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Le mouvement owéniste ou la formation du socialisme britannique (1800-1845)

The Owenite Movement, or the Making of British Socialism (1800-1845)
Ophélie Siméon

Abstracts

In the wake of a historiographical revival that began in the late 1960s and which has helped to rehabilitate “utopian” socialism as a theoretical and political school of thought in its own right, this article sets out to explore the origins, organisation and posterity of the first British socialist movement, also known as Owenism (1800-1845). It examines the paradox of a group that seemed apolitical at first glance, yet was nonetheless in touch with the political upheavals of its time, in connection with the desire to provide a set of definitive solutions to the “social question”. The delicate balance between the rejection of party politics, on the one hand, and militant action on the ground, on the other, will be explored through the study of structural tensions between Owen’s often paternalistic attitude and the democratic aspirations of many of his followers. The cross-analysis of three interdependent fields of action (workers’ rights, women’s rights and the suffrage issue) will help to carry out a political assessment of Owenism while pursuing a critical examination of the notion of “utopian socialism”.

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Full text

Introduction

  • 1 Morning Star, 22 avril 1834; Times, 22 avril 1834; Home Office Papers, Public Disorder, HO 52, 1834 (...)

1Dans la matinée du 21 avril 1834, environ 40 000 ouvriers londoniens se rassemblent aux abords de Copenhagen Fields, dans le nord de Londres, pour apporter leur soutien aux « Martyrs de Tolpuddle », six ouvriers agricoles originaires du Dorset accusés d’activités politiques subversives et condamnés à la déportation vers l’Australie. Brandissant leurs bannières, les manifestants défilent pacifiquement à travers la capitale avant de déposer une pétition au ministère de l’Intérieur afin d’annuler le verdict1. En tête du cortège se trouvait Robert Owen, en sa double qualité de président du Grand National Consolidated Trades’ Union (ou GNCTU, principale association de travailleurs de l'époque) et dirigeant du premier mouvement socialiste britannique, également connu sous le nom d’« owénisme ». Malgré le soutien d’une large part de l’opinion publique, les Martyrs de Tolpuddle (James Brine, James Hammett, George Loveless, son frère James, Thomas Standfield et son fils John) sont déportés en Australie. Ils sont graciés en mars 1836 et autorisés à regagner l’Angleterre.

Meeting of the Trade Unionists in Copenhagen Fields, April 21, 1834.

Meeting of the Trade Unionists in Copenhagen Fields, April 21, 1834.

Llyfrgell Genedlaethol Cymru—The National Library of Wales, Domaine public. https://viewer.library.wales/​1293402

  • 2 Marx Karl et Engels Friedrich, The Communist Manifesto [1848], ed. McLellan David, Oxford, Oxford U (...)

2L’engagement d'Owen auprès des ouvriers britanniques a de quoi surprendre, compte tenu de sa réputation de penseur « utopiste ». Dans leur Manifeste du parti communiste (1848), Karl Marx et Friedrich Engels ont en effet dépeint Owen, Fourier et Saint-Simon comme les précurseurs idéalistes de leur propre socialisme, qu’Engels qualifiera plus tard de « scientifique »2. L’ouvrage déplore notamment leur rejet de la lutte des classes au profit d'un idéal de coopération universelle, posture que Marx et Engels jugent à la fois apolitique et rétrograde, la révolution prolétarienne étant considérée comme l’unique perspective valable dans la marche de l’humanité vers le progrès historique.

  • 3 “a preposterous thinker”, who “simply had a vacant place in his mind where most men have political (...)
  • 4 La section du Manifeste consacrée à Owen, Fourier et Saint-Simon s’intitule en effet « Le socialism (...)
  • 5 “[…] every social movement, every real advance in England on behalf of the workers links itself to (...)
  • 6 Berg Maxine, The Machine Question and the Making of Political Economy (1815-1848), Cambridge, Cambr (...)
  • 7 Yeo Eileen, “Robert Owen and Radical Culture”, in Pollard Sidney et Salt John (dir.), Robert Owen, (...)

3Cet argumentaire a exercé une influence durable sur nombre de travaux consacrés à l’owénisme et au socialisme pré-marxien en général. Par exemple, selon E.P. Thompson, Owen était « un penseur absurde », qui « avait simplement une case vide dans son cerveau, là où la plupart des hommes ont des réponses politiques »3. Toutefois, des recherches ultérieures ont montré que Marx et Engels ne considéraient pas leurs prédécesseurs comme de simples « utopistes », mais comme des socialistes « critiques-utopiques » : en dépit de leur posture apolitique, ils ont néanmoins ouvert la voie à la critique marxienne de la société industrielle et capitaliste4. Dans la Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845), puis dans les années 1880, Engels a ainsi concédé que « tous les mouvements sociaux, toutes les avancées véritables obtenues au nom des travailleurs en Angleterre sont liés au nom de Robert Owen »5. Depuis la fin des années 1960, cette reconnaissance croissante de l’ambivalence de Marx et Engels à l’égard d'Owen a permis aux universitaires de réévaluer le premier socialisme : non plus comme un prédécesseur imparfait du marxisme, mais comme un courant de pensée politique à part entière. Les écrits pionniers de J.F.C. Harrison sur le mouvement owéniste en Grande-Bretagne et aux États-Unis ont ainsi fait école auprès de Maxine Berg, Gareth Stedman Jones et Gregory Claeys, pour ne citer que quelques noms6. Toutes et tous ont rompu avec les approches téléologiques et rétrospectives autrefois dominantes pour étudier l’owénisme en son temps et selon ses propres termes. Plus précisément, cette historiographie renouvelée a montré que le socialisme a émergé dans l’Europe du début du XIXe siècle en réponse aux défis de la nouvelle ère industrielle, entre abondance sans précédent et paupérisation de masse. Contrairement à l’économie politique classique, la pensée socialiste a dénoncé le statu quo économique pour mieux refuser de justifier la dégradation des conditions de travail des classes ouvrières en formation. Outre ce regain d’intérêt pour les débuts de la pensée socialiste, l’historiographie s’est également penchée sur l'histoire sociale de l’owénisme. Des années 1980 à aujourd’hui, dans le prolongement des travaux d’Eileen Yeo sur la culture radicale des disciples d'Owen, les travaux de Barbara Taylor et de Katrina Navickas ont étudié les formes d’activisme au sein des bases militantes, notamment chez les femmes7. Barbara Taylor a ainsi confirmé le rôle central de l’owénisme dans la formation d’une pensée féministe radicale, prônant l’émancipation des femmes comme prélude à l’affranchissement de l’humanité tout entière. Ces nouveaux champs de recherche ont contribué à nuancer la distinction classique entre socialisme « utopique » et « scientifique ».

4Dans le sillage de ces travaux, cet article entend explorer les origines, l’organisation et la postérité du mouvement owéniste. On examinera le paradoxe d’un groupe a priori apolitique, mais cependant en prise avec les mobilisations de son temps, en lien avec la volonté d’apporter un ensemble de solutions définitives à la « question sociale ». L’équilibre fragile entre rejet de la politique des partis et action militante sur le terrain sera éclairé à la lumière de tensions structurelles entre l’attitude souvent paternaliste d’Owen et les aspirations démocratiques d’une bonne part de ses disciples. L’analyse croisée de trois champs d’action interdépendants (les droits des travailleurs, des femmes et la question du suffrage) permettra de dresser le bilan politique de l’owénisme et de poursuivre l’examen critique de la notion de « socialisme utopique ».

