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Lu-à-lire

Aurélie Choné, Philippe Hamman (éd.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental Humanities / Le végétal au défi des Humanités environnementales

Laura Schmitt
p. 146-148
Référence(s) :

Aurélie Choné, Philippe Hamman (éd.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental Humanities / Le végétal au défi des Humanités environnementales, Berlin, Peter Lang, 2022, 350 p.

Texte intégral

1Le végétal regagne ses lettres de noblesse depuis quelques années – aller se promener en forêt est synonyme de ressourcement, l’intelligence des plantes est discutée en famille autour de la table et en laboratoire entre scientifiques, et nombre de jardiniers en herbe renouent racines avec la Terre en plantant leurs légumes. Dans le même temps, les Humanités environnementales (HE), champ de recherche florissant au carrefour des sciences humaines et sociales, études culturelles et littéraires, voire sciences de l’environnement, cherchent notamment à mettre en lumière les rapports de l’humain à la nature. Dans ce contexte, une réflexion sur nos rapports au végétal couplée d’une synthèse des travaux actuels en termes d’HE tombe à point nommé.

2L’ouvrage de 350 pages, dont une part importante de références bibliographiques, se compose de deux parties et 11 chapitres (cinq en allemand et six en français) rédigés par 15 contributeurs, spécialistes des champs les plus divers des lettres et des sciences humaines. Ce volume fait suite à la mise en réseau et aux travaux lancés à partir de septembre 2016 grâce au Programme de formation-recherche (PFR) « Circulations et renouvellement des savoirs sur la nature et l’environnement en France et en Allemagne : questionner les Humanités environnementales » du Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne (CIERA). Huit chapitres de cet ouvrage sont issus de communications au colloque final éponyme, qui s’est tenu à Strasbourg les 4 et 5 octobre 2018.

3Le volume propose une réflexion comparée sur la construction et la diffusion des connaissances sur la nature et l’environnement en France et en Allemagne, interroge l’émergence et le succès du champ d’études des Humanités environnementales. Il atteste également de sa pertinence en offrant des études de cas riches et détaillées qui illustrent différents modes d’agir avec les vivants végétaux des deux côtés du Rhin.

4L’introduction de cet ouvrage collectif revendique la spécificité de croiser les regards au-delà des frontières avec des outils comparatifs, annonce une mise en dialogue franco-allemande et explique le choix de la focale sur le végétal et ses incarnations (jardin et forêt). À la fois lieux de diverses projections, riches d’Histoire et omniprésents dans la littérature et les débats actuels autour de l’écologie et de la crise climatique, la forêt et le jardin se prêtent à des études de cas détaillées mais aussi à des extrapolations au végétal et à la nature au sens large. En refermant l’ouvrage, le lecteur posera un regard neuf – au travers du prisme des HE – sur le végétal qu’il rencontrera aussi bien dans la littérature, l’histoire et dans son environnement proche et appréhendera sa relation à celui-ci d’une manière plus éclairée.

5La première partie de l’ouvrage permet au lecteur de se familiariser avec les HE et d’approfondir sa compréhension des savoirs, enjeux et débats autour de ce nouveau champ de la recherche. Offrant un panorama des HE, la publication s’adresse à tout lecteur, novice ou aguerri.

6En ouverture, Aurélie Choné et Philippe Hamman proposent une réflexion sur le statut des HE et s’interrogent sur la façon de penser la nature à l’heure de l’Anthropocène. L’idée de circulation des savoirs, notamment sur la nature, entre les disciplines et les espaces nationaux et culturels est au cœur de ce chapitre – et des HE. On signalera particulièrement, d’une part une réflexion sur la position du chercheur dans les HE, qui « ne saurait se situer en extériorité » (p. 34). Le lecteur peut ainsi réfléchir à d’éventuelles prises de position des contributeurs et contributrices à l’ouvrage collectif. Le chapitre illustre, d’autre part la volonté des HE de dépasser différents clivages, notamment celui de la réflexion/action. Les HE invitent en effet à agir par la réflexion et à la réflexion pour l’action. Ainsi, « comment penser et comment vivre avec la nature sont clairement deux dimensions qui vont de pair » (p. 42). Le chapitre “Die EH im deutschsprachigen Raum: Erste Forschungszentren, Ansätze und Perspektiven” proposé par Hubert Zapf et Evi Zemanek présente nombre de thématiques caractéristiques, de perspectives de développement et de défis des HE avant de citer les principaux centres de recherche et d’enseignement dans ce domaine ainsi que certaines de leurs publications. En établissant le cadre des HE et en présentant la recherche actuelle, ce chapitre établit des fondements utiles au lecteur.

7Urte Stobbe combine dans le chapitre « Les études végétales en Allemagne. Les plantes comme créatures dans le roman de Thomas Hettche, Pfaueninsel » une présentation des études végétales et une mise en pratique de celles-ci, en analysant les procédés utilisés par Hettche dans son roman Pfaueninsel, qui se prête très bien à l’exercice, notamment grâce à une notion de compassion étendue à la nature. En s’intéressant aux attributs végétaux des personnages, Urte Stobbe décloisonne l’humain du végétal et rapproche nature et culture.

