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Anti-esclavagistes et anti-impérialistes dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle : les paradoxes de la solidarité

Abolitionists and Anti-Imperialists in Nineteenth-Century Britain: Paradoxical Solidarities
Yann Béliard

Abstracts

This article is a study of the individual and collective efforts made in nineteenth-century Britain to protest against the oppression and exploitation imposed on slaves and colonised people through the process of imperial expansion. Examining the most significant forms of anti-slavery and anti-imperialist discourse and action, it offers a survey of the historiography and traces its recent mutations, to highlight the elements of continuity and rupture between abolitionism and anti-colonialism. This inquiry also interrogates the links between those mobilizations and other protest movements of the period. While there were many instances of convergence with radicalism, Chartism, trade-unionism and socialism, collaborations were neither systematic nor devoid of ambiguity. With its ups and downs, the persistence of an anti-imperialist current in British society from 1811 to 1914 is nevertheless striking. And the voices calling for a struggle uniting the metropolitan poor with their colonial sisters and brothers deserve to be rediscovered.

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Full text

Introduction

  • 1 Je remercie Fabrice Bensimon, Claire Boulard-Jouslin, Rachel Rogers et Ophélie Siméon pour leurs re (...)

1Contester l’ordre établi dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle, ce n’est pas seulement protester contre son propre sort, en vue de changer les choses là où l’on vit et travaille : c’est aussi, parfois, protester contre l’oppression imposée à d’autres femmes et hommes au-delà des mers par le processus de l’expansion impériale1. Quels discours, quelles actions furent les plus significatifs ? Comment ont-ils été compris par les historiens ? Tel est l’objet de cet article. On évoquera dans un premier temps la campagne contre l’esclavage dans l’Empire britannique, qui aboutit à son abolition dans les années 1830. Une seconde partie se penchera sur les anti-impérialistes des décennies suivantes, dont le poids sur les décisions politiques fut moins net mais dont les messages méritent d’être redécouverts. Au cours de ce tour d’horizon historiographique, on tentera de repérer les éléments de continuité et de rupture entre abolitionnisme et anti-impérialisme. On s’interrogera aussi sur les liens entre les mobilisations anti-esclavagistes ou anti-impérialistes et les autres mouvements protestataires de la période. Car les convergences auxquelles on s’attendrait entre abolitionnistes et radicaux, entre anti-colonialistes et syndicalistes ou socialistes, ne furent pas si naturelles.

L’anti-esclavagisme au-delà de l’icône Wilberforce

  • 2 Cette tradition remonte à la biographie en cinq volumes écrite par ses deux fils : WILBERFORCE Robe (...)
  • 3 TREVELYAN George Macaulay, History of England, Londres, Longmans, 1926. Son grand-oncle Thomas Babi (...)
  • 4 FERGUSON Niall, Empire. How Britain Made the Modern World, Londres, Allen Lane, 2003.
  • 5 AKALA, Natives. Race and Class in the Ruins of Empire, Londres, Two Roads, 2018.
  • 6 Voir leur page sur le site de l’université de Hull : https://www.hull.ac.uk/research/institutes/wil (...)

2Longtemps le combat contre l’esclavagisme a été raconté comme celui d’un seul homme, William Wilberforce2. On mettait principalement au compte de ce philanthrope et de sa ferveur religieuse le triomphe en deux temps de cette cause : abolition de la traite négrière au sein de l’Empire britannique en 1807, abolition de l’esclavage en tant que tel en 1833, quelques jours après sa mort. A Hull, dont il fut député, on érigea dès 1834 une colonne en son honneur et un musée célébrant son action fut ouvert en 1906 dans sa maison de naissance. Cet accent mis sur les qualités morales d’un individu à part est longtemps allé de pair avec une célébration du rôle pionnier de la Grande-Bretagne dans l’émancipation des esclaves, supposé illustrer sa supériorité éthique sur les empires européens rivaux. Tel était le récit proposé par G.M. Trevelyan dans son histoire de l’Angleterre, en conformité avec sa vision Whig d’un cheminement pondéré de la société britannique vers le mieux3. Au siècle suivant, un sillon similaire fut creusé par Niall Ferguson dans son éloge du rôle progressiste et civilisateur de l’Empire britannique4. Dans un essai mêlant autobiographie et réflexion politique, le rappeur Akala raconte sa colère d’écolier face à une enseignante attribuant au seul Wilberforce l’éradication de l’esclavage dans l’Empire5. Ce récit proche de l’hagiographie a été contesté et révisé, comme en témoignent à Hull les mutations du musée Wilberforce lui-même. À sa réouverture le 25 mars 2007 pour l’anniversaire de l’abolition de la traite, il a su prendre en compte les évolutions survenues dans le champ historiographique, en particulier grâce aux animateurs d’un établissement voisin, le Wilberforce Institute for the Study of Slavery and Emancipation6. La galerie dédiée au parcours du champion de l’abolitionnisme ne cache plus ses facettes les plus controversées. Et sa campagne personnelle est désormais contextualisée, avec des salles mettant en exergue les enjeux économiques et géopolitiques de la période, ainsi que les autres acteurs de cette épopée : les femmes abolitionnistes et les esclaves eux-mêmes.

  • 7 WOLFFE John, “William Wilberforce (1759-1833)”, Oxford Dictionary of National Biography online (200 (...)

3Comme souligné par l’historien John Wolffe, Wilberforce fut de son vivant même contesté par les protestataires du camp radical7. Si une vision flatteuse s’est imposée dans l’imaginaire collectif, on a redécouvert ces dernières décennies des aspects moins connus de cet homme dont les Tories puis les conservateurs avaient fait un chevalier blanc. Les biographes ont loué l’énergie, l’intelligence et le charme de Wilberforce. On ne s’étendra pas ici sur ces traits de caractère, ni sur les origines sociales, connues, de cet homme politique issue d’une famille bourgeoise enrichie dans le commerce avec la mer Baltique et propriétaire de terres. Son mariage avec la fille d’un banquier de Birmingham consolide cette assise matérielle, précieuse lorsqu’il décide de se dévouer à l’abolitionnisme. Ses convictions religieuses, de même, sont fameuses : fidèle à l’Eglise d’Angleterre, appartenant à son courant évangéliste, il est proche des unitariens et des méthodistes. Son mode d’action privilégié est le lobbying parlementaire, et on a vanté son approche gradualiste : convaincre les députés de mettre fin à la traite d’abord, à l’esclavage plus tard. Fidèle au parti tory et au premier ministre William Pitt le Jeune, Wilberforce ne dévie pas de son axe : par conviction et par stratégie, il dissocie son combat anti-esclavagiste des combats pour l’égalité et la liberté qui se déroulent alors en métropole. Comment, autrement, convaincre les députés de son camp qu’émanciper les esclaves aux Antilles ne conduira pas à un bouleversement de tout l’ordre social ?

Un Tory hostile aux révoltes sociales

  • 8 MORTON Arthur Leslie, A People’s History of England (1938), Londres, Lawrence & Wishart, 1992. COLE (...)
  • 9 THOMPSON Edward Palmer, The Making of the English Working Class (1963), Londres, Penguin, 2013.