Aux origines de l’owénisme : de la philanthropie au socialisme

5La volonté de Robert Owen d'améliorer la condition ouvrière n'est pas le fruit d’une pensée radicale au sens traditionnel du terme, mais d’une expérience fondatrice en tant que dirigeant d’usine. De 1800 à 1825, il se fait connaître dans tout le Royaume-Uni et au-delà comme directeur général de New Lanark, filature de coton fondée en 1785 dans le sud-ouest de l'Écosse par son beau-père, l’industriel de Glasgow, David Dale. Au sein de ce village ouvrier, Owen élabore, à partir de politiques philanthropiques déjà en place du temps de Dale, un programme destiné à améliorer durablement les conditions de vie et de travail de ses ouvriers et de leurs familles. Cette volonté réformiste inclut la réduction des horaires de travail, l’accès à l’éducation maternelle et primaire et l’interdiction des châtiments corporels.

Le village ouvrier de New Lanark, classé depuis 2001 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le village ouvrier de New Lanark, classé depuis 2001 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Vue des salles de filature depuis le fleuve Clyde.

Crédit photographique : Ophélie Siméon (2011).

  • 8 Siméon Ophélie, “Robert Owen, père du socialisme britannique ?”, La Vie des idées, septembre 2012; (...)

6Pour Owen, si l’industrialisation du Royaume-Uni offrait un potentiel économique sans précédent, l’organisation de ce nouveau système économique portait quant à elle préjudice à la santé, à la moralité et à la prospérité des classes ouvrières : situation d’autant plus injuste que cette partie de la population constitue la principale productrice des richesses du pays. Owen conçoit dès lors New Lanark comme une expérience sociale in vivo, moyen de réconcilier modernité économique et structures communautaires traditionnelles. En vertu de ses opinions déistes, Owen estime que le caractère des individus n’est pas prédéterminé par le péché originel, mais façonné au gré des générations via divers facteurs environnementaux. Cette « doctrine des circonstances » déterministe constitue selon lui une loi naturelle, seule à même de fonder toute entreprise de réforme sociale véritable. Par conséquent, Owen accorde une importance toute particulière à l’éducation et à l'expérimentation pratique en tant que vecteurs de changement social. Enfin, à l’image des hiérarchies en place à New Lanark, il estime que les riches et les puissants de ce monde ont le devoir moral de veiller au bien-être de celles et ceux qui dépendent d’eux8.

  • 9 William Godwin’s Diary, 1812-1813, Abinger Papers, Bodleian Library, Oxford.
  • 10 Harrison J.F.C., Robert Owen and the Owenites in Britain and America. The Quest for a New Moral Wor (...)

7L’expérience de New Lanark forme le socle du premier grand traité politique d'Owen, A New View of Society, qu’il publie en quatre volumes entre 1813 et 1816. L’influence du radicalisme sur ce texte novateur reste difficile à évaluer. Owen se présente en effet comme un homme de terrain, décrivant son système, qu’il qualifie de « science de la société » comme le produit de connaissance empirique des réalités de son temps. On sait cependant qu’il fréquente William Godwin en 1812-1813, années où il rédige le premier volume de sa New View of Society9. Si le manque de sources primaires ne permet pas de confirmer une filiation intellectuelle directe, la pensée d’Owen semble faire écho à celle de Godwin. Tous deux croient en effet au poids du déterminisme dans la formation des individus, et attachent une même importance à l’éducation du peuple comme moteur de la réforme sociale10.

  • 11 Owen Robert, Report to the County of Lanark, 1820.
  • 12 Cobbett William, “Mr. Owen”, Black Dwarf, 20 août 1817.
  • 13 Hazlitt William, Political Essays with Sketches of Public Characters, Londres, William Hone [1816], (...)

8Dans le contexte de la crise économique qui frappe le Royaume-Uni au lendemain des Guerres napoléoniennes, A New View of Society défend la création de « Villages de la coopération » dans le but de réformer l’Old Poor Law, système d’assistance aux pauvres appliqué en Angleterre et au Pays de Galles depuis l’ère élisabéthaine. En partie inspirés de New Lanark, ces villages étaient censés combiner activités industrielles et agricoles afin de lutter contre le chômage endémique, mais aussi contre l’exode rural de masse causé par le mouvement des enclosures11. Le projet suscite les railleries des milieux intellectuels et politiques. Le journaliste radical William Cobbett qualifie les « Villages de la coopération » de « parallélogrammes pour les pauvres », et voit en Owen un despote éclairé12. Pour l’écrivain William Hazlitt, ce projet philanthropique offre une vision exagérément idéaliste de l’avenir, critique qui donne lieu aux premières accusations d’utopisme à l’encontre d’Owen13.

  • 14 Owen Robert, Report to the County of Lanark, op.cit., p. 15; Harrison J.F.C., Robert Owen and the O (...)
  • 15 Claeys Gregory, “‘Individualism’, ‘Socialism’ and ‘Social Science’: Further Notes on a Process of C (...)

9Ce camouflet, ainsi que l’échec d’une campagne menée auprès du Parlement entre 1815 et 1819 afin de limiter le travail des enfants à l’usine, entraîne une radicalisation de la pensée d’Owen. Elle le conduit progressivement de la philanthropie classique au socialisme. À partir de 1817, il adopte un ton résolument millénariste : ses « Villages de la coopération » n’accueilleront plus seulement les indigents du royaume, mais l’ensemble de la population. Ce faisant, ces localités nouvelles deviendront les fers de lance d’une réorganisation complète de la société selon des principes communautaires. L’abolition du système usinier et de la propriété privée, le rejet des religions organisées ainsi que la promotion d’une économie coopérative (fondée non plus sur la concurrence effrénée, mais sur la propriété commune de la terre et des biens, ainsi que sur la juste rémunération des travailleurs) assureront une redistribution équitable des richesses, ouvrant ainsi la voie à la prospérité générale et au bonheur individuel14. Appelant de ses vœux l'avènement d'un « Nouveau monde moral », Owen rejette désormais tous les moyens traditionnels d'action politique (y compris les partis et les institutions parlementaires) au profit d'une expérimentation directe sur le terrain, via la fondation, ici et maintenant, de « Villages de la coopération ». Cet ensemble de principes, qu'Owen appelle « science sociale » ou « science de la société », devient connu sous le nom de « socialisme » à partir de la fin des années 182015.

  • 16 Siméon Ophélie, Contemporary Thought on Nineteenth-Century Socialism, vol. 1, “Owenism”, Londres, R (...)

10Dans un premier temps, Owen avait surtout cherché le soutien des classes dirigeantes, dans le prolongement de la perspective philanthropique et paternaliste de son expérience de New Lanark16. Par conséquent, nombre de ses partisans de la première heure, comme le propriétaire terrien écossais Archibald Hamilton of Dalzell ou le duc de Kent (père de la future reine Victoria), sont issus d’un milieu privilégié. En 1824, cependant, Owen se brouille avec ses associés ainsi qu’avec son épouse, Anne Caroline, en raison de la radicalisation de ses convictions politiques et de son scepticisme religieux. La même année, il est démis de ses fonctions à la tête de New Lanark. Il se consacre alors à plein temps à ses activités politiques et s'installe aux Etats-Unis, où il fonde en 1825 la communauté de New Harmony, dans l'Indiana. L’expérience prend fin durant les années qui suivent en raison de revers financiers, et Owen regagne la Grande-Bretagne en 1829.

