ménages. Cette dernière est retombée de manière disproportionnée sur d’autres femmes, issues des classes moyennes et supérieures, notamment celles qui avaient conservé leur emploi et qui ont dû articuler leur activité professionnelle hors domicile ou en télétravail avec les tâches domestiques. Il a été démontré que l’inégale répartition des tâches domestiques est restée forte, voire qu’elle a augmenté (Chen, Bougie 2020 ; Albouy, Legleye 2020 ; Boring et al. 2020 ; Charlap, Grossetti 2020), en particulier dans les foyers avec de jeunes enfants (Safi et al. 2020). Selon Recchi et al. (2020), 70 % des femmes ont indiqué diriger quotidiennement le travail scolaire de leurs enfants, contre 32 % des hommes.

4Par ailleurs, au début de la crise sanitaire, les nombreux discours médiatiques et politiques valorisant l’apport des femmes durant cette période, loin de susciter une mobilisation identique de la part des hommes, ont surtout renforcé l’idée que les femmes seraient naturellement destinées à accomplir les métiers du soin et le travail domestique, dimension confortant un risque de favoriser le « sexisme bienveillant » (Boring et al. 2020 : 118). Ce processus participe à cautionner ces inégalités.

5Qu’en est-il alors spécifiquement de la répartition du travail domestique en lien avec la production d’enfant ? Par production, il s’agit de considérer qu’élever un enfant représente un investissement coûteux et inégalement assumé en travail, en temps et en savoir-faire au sein du couple (Praz, Modak, Messant 2011). Cette dimension étant particulièrement astreignante au cours de la petite enfance et de l’enfance, qui sont des périodes rattachées à des besoins spécifiques (Zaouche Gaudron 2015, Zaouche Gaudron et al. 2022), le vécu, par l’enfant, d’une répartition spécialisée des rôles, marquera ses représentations de la famille et de la justice familiale comme étant profondément genrées (Moller Okin 1989). Or, les effets, sur la socialisation des enfants, de pratiques parentales légitimant l’injustice du rapport de sexe ne sont pas à sous-estimer. En effet, c’est d’abord en tant que témoin et bénéficiaire des tâches et actions effectuées pour son bien-être que l’enfant perçoit les différences de rôles entre ses parents.

6Il convient alors de spécifier quelle est la nature de ce travail. La définition du travail domestique est à la fois simple sur le plan descriptif – travail gratuit, effectué largement par les femmes, dans le cadre familial et au service de ses membres – et complexe sur le plan théorique. En effet, ce travail ne saurait être seulement défini par les types de services qu’il rend, ni par les tâches qui le composent, mais par le rapport social dans lequel il s’inscrit. Selon Delphy (2003 : 53), le mode de production domestique « inclut n’importe quel travail et n’importe quelle production effectués gratuitement quand ils pourraient être effectués ailleurs » contre un salaire. Si le travail domestique n’est pas rémunéré, ce n’est donc pas dû à sa nature particulière – on trouve ces tâches et services sur le marché –, ni au statut des personnes qui le fournissent – puisque la même personne, qui cuisine gratuitement dans son ménage, sera rémunérée dans un restaurant ou dans un autre ménage –, mais en raison de la nature particulière du rapport de sexe et de la relation de service dans laquelle il s’inscrit : seuls les services fournis à autrui dans le cadre familial – conjoint·e, enfant, parents, etc. – relèvent du travail domestique.

7C’est donc bien parce qu’il émane du rapport de sexe, que le travail domestique est « un enjeu incontournable de théorisation, de débats et de combativité féministes » (Charles, Galerand 2017 : 3). Il constitue le point focal de l’antagonisme de sexe au détriment des femmes et dont elles s’extraient peu ou pas, ce travail étant à la fois indispensable et dévalorisé.

8Cette dévalorisation tient autant au fait que, le plus souvent, les femmes l’accomplissent gratuitement au profit des hommes et des enfants, qu’au vécu des tâches qui le constituent (répétitives, ennuyeuses, en apparence « simples » et pourtant émotionnellement lourdes), ainsi qu’aux inégalités que le travail domestique révèle dans le couple contemporain, en contradiction flagrante avec les valeurs égalitaires qui le fondent. La répétition de ces tâches quotidiennes contribue à ce qu’elles soient vécues comme monotones, fastidieuses, ennuyeuses parfois (Schempp, Schief, Wagner 2015).

9Cela pourrait légitimer le fait de déléguer certaines parties de ce travail à des subalternes (Molinier, Boursier, Mercier-Millot 2021), tout en en conservant d’autres, vécues, elles, comme valorisantes et importantes (Hochschild 1997), en particulier lorsque l’enjeu est l’enfant.

10Le même processus agit dans le couple hétérosexuel : ainsi, la statistique de la distribution du travail domestique dans les couples (INSEE en France, OFS en Suisse) atteste que les hommes ont augmenté le temps qu’ils y consacrent. Une analyse plus fine montre que ce temps est affecté à des tâches en lien avec l’enfant, plutôt que le soin aux parents âgés, par exemple. Elle témoigne, de surcroît, d’un investissement paternel qui dépend de la nature des tâches en relation avec l’enfant comme des enjeux inhérents aux rapports sociaux de sexe entre parents et avec les enfants (Brugeilles, Sebille 2009).