4Là où des générations d’historiens avaient mis en valeur ce pragmatisme, les pionniers de l’histoire ouvrière, dans leur redécouverte empathique des révoltes populaires, ont souligné la constance avec laquelle Wilberforce approuva leur répression. En 1938, l’historien communiste A.L. Morton puis son collègue travailliste G.D.H. Cole en 1949 offrent à leurs lecteurs des portraits au vitriol de l’intouchable Wilberforce, et leurs successeurs des années 1960 et 1970 enfoncent le même clou8. Dans son ouvrage séminal The Making of the English Working Class, E.P. Thompson ne mentionne Wilberforce que pour souligner son anti-radicalisme9. L’opposition de Wilberforce aux mobilisations populaires n’est guère contestable ni contestée. Pendant la Révolution française, il soutient toutes les mesures de Pitt contre la liberté d’expression : suspension de l’habeas corpus en 1794, puis Gagging Acts de 1795. En 1799, il est à l’initiative des Combination Acts, lois anti-associations qui visent à tuer dans l’œuf syndicats ouvriers et réseaux radicaux, et il appelle à ce que leur rayon d’application soit le plus large possible. Dans les années agitées qui suivent la fin des guerres contre Napoléon, il voit dans les démocrates des mécréants et dans leurs soulèvements des menaces pour la paix sociale. En 1815, il vote les lois sur les grains, si favorables aux propriétaires fonciers et si décriées par le monde ouvrier à cause du prix élevé du pain qu’elles entretiennent. En 1819, après le massacre de Peterloo, il approuve l’ensemble des mesures répressives – les « Six Acts » – adoptées par le gouvernement. William Cobbett est de ceux qui l’attaquent pour n’avoir de compassion qu’envers les souffrances lointaines et pas envers celles des « travailleurs libres » en Grande-Bretagne. Dans ses vieux jours, Wilberforce se serait laissé convaincre des bienfaits d’une réforme électorale limitée. Mais c’est bien le conservatisme social et le paternalisme qui lui servent de boussole face aux éruptions venues d’en bas.

  • 10 FRYER Peter, Staying Power. The History of Black People in Britain (1984), Londres, Pluto, 2018 ; B (...)
  • 11 DRESCHER Seymour, “Emperors of the World. British Abolitionism and Imperialism”, in PETERSON Derek (...)
  • 12 Dans Civilising Subjects. Metropole and Colony in the English Imagination, 1830-1867 (Oxford, Polit (...)

5Quant aux historiens qui, de Peter Fryer à John Newsinger, ont fait à partir des années 1980 une relecture critique de l’expérience impériale, ils relèvent que la compassion de Wilberforce pour les esclaves n’était pas inspirée par un credo anti-impérialiste10. Son moteur était une foi chrétienne inséparable de la croyance dans la supériorité du christianisme sur les autres religions et dans la mission civilisatrice d’un Empire britannique réformé11. En 1793, il avait défendu la promulgation du christianisme comme religion établie en Inde, proposition que les directeurs de l’East India Company rejetèrent, certains qu’elle engendrerait des secousses sociales. Après la victoire parlementaire de 1807, Wilberforce participe certes à la création de l’African Institution, qui vise à établir en Sierra Leone des esclaves émancipés. Mais c’est d’abord pour propager la religion chrétienne et la civilisation dans ces terres qu’il juge barbares car païennes. En 1813, il appuie l’envoi de missionnaires anglicans en Inde et la fondation de l’évêché de Calcutta, au motif que la religion hindouiste serait un facteur « d’ignorance et de dégradation morale et sociale ». La même année, il se prononce pour l’émancipation des catholiques irlandais, parce qu’il est favorable à la liberté religieuse mais aussi avec la conviction que cette mesure attachera plus solidement les Irlandais au Royaume-Uni. Dans les années 1820, lorsqu’il jette ses dernières forces dans la bataille, c’est toujours au nom du salut spirituel des esclaves et de l’Empire12.

6Plus surprenant peut-être, Wilberforce prit position contre les révoltes d’esclaves, à commencer par la révolution victorieuse qu’ils menèrent dans la colonie française de Saint-Domingue entre 1791 et 1794. Dans sa campagne pour la fin de la traite, il cita cette révolution comme une catastrophe, que l’Empire britannique ne pourrait éviter qu’en adoptant ses préconisations. Et face aux rébellions qui ébranlèrent les Antilles britanniques, il appela à la répression. Membre de l’élite économique du pays, il s’agissait pour lui de convaincre les membres de sa classe que leurs intérêts économiques ne seraient préservés que par des réformes. Tout soubresaut venu des multitudes opprimées elles-mêmes lui paraissait dangereux. Pour aller vers l’abolition universelle de l’esclavage, il comptait sur des hommes politiques éclairés, d’où ses courriers à Alexandre Ier de Russie et à Talleyrand. Wilberforce, malgré son rejet des Jacobins noirs, se fit ainsi conseiller du roi d’Haïti Henri Christophe entre 1815 et 1820, espérant contribuer à l’évangélisation du pays. Les portraits uniformément élogieux de Wilberforce ont donc fait place à une vision plus nuancée, qui n’éclipse plus son hostilité à la plupart des protestations populaires de son temps.

Les bénéfices de la philanthropie

  • 13 WILLIAMS Eric, Capitalism and Slavery (1944), Londres, Penguin, 2022. Voir aussi RODNEY Walter, How (...)
  • 14 BROWN Christopher, Moral Capital. Foundations of British Abolitionism, Chapel Hill, University of N (...)

7Parmi les nouvelles perspectives qu’offre aujourd’hui la Wilberforce House à ses visiteurs, il y a le questionnement sur les causes profondes du succès de la campagne abolitionniste. Comme tout un courant historiographique le soutient depuis les travaux d’Eric Williams en 1944, elles furent plurielles et pas seulement philanthropiques13. Les panneaux explicatifs ne se limitent plus à l’évocation des motifs religieux et éthiques, mais soulignent l’importance du facteur économique. Sans remettre en cause la piété de Wilberforce, les tenants de cette interprétation arguent qu’au début du XIXe siècle, le système esclavagiste était devenu moins rentable qu’auparavant, rendant son déclin inévitable, notamment face à l’extension du « travail libre » des salariés. Christopher Brown a contesté cette hypothèse d’un système esclavagiste en crise, mais il relie lui aussi le succès parlementaire de Wilberforce à l’économie : en abolissant l’esclavage en son sein, l’Empire britannique se donna un prétexte moral pour patrouiller les océans, arrêter les navires des puissances concurrentes suspectés d’être partie prenante du commerce triangulaire, et asseoir ainsi une hégémonie maritime profitable14.

  • 15 HALL Catherine et al. (dir.), Legacies of British Slave-Ownership. Colonial Slavery and the Formati (...)
  • 16 SCANLAN Padraic, Slave Empire. How Slavery Built Modern Britain, Londres, Robinson, 2020. SANGHERA (...)

8Autre manière d’intégrer la dimension financière, les conservateurs de la Wilberforce House ont ouvert en 2023 une nouvelle salle consacrée aux héritages de la traite transatlantique. Elle vulgarise pour les visiteurs le fruit des travaux de Catherine Hall et de son équipe sur les bénéficiaires métropolitains du commerce négrier et sur les compensations financières versées à partir de 1837 aux ex-propriétaires d’esclaves15. On sait plus qu’avant, dans le grand public, qu’ils reçurent 20 millions de livres pour leurs pertes, tandis que les esclaves ne touchèrent pas un penny en dédommagement de leurs souffrances, et que ces millions jouèrent un rôle important dans l’essor industriel de la Grande-Bretagne16.

Femmes et ouvriers : les abolitionnistes oubliés

  • 17 WALVIN James et al. (dir.), The British Slave Trade. Abolition, Parliament and People, Edimbourg, E (...)
  • 18 Ouvert en 2007, le musée international de l’esclavage de Liverpool, moins focalisé sur l’abolitionn (...)

