Rémi Dormois, Les politiques urbaines. Histoire et enjeux contemporains
Rémi Dormois, Les politiques urbaines. Histoire et enjeux contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 309 p.
Texte intégral
1Rédiger un manuel n’est jamais chose aisée, et peut-être encore moins lorsqu’il s’agit d’embrasser un double corpus, à la fois théorique et pratique, réflexif et tourné vers l’action, comme c’est immanquablement le cas pour traiter des politiques urbaines, objet de ce volume de synthèse. Rémi Dormois a, disons-le d’emblée, réussi le pari. Sans doute parce qu’il peut légitimement faire figure de passeur entre les deux univers académique et opérationnel, à travers ses expériences dans l’un et l’autre : docteur en science politique, chargé de cours, et ingénieur des ponts, des eaux et des forêts qui a exercé des missions dans des collectivités, services de l’État et structures privées. Sans doute aussi – et, sur ce plan, la collection « Didact Aménagement » des Presses universitaires de Rennes, qui accueille l’ouvrage, doit éveiller l’intérêt du lecteur de la Revue des Sciences sociales – parce que l’auteur a voulu et su donner une ligne directrice à son propos, tout pédagogique et accessible qu’il est en même temps, celle de l’analyse de l’action publique urbaine (plus que de l’activité politique, même si cette dernière transparaît), resituée à travers les évolutions de moyen terme qu’ont connues les villes, jusqu’aux problématiques les plus contemporaines.
- 1 Autrement dit, il évite l’illusion (ou la tactique !) d’une harmonisation des savoirs, qui n’est ri (...)
- 2 Henri Lefebvre, Le Droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968.
- 3 Voir Laurence Costes, « Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientif (...)
- 4 Voir Anaïs Collet, Philippe Simay, dossier « Y a-t-il des “urban studies” à la française ? », Métro (...)
2Le risque est ainsi écarté d’une fausse interdisciplinarité de façade, souvent convoquée pour légitimer les perspectives techniques aménagistes ou encore des modélisations géographiques peu concrètes. Rémi Dormois privilégie un regard clairement inscrit en sciences sociales1. Suivant – certes, implicitement – une leçon d’Henri Lefebvre exprimée dans le Droit à la ville, ouvrage critiquant la planification étatique des années 19602 et témoignant en même temps de l’intégration des problèmes urbains dans la politique3, l’auteur a raison de débuter son introduction par une question qui vaut mise au point : « En quoi les politiques urbaines [objet du livre] se distinguent-elles des politiques d’aménagement et d’urbanisme ? » (p. 9). Il propose de la sorte un dialogue des savoirs, à partir d’une lecture assumée de science politique, sachant mobiliser à bon escient des perspectives historique, sociologique, géographique ou encore économique pour éclairer la fabrique des politiques urbaines. Le lecteur peut ainsi appréhender une double interface : entre disciplines scientifiques en sciences sociales et entre la recherche, apportant la mise à distance, et l’élaboration ou le portage « pratique » des politiques publiques. En cela, Rémi Dormois apporte sa pierre aux débats ouverts sur la constitution d’un champ des « études urbaines à la française », à partir de la diversité des travaux portant sur les villes et les territoires urbains, en regard des urban studies anglo-saxonnes4.
3On le comprend, ce manuel offre une grille de lecture qui s’adresse à un large public – chercheurs, étudiants, professionnels de la ville, associatifs… –, grâce à un fil rouge à la fois historique (mettre en perspective l’action de l’État et des collectivités en France sous la Ve République, en particulier), et comparatif (à travers des incursions en direction d’autres contextes urbains européens et nord-américains). Partant d’une question d’apparence simple, mais en réalité complexe : « Par politiques urbaines, de quoi parle-t-on ? », Rémi Dormois étudie la conduite des politiques publiques urbaines en dégageant huit axes thématiques, qui constituent autant de chapitres. L’ouvrage autorise ainsi plusieurs niveaux de lecture, dans sa transversalité ou pour faire un point sur telle ou telle entrée thématique, d’autant que chaque chapitre est appuyé sur une bibliographie ad hoc en fin de volume.