Les débuts de l’owénisme : coopératives et union des métiers (1820-1834)

  • 17 Claeys Gregory, “Paternalism and Democracy in the Politics of Robert Owen”, International Review of (...)
  • 18 Mudie George, The Economist, 1821-1824; Thompson William, An Inquiry into the Principles of the Dis (...)

11Désormais installé à Londres, Owen constate que ses idées ont gagné du terrain parmi les cercles radicaux britanniques, à une époque où ces derniers explorent d’autres moyens d’action que la réforme parlementaire après le massacre de Peterloo17. Le système d’Owen suscite d’autant plus d’intérêt que sa défense d’une économie coopérative fait écho à diverses initiatives préexistantes. Si la première coopérative connue est fondée en 1769 par un groupe de tisserands de Fenwick, en Écosse, les traditions mutualistes, elles-mêmes héritées des guildes et corporations médiévales, connaissent un regain d’intérêt avec la Révolution industrielle. Les coopérateurs approuvent tout particulièrement la théorie de la valeur-travail qu’Owen avait développée dans l’un de ses principaux traités politiques, Report to the County of Lanark (1820). L’ouvrage proposait d’abolir l'étalon-or afin que les salaires ne soient plus indexés sur les lois d'un marché individualiste, mais sur le temps de travail. En d'autres termes, seuls les producteurs de richesses (une classe qui, aux yeux d'Owen, incluait les chefs d'entreprise tels que lui) avaient le droit de contrôler la production, les salaires et les flux commerciaux. Cette critique du capitalisme et de l'économie politique classique, opposée aux spéculateurs et aux intermédiaires, trouve également droit de cité dans les écrits de plusieurs owénistes de la première heure, comme l’Écossais George Mudie et l’Irlandais William Thompson18.

  • 19 Taylor Barbara, Eve and the New Jerusalem, op.cit. p. 53.

12Les disciples d'Owen s'accordaient également sur le fait que l'émancipation des travailleurs par la coopération entraînerait la régénération complète de l’humanité au sein d’un « Nouveau monde moral ». Ce principe se traduit bien souvent par des prises de position en faveur de l’égalité des sexes. Des autrices et activistes comme Emma Martin, Margaret Chapellsmith, Frances Wright et Anna Doyle Wheeler apportent ainsi une contribution essentielle à l’essor du socialisme britannique. Appeal of One Half the Human Race, ouvrage coécrit en 1825 par Wheeler et son compatriote William Thompson, offre ainsi le premier appel connu au vote des femmes en langue anglaise, jetant ainsi les bases théoriques du féminisme radical19.

  • 20 Harrison J.F.C.,, Robert Owen and the Owenites, op.cit., p. 50.
  • 21 “ […] the complete emancipation of the labouring class from the tyranny of capital and monopoly”, A (...)
  • 22 Gurney Peter, The Making of Consumer Culture in Modern Britain, Londres, Bloomsbury, 2017, p. 50.

13Enfin, les idéaux communautaires d’Owen (destinés à réorganiser la société et à repenser les rapports interpersonnels, loin de l’individualisme capitaliste ambiant) trouvent un écho favorable parmi les artisans et les ouvriers britanniques acquis de longue date à la coopération et au mutualisme20. Au début des années 1820, George Mudie et Abram Combe fondent respectivement à Londres et à Édimbourg les premières associations coopératives owénistes. Tous partagent la conviction que les travailleurs doivent prendre les choses en main s’ils entendent parvenir, pour citer le manifeste du GNCTU, à « l'émancipation complète de la classe ouvrière vis-à-vis de la tyrannie du capital21 ». D’autres institutions comme la London Co-operative Society (LCS), créée en 1825 par William Thompson et le futur leader chartiste William Lovett, s’inspirent des expériences pionnières de Combe et Mudie pour s’engager dans la promotion des coopératives de consommation et de production à des fins de réforme sociale. La création d’un magasin offrant des denrées de première nécessité au juste prix garantirait la liberté économique vis-à-vis des capitalistes et aux intermédiaires tout en réorientant les bénéfices vers le financement de « Villages de la coopération » sur l’ensemble du territoire22. En 1827, la LCS établit sa propre boutique, la London Co-operative Trading Association, que dirigent Lovett et son épouse Mary.

  • 23 Co-operative News, 24 octobre 1872, p. 72; Siméon, Ophélie “‘Revolution in the Mind’. Lecture et bi (...)

14Les premières coopératives n’opèrent pas seulement comme des avant-postes commerciaux, mais aussi comme des centres de diffusion des principes owénistes, en préparation à la future vie au sein des communautés. Ainsi, de nombreuses associations publient leurs propres journaux, comme The Economist de George Mudie, organe officiel de sa Cooperative and Economical Society londonienne. D’autres fondent des librairies, des bibliothèques et des salles de lecture, et organisent des conférences hebdomadaires sur les vertus du système coopératif. Certaines, comme la Manchester Owenian Society, ouvrent des écoles primaires et des cours du soir à destination de leurs adhérents et leurs enfants23. Ce réseau d’institutions joue un rôle politique fondamental. Dans les années 1820, les idées radicales subissent encore l’opprobre qui leur est attaché depuis les années 1790, époque où elles subissent de vives critiques de la part d’Edmund Burke. La chute de la monarchie française en 1792, ainsi que la Terreur, renforcent ces perceptions négatives au sein de l’opinion publique. De plus, l’immense majorité de la population britannique ne possède pas le droit de vote, tandis que les corporations, les sociétés de secours mutuel et les unions de métier font l’objet d’une étroite surveillance policière, en dépit de l’abrogation des Combination Acts en 1824. Dans ce contexte, les coopératives owénistes offrent aux classes populaires britanniques et à leurs alliés une véritable alternative en matière d’activisme politique. Leur rejet de toute forme d’action violente, et notamment de la lutte révolutionnaire armée, au profit de la coopération, favorise ainsi les ralliements par-delà les disparités idéologiques.

  • 24 Carpenter’s Political Letters and Pamphlets, 30 avril 1831, cité in. Langdon John C., Pocket Editio (...)
  • 25 Weekly Free Press, 20 mars et 7 août 1830; Lancashire and Yorkshire Co-operator, 8 mars 1832.