9La Wilberforce House dans sa configuration post-2007 a enfin le mérite d’éclairer la dimension collective et populaire de la lutte contre l’esclavage. Les expositions rendent hommage non seulement aux proches de Wilberforce, comme lui membres des classes privilégiées et animés par la flamme évangélique, mais aussi aux collectifs féminins et aux gens du peuple investis dans cette cause, faisant toucher du doigt ce qui a permis à certains d’y voir le premier mouvement social au sens moderne du mot17. Ce choix permet de rappeler non seulement que tous les abolitionnistes n’étaient pas anti-radicaux mais que moult artisans et ouvriers démocrates prirent part à ce mouvement de protestation. Dans son opus de 1963, Thompson ne consacre pas de chapitre à la lutte anti-esclavagiste et c’est plus récemment qu’a été mise en lumière cette dimension ouvrière de l’abolitionnisme. Mais le nombre de signataires des pétitions abolitionnistes en 1833 – 1,5 million d’hommes et de femmes, soit 10 % de la population – atteste du caractère non exclusivement bourgeois du mouvement. Et on estime que depuis les années 1780, une personne sur cinq avait fait ce geste. La Wilberforce House a donc su intégrer les travaux montrant que plus d’une personne engagée contre l’esclavage menait de front d’autres combats, par exemple pour améliorer la condition ouvrière18.

  • 19 MIDGLEY Clare, Women against Slavery. The British Campaigns, 1780-1870, Londres, Routledge, 1992.
  • 20 ROWBOTHAM Sheila, Hidden from History. 300 Years of Women's Oppression and the Fight against It, Lo (...)

10Cela permet de ne plus passer sous silence les dissensions qui déchirèrent le camp abolitionniste, en particulier entre partisans d’une abolition graduelle et ceux d’une abolition immédiate, comme Elizabeth Heyrick et les plus virulents des radicaux. Les historiennes du féminisme depuis les années 1970 ont par ailleurs mis en évidence le fait que, si la campagne abolitionniste ne se voulait pas explicitement féministe, elle fut pour bien des femmes de la petite bourgeoisie une occasion de faire irruption dans un champ politique dont elles étaient encore largement exclues19. En effet, les cercles abolitionnistes, au départ masculins, étaient plus que réticents à accepter des femmes dans leurs rangs, certains que cela les discréditerait auprès des députés et des ministres. Raison complémentaire de cet ostracisme : la crainte que les femmes ne défendent des positions plus intransigeantes et que leurs méthodes ne soient dérangeantes. Cela contraignit les femmes abolitionnistes à créer leurs propres groupes à partir de 1824-1825, et cette expérience militante fut un tremplin vers la lutte des femmes pour leurs propres droits20. Elle nourrit la confiance en elles-mêmes de ces activistes dont les filles deviendraient les chevilles ouvrières du premier suffragisme.

Remettre au centre les soulèvements des esclaves

  • 21 WALVIN James, Resistance, Rebellion and Revolt. How Slavery Was Overthrown, Londres, Robinson, 2020

11Mais le retournement historiographique sans doute le plus marquant de ces dernières décennies est la reconnaissance que les députés britanniques ne se seraient pas laissé convaincre par Wilberforce de renoncer à la traite puis à l’esclavage sans les révoltes des premiers concernés : les esclaves eux-mêmes, dont la population totale aux Antilles approchait le million21. On se contentera ici de citer les trois principales, qui secouèrent tour à tour la Barbade en 1815-1816, la Guyane en 1823 et la Jamaïque en 1831-1832. Le courant évangélique se garda de les acclamer, les présentant au contraire comme des calamités à prévenir. Ce sont ces insurrections en série, les destructions et les incertitudes qu’elles entraînaient, qui poussèrent la classe politique à se débarrasser finalement d’un système dont la rentabilité, ou tout au moins la stabilité et la durabilité, n’était plus évidente. Le musée de Hull prend en charge cette inversion des points de vue en consacrant une pleine salle aux rébellions et révolutions des esclaves, et une autre à leur vie en Afrique de l’Ouest et à leurs pratiques culturelles avant la déportation.

  • 22 WALVIN James et al. (dir.), The Abolition of the Atlantic Slave Trade. Origins and Effects in Europ (...)

12Mettre ainsi au cœur du processus historique qui conduisit aux abolitions de 1807 et 1833 les actions collectives des esclaves et donc leur « agentivité », c’est au moins égratigner le récit précédent où un grand homme voire la nation britannique tenaient les beaux rôles. Ce passage d’une vision « par en haut » à une vision « par en bas » a autorisé en même temps un changement d’échelle, les causes des abolitions étant à chercher non plus seulement sur le sol britannique mais à des milliers de miles de là, dans les colonies, britanniques ou non. Par ce changement de paradigme, on est passé aussi d’un schéma insulaire, anglo-centré, à une lecture transnationale, permise précisément par le développement des histoires comparatives et croisées à partir des années 198022.

Noirs de Grande-Bretagne : un rôle unique

  • 23 OLUSOGA David, Black and British. A Forgotten History, Londres, Macmillan, 2016.

13Dans un même esprit, les chercheurs étudient plus qu’avant le rôle des Noirs émancipés qui militèrent en Grande-Bretagne contre l’esclavage. La tendance est à rapprocher de l’institutionnalisation, à partir d’octobre 1987, d’un Black History Month au Royaume-Uni, suivi jusque dans les écoles primaires, ou de la percée médiatique plus récente de l’historien David Olusoga23. Bien que le pays ait compté autour de 10 000 Noirs libres sur son sol au début du XIXe siècle, il semblerait que la sphère dirigeante du courant abolitionniste n’ait pas spécialement cherché à s’appuyer sur eux. Ils étaient probablement inquiets que les apparitions publiques de ces êtres souvent pauvres et illettrés ne desservent leur cause, étant donné les préjugés racistes de la classe politique. La gravure de George Cruikshank « The New Union Club » (1819) joue sur ces stéréotypes.

George Cruikshank, “The New Union Club”, 1819.

George Cruikshank, “The New Union Club”, 1819.

The Art Institute of Chicago. CC0.

  • 24 OWEN Nicholas, Other People’s Struggles. Outsiders in Social Movements, Oxford, Oxford University P (...)

14Elle représente une réunion où des orateurs noirs, prenant l’ascendant sur leurs homologues blancs, transforment un lieu de débat en capharnaüm. On comprend à la voir que la participation de militants noirs à la campagne anti-esclavagiste n’allait pas de soi. Comme noté par Nicholas Owen, le symbole le plus répandu de la campagne britannique contre l’esclavage était l’image d’un homme noir à genoux déclarant « Am I not a Man and a Brother », copiant le médaillon créé en 1787 par Josiah Wedgwood. L’appel à la fraternité était là, mais la position de supplication n’évoquait guère l’idée d’égalité24. Cette image suggère que les Noirs étaient mieux acceptés comme objets de pitié que comme sujets de leur émancipation par la direction gradualiste du mouvement.

  • 25 EQUIANO Olaudah, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the A (...)
  • 26 Sur les usages multiples des références à l’esclavage dans les discours radicaux, lire HANLEY Ryan, (...)

15Les Noirs vivant en Grande-Bretagne n’en jouèrent pas moins un rôle notable. Le plus célèbre de ces militants, l’esclave émancipé Olaudah Equiano, mourut en 1797, avant le début de la période couverte par cet article. Mais son autobiographie, comme celle de l’esclave émancipée Mary Prince, fut réimprimée maintes fois au cours du XIXe siècle25. Et le réseau de Noirs britanniques qu’il avait fondé, les Sons of Africa, lui survécut. Sans chercher à prendre leurs distances avec Wilberforce lors de leurs réunions publiques à travers la Grande-Bretagne et l’Irlande, cultivant une attitude unitaire, les Sons of Africa se revendiquaient des idéaux de la Révolution française et plaçaient leur engagement sous le signe d’un combat plus large pour la liberté, l’égalité et la fraternité. En cela, ils s’inscrivaient dans la tradition radicale incarnée par un dirigeant de la London Corresponding Society comme Thomas Hardy, qui insistait sur les points communs entre le sort des esclaves d’un côté de l’Atlantique et celui des Britanniques pauvres de l’autre26.