11Cette problématique, si elle n’est pas nouvelle, mérite d’être requestionnée en raison du confinement général. Dans quelle mesure le confinement, qui a concentré dans le seul espace domestique la prise en charge exclusive de l’enfant par son ou ses deux parents, a-t-il été l’occasion de rebattre les cartes des inégalités entre mères et pères et, de ce fait, de modifier l’image du monde familial aux yeux de l’enfant ? C’est ce que nous proposons d’examiner dans cet article, en partant d’une analyse des différences perçues dans la distribution des tâches domestiques au sein du couple.

L’investigation du travail domestique au cours du confinement

13Après nettoyage des données, nous avons obtenu une population de 490 personnes résidant en France et vivant avec au moins un enfant entre zéro et six ans dont 448 d’entre elles cohabitent en couple.

14En raison du dispositif d’investigation retenu, l’échantillon est majoritairement composé d’enquêté·e·s issu·e·s de milieux sociaux favorisés et pour lesquel·le·s l’égalité femmes/hommes est a priori une norme prépondérante (Cresson 2004). En pratique, en revanche, les implications massives des femmes dans le travail domestique s’illustrent déjà dans les caractéristiques des répondant·e·s, qui signalent une très large surreprésentation de mères (88 % contre 12 % de pères).

15Ainsi, les analyses présentées sont circonscrites à un échantillon de parents plutôt fortement diplômés, appartenant aux catégories sociales supérieures, télétravaillant et majoritairement féminin (tableau 1) ; les enquêtes en ligne, auto-saisies, effectuées au cours du confinement, présentent également ce type de biais (Mariot, Mercklé, Perdoncin 2021).

Tableau 1

Population (N=490)	Effectifs	%
Sexe
Homme	58	11,8
Femme	432	88,2
Âge
Moins de 35 ans	162	33,1
35 ans-39 ans	197	40,2
Plus de 39 ans	131	26,7
Situation maritale
Couple cohabitant	448	91,4
Couple non cohabitant	12	2,5
Célibataire	30	6,1
Nombre d’enfants
1 enfant	183	37,3
2 enfants	207	42,3
3 enfants ou plus	100	20,4
Âge du plus jeune enfant (n=308)
Moins d’un an	42	9,7
Entre 1 an et 2 ans	38	11,3
Entre 2 ans et 3 ans	47	13,7
Entre 3 ans et 4 ans	40	12,6
Entre 4 ans et 5 ans	41	12,9
Entre 5 ans et 6 ans	51	14,5
6 ans et plus	49	25,3
Niveau d’études (répondant·e·s)
Baccalauréat ou moins	41	8,4
Diplôme universitaire
(3 ans ou moins)	141	28,8
(4 ans ou plus)	308	62,8
Niveau d’études (partenaires)
Baccalauréat ou moins	85	17.4
Diplôme universitaire
3 ans ou moins	131	26.7
4 ans ou plus	241	49.2
Manquant ou non concerné	33	6.7

Population (N=490)	Effectifs	%
Quotité de travail avant le confinement (répondant·e·s)
Temps plein	294	60,0
Temps partiel	150	30,6
Ni temps plein, ni temps partiel	46	9,4
Quotité de travail avant le confinement (partenaires)
Temps plein	376	76,7
Temps partiel	51	10,4
Ni temps plein, ni temps partiel	17	3,5
Manquant ou non concerné	46	9,4
Catégorie socioprofessionnelle (répondant·e·s)
Agriculteur·rice / artisan·e / chef·fe d’entreprise / activité libérale	30	6,1
Cadre	175	35,7
Professions intermédiaires	137	28,0
Employé·e / ouvrier·ère / aide à domicile	102	20,8
Sans activité professionnelle	46	9,4
Catégorie socioprofessionnelle (partenaires)
Agriculteur·rice / artisan·e / chef·fe d’entreprise / activité libérale	42	8,6
Cadre	195	39,8
Professions intermédiaires	92	18,8
Employé·e / ouvrier·ère / aide à domicile	99	20,2
Sans activité professionnelle	28	5,7
Manquant ou non concerné	34	6,9
Pendant le confinement, avez-vous connu une diminution du temps de travail ?
Non	376	76,7
Oui	114	23,3
Pendant le confinement, avez-vous eu une mise au chômage ?
Non	395	80,6
Oui	95	19,4

16Pour apprécier le vécu subjectif des parents concernant leur expérience du confinement et les activités quotidiennes, cet article s’appuie sur l’analyse des réponses différenciées à trois questions ouvertes :
1. pour inventorier les activités effectuées (Question 32 : « Citez toutes les activités que vous effectuez, actuellement, en dehors de votre temps de travail et/ou de télétravail, [tâches éducatives, tâches domestiques, etc.] ? »),
2. pour recenser les différences par rapport aux activités habituelles en dehors du confinement (Question 33 : « Sont-elles différentes de celles réalisées avant le confinement ? ») et,
3. pour saisir un changement éventuel dans la répartition conjugale des tâches en raison du confinement (Question 34 : « Si vous êtes en couple, la répartition des tâches éducatives (aide scolaire, loisirs avec les enfants, soins aux enfants…) et des tâches domestiques (courses, repas, entretien du domicile et du linge…) entre votre conjoint·e et vous s’est-elle modifiée avec le confinement ? »).

18Afin d’éviter le risque d’imposition de nos propres représentations des tâches dans le codage des réponses, plusieurs modes opératoires dans la saisie ont été réalisés : analyses individuelles puis en binômes, assorties de plusieurs relectures et discussions collectives sur les propos problématiques. Ce travail de réduction, propre au recodage d’une question ouverte, permet ainsi d’objectiver l’ensemble des réponses afin de les comparer. Nous l’illustrerons par des réponses livrées comme telles, un peu comme s’il s’agissait d’extraire des verbatim d’un entretien.