8Dans le chapitre « L’histoire des forêts au défi de l’histoire globale : perspectives de recherche depuis la France et l’Allemagne », Jawad Daheur passe la forêt à la loupe de l’histoire. En confrontant un milieu naturel, et principalement végétal comme la forêt, à l’histoire globale et en discutant de l’influence de l’un sur l’autre, l’auteur démontre l’importance de l’étude non seulement scientifique, mais aussi culturelle et historique des milieux naturels. Une discussion sur l’échelle à considérer pour cette étude interroge la circulation des savoirs et donne toute leur place aux mécanismes de transferts, d’échanges et de connexions entre pays et continents.

9Christopher Schliephake, dans le chapitre intitulé « Antiquité et HE : quatre questionnements », interroge quant à lui notamment l’époque à prendre en compte. Il ouvre une réflexion sur l’ère de l’Anthropocène et atteste qu’à l’Antiquité déjà l’Homme se confrontait à l’idée de fin du monde. Ainsi, si l’impact humain sur la Terre vu de manière géophysique a effectivement été perceptible vers 1800, voire 1950 comme on le défend généralement, il est légitime d’élargir les études des Humanités environnementales à l’Antiquité, car la sphère culturelle de l’Anthropocène semble y avoir au moins des racines. L’auteur donne de plus aux mythes de l’Antiquité toute leur importance : celle de forme narrative vectrice d’une vision du monde et de savoirs. Il explique que dans le cosmos du mythe antique, l’Homme n’était pas au centre de l’univers. Cette « cosmovision » considère les entités non humaines comme protagonistes de la vie commune. Paysages, forces de la nature et animaux reçoivent de la reconnaissance. C. Schliephake interroge ainsi la place de l’Homme dans la nature à l’Antiquité au travers des mythes. Cependant, on peut noter que bien que les mythes fussent omniprésents, ils ne reflètaient pas forcément la façon que l’Homme avait d’habiter le monde. S’il n’était pas roi dans la mythologie, il pensait l’être sur Terre et tentait déjà, par exemple, de s’approprier le plus de terres possible par des guerres, rasant si nécessaire des forêts pour y installer villages et champs.

10La deuxième partie du volume est réservée à des études de cas. Le parcours proposé par l’ouvrage permet de poser un regard renouvelé sur l’observation et la compréhension des rapports à la nature en général et au végétal en particulier. Au fil de l’ouvrage, le lecteur se fait également une idée plus précise de la pertinence des sciences humaines et sociales face à la crise environnementale. Différentes méthodes sont adoptées par les auteurs et autrices.

11Tout d’abord, Hildegard Haberl propose dans le chapitre « Retour au jardin : mythe, idée, espace littéraire (Valérie Fritsch et Pascal Quignard) » d’expliquer nos rapports actuels au jardin, qu’elle décrit comme « Gartenmanie » ou manie du jardin, en décortiquant leur passé. Elle établit un lien entre la réflexion romantique sur la nature et l’écocritique contemporaine et reconstruit l’histoire de l’idée de jardin en analysant deux textes contemporains. Ces allées et venues entre passé et présent étoffent le regard posé sur les jardins d’un voile de sensibilité. Corinne Fournier Kiss invite quant à elle, dans le chapitre « Jardins écologiques avant la lettre ? Lectures de Jean-Jacques Rousseau, Johann Wolfgang von Goethe, George Sand et Hermann Hesse à la lumière de Gilles Clément », à une relecture de textes à l’aune des HE permettant de questionner nos rapports au jardin au fil du temps et ainsi de mieux comprendre leurs évolutions et la situation actuelle. Corinne Fournier Kiss affine sa recherche grâce au filtre de ce que l’on peut appeler aujourd’hui un « jardin écologique » et dont l’idée, on le voit, existait déjà au temps de Rousseau. Un plaidoyer pour un rapport plus sensible au végétal au long duquel on apprend que « le jardin se définit avant tout dans son rapport avec l’humain » (p. 188). On regrette peut-être dans l’ouvrage l’absence du jardin vivrier, qui aurait apporté une réflexion intéressante sur l’opposition nature/culture et la nécessité pour l’Homme d’interagir sur son environnement, d’assujettir la nature pour répondre à ses besoins. Doit-on chercher à ne rien modeler, à laisser le jardin redevenir sauvage, ou voulons-nous plutôt reconnaître que nous avons engendré un impact sur notre environnement, et nous efforcer à le rendre le plus sain possible ? Cette réflexion est amorcée par Michel Dupuy dans le chapitre « Histoire des forêts et Humanités environnementales en France et en Allemagne. Vers un désenchantement » lorsqu’il remet en question l’image de la forêt naturelle et la définit plutôt comme « co-construction avec les sociétés humaines » (p. 271). Les HE permettent de démystifier la nature et ainsi de poser un regard plus objectif sur nos rapports avec elle. Michel Dupuy a œuvré en ce sens en discutant de la notion de crise, en remettant en question les grands mythes autour de la forêt et en démontrant que celle-ci a largement été façonnée par la main de l’Homme au cours de l’Histoire et est loin d’être ce lieu de nature primaire que la forêt incarne dans les imaginaires. En déconstruisant les crises liées à la forêt, il montre en outre que l’inquiétude notamment liée aux pluies acides était démesurée mais utile, dans le sens où ces soucis ont remis en question la place de l’Homme dans son écosystème − incluant les forêts. Si l’Homme impacte l’environnement au point de mettre en péril son idéal sauvage − la forêt − ne doit-il pas alors changer son comportement ?