  • 27 MAHAMDALLIC Hassan, Black British Rebels. Figures from Working Class History, Londres, Bookmarks, 2 (...)
  • 28 HANLEY Ryan, “Cato Street and the Caribbean”, in McELLIGOTT Jason et CONBOY Martin (dir.), The Cato (...)
  • 29 WEDDERBURN Robert, The Horrors of Slavery and Other Writings (dir. : Iain McCalman), Édimbourg, Edi (...)
  • 30 HANLEY Ryan, Beyond Slavery and Abolition. Black British writing, c.1770-1830, Cambridge, Cambridge (...)

16Parmi les figures sorties de l’oubli, il faut mentionner Robert Wedderburn27. Né du viol d’une esclave jamaïcaine par son maître blanc, il arrive à Londres adolescent. Tour à tour docker, tailleur et pasteur unitarien, il devient un révolutionnaire, disciple du proto-communiste Thomas Spence. Orateur de talent, on sait grâce aux notes prises par des espions quel type d’abolitionnisme il prêchait en 1819 devant le petit peuple londonien : il appelait les esclaves des Antilles à se libérer en tuant leurs maîtres et invitait les déshérités de Grande-Bretagne à faire de même si on leur refusait la liberté et l’égalité. Pendant le massacre de Peterloo, il est derrière les barreaux et Wilberforce lui-même, en dépit de leurs désaccords, rend visite à ce boutefeu. Wedderburn passe alors provisoirement le relais à un autre militant d’origine jamaïcaine, William « Black » Davidson. Celui-ci, partie prenante de la conspiration de Cato Street, sera pendu puis décapité en mai 182028. Wedderburn, à sa libération, n’en continue pas moins son combat par la plume, avec le lancement du périodique The Axe Laid to the Root (« La hache et la racine » / « Trancher le mal à la racine ») et la publication de l’ouvrage The Horrors of Slavery (1824)29. Il dédicace ce dernier à Wilberforce, indice de respect et de gratitude envers cet homme aux vues si divergentes des siennes. On perd la trace de Wedderburn après 1834. Mais son parcours illustre à la fois le caractère transnational et interracial du mouvement anti-esclavagiste en Grande-Bretagne, ses tensions internes et les connections existant avec d’autres branches protestataires30.

  • 31 MAHAMDALLIC, Black British Rebels, op. cit.

17Owen a souligné à juste titre le caractère disjoint du combat abolitionniste, les meneurs de la lutte en Grande-Bretagne et ceux qu’ils affirmaient défendre étant deux groupes distincts, séparés entre autres par un océan et la couleur de la peau. Owen va plus loin en avançant que le moteur du combat abolitionniste jusqu’en 1833 fut moins le sort des esclaves que la volonté des milieux bourgeois, notamment quakers et méthodistes, d’avoir enfin voix au chapitre, objectif atteint avec la réforme électorale de 1832. C’est aussi pourquoi le cas de Wedderburn donne à réfléchir : en sa personne, il incarna un autre abolitionnisme, moins surplombant, où les Noirs n'étaient pas seulement objets de la compassion ou des discours des Blancs, mais agents de leur propre libération. Et il se fit le chantre d’un abolitionnisme alternatif, où l’esclavagisme n’était pas seulement une infâmie lointaine, mais un système ayant partie liée avec les injustices subies en Grande-Bretagne. Sa popularité, évidente si l’on en croit les reporters de l’époque, laisse à penser que ses conceptions ne furent pas si marginales31. Il formula l’idée que protester contre l’esclavage n’était pas seulement se battre pour le bonheur d’autres inconnus mais que cela impliquait un combat universel, qu’altruisme et défense de ses propres intérêts pouvaient se conjuguer. Une telle vision, sans devenir majoritaire, irriguerait les critiques ultérieures de l’impérialisme.

Après 1833 : prolongements et résurgences de l’abolitionnisme

  • 32 Sur cette campagne, voir MIDGLEY, Women against Slavery, op cit. Les ex-esclaves furent ensuite ren (...)
  • 33 BOLT Christine, The Anti-Slavery Movement and Reconstruction. A Study in Anglo-American Co-operatio (...)
  • 34 Dans un premier temps, des chartistes avaient relativisé l’exploitation des esclaves noirs par rapp (...)

18De manière significative, on ne date plus la fin de l'esclavage dans l’Empire de l’année 1833 mais plutôt de 1838, car il fallut une campagne de plus, portée notamment par des voix féminines, pour mettre à bas le système d’apprentissage qui avait remplacé l’esclavage sur le papier mais le perpétuait dans les faits32. On explore aussi les prolongations du combat anti-esclavagiste au-delà de 1838, en particulier les connections entre activistes britanniques et nord-américains. Au cours des décennies suivantes, femmes et hommes continuent en effet à militer pour son abolition universelle, et plus spécifiquement aux Etats-Unis. En 1846-1847, l’abolitionniste états-unien Frederick Douglass tient presque 300 meetings en Grande-Bretagne et en Irlande. L’accueil populaire est chaleureux et il reçoit, grâce aux efforts d’Anna et d’Ellen Richardson, deux militantes quakers, les 150 livres qui lui permettent d’acheter sa liberté33. Ce soutien n’est pas sans lien avec l’évolution du point de vue des chartistes sur l’esclavage, de plus en plus marqué à partir de 1842 par l’antiracisme34. Le mouvement compta d’ailleurs parmi ses dirigeants les plus respectés William Cuffay, dont le père avait probablement été esclave dans la colonie de Saint Kitts.

  • 35 KRANTZ Mark, The Cotton Famine. Lancashire Textile Workers, Abraham Lincoln and the American Civil (...)
  • 36 BENSIMON Fabrice, DELUERMOZ Quentin et MOISAND Jeanne (dir.), “Arise Ye Wretched of the Earth”. The (...)

19Le même élan anti-esclavagiste s’observe au moment de la guerre civile américaine (1861-1865). Alors que l’industrie textile pâtit du blocus qui empêche les exportations de coton des plantations du Sud vers les 2 500 filatures du Lancashire, alors que ministres et employeurs incriminent le camp nordiste, la sympathie des ouvriers, même au chômage, va aux troupes du président Lincoln, en dépit de la « famine du coton » qui les touche en 1862. Cette primauté donnée à la solidarité avec des travailleurs noirs d’outre-Atlantique sur l’apparent intérêt économique immédiat est attestée par le succès d’immenses meetings, le 31 décembre 1862 au Free Trade Hall de Manchester et le 26 mars 1863 au St James Hall de Londres35. Si le monde ouvrier britannique célèbre en 1865 la victoire du Nord, c’est le signe de la persistance d’un internationalisme hérité des plus à gauche des radicaux et des chartistes, qui s’est matérialisée à Londres en 1864 avec la fondation de l’International Working Men’s Association (IWMA), l’Association internationale des travailleurs (AIT)36. Même après l’émancipation de 1865, les références à l’esclavage resteront nombreuses dans la propagande des contestataires britanniques, que ce soit pour dénoncer le travail des enfants ou la surexploitation des colonisés. Socialistes marxistes et syndicalistes révolutionnaires notamment feront leur cette rhétorique, en désignant « l’esclavage salarié » comme le système à abattre.