15Cette stratégie s’avère très efficace. En 1830, le Royaume-Uni compte près de 300 coopératives owénistes, notamment dans les centres ouvriers que sont Londres, Manchester, Liverpool, Birmingham et Glasgow. Le mouvement compte également de nombreuses antennes parmi les potiers du Staffordshire. Près d'une douzaine de publications, dont le Co-operative Magazine and Monthly Herald (1826-1830), édité par la LCS, témoignent de la popularité croissante des idéaux socialistes. Le mouvement owéniste est officiellement lancé en mai 1831, lorsque le premier congrès coopératif se réunit à Manchester. À cette occasion, les délégués de 250 sociétés coopératives déclarent publiquement leur soutien au système d'Owen. À la suite d'une résolution proposée par la First Birmingham Co-operative Society, ils acceptent de coordonner leurs actions et de mettre en commun leurs ressources financières à l’échelle nationale en vue d’établir un réseau de « Villages de la coopération »24. Deux ans plus tard, Owen crée son propre atelier et magasin coopératif, le National Equitable Labour Exchange, dans les locaux du quartier général de son mouvement, à proximité de Gray’s Inn Road, à Londres. Suivant l’exemple de deux expériences antérieures menées à Londres et à Birmingham, les artisans owénistes locaux (principalement des cordonniers, des charpentiers, des tailleurs, des couturières, des modistes et des ébénistes) procèdent à la vente directe des articles qu’ils produisent sur place, sans avoir recours à des intermédiaires. Les prix étaient indexés sur le temps de travail et le coût des matières premières, et les artisans étaient payés en « billets de travail » (labour notes) qui pouvaient être soit utilisés pour acheter d'autres biens au sein même de la bourse du travail, soit convertis en espèces, si les adhérents souhaitaient dépenser leurs émoluments en dehors de l'institution. Une partie des bénéfices était également reversés à la création de « Villages de coopération »25. Lancé en 1833, le journal The Crisis devient la voix officielle du mouvement owéniste. Jusqu’au déclin de ce dernier en 1845, les mots « owénisme », « socialisme » et « coopération » deviennent synonymes au Royaume-Uni.

  • 26 Siméon Ophélie, “The Grand National Consolidated Trades’ Union, 1833–1834: Class and Conflict in th (...)
  • 27 Birmingham Labour Exchange Gazette, 16 janvier 1833; The Crisis, 3 août 1833 et 4 janvier 1834.
  • 28 Home Office Papers, Criminal (Rewards and Pardons) Correspondence and Secret Service Reports, 1834- (...)
  • 29 Owen Robert, “The Social System”, New Harmony Gazette, 1826-1827.
  • 30 Voir la rubrique « A Page for the Ladies », The Pioneer, 1833-1834.
  • 31 Representation of the People Act 1832, 2&3 Wm. IV, c. 45.
  • 32 “Before a woman inclined to do good in any way, is permitted to do so in her country, there must be (...)

16Au début des années 1830, le réseau naissant des coopératives owénistes s’impose également comme un bastion du mouvement syndical, alors en plein essor. Owen et ses partisans pensaient qu’une union générale des métiers contribuerait à promouvoir un régime généralisé de coopération politique et économique. Celui-ci remplacerait à terme le système actuel fondé sur la concurrence effrénée et l'intérêt individuel, inaugurant ainsi un « Nouveau monde moral », dans un esprit de réforme radical qui n’est pas sans rappeler le concept marxien de « dissolution de l’État »26. Le Congrès coopératif approuve ce changement de stratégie en novembre 1833 et le Grand National Consolidated Trades’ Union est fondé en février de l’année suivante. Mais tout comme les expériences communautaires antérieures, l’initiative est de courte durée. En proie aux difficultés économiques, le Labour Exchange d'Owen ferme ses portes en 1834 après seulement deux ans d'activité, bien qu’il compte un millier de membres à son apogée27. À la même époque, le GNCTU compte environ 16 000 membres, selon les rapports au Home Office par plusieurs agents infiltrés28. En dépit de ce vaste soutien populaire, le groupe est lui aussi dissout en 1834, victime tant des luttes intestines que de la répression politique, à la suite du procès et de la déportation vers l’Australie des martyrs de Tolpuddle. Ces échecs ajoutent au sentiment généralisé de frustration qui imprègne les engagements politiques populaires au lendemain du Reform Act de 1832. Estimant que les travailleurs étaient encore trop peu éduqués pour obtenir le droit de vote, Owen avait soutenu les coopératives et les unions de métier en partie comme alternatives à un suffrage élargi. La même ambivalence s'applique à la question des droits des femmes. Alors qu'Owen avait promis aux filles et aux femmes qu’elles rempliraient un rôle « utile et productif » au sein du « Nouveau monde moral », notamment grâce à un meilleur accès à l'éducation, cette annonce ne se concrétise pas en termes de droits civiques et politiques29. Bien que la « question-femme » soit longuement débattue dans la presse owéniste30, et malgré la forte présence des femmes au sein du mouvement (des coopératives féminines aux écoles, en passant par les antennes du GNCTU), elles n’occupent que très rarement des postes de direction. De plus, Owen estime que les femmes, tout comme les travailleurs, souffrent depuis des millénaires d’un statut d’opprimées, et n’ont pas encore acquis l’autonomie politique nécessaire pour faire valoir leurs droits. Ceux-ci ne leur seront accordés que dans un avenir lointain, une fois le « Nouveau monde moral » advenu. De nombreuses femmes owénistes récusent cet attentisme au lendemain du Reform Act de 1832, loi qui limite explicitement le droit de vote aux « personnes de sexe masculin » (male persons)31. Pour citer Anna Doyle Wheeler, « Avant qu’une femme, décidée à faire le bien de quelque manière que ce fût, n’y soit autorisée en son pays, il faudra une réforme, en effet, celle-là même que nos Radicaux sont incapables d’envisager »32. Compte tenu de la tiédeur d'Owen à l'égard de la réforme parlementaire, des milliers de ses partisans prennent leur distance lors du Congrès coopératif de 1832. Parmi les déçus de l’owénisme : William Lovett et Henry Hetherington, futurs co-fondateurs de la London Working Men’s Association en 1836, organisation qui forme l’un des berceaux du mouvement chartiste.

La Rational Society (1834-1845)

  • 33 Lucas Edward, Early Socialism and the ‘Religion of the New Moral World’, Londres, Palgrave Macmilla (...)

17Malgré ces revers, le mouvement owéniste parvient à trouver un nouveau souffle au cours de la décennie suivante. L’historiographie a longtemps décrit cette seconde phase comme un lent déclin vers des formes d’activisme davantage empreintes d’utopisme et de religiosité. Si les discours millénaristes ont en effet pris de l’ampleur au sein du mouvement en raison d’un regain d’intérêt pour les idéaux communautaires, l’enthousiasme coopératif des débuts n’a pas été pour autant relégué au second plan.33 Par exemple, la Rochdale Society of Equitable Pioneers, considérée comme la première coopérative moderne de l’histoire en raison de son rôle dans la popularisation du principe de la ristourne (dividend), a été créée en 1843 dans le cadre du mouvement owéniste. Le Friendly Societies Act de 1834 a également encouragé ce renouveau coopératif, en accordant une reconnaissance juridique aux coopératives de consommateurs. De plus, en raison de son soutien à la journée de huit heures et à l'éducation populaire, Owen conserve de nombreux partisans, y compris parmi celles et ceux qui critiquent son paternalisme.

  • 34 Chase Malcolm, Chartism. A New History, Manchester, Manchester University Press, 2007, p. 250.

