1En cette fin d’année 2023 la Covid-19 n’occupe plus guère les esprits, qu’il s’agisse de la classe politique ou des simples citoyens. Cette réalité est assez universelle, et l’archipel britannique n’y fait pas exception. Mais la pandémie est loin d’avoir disparu, et tant le souvenir douloureux des proches qu’elle a tués que la présence, hélas sans doute durable, de nombreux cas de ce Covid qui est dit long, car ses symptômes durent en règle une année au moins, continueront longtemps à hanter la société.

3Reste que, même si la Covid-19 devait resurgir à un niveau conséquent, l’immunité dite de masse acquise grâce à la vaccination d’une proportion conséquente de la population devrait, dans les pays développés au moins, limiter considérablement le nombre de décès. De plus, et surtout pour le présent numéro de la RFCB, on peut considérer que la séquence qui s’ouvrit au marché de Wuhan, à la toute fin de 2019, connut, au début de 2023, une décroissance quantitative telle que l’on peut considérer cette dernière comme marquant la fin d’une époque. C’est ce que montre clairement le graphique ci-dessous, établi à l’échelle du monde entier et actualisé par l’OMS au 16 octobre 2023. On ne peut certes écarter l’hypothèse de la possibilité d’un rebond, comme nous l’avons déjà indiqué, rebond dont tant la virulence que le déploiement territorial sont par principe non modélisables avant sa survenue, mais cela n’empêche aucunement de dresser le bilan de cette phase qui est maintenant terminée depuis plusieurs mois, qu’elle soit in fine la seule ou seulement la première d’une séquence plus durable.

4Ce bilan est aujourd’hui, dans le cas très spécifique du Royaume-Uni, d’autant plus nécessaire que les seules conséquences politiques de la survenue de la pandémie ont longtemps écrasé toutes les autres, en raison d’un calendrier très singulier : le 30 janvier 2020 l’OMS décréta, pour la sixième fois seulement de son histoire, l’état d’urgence sanitaire et, le 3 février, son directeur général présenta son Plan stratégique de préparation et de riposte. Ceci fut vécu comme une interférence insupportable par le gouvernement de Boris Johnson, ainsi que par tous les Britanniques qui attendaient depuis si longtemps un Brexit qui devait enfin être mis en œuvre le 31 janvier, soit très exactement entre ces deux dates pourtant très proches.

5Cette nouvelle complication était d’autant moins tolérable qu’il s’agit alors de réaliser au plus vite, dans la foulée des élections de décembre 2019 qui avaient été triomphales pour les Conservateurs, cette sortie de l’Union votée pas moins de trois ans et demi plus tôt, à l’issue du référendum de juin 2016, et que Theresa May n’avait pu mettre en œuvre car les négociations avec l’Europe été bloquées par ce que l’on appelait alors son Trilemne irlandais’. Elle ne pouvait en effet pas, à la fois quitter le marché unique, maintenir l’absence de frontière entre les deux Irlande et ne pas en établir une nouvelle en Mer d’Irlande. Après une année de tractations laborieuses et sans guère de résultat, ce qui était prévisible en raison de la faiblesse de sa majorité parlementaire, elle ne réussit aucunement à renforcer cette dernière lors des élections générales de juin 2017. Au contraire, sa majorité devint relative seulement, et elle ne dut sa survie politique qu’au soutien des Unionistes nord-Irlandais du DUP, soutien qui rendait strictement impossible toute résolution du trilemne, et donc tout accord avec l’Europe.

6A partir de mars 2020 les effets délétères de la Covid elle-même allaient bien sûr, comme dans le reste du monde, rapidement passer au premier plan dans la vie des familles, comme les interrogations et les craintes quant à l’efficacité de ce monument national que constitue le National Health Service allaient vite dominer le champ politico-économique, mais dans un contexte assez singulier de provisoire qui allait perdurer. Il ne s’agissait pas seulement de revenir à la normale mais encore et, pour certains, surtout de finaliser enfin ce Brexit qui avait été, par deux fois donc, suspendu par des évènements perçus comme exogènes et hors de contrôle.