20L’histoire de l’abolitionnisme n’est donc plus ce qu’elle était. On prend désormais le contrepied des récits qui célébraient le rôle précurseur de la Grande-Bretagne dans la marche vers une abolition totale de l’esclavage et en oubliaient presque qu’elle fut le pays à qui l’esclavage rapporta le plus : sur 12 millions d’Africains déportés, plus du quart le furent sur des navires britanniques. Plutôt qu’un cadeau offert aux opprimés par de bonnes âmes, l’abolition de l’esclavage apparaît comme une décision politique prise au sommet par la peur d’explosions sociales dans les colonies qui menaçaient de devenir incontrôlables voire d’alimenter les désordres en Grande-Bretagne.

L’anti-impérialisme : des contours ambigus, un courant persistant

  • 37 HOWE Stephen, Anticolonialism in British Politics. The Left and the End of Empire, 1918-64, Oxford, (...)
  • 38 PORTER Bernard, Critics of Empire. British Radicals and the Imperial Challenge (1968), Londres, IB (...)

21Cet article voudrait maintenant s’interroger sur les liens entre les relectures du mouvement anti-esclavagiste évoquées plus haut et la manière dont on écrit aujourd’hui l’histoire de l’anti-impérialisme en Grande-Bretagne au XIXe siècle. Un changement de perspective obéissant à des inspirations similaires s’est produit, même si la nature même des contestations anti-colonialistes jusqu’en 1914 impose d’éviter les analogies simplistes. Là où les abolitionnistes, malgré leur diversité, convergeaient vers un objectif législatif, il est plus difficile de discerner un tel dénominateur commun chez ceux qui, des années 1840 à 1914, élevèrent la voix contre l’impérialisme britannique. A cette époque, personne ne revendique encore la dissolution de l’Empire, revendication que le parti communiste de Grande-Bretagne sera le premier à faire sienne lors de sa fondation en 1920-1921. Logiquement, les principaux historiens de l’anti-colonialisme britannique, Stephen Howe et Nicholas Owen, se sont donc focalisés sur le XXe siècle37. Au XIXe siècle, alors que l’expansion impériale est en marche, les courants qui contestent l’ordre établi en métropole ont à analyser en temps réel un phénomène inédit et malaisé à comprendre. C’est pourquoi, Bernard Porter puis Gregory Claeys l’ont montré, les critiques et les sceptiques prennent pour cible l’impérialisme, plus rarement l’Empire britannique en tant que tel38.

  • 39 MATIKKALA Mira, Empire and Imperial Ambition. Liberty, Englishness and Anti-Imperialism in Late-Vic (...)
  • 40 Sur le patriotisme des socialistes britanniques plus spécifiquement, voir WARD Paul, Red Flag and U (...)

22Ce qui est décrié, ce sont les guerres de conquête et les violences dans les territoires annexés, comme le notent Howe et Owen quand ils remontent aux sources victoriennes et édouardiennes de l’anti-colonialisme. Expansionnisme, militarisme, autoritarisme, chauvinisme extrême (‘Jingoism’) : voilà les ennemis39. Pour Mira Matikkala, l’anti-impérialisme britannique jusqu’en 1900 s’appuie sur une certaine conception de l’anglicité : on dénonce les massacres coloniaux comme contrevenant aux traditions libérales du pays et au patriotisme authentique40. A partir de 1900 selon elle, les critiques changent de nature, pour se focaliser sur les relations inégales entre colonisateur et colonisé. Mais ce distinguo n’a rien d’évident, car les deux angles d’attaque coexistent, avant et après 1900.

Des anti-colonialistes nourris par les luttes des dominés

  • 41 GOPAL Priyamvada, Insurgent Empire. Anticolonial Resistance and British Dissent, Londres et Brookly (...)

23De même que le regard s’est déporté des abolitionnistes britanniques vers les esclaves insurgés, de plus en plus d’historiens étudient comment les initiatives des colonisés ont aidé les critiques métropolitains de l’Empire à préciser leurs conceptions et leurs stratégies. Professeure d’études postcoloniales à Cambridge, Priyamvada Gopal, à travers des études de cas couvrant les XIXe et XXe siècles, met en évidence ce que les adversaires britanniques de l’impérialisme ont appris des révoltes de masse dans les colonies et de leurs échanges avec les nationalistes indiens, égyptiens, antillais et autres41. Elle fait elle-même le parallèle entre esclavage et colonisation, pour déconstruire le mythe selon lequel, dans les deux cas, la liberté aurait été octroyée d’en haut par les esprits les plus nobles de la puissance tutélaire. Elle insiste aussi sur le fait que l’histoire de l’anti-impérialisme ne commence pas en 1945, mais que le rejet de l’impérialisme est aussi ancien que l’impérialisme lui-même. À l’encontre du récit classique selon lequel les peuples colonisés auraient retourné les idéaux démocratiques de l’Occident contre lui-même, Gopal met en lumière un processus basé sur le dialogue, les interactions et la réciprocité.

  • 42 En revanche il n’est pas certain que Hyndman ait lu les articles sur le colonialisme publié par Mar (...)
  • 43 BURTON Antoinette, The Trouble with Empire. Challenges to Modern British Imperialism, New York, Oxf (...)

24Parmi les acteurs de ce mouvement dialogique et dialectique, elle braque les feux sur le chartiste Ernest Jones, ce compagnon de Marx et d’Engels qui vit dans la révolte indienne de 1857 non une « mutinerie des Cipayes » mais une insurrection populaire à soutenir et même à imiter. Gopal repère une circulation du même type lors de la révolte des anciens esclaves à Morant Bay, Jamaïque, en 1865, qui pousse un intellectuel positiviste comme Richard Congreve à affiner et radicaliser son rejet de l’ordre impérial. Et elle fait l’hypothèse que ces désordres outre-mer n’ont pas été pour rien dans l’extension du suffrage de 1867, conséquence comme celle de 1832 d’une peur profonde des masses. Dans le même ordre d’idées, elle note que l’analyse du pillage économique de l’Inde par la Grande-Bretagne présentée au nom de la Social Democratic Federation (SDF) par Henry Hyndman en 1904 au congrès de l’Internationale socialiste à Amsterdam doit beaucoup à la ‘drain theory’ du nationaliste indien Dadabhai Naoroji, membre fondateur de l’Indian National Congress (INC) en 1886 et député aux Communes de 1892 à 1895, avec qui il avait longuement discuté42. Le renversement opéré par Gopal approfondit les pistes ouvertes par la New Imperial History et les Subaltern Studies. Dans sa préoccupation de ne plus reléguer les colonisés en périphérie, elle rejoint les travaux d’Antoinette Burton et de John Newsinger, qui ont valorisé de même les partenariats transnationaux entre anti-impérialistes d’ici et de là-bas43. Les femmes sont en revanche presque absentes de son ouvrage et leur rôle dans les luttes anti-impérialistes en Grande-Bretagne reste à examiner de plus près.

Une critique plus vive dans l’élite que dans les masses ?

25Si le combat anti-esclavagiste entraina de larges fractions de la population britannique, les historiens de l’anti-colonialisme britannique ont moins de mobilisations de masse à scruter. Est-ce parce que la propagande impérialiste, croissante à partir des années 1880, pénétrait l’ensemble de la société britannique ? Certes, dans les années qui suivent l’échec des révolutions européennes de 1848, les leaders nationalistes réfugiés en Grande-Bretagne drainaient les foules par dizaines de milliers, tel le hongrois Kossuth à Birmingham le 10 novembre 1851. Mais les empires qu’ils fustigeaient étaient continentaux, et ils prenaient garde de ne pas égratigner John Bull, au point que la Peoples’ International League fondée par Mazzini à Londres en 1847 refusait les Irlandais. En 1878, une gigantesque manifestation se tient à Hyde Park contre une éventuelle entrée en guerre de la Grande-Bretagne en Europe orientale aux côtés de l’Empire russe contre l’Empire ottoman. Mais ces 50 000 à 500 000 personnes, selon les estimations, exprimaient des sentiments pacifistes plus qu’une condamnation de la construction impériale. On sait aussi les difficultés de la SDF à mobiliser le public ouvrier contre la guerre des Boers en 1899. Malgré l’impression de 300 000 brochures, malgré la signature d’une tribune contre l’intervention britannique par une centaines de dirigeants travaillistes et trade-unionistes, les marxistes firent chou blanc puis profil bas jusqu’à la fin du conflit. On comprend donc qu’à l’instar de Matikkala, les spécialistes de l’anti-impérialisme britannique évoquent un réseau plutôt qu’un mouvement, des archipels plutôt qu’un continent. A ce titre il est révélateur que les rares organisations dédiées à cette cause soient restées fragiles et, telles l’Anti-Aggression League dans les années 1880 et le Rainbow Circle dans les années 1890, cantonnées à l’intelligentsia.