18Mais à partir de 1835, les owénistes doivent composer avec un nouveau cadre, davantage centralisé. Le 1er mai 1835, Owen fonde l'Association of All Classes of All Nation (ou AACAN, plus tard connue sous le nom de « Rational Society ») dans son nouveau quartier général de Charlotte Street, à Londres. Jusqu'en 1845, l'AACAN crée 65 sections locales, situées pour la plupart à Londres, Birmingham, Glasgow et dans le nord de l'Angleterre, centres traditionnels de l’activisme radical. Les allégeances y sont souvent multiples : à l’instar de William Lovett et Henry Hetherinton, de nombreux owénistes sont également chartistes34. L’AACAN compte également une antenne new-yorkaise, et des soutiens à Paris. Placées sous l'autorité d'un exécutif national, le Central Board, qu’Owen préside entre 1835 et 1845, les activités socialistes locales se déroulent au sein d'un réseau d'écoles, de bibliothèques et de salles de réunion connues sous le nom de « Social Institutions » dans les années 1830 et de « Halls of Science » durant la décennie suivante. Engels, qui fréquente dans sa jeunesse le Hall of Science de Manchester, en fait le récit suivant :

  • 35 Avant la parution du Manifeste du parti communiste en 1848, les termes « communiste », « owéniste » (...)
  • 36 Engels Friedrich, « Lettres de Londres », Schweizerischer Republikaner, n° 46, 9 juin 1843, in Bens (...)

Les socialistes anglais […] détiennent en effet habituellement dans les villes de quelque importance un hall (maison de réunion) où ils écoutent tous les dimanches des discours, souvent polémiques contre le christianisme, et athées, mais souvent aussi abordant un aspect qui touche à la vie des travailleurs […]. À Manchester, par exemple, la communauté des communistes35 compte 8000 membres déclarés, inscrits et cotisant pour la salle de réunion […]36.

  • 37 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium. The Harmony Community at Queenwoo (...)

19En 1835, Owen lance également un nouvel organe de presse, le New Moral World, dont le titre appelle sans équivoque à un retour à la source de ses idéaux. Au début des années 1840, cette publication atteint un tirage record de 40 000 exemplaires37.

Une du premier numéro du New Moral World, 1er novembre 1834.

Une du premier numéro du New Moral World, 1er novembre 1834.

University of Michigan Digital Collections. Domaine public.

  • 38 Harrison J.F.C., Owen and the Owenites, op.cit., p. 268.

20La promotion des idées socialistes bat alors son plein. À Londres, Owen donne des conférences hebdomadaires, tandis qu’une dizaine de représentants mandatés par le Central Board et connus sous le nom de « Social Missionaries » parcourent le pays pour vanter les vertus du système social et de son application. Les congrès annuels sont maintenus. Ils accueillent les délégués locaux, adoptent des résolutions et offrent une plate-forme propice au débat, devenant ainsi le « centre névralgique du mouvement owéniste »38. En plus d'être enregistrées auprès des autorités conformément au Friendly Societies Act de 1834, les coopératives britanniques dépendent des antennes locales de l’AACAN. Par exemple, la section de Charlotte Street accueille également la First Female Co-operative Association (FFCA) en 1834. Les membres de cette coopérative féminine se réunissent deux fois par mois pour vendre du thé et du café. L'association entend répondre à des besoins immédiats, via la collecte de fonds destinés à la construction de logements coopératifs pour les femmes célibataires veuves et/ou démunies. Mais comme toutes les institutions affiliées à l'AACAN (y compris la coopérative de Rochdale), la FFCA reverse une partie de ses bénéfices à un fonds communautaire, la National Community Friendly Society.

  • 39 New Moral World, 6 juin 1840; Armytage W.H.G., Heavens Below, Londres, Routledge, 1961, p. 145.

21En effet, Owen avait lancé en 1835 un vaste projet visant à réaliser enfin le « Village de la coopération » de ses rêves. Au cours des années 1830 et au début des années 1840, plusieurs initiatives isolées avaient abouti à la fondation de communautés, à Rockbeare, dans le Devon (1826-1827), à Ralahine, dans le comté de Clare, en Irlande (1831-1833), à Manea Fen, dans le Cambridgeshire (1838-1840) et à Pant Glas, dans le Merionethshire, au Pays de Galles (1840). Ces efforts avaient tous été de courte durée, en raison d'un manque de moyens et de soutien de la part d'Owen, qui n’y voyait que des brouillons imparfaits de ses propres ambitions réformistes39. En 1839, cependant, les owénistes établissent une communauté-modèle à Queenwood, dans le Hampshire. Établie sur des terres appartenant au banquier londonien Sir Isaac Lyon Goldsmid, mécène et proche ami d'Owen, Queenwood est présentée d’emblée comme la seule véritable mise en pratique de l’idéal des villages de la coopération, car l’initiative en revient à Owen et non à la base militante. En proie aux dissensions et à d’importantes difficultés financières, l’expérience entraîne cependant la dissolution progressive du mouvement owéniste.

  • 40 Cordillot Michel, Utopistes et exilés du Nouveau Monde. Des Français aux Etats-Unis de 1848 à la Co (...)
  • 41 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium, op.cit., p. 191.
  • 42 Holyoake George Jacob, A Visit to Harmony Hall, Londres, Henry Hetherington, 1844, p. 10.
  • 43 Roberts Matthew « Woman and Late Chartism. Women’s Rights in Mid-Victorian England”, English Histor (...)
  • 44 Claeys Gregory, Citizens and Saints, op. cit., ch. 6, “Owenism and Chartism”.

22Les résidents de Queenwood sont pour la plupart des familles owénistes issues des classes populaires, recrutées au sein des antennes locales. Mais dans le contexte de la récession économique des années 1830, et en raison du manque général d'expérience des owénistes en matière d'agriculture, la communauté est rapidement en déficit. Déçus de ce revers, de nombreux owénistes optent pour l’émigration aux Etats-Unis, où ils participent, aux côtés des fouriéristes, au renouveau communautaire des années 184040. Ces défections permettent à Owen de prendre le contrôle des opérations. En 1842, il s’établit à Queenwood, où il entreprend de gouverner la communauté avec l'aide d'un comité exécutif composé de mécènes, tels que le négociant John Finch41. Ce gouvernement autocratique, qui marque essentiellement un retour au régime paternaliste de New Lanark, ne fait rien pour apaiser les tensions existantes. Lancée en 1841, la construction d’un nouveau bâtiment, Harmony Hall, destiné à incarner l’avènement du « Nouveau Monde Moral » atteint la somme de 30 000 livres sterling et mène la Rational Society à la faillite. Lors d’une visite à Queenwood en 1844, George Jacob Holyoake voit dans le bâtiment, grandiose mais inachevé, un « monument à la magnificence inopportune »42. En signe de protestation, la plupart des antennes owénistes refusent de verser leur cotisation au fonds communautaire, pour mieux financer leurs activités politiques locales. L’opposition d’Owen à l’extension du suffrage masculin contribue également à l’isoler auprès de ses disciples les plus radicaux, alors que le mouvement chartiste est en plein essor. Sans renoncer pleinement à leur appartenance owéniste, plusieurs tenants du chartisme prennent leurs distances. Parmi eux, William Lovett, Anna Wheeler ou encore Isaac Ironside, futur soutien de la première association suffragiste britannique à Sheffield en 185143. Le nombre de ces transfuges est estimé entre 4000 et 1000 individus, au sein d’un mouvement chartiste comptant plusieurs centaines de milliers de sympathisants au mitan des années 184044.

  • 45 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium, op. cit., p. 191.