Travail domestique, un découpage en tâches

19Après avoir justifié théoriquement la pertinence de découper le travail domestique en tâches distinctes, et émis en filigrane l’hypothèse que la prise en charge ou non d’une tâche contient des dimensions possiblement stratégiques, cette tâche pouvant, ou non, renforcer une relation avec l’enfant, examinons le découpage auquel nous nous sommes livrées.

20Notre découpage du travail domestique en diverses tâches tient compte de certaines de leurs caractéristiques pouvant jouer dans le fait que les pères et mères les assument ou les évitent, dans la mesure du possible, comme i) leur occurrence : quotidiennes (versus exceptionnelles) et la durée de leur réalisation ; ii) la proximité avec l’enfant, par exemple : a) très proche (jeu, bain, promenade, éveil culinaire, travail scolaire, écoute, soutien émotionnel) ; b) intermédiaires (repas, organisation du travail pour l’enfant) ; c) éloignées (nettoyage, courses, démarches administratives scolaires, organisation de la vie quotidienne, gestion des rapports de l’enfant aux institutions, telles école, services sociaux, médecin, psychologue).

21En distinguant et en rendant visible la nature des tâches, ce découpage contribue à isoler celles qui, réalisées avec l’enfant, comme une activité de loisir, seraient à la fois plus gratifiantes comme susceptibles de nourrir la relation avec lui. L’enjeu au sein de la famille, concernant la répartition du travail entre les père et mère, ne saurait donc être réduit à une division arithmétique. La visée d’égalité dans cette répartition se double d’une appréciation de ce que chaque parent, individuellement, gagne d’une part, aux plans tant matériel que symbolique et affectif, en regard de l’appropriation de l’enfant, et perd d’autre part, en emploi, en temps de qualité avec l’enfant dans un cadre familial, selon le type de tâche que chacun·e assume ou non.

22Selon Combes et Devreux, l’appropriation de l’enfant découle certes de la filiation, mais aussi, de nos jours, de l’exercice du rôle de parent, et elle s’inscrit dans un rapport de sexe inégalitaire. Une forme d’appropriation est aussi de délaisser la parentalité à la charge des mères : « s’occuper des enfants non pas selon leurs besoins mais selon ses propres disponibilités et dispositions [ou ne choisir que des tâches gratifiantes], en laissant à quelqu’un d’autre le soin de pallier ses propres insuffisances a quelque chose d’une attitude de propriétaire » (1994 : 53). La parentalité à éclipse, en sélectionnant des tâches est ainsi une forme d’appropriation stratégique.

23Notre objectif, relatif au processus d’appropriation de l’enfant, s’inspire de plusieurs travaux proposant des typologies descriptives d’activités en lien avec le travail domestique de santé (Cresson 2006), la prise en charge éducative (Brugeilles, Sébille 2009), l’alimentation (Dupuy 2013) ou le care (Fuehrer 2013), afin de construire une typologie intégrant tout ou partie des caractéristiques évoquées. Notre démarche contribue également à théoriser la captation de l’enfant au cours du processus éducatif en y réintroduisant, au centre, la référence au paternage pour penser ce qui appartient aux pères dans les processus de socialisation enfantine, alors même que cette notion d’appropriation est évacuée de nombre de travaux sondant le renouveau du lien parental au prisme des rapports égalitaires (Neyrand 2002, Martin 2003). Dans ces recherches, en effet, il y est explicitement fait mention de distance prise avec le maternage pour discuter de notions plus récentes et soi-disant neutres, comme le parentage mais il n’y est pas, ou peu, fait référence au paternage. Pourtant, l’appropriation de l’enfant par les pères, au travers du paternage, pourrait être une conséquence de la paternité intime, définie à partir de la proximité relationnelle et affective instituée par la construction du lien à l’enfant, lorsque celle-ci serait fondée sur des rapports inégaux entre pères et mères, comme cela a été observé dans la socialisation alimentaire (Dupuy 2017, 2022). Dans cette acception, le processus d’appropriation est problématisé sous l’angle d’une notion sociologique ancienne qui fait référence à l’appropriation des femmes par les hommes, telle que théorisée par Colette Guillaumin (1992) à propos du sexage.