  • 44 TAYLOR Miles, “‘Imperium et Libertas’? Rethinking the radical critique of imperialism during the ni (...)
  • 45 LÉNINE, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Paris : Editions sociales, 1979.

26Les critiques de l’impérialisme les plus écoutés au XIXe siècle sont celles formulées par des libéraux. Dans les années 1840 et 1850, les libre-échangistes Richard Cobden et John Bright condamnent les guerres de conquête parce qu’ils croient aux vertus du doux commerce dans les relations internationales et qu’ils réprouvent le coût des dépenses militaires. Cette critique sera bientôt qualifiée de Little Englander, motivée par l’égoïsme national plus que par la solidarité avec les peuples asservis. Ces voix libérales mettent en garde contre les effets délétères du militarisme sur les libertés en métropole44. Autour de 1900, le « nouveau libéral » John Hobson actualise ce discours en soulignant que les budgets publics consacrés à acquérir et gérer de nouveaux territoires, de même que les capitaux privés qui s’y investissent, sont autant de moyens en moins pour le progrès social en Grande-Bretagne. Lecteur attentif de Hobson et londonien lui-même à plusieurs reprises entre 1902 et 1911, Lénine en tirera bientôt des conclusions révolutionnaires sur les questions coloniales45.

  • 46 KOPP Ekkehard et OXAAL Cecile (dir.), Not Just Wilberforce. Champions of Human Rights in Hull and E (...)

27Sans être majoritaires au sein du parti libéral, des voix de francs-tireurs s’élèvent décennie après décennie contre le colonialisme et pour une réforme de l’Empire, parmi les intellectuels, les hauts fonctionnaires voire les entrepreneurs. Claeys s’est intéressé aux positivistes : ces disciples d’Auguste Comte, adeptes de la religion de l’humanité, étaient favorables à une fédération de petits Etats républicains en remplacement du gigantisme impérial, et défendaient le Home Rule tant pour l’Irlande que pour l’Inde. Thomas Perronet Thompson (1783-1859), gouverneur du Sierra Leone puis haut fonctionnaire en Inde et en Perse, incarne de manière fascinante la transition de l’anti-esclavagisme à l’anti-impérialisme. Brouillé avec Wilberforce qu’il estime trop modéré après sa victoire de 1807, passé ensuite par le chartisme, il applaudit la révolte indienne de 1857 et appelle de ses vœux un empire sans inégalités raciales, sans coercition ni exploitation46. En 1865, George William Gordon, lui-même propriétaire terrien en Jamaïque, est l’un des pourfendeurs les plus virulents d’Edward Eyre, ce gouverneur qui vient de réprimer dans le sang la rébellion de Morant Bay, et il devient l’un des animateurs les plus éloquents de la campagne enclenchée en Grande-Bretagne pour amener Eyre devant la justice.

Les engagements du mouvement ouvrier

  • 47 VARGO Gregory, “‘Outworks of the Citadel of Corruption’: the Chartist press reports the Empire”, Vi (...)

28A côté de ces questionnements « d’en haut », peut-on identifier un anti-impérialisme de caractère populaire, au sens où l’abolitionnisme l’avait été ? Et, s’il a existé, s’est-il démarqué de l’anti-impérialisme élitaire par des positions plus tranchées ? Des chercheurs ont traqué, avec succès, l’existence d’un tel courant dans le monde du travail, alimenté par la permanence de convictions internationalistes et pacifistes au sein de la classe ouvrière. Remontant au cosmopolitisme des radicaux, cette sensibilité s’affirme pendant l’épopée chartiste, avec un accent plus marqué qu’au moment de la Révolution française sur la nature de classe des nécessaires solidarités. On savait les chartistes, et pas seulement les figures de proue O’Connor et O’Brien, majoritairement partisans de l’autonomie irlandaise. Mais leur sympathie pour les travailleurs du monde englobait aussi les habitants de l’Empire47. Cet internationalisme prend plus de place encore dans la presse chartiste quand Ernest Jones prend les rênes du mouvement, même si le public susceptible d’entendre le message diminue après 1848. Ainsi Jones est en 1853 l’un des rares à condamner l’engagement britannique en Crimée, sans parvenir néanmoins à mobiliser.

  • 48 SAGER E.W., “The working-class peace movement in Victorian England”, Social History, vol. 12.3, 197 (...)
  • 49 LAITY Paul, The British Peace Movement 1870-1914, Oxford, Oxford Academic Monograph, 2010.

29Héritière de cette mouvance, la Workmen’s Peace Association (WPA) est fondée en 1870 à l’occasion de la guerre franco-prussienne, pour unir ceux qui refusent l’idée d’une intervention britannique dans ce conflit. Par son rejet des armées de conscription et des guerres de conquête, elle se range dans la famille des sceptiques envers l’entreprise impériale. Selon E.W. Sager, elle surpasse en nombre de membres et pour au moins une décennie toutes les autres organisations ouvrières, Trades Union Congress (TUC) inclus48. Regroupant principalement des ouvriers qualifiés, son succès illustre l’importance des questions internationales pour le milieu des travailleurs qualifiés qui sont en train de bâtir les New Model Unions. Son premier président, William Cremer, fondateur du syndicat national des charpentiers et menuisiers, a été le premier secrétaire anglais de l’AIT de 1864 à 1866, et la WPA des débuts compte à sa direction huit membres de l’AIT. En 1885 encore, sur les 12 élus ouvriers aux Communes, 9 sont membres de la WPA. Mais ce succès n’est pas sans ambiguïté : les députés en question, surnommés les Lib-Lab, sont affiliés au parti libéral et en embrassent l’idéologie prudemment réformatrice. La WPA s’exprimant peu sur les guerres coloniales, son internationalisme, proche du pacifisme quaker, ne fait pas beaucoup de vagues49.

  • 50 LAKE Marilyn et REYNOLDS Henry, Drawing the Global Colour Line. White Men's Countries and the Inter (...)

30Le réformisme impérial bien tempéré de la WPA reflète celui des chefs des trade-unions à partir de 1871. Pour se démarquer des révolutionnaires de la Commune de Paris et se faire admettre comme partenaires sociaux par le patronat et l’État, ils se rapprochent alors des libéraux, y compris dans leur vision des rapports internationaux. Leur contestation de l’Empire se borne dès lors à réclamer l’autonomie parlementaire pour les colonies de peuplement, qui est de toute façon octroyée au fil du siècle au Canada, à la Nouvelle-Zélande, à l’Australie et à l’Afrique du Sud. Des ténors du syndicalisme prennent fait et cause pour les Africains lors de la guerre de 1879 contre les Zoulous et de 1884 au Soudan, ainsi que pour les Égyptiens lors du bombardement d’Alexandrie en 1882. Mais les députés Lib-Lab votent les budgets militaires permettant ces expéditions. Des historiens des antipodes ont par ailleurs souligné l’appui des trade-unions britanniques à l’émigration vers les « colonies blanches » de la Greater Britain pour désengorger le marché du travail en métropole, comme si ces terres n’étaient pas déjà peuplées. Pour Marilyn Lake et Henry Reynolds, le mouvement ouvrier britannique, loin de miner l’empire, aurait été complice de l’institution d’un ordre mondial raciste50.