12Anne-Marie Pailhes illustre dans son chapitre « Le Club 99 : une expérience d’écologie radicale au sein de la communauté rurale de Sieben Linden (1999-2010) » le caractère ambivalent de cette culture alternative. Elle met en exergue une tension entre deux pôles de la société : d’une part, le système économique dominant, les valeurs et le mode de vie qui lui sont rattachés, et, d’autre part, la décroissance et ses aspirations. Une réflexion actuelle et pertinente qui questionne à quel point il est réellement possible de se détacher du système dominant. Le rôle des HE ressort ici : pour façonner un monde capable de relever les défis actuels au plus vite, comment restructurer la société ? Pour y répondre, l’étude de tentatives passées ou actuelles par les HE serait une clef déterminante.

13Philippe Alexandre propose, dans son chapitre « La France et l’Allemagne face à la “question forestière” au xixe siècle, le point de vue des forestiers français », de remonter le temps et d’étudier en détail l’évolution de la pensée des forestiers français comparée à celle des forestiers allemands. Ce travail met en évidence les doctrines de l’époque, leurs principaux représentants, ainsi que les différences culturelles qui ont fait différemment évoluer des deux côtés du Rhin les rapports à la forêt. Ce travail de recherche riche et complet explique nombre de faits liés à la forêt d’aujourd’hui : pourquoi l’Allemagne a-t-elle tant de forêts de résineux ? Pourquoi la France dispose-t-elle d’un régime fiscal de faveur pour les forêts ?

14Enfin, l’ouvrage analyse une autre fonction des HE : celle de questionner les actions humaines contemporaines afin de préparer un rapport plus harmonieux et respectueux au végétal pour demain – la réflexion pour l’action. Les auteurs Paul Averbeck, Florence Rudolf et Julie Gobert proposent dans le chapitre « Naturellement naturelle ? ! Quel degré de naturalité pour les forêts de la réserve transfrontalière Pfälzerwald-Vosges du Nord à l’heure du changement climatique ? » une enquête autour du concept de naturalité en forêt basée sur des entretiens avec des acteurs forestiers. Comment pensent-ils ? En quoi leurs visions décideront-elles des forêts de demain ? On regrette peut-être ici l’absence de l’acteur récréatif − le promeneur, dans un contexte où l’on demande de plus en plus à la forêt de répondre à une fonction « sociale » (accueil du public), en plus de celles écologique et productive. En effet, bien que nombre de promeneurs n’appréhendent pas la forêt d’un point de vue scientifique, partager les savoirs permettrait d’ouvrir le débat au public et de décloisonner les décisions envers la nature. Pour aller au bout de l’idée, il faudrait que le promeneur joue le jeu et s’intéresse à l’enjeu, dans ce cas la naturalité de la forêt dans laquelle il se promène. Les Humanités environnementales sont justement un outil pour ouvrir les débats et relever ces manques.

15L’objectif de l’ouvrage – « offrir au lecteur une synthèse des travaux actuels en termes d’HE en rapportant les tendances qui se dégagent à des contextes culturels de production en même temps qu’à des modes et canaux de circulations transfrontières, où l’outillage comparatif permet d’ouvrir de nouvelles perspectives » (p. 14) – est tout à fait respecté. Nous l’avons vu, il dresse un tableau des HE solide et est éclairé d’études de cas qui intéresseront tout lecteur curieux de réfléchir sur la place de l’être humain dans la nature de manières scientifiques et philosophiques. L’un des défis, tant de cet ouvrage que du champ de recherche des HE, est de veiller à lire les époques, textes et comportements « à leur façon et avec leurs mots » (p. 207). La grille de lecture contemporaine doit être apposée sur le sujet étudié, sans oublier que le savoir d’antan – qu’il s’agisse de l’Antiquité ou de l’époque d’Hermann Hesse – doit être analysé en plongeant dans la conscience de cette époque.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laura Schmitt, « Aurélie Choné, Philippe Hamman (éd.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental Humanities / Le végétal au défi des Humanités environnementales »Revue des sciences sociales, 69 | 2023, 146-148.

Référence électronique

Laura Schmitt, « Aurélie Choné, Philippe Hamman (éd.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental Humanities / Le végétal au défi des Humanités environnementales »Revue des sciences sociales [En ligne], 69 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 01 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/revss/9534 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.9534

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Auteur

Laura Schmitt

Schmitt[at]pieperundpartner.de

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

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