24Sept types de tâches ont ainsi été distingués pour l’analyse :
1. Les tâches « ménagères » renvoient à toute activité qui implique un résultat matériel concret, visible, à tout ce qui concerne les tâches pratiques pour la maison et qui ne sont pas spécifiquement en lien direct avec un enfant : repassage, repas, ménage, lessive, courses, soins aux animaux domestiques. Il peut aussi s’agir du travail administratif (remplir la feuille d’impôts, payer les factures, etc.) que l’on ne doit pas confondre avec le travail de « coordination, d’information, d’organisation ».
2. Les tâches de « coordination, d’information, d’organisation » concernent la gestion du foyer et de la famille, à l’intérieur ou à l’extérieur à l’instar du rapport à l’école, aux institutions, au monde médical, comme à l’intendance organisée dans la planification de travaux.
3. Les tâches de « soin » et d’« éducation » relèvent du travail éducatif au sens large : scolaire, certes, mais aussi tâches domestiques de soin pour et avec l’enfant : lever et coucher, propreté, bain, habillement ; et les activités de jeu que le parent fait dans un but éducatif et non strictement ludique. La distinction n’est pas toujours claire en raison du milieu social d’appartenance des enquêté·e·s de cette étude pour lesquel·le·s le temps ludique avec les enfants comporte un versant pédagogique déguisé (Lareau 2011) résultant d’une anticipation des apprentissages scolaires (Geay et al. 2021).
4. Les tâches relationnelles concernent la gestion des émotions, la préservation des relations, les moyens mis en œuvre par la personne pour être présente aux autres, disponible y compris à distance ; pour gérer les tensions, les inquiétudes. Par exemple, il peut s’agir des appels téléphoniques, des visio avec les amis ou les parents ; de l’entraide pour les proches en dehors du ménage ; du travail de solidarité.
5. Les tâches d’animation sont, quant à elles, associées au temps de loisirs avec ou pour les enfants, dans la maison et au-dehors à l’instar des promenades, de la confection de gâteaux, des jeux, voire d’un temps d’écran partagé, lequel est moins exprimé en raison de l’appartenance sociale des enquêtés de cette étude. Le rôle joué par l’environnement culturel quotidien de la famille et par les représentations et pratiques parentales associées aux loisirs ou aux temps libres des enfants comme des adultes diffère selon l’appartenance socioculturelle ; les catégories intermédiaires et supérieures moins éduquées favorisant l’épanouissement de l’enfant et l’expression de soi, les catégories intellectuelles supérieures investissant ce temps libre pour des apprentissages précoces et les couches populaires considérant un temps libre de l’enfant sans enjeu d’instruction (Geay et al. 2021).
6. Les tâches exceptionnelles dans le cadre de la maison renvoient au rangement au sens de tris importants (un peu à la façon d’un ménage de printemps), au bricolage.
7. Les activités pour soi ne relèvent pas du travail domestique, ni de l’emploi (tâches professionnelles à domicile), mais attestent ici d’une liberté de la personne : visionner un film, lire, faire ou écouter de la musique, se promener, pratiquer un sport, jardiner (lorsqu’il est évoqué comme une détente ou associé aux activités de détente, dans le cas contraire, il a été placé dans les tâches ménagères).

Activités : lecture de livres, et écoute de contes audio, peinture, gommettes, coloriage, dessin, collages, puzzle, jeux de société coopératifs (pour enfants de 3 ans), cuisine, balades à pied, courses à pied, balades en trottinette, balade en vélo, jeux de pétanque en bois et jeux dans les cailloux avec engins (une sortie par jour minimum, sauf en cas de pluie), jeux de ballons, galipettes et sauts sur lit, petits parcours de motricité, tentatives de yoga et de danses, jeux de voitures, construction de garages, de routes, de trains, improvisation de concerts ou de marionnettes. Tâches éducatives : lui donner confiance, le soutenir dans ses apprentissages de motricité et de motricité fine, être à l’écoute, l’inviter à développer son sens musical, l’aider à prononcer de façon plus articulée, car il n’est pas toujours facile à comprendre, rappel des rituels du matin (le pot, le petit-déjeuner et du soir avec le lavage de dents), apprentissage des codes à table (manger avec la fourchette, se servir de l’eau avec sa carafe, aider à mettre la table, débarrasser, ranger le lave-vaisselle, cuisiner…), aider à nettoyer et à ranger ses jeux une fois terminés (pas acquis), apprendre à s’habiller et à se doucher seul, apprendre à jouer seul (ce qu’il fait principalement avec ses petites voitures), apprendre à recommencer quand on n’y arrive pas (coloriages)… Tâches quotidiennes : courses, préparation des repas, vaisselle, lessives, hygiène, ménage, rangement, travail personnel, travail professionnel. (Mère, 1 enfant, secrétaire à temps plein, télétravaille)

26L’expression de ce rapport parental aux normes peut être plus implicite, en se référant à des modèles éducatifs qui prévalent parmi certains milieux sociaux attentifs au travail émotionnel.

Ménage Lessive Rangement Course Cuisine Achat d’habit Achat d’activité pour enfant Gérer les colères Gérer les réveils Occuper les enfants Se documenter pour leur évolution (DME, langue des signes…). (Mère, 2 enfants, juriste au chômage)

27Enfin, les activités déclarées par ces pères, sont également un reflet des déterminants sociaux de la vie quotidienne à travers l’expression du temps « libre » (Brousse 2015), la télévision étant une distraction privilégiée parmi les ouvriers et des pratiques culturelles plus diversifiées pouvant être mentionnées parmi les autres catégories sociales. Par ailleurs, la pratique intime liée à la sexualité, caractéristique d’un « temps pour soi », n’est mentionnée dans notre étude que par les pères.

Devoirs, télé, course, masturbation. (Père, 1 enfant, cariste à temps plein)
Cuisine, ménage, sieste, radio, journal TV, lecture de la presse, séries et films TV, balades, sexe. Avec ma fille : jeux en tout genre, lecture d’histoires, dessin, gommettes, pâte à modeler, jeux d’eau, chant et écoute de musique. (Père, 1 enfant, éducateur à temps plein)

Du travail domestique pendant le confinement

29Les activités les plus mentionnées sont, sans surprise, les tâches « ménagères » (94,9 %), puis « de soin et d’éducation » (82,2 %). Elles sont suivies par les tâches d’« animation » et de « loisirs » (47,1 %), puis par les « activités “pour soi” » (40,2 %). Enfin, les « tâches relationnelles » (14,3 %), de « coordination, information, organisation » (10,6 %) et les « tâches exceptionnelles » (12,2 %) sont nettement moins citées que les autres activités quotidiennes.

