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Lu-à-lire

Wolfram Wette (dir.), „Hier war doch nichts!1“, Waldkirch im Nationalsozialismus

Freddy Raphaël
p. 194-195
Référence(s) :

Wolfram Wette (dir.), „Hier war doch nichts!“, Waldkirch im Nationalsozialismus, Bremen, Donat Verlag, 2020, 528 pages.

Texte intégral

  • 1 « Mais ici il ne s’est rien passé ! »

1Ce n’est pas une tâche aisée que de rendre compte d’un ouvrage qui présente le travail persévérant de vingt-cinq « amateurs », qui se sont donné pour mission de retracer la vie d’un bourg à l’heure nazie. À l’initiative de deux historiens chevronnés, les professeurs Wolfram Wette et Heiko Haumann, ils ont constitué, quatre années durant, un « atelier » destiné à étudier la prise du pouvoir par les nazis, le fonctionnement au quotidien du régime, ainsi que la gestion de l’immédiat après-guerre, dans une bourgade au pied de la Forêt-Noire.

2Après des années d’atermoiement, voire de franche hostilité, de l’administration de la localité, la municipalité actuelle a décidé courageusement de soutenir cette entreprise. Elle justifie son engagement par la nécessité de mieux comprendre l’engouement exercé par un système de terreur et de barbarie, et en second lieu de susciter la vigilance des concitoyens à l’encontre du rejet des réfugiés et face à la remontée de l’antisémitisme et du racisme.

3Encore une fois se trouve confirmée la fécondité de la démarche historiographique qui enjoint le chercheur à « creuser sous ses pieds », à partir d’une étude exigeante du particulier pour rejoindre l’universel. Se trouve confortée aussi, la capacité, voire la nécessité, de construire une histoire du temps présent, qui associe la rigueur scientifique à l’interrogation éthique des défis contemporains.

4L’affrontement à l’histoire d’un passé proche se heurte à des difficultés d’autant plus exacerbées qu’elle participe d’une entreprise criminelle. Le témoignage des survivants est, pour partie, une reconstruction à partir d’un questionnement marqué par l’expérience présente. De plus, chacun d’entre nous entend transmettre une image valorisante de son parcours. À Waldkirch ceux qui furent les thuriféraires de l’aventure nazie, voire ses artisans, tendent à la justifier comme la défense de l’ordre chrétien contre le bolchevisme et le communisme. Ils s’efforcent de minimiser et de banaliser les crimes, et de nier toute responsabilité. Cette tentative de dissimulation et de falsification a été relayée institutionnellement, puisque des spécialistes ont été recrutés afin de « purifier » les Archives du bourg et d’éliminer tout document compromettant.

5Les travaux des chercheurs relatifs à l’installation du régime nazi à Waldkirch témoignent de l’extrême rapidité du changement de l’opinion publique. Les acteurs qui interviennent dans cette versatilité, et qui convergent vers le culte de l’homme fort, sont en partie typiques à cette bourgade conservatrice et bienpensante, à 83 % catholique. Il ne semble pas que les problèmes économiques et sociaux se soient posés avec acuité dans cette localité relativement prospère. Ce sont le ralliement progressif de l’Église, et notamment le pacte que le Vatican a conclu en juillet 1933 avec le Reich, qui apparaissent comme des éléments fondateurs de la réorientation des fidèles. Les plus hautes autorités diocésaines, qui proclamaient moins d’une année auparavant que les valeurs du christianisme étaient incompatibles avec les idéaux de l’ordre nouveau, allèrent jusqu’à déclarer en avril 1933 que le « fascisme est le plus puissant mouvement spirituel de l’ère contemporaine ». En novembre de la même année, l’archevêque de Freiburg, devenu entre-temps membre des SS, et le pasteur de Waldkirch déclarèrent que quiconque ne voterait pas en faveur d’Hitler « trahirait » l’Allemagne. Si l’euthanasie fut dénoncée, la persécution puis l’élimination des Juifs et des Gitans ne se heurtèrent à aucune protestation. C’est avant tout le restaurateur de la fierté nationale, qui sut relever le pays d’une défaite humiliante obtenue par la fourberie, qui rallia les suffrages. Un culte fédérateur fut forgé : celui de la Volksgemeinschaft », de la « communauté du peuple ».