23Les tensions se muent en guerre ouverte en mai 1844. Cette année-là, le congrès annuel owéniste se tient à Queenwood. À cette occasion, les délégués soumettent au vote la question de la gouvernance au sein de la communauté. Démis de ses fonctions, Owen est remplacé par un exécutif ouvrier dirigé par le socialiste de Manchester John Buxton. Ce dernier promet une gouvernance démocratique ainsi que la mise en commun des biens et de la propriété. Si cette décision suscite l’espoir chez les owénistes, le nouveau régime ne parvient pas à enrayer une situation financière critique. Queenwood dépose le bilan l’année suivante, sonnant ainsi le glas de l'owénisme en tant que mouvement politique organisé45.

Conclusion. L’héritage politique de l’owénisme : un socialisme « utopique »46?

  • 46 Cette dernière partie s’appuie sur mon introduction à Contemporary Thought on Nineteenth-Century So (...)
  • 47 Owen Robert, The Life of Robert Owen, written by Himself, Londres, Effingham Wilson, 1857-58.
  • 48 Ibid., p. 7.

24Jusqu'à sa mort en 1858, Robert Owen demeure politiquement actif, donnant des conférences à travers le Royaume-Uni et publiant divers ouvrages, dont une autobiographie au soir de sa vie.47 À ses yeux, l’échec du mouvement owéniste ne remettait pas en cause la vérité de sa pensée socialiste : la débâcle de Queenwood et des autres communautés prouvait simplement que ses idées n’avaient jamais correctement été mises en pratique48. Il partage cette conviction avec un petit groupe de partisans de longue date comme Henry Travis, William Pare et John Finch. Mais à partir des années 1840, avec la montée du chartisme, du marxisme, du suffragisme et du mouvement ouvrier, la condescendance d’Owen à l’égard des classes laborieuses nuit à sa réputation.

  • 49 “A good part of the English socialist tradition is in fact a series of reinterpretations of enigmat (...)
  • 50 Hewins W.A.S, “Pare, William (1805-1873)”, ODNB Online, 2004, consulté le 24 août 2011. URL : http: (...)

25L'héritage politique d'Owen a perduré en dépit de ces contradictions. Comme le souligne J.F.C. Harrison, « La tradition socialiste anglaise consiste, pour une large part, à réinterpréter les figures énigmatiques du passé. Chaque époque produit une nouvelle vision de M. Owen 49». En effet, les générations ultérieures de socialistes et de coopérateurs se sont approprié certains des principes-clés d’Owen, l’intronisant ainsi dans le canon de la gauche britannique. Plusieurs owénistes, comme Anna Doyle Wheeler, rejoignent les rangs du chartisme. D’autres, comme George Jacob Holyoake et William Pare, jouent un rôle central dans le mouvement coopératif des années 1860-1900. Aux côtés de Henry Travis, exécuteur testamentaire d’Owen, Pare édite l’autobiographie du maître en 1858 et fait réimprimer ses ouvrages plus anciens. En 1871, Pare préside à Londres un meeting en l’honneur du centenaire de la naissance d’Owen. On y retrouve des socialistes de la première heure, des coopérateurs tels que Holyoake, ou encore l’ancien chartiste Thomas Cooper50.

  • 51 Morris, William, Contributions to the Common Weal [1885-1890], Londres, Thoemmes Press, 1996.
  • 52 “What to Read”, Fabian Tract n° 29, Londres, The Fabian Society, 1891-1910; Podmore Frank, Robert O (...)
  • 53 “[…] the father of English Socialism — not the Socialism of foreign manufacture which cries for a U (...)

26Lors du renouveau socialiste des années 1880, William Morris et la Société fabienne redécouvrent la pensée d'Owen51. Parmi les Fabiens, la petite-fille d’Owen, Rosamund, joue un rôle de premier plan dans ce regain d’intérêt. En 1906, dans sa liste annuelle de conseils de lecture, la Société recommande les mémoires d’Owen ainsi que la biographie que le fabien Frank Podmore lui avait consacrée, parue la même année52. Reprenant les idées d’Owen, les Fabiens les diffusent alors auprès d’un nouveau public, noyau du futur parti travailliste. En établissant l’éducation comme base d’une entreprise de réforme pacifique, Owen représentait, aux yeux des Fabiens, un idéal typiquement britannique de modération politique ainsi qu’un antidote à la lutte des classes et au marxisme. Pour Beatrice Webb, Owen n’était rien moins que « [...] le père du socialisme anglais – non pas le socialisme de fabrication étrangère qui réclame à grands cris une Utopie d'anarchie qui adviendrait par le biais d’une révolution meurtrière, mais le socialisme typiquement anglais, le socialisme qui se découvre dans l’action et non dans les mots [...]53 ».

  • 54 Chase Malcolm, The People’s Farm: English Radical Agrarianism 17751840, Oxford, Oxford University (...)
  • 55 Davis Robert A. et O’Hagan Frank, Robert Owen, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 194.
  • 56 Ibid., p. 181; Siméon Ophélie, Robert Owen’s Experiment at New Lanark, op.cit., p. 156.

27L'esprit de communauté qui fonde l’owénisme a ainsi perduré en tant que référence politique, même si son champ d'application ne concernait plus le « Village de la coopération », désormais jugé trop « utopique », mais les structures démocratiques de l’État-nation54. Ces arguments forment notamment le socle idéologique du mouvement coopératif moderne, qui se définit comme l’héritier direct des associations owénistes des années 1820-1830 ainsi que des Pionniers de Rochdale55. À bien des égards, les coopérateurs d’aujourd’hui perpétuent des formes d’activisme politique à l’échelle locale proches de celles autrefois en usage au début du 19e siècle, via leur engagement en faveur de l’économie sociale et solidaire56.

  • 57 Thompson William, Inquiry, op.cit., p. 427; Claeys Gregory, Citizens and Saints, op.cit., p. 197.

28Malgré le paternalisme d'Owen, sa « science de la société » a su toucher un large public dans le Royaume-Uni des années 1820-1840, car elle faisait écho aux réalités de l’existence des milieux ouvriers et artisanaux. La pensée owéniste possédait de multiples applications, passées au crible de l’expérience de New Lanark, depuis la dénonciation des conditions de travail en milieu ouvrier jusqu’à l’égalité femme-homme en passant par l’accès à l’éducation et à une juste rémunération. Pour William Thompson, les idéaux communautaires d’Owen constituaient « une vaste expérience économique et morale », dont l’universalisme offrait cependant des solutions concrètes et immédiates aux besoins des classes populaires57.

  • 58 Siméon Ophélie, Robert Owen’s Experiment at New Lanark, op.cit., p. 159.

29Le mouvement owéniste a donc permis aux premiers socialistes britanniques d’acquérir leur identité politique tout en fournissant une critique radicale des excès du capitalisme. En dépit de multiples dissentions, le réseau des institutions owénistes (coopératives de production et de consommation, unions de métiers, écoles, salles de lecture et communautés intentionnelles) offrait un repoussoir au délitement du corps social dans un contexte d’industrialisation et de paupérisation de masse. L’owénisme appelait de ses vœux un avenir où le progrès ne dépendrait pas d’intérêts dictés par une classe politique élitiste, mais de l'avènement d'une nouvelle forme d'organisation sociale fondée sur le principe de l'association volontaire. À une époque où les classes populaires et les femmes étaient encore largement exclues de la politique parlementaire, l’owénisme a élaboré une communauté d'idées et des répertoires d’action où les radicaux britanniques sont allés puiser. Malgré les débats quant à l’agentivité des classes populaires, leur participation active à ces institutions était largement perçue comme l’exercice de formes alternatives de démocratie : non par le vote, mais par l’application directe d’idéaux et de pratiques communautaires dans le champ du politique et de l’économie58.