30Si en toute logique, les réponses des femmes sont, en proportion, proches de la tendance générale, celles des hommes, en revanche, sont plus dispersées de la moyenne, avec un rejet (sur le plan statistique à travers une sous-représentation) des « tâches ménagères » et « de soin et d’éducation » et une attirance plus forte pour les « activités “pour soi” », les tâches « d’animation » et de « loisirs » et les « tâches relationnelles » (tableaux 2 et 3).

Tableau 2. Activités effectuées pendant le confinement en dehors du temps de travail citées et recodées selon le sexe (N=490)

	Oui			Non
	Fréquence totale (%)	Fréquence femme (%)	Fréquence homme (%)	Fréquence totale (%)	Fréquence femme (%)	Fréquence homme (%)
Tâches ménagères	465 (94,9)	414 (95,8)	51 (87,9)	25 (5,1)	18 (4,2)	7 (12,1)
Tâches de soin et d’éducation	403 (82,2)	356 (82,4)	47 (81)	87 (17,8)	76 (17,6)	11 (19)
Tâches d’animation, de loisirs	231 (47,1)	203 (47)	28 (48,3)	259 (52,9)	229 (53)	30 (51,7)
Activités « pour soi »	197 (40,2)	166 (38,4)	31 (53,4)	293 (59,8)	266 (61,6)	27 (46,6)
Tâches relationnelles	70 (14,3)	59 (13,07)	11 (19)	420 (85,7)	373 (86,3)	47 (81)
Tâches de coordination, information, communication	52 (10,6)	49 (11,3)	3 (5,2)	438 (89,4)	383 (88,7)	55 (94,8)
Tâches exceptionnelles	60 (12,2)	53 (12,3)	7 (12,1)	430 (87,8)	379 (87,7)	51 (87,9)

Tableau 3. Moyennes des activités effectuées pendant le confinement selon le sexe (N=490).

	Tâches
	ménagères	soin, éducation	animation, loisirs	« pour soi »	relationnelles	coordination, information, communication	exceptionnelles
Un homme
Moyenne	0,88	0,81	0,48	0,53	0,19	0,05	0,12
N	58	58	58	58	58	58	58
Une femme
Moyenne	0,96	0,82	0,47	0,38	0,14	0,11	0,12
N	432	432	432	432	432	432	432
Total
Moyenne	0,95	0,82	0,47	0,4	0,14	0,11	0,12
N	490	490	490	490	490	490	490

31Cependant, seul un lien de corrélation est repérable en ce qui concerne les « activités “pour soi” » avec une nette surreprésentation des pères de l’enquête les déclarant (p=0,021). Parmi eux, 53,4 % les mentionnent pour 38,4 % des mères. Ainsi, ces derniers parviennent-ils, davantage que les mères qui se sont exprimées, à pouvoir évoquer s’extraire du rapport contraint à la vie familiale commune en période de confinement. En exprimant effectuer des activités pour eux et en dehors de toutes contraintes matérielles et relationnelles, les pères témoignent, à leur façon, d’une capacité à faire abstraction de certaines obligations et de la commune expérience recluse. Ils protègent ainsi leur individualité en l’extrayant, pour un temps, du « nous » familial. Cet indice typique de la montée de l’individualisme dans les familles contemporaines en raison du gain d’autonomie, que les pères semblent mieux s’approprier (Singly 2016a), reflète probablement en creux l’inégale répartition du travail domestique et de l’attention à autrui qui le caractérise.

32À propos des différences perçues dans les tâches faites entre conjoint·e·s, en première analyse (tableau 4), 71 % des sondé·e·s ont perçu des différences dans la répartition des tâches éducatives et ménagères avec leur conjoint·e au cours du confinement, 48 % exprimant une amplification, ce qui témoigne d’écarts au sein des couples. Pour autant, ces écarts ne sont pas clairement renseignés pour savoir quel membre du couple en bénéficie.

Tableau 4. Différences perçues dans les tâches faites entre conjoint·e·s (N=460* ; 30 foyers monoparentaux retirés des analyses)

	Fréquence	%
Non	133	28,9
Oui, sans précision	106	23,0
Oui, amplifiées	221	48,0

33Si la majorité des réponses est de type dichotomique – « oui » ou « non » –, quelques éclairages sont donnés par certain·e·s répondant·e·s comme c’est le cas pour ces trois mères aux réponses contrastées.

Elles ne sont pas différentes. Elles sont amplifiées. Avant, je ne gérais que les devoirs du soir. Là c’est l’enseignement total ! Idem pour les repas et le reste. Et j’en vois naître de nouvelles qui répondent à des besoins nouveaux ou à des besoins qui étaient assurés par l’environnement extérieur. (Mère, 1 enfant, au chômage)
Je fais tout alors qu’avant les tâches étaient réparties dans le couple. (Mère, 2 enfants, éducatrice à 80 %)
Oui, mon compagnon passe plus de temps à s’occuper de notre fille et des tâches ménagères. (Mère, 1 enfant, directrice d’agence bancaire à temps plein)

34Onze pères, sur les 58 enquêtés, soit près de 19 % d’entre eux, témoignent d’un surinvestissement de leur compagne en particulier en ce qui concerne les tâches « ménagères » et « de soin et d’éducation » ou justifient leur plus grande participation du fait d’un arrêt du travail ou d’une renégociation ponctuelle au sein du couple.