31Moins nombreux que les trade-unionistes, les militants du renouveau socialiste des années 1880-1890 se veulent eux aussi porteurs d’un internationalisme de type prolétarien, mais leur critique de l’impérialisme britannique se fait plus féroce. À partir de 1890, leurs rassemblements lors du premier dimanche de mai à l’appel de l’Internationale socialiste se placent non seulement sous le signe de la journée de huit heures, mais de l’amitié entre les peuples, et on y dénonce le capitalisme fauteur de guerres. Entre 1899 et 1902, la fièvre patriotique est telle que dans bien des villes, les militants renoncent à tout rassemblement, car lever le drapeau rouge serait vu comme anti-patriotique. Un certain anti-impérialisme fait donc partie du bagage commun des socialistes éthiques de l’Independent Labour Party (ILP), formé en 1893 par des trade-unionistes fatigués de la subordination aux libéraux au sein du Parlement, et des socialistes marxisants de la SDF.

  • 51 EDMONDS Daniel, “Unpacking ‘Chauvinism’. The Interrelationship of Race, Internationalism, and Anti- (...)

32Le discours de l’ILP sur les questions impériales se distingue peu de celui des libéraux libre-échangistes, à ceci près qu’il fait primer les arguments humanistes sur les considérations financières. La propagande de la SDF est plus originale, d’autant plus que les conceptions de son fondateur, Hyndman, évoluent avec le temps51. Dans England for All (1881), son socialisme reste très insulaire. Mais en 1908, alors que la SDF se rebaptise SDP (Social Democratic Party), son programme défend l’auto-détermination pour tous les peuples de l’Empire et du monde. A côté de cette prise de position avant-gardiste, le parti reste imprégné de la doxa de l’époque, qui hiérarchise les races selon leur supposé degré de civilisation, et on évoque plus facilement le Home Rule pour l’Inde que pour l’Afrique. Pendant la guerre des Boers, les prises de position de la SDF charrient toutes ses contradictions. Belfort Bax épingle les mauvais traitements subis par les indigènes et envisage, hypothèse alors novatrice, une alliance entre travailleurs européens et africains contre le régime capitaliste. Avec audace, Hyndman dénonce le caractère capitaliste de l’expédition britannique. Mais son propos est mêlé d’accusations antisémites envers la finance juive. Enthousiasmée par la révolution chinoise de 1911, la SDF se montre capable de réviser ses vues sur un peuple jugé jusqu’alors arriéré. Mais au même moment, Hyndman soutient le réarmement britannique face aux menaces grandissantes venues de l’Empire allemand, et c’est de son chauvinisme pendant la Première Guerre mondiale que l’on se souvient aujourd’hui, plus que de sa dénonciation sophistiquée des dégâts de l’impérialisme en Inde dix ans plus tôt.

Des rencontres fécondes et des malentendus

33Comme illustré par les travaux de Gopal, l’approche transnationale, pertinente dans l’étude de l’anti-esclavagisme a aussi porté ses fruits dans celle de l’anti-impérialisme. Elle invite à s’intéresser à ces militants qui, s’ils contestent l’impérialisme en Grande-Bretagne au XIXe siècle, ne contestent pas nécessairement en priorité l’impérialisme britannique, pour la simple raison qu’ils viennent d’autres aires impériales et que leur ennemi principal est ailleurs. Après le reflux du Printemps des peuples (1848), l’association des Fraternal Democrats accueille à Londres des réfugiés de toute l’Europe, unis par leur rejet des tyrannies et des aspirations démocratiques voire égalitaires. En lutte contre les empires continentaux, certains d’entre eux évitent de cibler l’Empire britannique, même s’ils le savent complice des régimes russe et autrichien contre les Polonais et les Hongrois, bien conscients que leur présence n’est tolérée par la Couronne que pour démontrer sa largesse de vue, et à condition que leur propagande l’épargne. Ce n’est pas le cas du principal animateur des Fraternal Democrats, le Britannique Julian Harney, qui au contraire dénonce avec vigueur les interventions britanniques en Afghanistan et en Chine.

34L’AIT, fondée à Londres en 1864, compte Karl Marx parmi ses dirigeants et se place plus radicalement sur le terrain du renversement des empires, avec son objectif d’une république démocratique et socialiste universelle. Mais elle se délite avant l’entrée de l’impérialisme britannique dans sa phase la plus agressive, donc avant de pouvoir devenir une force agissante contre lui. Autour de 1900, on retrouve à Londres des militants étrangers en exil, tels les social-démocrates russes, ennemis jurés de la « prison de peuples » que constitue à leurs yeux l’Empire tsariste. C’est à Londres qu’ils tiennent en 1903 un congrès qui, s’il passe inaperçu, est capital dans l’histoire mondiale de l’anti-impérialisme : y apparaît le courant bolchévik, qui, après la Révolution d’Octobre 1917, tentera de construire une Internationale résolument anti-colonialiste.

  • 52 SCHNEER Jonathan, London 1900. The Imperial Metropolis, New Haven, Yale University Press, 1999.

35A côté de ces combattants dont l’engagement prioritaire n’est pas contre l’Union Jack, la Grande-Bretagne accueille dans sa capitale de plus en plus de militants venus des colonies britanniques, qui y entrent en contact avec leurs sympathisants métropolitains. On a là une différence majeure avec l’abolitionnisme, marqué par une disjonction géographique et sociale rarement dépassée entre les esclaves et leurs avocats. Autour de la cause anti-impérialiste en revanche, des rencontres sont possibles, notamment grâce aux révolutions technologiques dans le transport. A la fin du XIXe siècle, les plus aisés des colonisés ont plus qu’avant l’opportunité et les moyens de se rendre au centre de l’Empire, tandis qu’une fraction des travailleurs coloniaux recrutés par la marine marchande s’installe, petit à petit, dans les grands ports. C’est pourquoi Jonathan Schneer a pu parler de Londres, la capitale du plus grand empire que la terre ait jamais portée, comme celle, simultanément, de l’anti-impérialisme52. Au tournant du siècle, contestataires irlandais, indiens, africains et caribéens s’y croisent voire se fréquentent, à la recherche de soutiens locaux.

  • 53 ODENDAAL André, Black Protest Politics in South Africa to 1912, Totowa, Barnes & Noble, 1984. WALSH (...)

36Dans ce creuset naissent ou grandissent des organisations anti-colonialistes appelées à jouer un rôle important dans les combats du XXe siècle. L’INC, fondé en 1885 à Mumbai avec l’appui de l’ornithologue Allan Hume, se dote bientôt d’une branche métropolitaine pour faire avancer la revendication du Home Rule, et la presse socialiste ouvre ses colonnes à Saint Nihal Singh. Le premier congrès panafricain se tient en 1900 à Westminster Hall. Les piliers du South African Native National Congress, le futur ANC (African National Congress), fondé en 1912 à Bloemfontein, parcourent l’Angleterre en 1914 pour dénoncer les discriminations envers les Noirs, aggravées depuis la proclamation de l’Union sud-africaine en 1910. Pour avoir étudié quelques années en Grande-Bretagne, Richard Msimang, George Montsioa et Alfred Mangena y consolident des liens et gagnent quelques soutiens, même si leurs connections internationales seront bientôt surtout avec les pionniers du mouvement noir aux Etats-Unis53.