4L’hypothèse d’ensemble est claire : montrer que « les villes sont devenues des lieux de fabrique de politiques publiques avec une intensité variable selon le domaine considéré. […] La pertinence de la notion de politiques urbaines au sens d’urban policies varie donc fortement selon le secteur d’action publique analysé. Mais inversement dans aucun des secteurs analysés les villes ne ressortent comme de simples espaces “inertes” d’application des politiques publiques nationales ou européennes » (p. 11).
- 5 Sur la portée de l’entrée analytique par l’espace dans les études urbaines et d’aménagement inscrit (...)
5Pour l’attester, l’auteur passe en revue successivement les politiques urbaines de développement économique, sociales, du logement, d’aménagement, de mobilité, d’environnement, de la culture, et enfin celles à vocation internationale. Sa force est de ne pas céder à la description surplombante. À chaque fois, acteurs, processus et (principaux) enjeux sont restitués. Les discussions théoriques et les exemples pratiques se répondent, précisément référencés et suffisamment explicites pour faire sens et être compris, sans produire de longueurs quant au rythme de la démonstration. La trame diachronique, scandée par les paragraphes successifs au sein de chaque chapitre, fournit une épaisseur de compréhension – y compris s’agissant de processus en train de se faire : de l’écologie urbaine au développement durable urbain ? de la coopération transfrontalière de proximité à l’action internationale de villes globalisées ?, etc. Ceci s’articule bien avec la pluralité des espaces et des échelles abordés : la ville est pensée dans une gouvernance multi-niveaux (chère à la science politique), c’est-à-dire largement en relation : intercommunalité, département, région, État, Union européenne, acteurs économiques internationaux, etc. – ce qui rend raison de questionnements actuels, comme la tension entre territoires et réseaux, entre politique et management, ou encore tradition et modernité5.
6Enfin, l’appareil critique est solide, bien informé en science politique (en termes de littérature francophone aussi bien qu’anglo-saxonne) et globalement à jour au-delà – sans bien sûr qu’il s’agisse d’attendre des bibliographies exhaustives, disciplinaires et spécialisées, mais bien des pistes pour qui désire aller plus loin. Des encadrés, tableaux et graphiques viennent appuyer le propos de façon didactique au fil du texte, et un index favorise le repérage des acteurs et des notions. Un support commode et bienvenu, donc, qui se recommande largement.
Notes
1 Autrement dit, il évite l’illusion (ou la tactique !) d’une harmonisation des savoirs, qui n’est rien d’autre que la prétention d’une discipline sur/contre une autre, compte tenu du double fait que « chacun d’entre [ces savoirs], même s’il ne se veut plus exclusif, prétend toujours être englobant » et que « le chercheur s’interdisciplinarisant tente également d’asseoir un pouvoir dans une stratégie d’hégémonie scientifique », pour citer les contributions respectives de Geneviève Delbos et Yves Luginbühl à un ouvrage emblématique des échanges pluridisciplinaires dans les études territoriales : Nicole Mathieu, Marcel Jollivet (dir.), Du rural à l’environnement. La question de la nature aujourd’hui, Paris, Association des ruralistes français, L’Harmattan, 1989, cité p. 93 et 106.
2 Henri Lefebvre, Le Droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968.
3 Voir Laurence Costes, « Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? », Espaces et sociétés, 140‑141, 2010, p. 177-191, http://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2010-1-page-177.htm.
4 Voir Anaïs Collet, Philippe Simay, dossier « Y a-t-il des “urban studies” à la française ? », Métropolitiques, 3 juillet 2013, http://www.metropolitiques.eu/Y-a-t-il-des-urban-studies-a-la.html.
5 Sur la portée de l’entrée analytique par l’espace dans les études urbaines et d’aménagement inscrites en sciences sociales, lire la synthèse de Jean Remy, L’espace, un objet central de la sociologie, Toulouse, Érès, 2015.
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Référence papier
Philippe Hamman, « Rémi Dormois, Les politiques urbaines. Histoire et enjeux contemporains », Revue des sciences sociales, 56 | 2016, 154-155.
Référence électronique
Philippe Hamman, « Rémi Dormois, Les politiques urbaines. Histoire et enjeux contemporains », Revue des sciences sociales [En ligne], 56 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 25 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/revss/431 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.431
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