35Le changement au cours du confinement dans la prise en charge des activités quotidiennes ordinaires (tableau 5) a été diversement perçu par les répondant·e·s, certain·e·s, l’interprétant dans le sens de la « nature » des activités et d’autres dans celui de leur « intensité ».

Tableau 5. Changement perçu par rapport aux activités quotidiennes ordinaires selon le sexe (N=490).

	Oui		Non
Changement dans les tâches	Fréquence femme (%)	Fréquence homme (%)	Fréquence femme (%)	Fréquence homme (%)
domestiques	97 (22,7)	11 (19)	331 (77,3)	47 (81)
éducatives et de soin	108 (25)	9 (15,5)	324 (75)	49 (84,5)
d’animation et de loisirs	48 (11,2)	7 (12,1)	381 (88,8)	51 (87,9)
les activités « pour soi »	33 (7,7)	6 (10,3)	395 (92,3)	52 (89,7)
le travail émotionnel	4 (0,9)	0 (0)	424 (99,1)	58 (100)
de coordination	2 (0,5)	0 (0)	426 (99,5)	58 (100)
exceptionnelles	13 (3)	2 (3,4)	415 (97)	56 (96,6)

36Cependant, les enquêté·e·s déclarent très majoritairement ne pas percevoir de changement. Parmi les personnes en déclarant un, seules 48 % indiquent un sentiment d’amplification.

37Examinons maintenant, au sein des couples, quelles catégories de tâches ont été l’objet de changement : ce dernier est mentionné en particulier au sujet des tâches les plus citées – tâches « ménagères », « de soin et d’éducation », « d’animation et de loisirs ». Parmi les personnes indiquant un changement dans la prise en charge des tâches « de soin et d’éducation », les pères ont tendance à être sous-représentés (p=0,073). Il n’y a pas d’autre lien significatif. Les mères ont tendance à davantage percevoir un changement dans la répartition conjugale des tâches ménagères, éducatives et de soin.

38Ces résultats tirés des classifications et recodages opérés permettent d’objectiver la distribution des tâches entre répondant·e·s, mais pas d’interpréter la nature précise de ces tâches et leurs liens avec les enfants, ni comment se joue la différence perçue entre conjoint·e·s dans la répartition de ces dernières. Cet éclairage peut être apporté par l’analyse de la proximité avec l’enfant qui est exprimée par les parents.

La proximité avec l’enfant

39Le confinement n’a pas été l’occasion de rebattre les cartes de la division sexuée du travail, mais il a sans doute, pour certain·e·s, poussé à discuter, voire à renégocier, la sexuation des rôles domestiques. Et si notre échantillon est très majoritairement féminin, il est important de souligner que les 12 % de répondants masculins qui le composent sont probablement des pères sensibles à l’égalité au sein des couples qui constitue une normativité forte au sein des milieux sociaux dits « supérieurs » des répondant·e·s (Modak, Palazzo 2002).

40Formulé autrement, ces pères présentent déjà des singularités, comme la conscience d’une responsabilité domestique :

Oui, + investi au niveau éducatif et + au niveau tâche domestique (j’ai le temps d’y penser et de les faire !). (Père, 2 enfants, psychologue à temps plein)

41Les changements perçus par les pères avec l’arrivée du confinement traduisent une amplification du travail domestique qu’ils prennent aussi en charge. Par exemple, ce père, après avoir décrit ce qu’il fait :

Ménage (le poste le plus chronophage), devoirs/instructions/organisation des activités ludiques des enfants/gérer le social, y compris avec l’épouse, équilibrer au mieux les comptes bancaires, faire à manger, faire faire la toilette/bain/hygiène des enfants plus coupe de leurs cheveux ! Homme à tout faire de l’appart (réparations, aménagements, améliorations, etc.), faire dormir les enfants créativement chaque soir et de manière différente chaque soir… (chansons, histoires, quiz de leurs musiques, devinettes, etc.),

42s’exprime sur son ressenti durant le confinement :

Pas vraiment [de changement] mais tout en beaucoup plus intense, difficile et lourd. Comme conduire dans la rue avec les yeux bandés mais pas plus dur… non je ne deviens pas fou… c’est juste de l’humour (pour pas pleurer). (Père, 2 enfants, conseiller patrimonial à temps plein)

43Focalisons-nous dorénavant sur la question de notre enquête « Si vous êtes en couple, la répartition des tâches éducatives (aide scolaire, loisirs avec les enfants, soins aux enfants…) et des tâches domestiques (courses, repas, entretien du domicile et du linge…) entre votre conjoint·e et vous s’est-elle modifiée avec le confinement ? ». Les réponses sont à la fois habituelles et connues dans leurs propositions, dans la mesure où elles soulignent des écarts dans l’investissement entre conjoint·e·s au détriment des mères, et inédites lorsqu’elles expriment un rééquilibrage incertain, le plus souvent relié aux différences entre conjoint·e·s concernant leur situation professionnelle respective pendant le confinement (chômage total ou partiel, télétravail, pleine activité).