  • 59 Lallement Michel, Le travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, Paris, Les Belles Lettr (...)

30Certains aspects du « système social » de Robert Owen peuvent nous sembler aujourd’hui idéalistes, notamment sa croyance en l’avènement d'un « Nouveau monde moral » apte à mettre un terme aux maux et aux injustices de son temps. En outre, son autoritarisme et son paternalisme ne s’accordent guère aux définitions modernes de la démocratie, qui reposent notamment sur l’accès au suffrage universel. Mais compte tenu des continuités avérées entre l’owénisme et les courants socialistes qui lui ont succédé au Royaume-Uni, on ne saurait réduire la pensée de Robert Owen aux divagations excentriques d’un visionnaire naïf. L’owénisme était peut-être utopique, mais avant tout dans la mesure où il posait la quête d'une vie meilleure comme condition sine qua non du progrès individuel et collectif, y compris pour les travailleurs pauvres. Loin de constituer une chimère, l’utopie conserve donc sa force critique, en tant que « projet [...] d’organisation du monde en dehors des pratiques et des représentations dominantes59 ».

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Bibliography

Sources primaires

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Notes

1 Morning Star, 22 avril 1834; Times, 22 avril 1834; Home Office Papers, Public Disorder, HO 52, 1834; Home Office Papers, Civil Petitions and Addresses, HO 54, 1834, Kew, The National Archives.

2 Marx Karl et Engels Friedrich, The Communist Manifesto [1848], ed. McLellan David, Oxford, Oxford University Press, 1992, pp. 34-7; Engels Friedrich, “Socialism, Utopian and Scientific” [1880], in The Selected Works of Karl Marx and Friedrich Engels, trad. Edward Aveling, Moscou, Progress Publishers, 1970, p. 95-151.

3 “a preposterous thinker”, who “simply had a vacant place in his mind where most men have political responses”, Thompson E.P., The Making of the English Working Class, Londres, Gollancz, 1963, p. 783, 786 (ma traduction).

4 La section du Manifeste consacrée à Owen, Fourier et Saint-Simon s’intitule en effet « Le socialisme critique-utopique et le communisme »; Mercklé Pierre, « Utopie ou “science sociale” ». Réceptions de l’œuvre de Charles Fourier au XIXe siècle », European Journal of Sociology , n° 45/1, 2004, p. 45-80.

5 “[…] every social movement, every real advance in England on behalf of the workers links itself to the name of Robert Owen”, Engels Friedrich, “Socialism, Utopian and Scientific”, op.cit., p. 95. Voir aussi Engels Friedrich, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre [1845], Paris, Éditions sociales, 2021.

6 Berg Maxine, The Machine Question and the Making of Political Economy (1815-1848), Cambridge, Cambridge University Press, 1980; Stedman Jones Gareth, “Utopian Socialism Reconsidered. Science and Religion in the Early Socialist Movement”, in Samuel Raphael (dir.), People’s History and Socialist Theory, Londres, Taylor & Francis, 1981, p. 138-144; Claeys Gregory, Machinery, Money and the Millennium: from Moral Economy to Socialism, 1815-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1987; Claeys Gregory, Citizens and Saints: Politics and Anti-Politics in the Early Socialist Movement, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. En France, les travaux du philosophe Miguel Abensour sur la pensée utopique ont abouti, à partir de sa thèse d’État soutenue en 1973, à une réévaluation similaire du premier socialisme. Voir la récente édition de cette thèse: Abensour Miguel, Le Nouvel esprit utopique, Paris, Sens et Tonka, « Utopiques V », 2024.

7 Yeo Eileen, “Robert Owen and Radical Culture”, in Pollard Sidney et Salt John (dir.), Robert Owen, Prophet of the Poor: Essays in the Honour of the Two Hundredth Anniversary of His Birth, Londres, Macmillan, 1971, p. 84-114; Taylor Barbara, Eve and the New Jerusalem. Socialism and Feminism in the Nineteenth Century, Londres, Virago, 1983; Navickas Katrina, Protest and the Politics of Space and Place 17891848, Manchester, Manchester University Press, 2016.

8 Siméon Ophélie, “Robert Owen, père du socialisme britannique ?”, La Vie des idées, septembre 2012; Siméon Ophélie, Robert Owen’s Experiment at New Lanark. From Paternalism to Socialism, Londres, Palgrave Macmillan, 2017.

9 William Godwin’s Diary, 1812-1813, Abinger Papers, Bodleian Library, Oxford.

10 Harrison J.F.C., Robert Owen and the Owenites in Britain and America. The Quest for a New Moral World, Londres, Routledge, 1969, p. 84-85.

11 Owen Robert, Report to the County of Lanark, 1820.

12 Cobbett William, “Mr. Owen”, Black Dwarf, 20 août 1817.

13 Hazlitt William, Political Essays with Sketches of Public Characters, Londres, William Hone [1816], 1819, p. 97-98.

14 Owen Robert, Report to the County of Lanark, op.cit., p. 15; Harrison J.F.C., Robert Owen and the Owenites, op.cit., p. 79.

15 Claeys Gregory, “‘Individualism’, ‘Socialism’ and ‘Social Science’: Further Notes on a Process of Conceptual Formation, 1800–1850”, Journal of the History of Ideas, n° 47/1, 1986, p. 81–93.

16 Siméon Ophélie, Contemporary Thought on Nineteenth-Century Socialism, vol. 1, “Owenism”, Londres, Routledge, 2021, p. 8

17 Claeys Gregory, “Paternalism and Democracy in the Politics of Robert Owen”, International Review of Social History, n°27/2, 1982, p. 161-207.

18 Mudie George, The Economist, 1821-1824; Thompson William, An Inquiry into the Principles of the Distribution of Wealth, Londres, Longman, 1824.

19 Taylor Barbara, Eve and the New Jerusalem, op.cit. p. 53.

20 Harrison J.F.C.,, Robert Owen and the Owenites, op.cit., p. 50.

21 “ […] the complete emancipation of the labouring class from the tyranny of capital and monopoly”, Anon., To Unionists, 1834, p. 13.

22 Gurney Peter, The Making of Consumer Culture in Modern Britain, Londres, Bloomsbury, 2017, p. 50.

23 Co-operative News, 24 octobre 1872, p. 72; Siméon, Ophélie “‘Revolution in the Mind’. Lecture et bibliothèques chez Robert Owen”, in Brémand Nathalie (dir.), Bibliothèques en utopie. Les Socialistes et la lecture au XIXe siècle, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2020, p. 191-206.

24 Carpenter’s Political Letters and Pamphlets, 30 avril 1831, cité in. Langdon John C., Pocket Editions of the New Jerusalem. Owenite Communitarianism in Britain 1825-1855, thèse d’histoire, Université d’York, 2000, p. 3.