7Cet arrière-plan politico-institutionnel constitue une spécificité britannique majeure qui se devait d’être rappelée, à titre de contextualisation, dans la présente introduction, mais il ne sera pas analysé spécifiquement. De même la dimension économique ne sera que relativement peu envisagée dans le présent numéro, dans la mesure où un prochain, à venir en 2024, lui sera plus spécifiquement consacré.

8Les contributions qui suivent se concentrent sur trois autres thématiques : (1) le déploiement assez remarquable –mais aussi les faiblesses- du discours politique, de l’action gouvernementale et des progrès technologiques, (2) l’impact social et sociétal de la pandémie sur les femmes et les minorités ethniques, et enfin (3) les profondes inégalités sanitaires de l’archipel britannique, tant entre ses deux états qu’entre les nations dites fondatrices du Royaume-Uni.

9Alma-Pierre Bonnet, dans son article « Le storytelling de Boris Johnson à l'épreuve de la crise sanitaire », fondé sur l’analyse des discours du Premier aux trois conférences annuelles du parti conservateur, présente comment un discours alternatif séduisant a pu être élaboré et se déployer dans la durée malgré la réalité covidienne.

10Nicholas Sowels examine ensuite, dans son article “The Impact of the Covid-19 Pandemic on Incomes, Inequality and Poverty in the United Kingdom” comment une réponse gouvernementale efficace permit, dans un premier temps, de maintenir les revenus puis quels sont les risques, à court et moyen termes, qui sont désormais posés par la conjonction de l’inflation et d’un soutien plus limité.

11La contribution de Louise Dalingwater, “Covid-19 and technological disruption in Health Care delivery in England”, examine comment la Covid-19 a pu favoriser les progrès et la diffusion de la technologie la plus moderne au sein du système de santé, mais aussi mettre en lumière tant les difficultés logistiques que les réticences de certains patients et les risques d’exclusion des plus vulnérables.

12Corinne Nativel, dans son article « Violences conjugales en période de crise sanitaire : les politiques publiques britanniques à l'épreuve de la "pandémie fantôme" », démontre d’abord comment la crise sanitaire a renforcé les inégalités de genre et ensuite que les autorités n’ont guère répondu à ces nouvelles urgences.

13De façon plus focalisée, à partir d’une remarque devenue une sensation sur les réseaux sociaux, Susan Ball s’intéresse au sexisme en temps de Covid avec son article “The new normal or more of the same? Everyday sexism and the response of traditional media to an internet sensation during lockdown”.

14Après ce double examen de la question du genre, Donia Touihri-Mebarek s’intéresse à celle de la vulnérabilité économique des minorités ethniques, avec son article : “Economic disparities in Great Britain during the Covid-19 pandemic: The Sewell Report and the myth of a post-racial society”.

15Philippe Brillet, à travers son « Essai de géographie de la Covid dans les Îles britanniques » tente d’expliquer, tour à tour, les grands écarts épidémiologiques entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni et les variations conséquentes entre les quatre nations dites fondatrices.

16Stéphanie Bory examine ensuite le cas très singulier du pays de Galles, très lourdement impacté par la Covid-19, et les dysfonctionnements majeurs de son système de santé dévolu, avec son article "I am sure Aneurin Bevan would be turning in his grave" Covid-19 in Wales: highlighting a dysfunctional system.

17Enfin Vanessa Boullet et Julien Guillaumond examinent, dans leur article “Covid-19 and the Irish border A preliminary analysis of cross-border cooperation considering health and work issues”, comment la pandémie a mis en lumière tant certaines limites de la coopération entre les deux états qui se partagent l’Irlande que les difficultés des travailleurs transfrontaliers.