44Plusieurs enquêtes (Ducoudré, Périvier 2020 ; Lambert et al. 2020 ; Boring et al. 2020), soulignent que l’emploi des femmes a subi une baisse en proportion similaire à celle enregistrée chez les hommes, en raison du ralentissement de l’activité économique de certains secteurs d’activités induit par le confinement. Mais comme le laissent apparaître les données de ces travaux, cette baisse ne relève pas des mêmes raisons : les hommes ont été concernés par du chômage partiel tandis que les femmes ont cessé ou réduit leur activité pour garder leurs enfants. La redistribution des tâches semble ainsi ne pas tant avoir été renégociée que concédée en raison d’écarts de conditions d’activités entre conjoint·e·s ; cette redistribution étant la plus forte pour les femmes qui ont continué à travailler à l’extérieur (notamment parmi les professionnelles du soin, du service et parmi les employées de commerce) et vivant avec des conjoints restant au domicile familial. En outre, du fait des secteurs tertiarisés d’emploi dans lesquels les femmes sont insérées professionnellement, elles ont été plus nombreuses à télétravailler, en assumant parallèlement les enfants. Les expériences de confinement saisies au prisme des relations conjugales, du travail professionnel et de la répartition du travail domestique pendant cette période, témoignent d’un déploiement inégalitaire selon la classe et surtout selon le genre, ces inégalités ne disparaissant pas avec le confinement (CAFC 2021).

45Ces aménagements professionnels et familiaux ne sont pas neutres. Ils peuvent favoriser un (dés)avantage particulier si l’on prend au sérieux l’appropriation des enfants par la construction d’une proximité de qualité avec eux.

46En nous intéressant maintenant aux tâches qui expriment une relation de proximité avec les enfants tel « loisirs avec les enfants, soins aux enfants », il faut d’ores et déjà préciser qu’aucun père répondant de l’enquête ne fait mention, dans la réponse à notre question sur le changement, à cette proximité physique à l’enfant, alors même qu’elle est suggérée dans la question (cf. supra). La proximité à l’enfant peut être en revanche évoquée parmi des pères déjà engagés dans la paternité intime au moment de l’énumération des tâches telles qu’elles émergent du discours des pères eux-mêmes et ne percevant donc pas de changement avec la situation présente et en relation avec leur conjointe. Ces pères investis dans ce rôle participent à traduire les interactions entre leur enfant et eux (Singly 2016b) en raison du « souci » de visibiliser la proximité − relationnelle et affective − avec l’enfant dans les représentations du rôle paternel.

47La situation des mères, en revanche, est très différente. Elle relève de deux cas de figure repérés dans l’analyse des réponses : le premier concerne ce que nous appelons un mode gestionnaire de proximité à l’enfant pour relever la charge éducative qui leur incombe très majoritairement, notamment pour le travail scolaire ou les soins (tableau 6) ; le second registre relève de ce que nous nommons alors un mode relationnel-affectif pour souligner l’effet bénéfique d’un investissement accru des pères sur le développement des enfants et la qualité des relations (tableau 7).

Tableau 6. Verbatim « mode gestionnaire » − Corpus Femmes

Mode gestionnaire

Non, les charges sont équivalentes // en plus pour moi il y a le travail scolaire. Pas pour le père le reste des tâches reste réparti à peu près comme avant. (Papa cuisine, maman fait le linge, les deux parents font le ménage) (avant femme de ménage). (Mère, 3 enfants, cadre à temps plein)

En partie seulement parce que mon conjoint participait déjà beaucoup aux tâches domestiques, par contre son temps de jeu avec notre fille est resté très faible et cette différence est vraiment importante par rapport à moi puisque [ce temps] a explosé me concernant. (Mère, 1 enfant, assistante ingénieure à mi-temps)

Sur les tâches éducatives : pas trop de différence par rapport à avant mais je passe plus de temps que mon conjoint avec les enfants sur les tâches domestiques : j’en fais plus qu’avant mais la répartition en proportion est à peu près identique à avant. (Mère, 3 enfants, consultante à mi-temps)

Pas trop, mon mari a plus de disponibilité par rapport à son travail donc c’est lui qui s’en occupe le plus, moi je prends le relais quand il a besoin pour le travail et on gère ensemble sur les autres moments. (Mère, 2 enfants, infirmière à temps plein)

Oui, car mon conjoint était à domicile pendant que moi je continuais de travailler. Il était dans le quotidien et je supervise les devoirs de loin. La disponibilité de l’outil informatique était plus possible pour moi. (Mère, 3 enfants, pédiatre à temps plein)

Oui, la répartition était assez égalitaire mais mon conjoint étant moins présent en temps normal je suis amenée à plus prendre en charge les enfants, leurs activités. Comme actuellement je suis en télétravail et lui ne travaille pas, c’est lui qui s’occupe de la grande majorité des tâches domestiques. (Mère, 2 enfants, chargée d’études à temps plein)

Mon mari télétravaille, donc en semaine j’essaye de gérer et le week-end nous partageons. (Mère, 3 enfants, commerciale à temps plein, en congé maternité pendant le confinement)

Tableau 7. Verbatim « mode relationnel-affectif » − Corpus Femmes

Mode relationnel-affectif

Mon conjoint passe plus de temps avec son fils alors qu’avant il ne le voyait que le matin avant d’aller au travail et qu’en rentrant du travail. Notre fils est très demandeur de son papa et des activités de jardinage qu’il lui propose ou de chasse à la limace. Moi ça me permet d’avoir plus de temps pour cuisiner des plats (plus élaborés) ou des pâtisseries que je ne faisais plus depuis quelques années (cuisine trop petite puis naissance du Loulou). Notre fils ne me laissant d’ordinaire jamais une seconde de répit puisque ne faisant presque jamais de sieste et luttant pour s’endormir le plus tard possible. (Mère, 1 enfant, pharmacienne d’officine à temps partiel)