25 Weekly Free Press, 20 mars et 7 août 1830; Lancashire and Yorkshire Co-operator, 8 mars 1832.

26 Siméon Ophélie, “The Grand National Consolidated Trades’ Union, 1833–1834: Class and Conflict in the Early British Labour Movement”, in Avril Emmanuelle et Béliard Yann (dir.), Labour United and Divided from the 1830s to the Present, Manchester, Manchester University Press, 2018, p. 21–32.

27 Birmingham Labour Exchange Gazette, 16 janvier 1833; The Crisis, 3 août 1833 et 4 janvier 1834.

28 Home Office Papers, Criminal (Rewards and Pardons) Correspondence and Secret Service Reports, 1834-1837, HO 64/15, Kew, National Archives; Parssinen Thomas M. et Prothero Iorwerth, “The London Tailors’ Strike and the Collapse of the Grand National Consolidated Trades’ Union: A Police Spy’s Report”, International Review of Social History, n°22/1, 1977, p. 65-107; Siméon Ophélie, “The Grand National Consolidated Trades’ Union”, op.cit., p. 26.

29 Owen Robert, “The Social System”, New Harmony Gazette, 1826-1827.

30 Voir la rubrique « A Page for the Ladies », The Pioneer, 1833-1834.

31 Representation of the People Act 1832, 2&3 Wm. IV, c. 45.

32 “Before a woman inclined to do good in any way, is permitted to do so in her country, there must be a reform indeed which our Radicals do not contemplate”, lettre d’Anna Doyle Wheeler à Marc-Antoine Jullien, 15 novembre 1832, cité dans Burke Stephen, “Letter from a Pioneer Socialist”, Studies in Labour History, n°1, 1976, p. 22-25.

33 Lucas Edward, Early Socialism and the ‘Religion of the New Moral World’, Londres, Palgrave Macmillan, 2023.

34 Chase Malcolm, Chartism. A New History, Manchester, Manchester University Press, 2007, p. 250.

35 Avant la parution du Manifeste du parti communiste en 1848, les termes « communiste », « owéniste » et « socialiste » sont souvent employés de manière interchangeable au Royaume-Uni.

36 Engels Friedrich, « Lettres de Londres », Schweizerischer Republikaner, n° 46, 9 juin 1843, in Bensimon Fabrice (dir.), Friedrich Engels. Écrits de jeunesse, trad. David-Guillou Angèle et.al., Paris, GEME-Éditions sociales, 2018, p. 73-74,

37 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium. The Harmony Community at Queenwood Farm, 1839-1845, Manchester, Manchester University Press, 1998, p. 65.

38 Harrison J.F.C., Owen and the Owenites, op.cit., p. 268.

39 New Moral World, 6 juin 1840; Armytage W.H.G., Heavens Below, Londres, Routledge, 1961, p. 145.

40 Cordillot Michel, Utopistes et exilés du Nouveau Monde. Des Français aux Etats-Unis de 1848 à la Commune, Paris, Vendémiaire, 2013.

41 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium, op.cit., p. 191.

42 Holyoake George Jacob, A Visit to Harmony Hall, Londres, Henry Hetherington, 1844, p. 10.

43 Roberts Matthew « Woman and Late Chartism. Women’s Rights in Mid-Victorian England”, English Historical Review, n°51, 2021, p. 918-949.

44 Claeys Gregory, Citizens and Saints, op. cit., ch. 6, “Owenism and Chartism”.

45 Royle Edward, Robert Owen and the Commencement of the Millennium, op. cit., p. 191.

46 Cette dernière partie s’appuie sur mon introduction à Contemporary Thought on Nineteenth-Century Socialism, op. cit., 13-26.

47 Owen Robert, The Life of Robert Owen, written by Himself, Londres, Effingham Wilson, 1857-58.

48 Ibid., p. 7.

49 “A good part of the English socialist tradition is in fact a series of reinterpretations of enigmatic figures from the past. For each age there is a new view of Mr. Owen”, Harrison J.F.C., “A New View of Mr. Owen”, in Pollard Sidney et Salt John (dir..), op.cit., p. 1-13.

50 Hewins W.A.S, “Pare, William (1805-1873)”, ODNB Online, 2004, consulté le 24 août 2011. URL : http://www.oxforddnb.com/view/article/21262

51 Morris, William, Contributions to the Common Weal [1885-1890], Londres, Thoemmes Press, 1996.

52 “What to Read”, Fabian Tract n° 29, Londres, The Fabian Society, 1891-1910; Podmore Frank, Robert Owen. A Biography, Londres, Allen & Unwin, 1906. Il s’agit de la première véritable biographie d’Owen, Podmore ayant eu accès, grâce à George Jacob Holyoake, à la correspondance du mouvement owéniste, aujourd’hui conservée au siège du mouvement coopératif britannique à Manchester.

53 “[…] the father of English Socialism — not the Socialism of foreign manufacture which cries for a Utopia of anarchy to be brought about by murderous revolution, but the distinctively English Socialism, the Socialism which discovers itself in works and not in words […]”, Webb Beatrice, The Co-operative Movement in Britain, Londres, Sonnenschein & Co., 1899, p. 15-16.

54 Chase Malcolm, The People’s Farm: English Radical Agrarianism 17751840, Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 250.

55 Davis Robert A. et O’Hagan Frank, Robert Owen, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 194.

56 Ibid., p. 181; Siméon Ophélie, Robert Owen’s Experiment at New Lanark, op.cit., p. 156.

57 Thompson William, Inquiry, op.cit., p. 427; Claeys Gregory, Citizens and Saints, op.cit., p. 197.

58 Siméon Ophélie, Robert Owen’s Experiment at New Lanark, op.cit., p. 159.

59 Lallement Michel, Le travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 12. Voir également Ricœur Paul, L’idéologie et l’utopie, Paris, Seuil, 1997; Claeys Gregory, Searching for Utopia. The History of an Idea, Londres, Thames & Hudson, 2011; Levitas Ruth, Utopia as Method, Londres, Palgrave Macmillan, 2013; Abensour Miguel, L’histoire de l’utopie et le destin de sa critique, Paris, Sens & Tonka, « Utopiques 4 », 2016.

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List of illustrations

Title Meeting of the Trade Unionists in Copenhagen Fields, April 21, 1834.
Credits Llyfrgell Genedlaethol Cymru—The National Library of Wales, Domaine public. https://viewer.library.wales/​1293402
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/13169/img-1.jpg
File image/jpeg, 176k
Title Le village ouvrier de New Lanark, classé depuis 2001 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Caption Vue des salles de filature depuis le fleuve Clyde.
Credits Crédit photographique : Ophélie Siméon (2011).
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/13169/img-2.jpg
File image/jpeg, 64k
Title Une du premier numéro du New Moral World, 1er novembre 1834.
Credits University of Michigan Digital Collections. Domaine public.
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/13169/img-3.png
File image/png, 100k
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References

Electronic reference

Ophélie Siméon, “Le mouvement owéniste ou la formation du socialisme britannique (1800-1845)”Revue Française de Civilisation Britannique [Online], XXX-1 | 2025, Online since 13 January 2025, connection on 18 April 2025. URL: http://journals.openedition.org/rfcb/13169; DOI: https://doi.org/10.4000/133dg

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About the author

Ophélie Siméon

Ophélie Siméon est maîtresse de conférences en Civilisation britannique à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre du laboratoire CREW et Fellow de la Royal Historical Society.

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