6La mise en scène du national-socialisme à Waldkirch sut mobiliser habilement un passé héroïsé et magnifié au service de la glorification d’un monde nouveau. Toutes les générations défilent en costumes folkloriques rutilants, exaltant les solides vertus et le bonheur sans apprêts d’une société rurale mythifiée. L’épuration de l’authentique culture allemande se fait en livrant rituellement aux flammes du bûcher les ouvrages « dégénérés » (« entartet ») qui souillent le génie germanique. Une fresque peinte dans l’hôtel de ville exalte l’héroïsme martial des soldats d’aujourd’hui, qui, comme les ancêtres, sont prêts à sacrifier leur vie pour protéger leur femme et leurs enfants.

7Face au ralliement massif de la population de Waldkirch à l’ordre nazi, il y eut également une minorité d’enseignants, de responsables syndicaux ouvriers, d’hommes d’Église, qui résistèrent. Leur engagement, même s’il ne put freiner l’avancée implacable de la terreur brune, n’en a que plus de mérite.

  • 2 Wette Wolfram, Enthüllung, Verlag Regionalkultur, Heidelberg, 2018.

8Mais dans l’ordre de la cruauté extrême, il y eut non seulement des SS originaires de Waldkirch qui sévirent à Auschwitz-Birkenau, et également l’officier SS Karl Jäger. C’est lui qui, à partir de 1941, organisa méthodiquement, avec l’aide de la population locale, le meurtre de plus de 138 000 Juifs en Lituanie. C’est grâce aux recherches de Wolfram Wette que fut prise en compte l’irréfutable responsabilité d’un citoyen de Waldkirch dans l’accomplissement de l’innommable. À la suite d’un sursaut marquant des jeunes de la bourgade après 1968, soutenus par les chercheurs et la municipalité, fut inauguré un monument destiné à faire mémoire des victimes assassinées et à rappeler la responsabilité des bourreaux. Le terme allemand de « Mahnmal », qui insiste sur la dimension de « mise en garde », d’« avertissement », traduit la vocation d’appel à la responsabilité que convoque le « mémorial »2. C’est au cœur même de la cité que se dressent des blocs de pierre brute, rugueuse, qui attestent à la fois de l’isolement des victimes et de l’inhumanité des bourreaux.

9De la volonté de prendre en charge cette mémoire encombrante témoignent encore d’autres initiatives, telles que la réalisation du film Karl Jäger und wir, et le combat pour conférer au lycée de Waldkirch le nom des jeunes résistants de « la Rose Blanche », les « Geschwister Scholl ».

10Comment ne pas être profondément impressionnés par cette démarche d’une bourgade nichée au pied de la Forêt-Noire pour affirmer que le « devoir de mémoire » impose un engagement responsable envers les victimes présentes d’une idéologie mortifère. Assumer l’histoire de la mise au pas à l’époque nazie, qui s’est efforcée d’effacer la marque de l’homme, exige le refus du racisme, de l’antisémitisme, et l’accueil de l’errant.

11En hommage et en profonde gratitude pour Angela et Otthein Rammstedt. Grâce à leur œuvre exigeante, et leur refus d’une sociologie serve, l’Allemagne a repris pour l’ancien enfant traqué que j’étais un visage humain.

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Notes

1 « Mais ici il ne s’est rien passé ! »

2 Wette Wolfram, Enthüllung, Verlag Regionalkultur, Heidelberg, 2018.

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Pour citer cet article

Référence papier

Freddy Raphaël, « Wolfram Wette (dir.), „Hier war doch nichts!“, Waldkirch im Nationalsozialismus »Revue des sciences sociales, 65 | 2021, 194-195.

Référence électronique

Freddy Raphaël, « Wolfram Wette (dir.), „Hier war doch nichts!“, Waldkirch im Nationalsozialismus »Revue des sciences sociales [En ligne], 65 | 2021, mis en ligne le 15 juin 2021, consulté le 23 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/revss/6988 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.6988

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Auteur

Freddy Raphaël

Dynamiques européennes, CNRS/Université de Strasbourg

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