Mon mari gère plutôt l’école de ma fille aînée lorsqu’elle nous sollicite. Il se charge des repas et s’occupe surtout des temps de loisirs : jeux, sport dehors, etc. Pour les tâches domestiques autres, la répartition n’a pas changé et je me charge de l’essentiel. (Mère, 3 enfants, enseignante chercheure à temps plein)

Légèrement. Mon mari travaille à son compte et peut prendre notre enfant avec lui plus souvent, à leur plus grand plaisir. (Mère, 1 enfant, enseignante à temps plein)

Mon mari peut passer plus de temps avec sa fille et il en profite. Au niveau des tâches domestiques, il n’y a pas eu de révolution ( !) mais au moins il a le temps de profiter de sa poupinette et elle en est ravie elle aussi. (Mère, 1 enfant, cheffe de projet à temps partiel)

Pas pour les tâches domestiques mais mon conjoint a passé beaucoup plus de temps à s’occuper des enfants (loisirs + soins). (Mère, 2 enfants, professeure des écoles à temps partiel)

48Ces deux registres de tâches présents dans le corpus des mères témoignent d’un déplacement de leurs conjoints vers une plus grande disponibilité relationnelle et présence aux enfants, lesquelles sont notables et perçues positivement. Ces registres indiquent une délégation, par les femmes, de la part du travail domestique effectuée en relation avec les enfants qui opère davantage en direction des loisirs, de l’animation et du soin, alors que les tâches ménagères et le suivi du travail scolaire leur incombent majoritairement.

49En ce sens, ce processus de délégation obligatoire, car il faut bien aménager ce temps ménager contraint, implique une pénalité supplémentaire pour les femmes au détriment des hommes qui vivront davantage les moments de proximité physique avec l’enfant en leur consacrant du temps, mais un temps de « relâche éducative », faisant varier les tensions, lequel peut être bénéfique à la relation.

50Considérons enfin une dernière perspective hypothétique, explicative du surcroît de tâches « ménagères » endossées par les mères dans notre enquête : celle consistant à envisager que les femmes puissent choisir, parmi l’ensemble des tâches contraintes à produire dans la sphère domestique, de réduire l’intensité de la relation de service qui les lie aux autres membres de la famille en se rendant tout simplement indisponibles à l’enfant, lui préférant alors des tâches moins « nobles » au regard du développement de ce dernier, mais qu’elles pourront exécuter seules et à leur manière.

51Cette relative indisponibilité relationnelle maternelle dans les tâches associant l’enfant serait-elle une liberté que, face à l’injonction de disponibilité maternelle qui leur est faite, les femmes s’octroient sans être condamnées et condamnables puisqu’elles continuent à s’impliquer et produire pour les autres ? Toute séduisante soit-elle, cette hypothèse est sans doute à rejeter, l’indisponibilité relationnelle trahissant sans doute plutôt l’extension du travail domestique au cours du confinement et donc des concessions qu’il a fallu opérer pour négocier l’in-négociable surcharge domestique, car autrement ce temps gagné se serait traduit, dans les réponses, par une augmentation des « activités pour soi » ce qui, nous l’avons vu, n’est pas le cas pour les femmes de notre enquête, comme d’ailleurs celles d’autres enquêtes à l’instar du défaut de temps libres personnels qu’elles ont pu exprimer (Charlap 2021).

Conclusion

52Le partage inégal des tâches domestiques lors du confinement généralisé que nous avons relevé dans cette recherche reflète bien l’organisation sexuée de ces activités et des rapports sociaux de sexe au sein des couples. Le souci des pères d’avoir une proximité affective avec leurs enfants n’est pas nouveau (Coulon, Cresson 2007). Il s’apparente à cette paternité « intime » (Dermott 2008) et « relationnelle » (Castelain-Meunier 1997 ; Le Camus, Zaouche Gaudron 1998) qui prévaut dans certaines familles issues des catégories sociales dominantes auxquelles notre échantillon ne fait pas exception. Ces modèles de paternité renvoient à des modèles familiaux, des visions de l’enfance et du métier de parent qui, s’ils peuvent être répandus dans certains milieux sociaux spécifiques, ne s’actualisent pas nécessairement dans les pratiques effectives et encore moins de façon égalitaire, car les pères se retrouvent toujours être « des acteurs secondaires » (Brugeilles, Sebille 2013).

53Selon toute apparence, le confinement a rendu possible, en le concrétisant, cet inordinaire rôle paternel en conférant à ces moments relationnels une valeur sociale qu’expriment en premier lieu les mères, semblant souligner, peut-être, le caractère exceptionnel de cette activité. Cette proximité affective et relationnelle entre les pères et leurs enfants, que renforcent certaines activités domestiques, est a priori positive pour la qualité des liens entre pères et enfants, mais elle ne constitue pas nécessairement une avancée de l’égalité entre les sexes. Si ce déplacement de l’éthique de la disponibilité transforme la division sexuelle du travail, cela peut être tout aussi bien dans le sens de son renforcement, la crise liée au Covid ayant radicalisé les inégalités, comme nous l’avons relevé en introduction. De surcroît, ce temps de qualité reste un temps maîtrisé, la relation de service proposée étant délimitée et la disponibilité à autrui cadrée. Les pères sont parvenus à faire preuve d’une « disponibilité conditionnelle » (CAFC 2021).