  • 54 SALHAB Akram, “Stitching together the threads of internationalism. London in anti-imperial organisi (...)
  • 55 OWEN Nicholas, “Anticolonialism and its British friends”, in OWEN, Other People’s Struggles, op. ci (...)
  • 56 OWEN Nicholas, “The soft heart of the British Empire. Indian radicals in Edwardian London”, Past & (...)
  • 57 LAURSEN Ole Birk, “Anarchist anti-imperialism. Guy Aldred and the Indian revolutionary movement, 19 (...)
  • 58 TERRIER Marie, “Annie Besant’s fight for Home Rule in India, 1910s-1920s”, in BÉLIARD et KIRK, Work (...)

37Londres, vivier d’internationalistes progressistes54 ? Certes. Mais les divergences sont importantes entre les activistes venus des colonies et leurs potentiels alliés en métropole. Les premiers tendent à être plus modérés que les seconds : ils veulent les mêmes droits que les Britanniques, donc une réforme de l’Empire, pas renverser la table ni rompre avec le capitalisme. Owen souligne ce manque d’ambition qui va parfois jusqu’au rejet de leur propre culture55. Ainsi Gandhi, londonien de 1888-1891, bien qu’il suive de près la grande grève des dockers, n’adhère pas au socialisme de ses dirigeants et prend le parti de l’Empire, lors de la guerre des Boers puis de nouveau en août 191456. Les fondateurs de l’ANC, appartenant eux aussi à une petite bourgeoisie religieuse et conservatrice, ne visent pas le démantèlement de l’Empire mais une meilleure intégration en son sein. Un exemple de ce porte-à-faux : en 1909, l’anarchiste Guy Aldred, alors directeur du Herald of Revolt, choisit de soutenir la cause indienne en imprimant une revue interdite, The Indian Sociologist. S’il paye ce courage par un séjour en prison, il se fâche rapidement avec les nationalistes indiens, hostiles aux idéaux internationalistes et profondément étatistes57. La convergence entre socialisme et anti-colonialisme n’allait donc pas de soi, comme en témoigne aussi le parcours d’Annie Besant. Lorsque dans les années 1910, devenue théosophe, elle fait de l’auto-détermination de l’Inde son combat prioritaire, elle a depuis une bonne décennie pris ses distances avec la cause socialiste à laquelle elle s’était dévouée en 1888, en faisant connaître le sort des ouvrières de Bryant and May. Chez elle, la défense du Home Rule ira toujours de pair avec une loyauté indéfectible à l’Empire58.

Entre antiracisme et « travaillisme blanc »

  • 59 HYSLOP Jonathan, “The imperial working class makes itself 'white': white labourism in Britain, Aust (...)
  • 60 KIRK Neville, “The rule of class and the power of race. Socialist attitudes to class, race and Empi (...)

38Pourtant, au cours des mêmes années, les exemples abondent aussi de socialistes plus sensibles qu’auparavant aux résistances des colonisés, là aussi grâce aux voyages que les progrès du rail et de la navigation à vapeur permettent aux leaders comme aux travailleurs du rang. Gopal cite ainsi le circuit de Keir Hardie à travers l’Inde en 1907 et sa rencontre avec le nationaliste B.G. Tilak comme un moment déterminant, qui ancre en lui la conviction que l’emprise coloniale est néfaste. En 1910, Tom Mann revient lui aussi de ses périples autour de l’Empire avec l’antiracisme chevillé au corps. Mais les interprétations divergent quant à l’impact de cette mondialisation sur la mentalité des ouvriers britanniques. Selon Jonathan Hyslop, le nomadisme accru des prolétaires britanniques a débouché sur la formation, à l’échelle de l’Empire, d’un « travaillisme blanc » parfois combatif sur le plan économique, mais excluant du cercle de la solidarité de classe l’ensemble des non-Blancs, même spoliés ou surexploités59. Neville Kirk quant à lui refuse cette généralisation, considérant qu’en métropole, l’idéologie justifiant le racisme institutionnel en Australie et en Afrique du Sud n’a pas le même poids60.

  • 61 BARROW Logie, “White solidarity (with South African strikers) in 1914” in Raphael Samuel (dir.), Pa (...)
  • 62 BÉLIARD Yann, “Imperial Internationalism? Hull Labour's Support for South African Trade-Unionism on (...)

39En son centre, les attitudes envers l’Empire étaient à l’évidence diverses et contradictoires. Le socialisme défendu par l’hebdomadaire The Clarion, fondé en 1891 par Robert Blatchford, un ancien militaire, était non seulement anglo-centré mais impérialiste, et il perdit beaucoup de lecteurs pour son soutien à la guerre contre les Boers. La Société fabienne, fondée en 1884 par des intellectuels mais avec des relais dans l’aristocratie ouvrière, fit le même choix en 1899, elle aussi par attachement de principe à l’idée impériale. Des petits groupes rattachés à une maison-mère américaine, comme les Knights of Labour dans les années 1880 et les Industrial Workers of the World à partir de 1905, faisaient profession d’antiracisme. Mais le courant principal du mouvement ouvrier, à savoir les trade-unions, ne rejetait de l’impérialisme que les excès les plus manifestes, tout en reprenant souvent à son compte les attitudes discriminatoires alors prévalentes. Le Home Rule était revendiqué pour les « dominions blancs », mais conditionnel pour les colonies asiatiques, africaines ou antillaises. Lors des élections législatives de 1906, le parti travailliste reproche au gouvernement Balfour l’introduction de 60 000 travailleurs chinois dans les mines d’or sud-africaines ; et en 1914, le syndicat des marins use du thème du « péril jaune » jusqu’à la caricature pour revendiquer l’exclusion des Asiatiques de la marine marchande61. Lors de la déportation, au printemps 1914, de neuf syndicalistes par les autorités sud-africaines vers la Grande-Bretagne pour les punir d’avoir dirigé une grève, leur accueil par les travailleurs britanniques est triomphal, mais les discours internationalistes sur la nécessaire solidarité ouvrière par-delà les mers n’inclut ni les Boers ni les Noirs, et le gouvernement sud-africain est conspué d’abord pour son non-respect des valeurs de la britannicité62.

  • 63 LAURSEN Ole Birk, “Anti-Imperialism”, in LEVY Carl et ADAMS M.S. (dir.), The Palgrave Handbook of A (...)
  • 64 EDMONDS, “Unpacking ‘chauvinism’”, op. cit.

40L’anti-impérialisme de la gauche et des syndicats britanniques avant 1914 n’est donc pas sans ambiguïtés. La longue grève des dockers de Dublin, de juillet 1913 à janvier 1914, n’est ainsi soutenue que du bout des lèvres par le TUC, pas seulement parce que ces rebelles ne sont qu’irlandais, mais aussi parce qu’ils adoptent les méthodes subversives des syndicalistes révolutionnaires James Connolly et James Larkin63. En cela, les réserves du TUC rejoignent celles des disciples de Hyndman qui, favorables au passage au socialisme par les élections, regardaient avec méfiance les explosions sociales, en particulier celles émanant des profondeurs d’un prolétariat qu’ils décrivaient à l’occasion comme une race dégénérée64. Au-delà de la prégnance du racisme dominant, c’est peut-être surtout du fait de leur suspicion vis-à-vis de l’action directe des « damnés de la terre » que les organisateurs du mouvement ouvrier britannique ne furent pas toujours des anti-colonialistes conséquents.

41Pour conclure cette seconde partie, citons une campagne à la fois anti-esclavagiste et anti-impérialiste qui, une fois n’est pas coutume, mobilisa les foules : celle que mena le journaliste E.D. Morel dans les années 1900 contre les crimes du roi Léopold de Belgique au Congo, et qui aboutit en 1908 à ce que la colonie passe sous contrôle de l’Etat belge. Aucune campagne portant sur le monde colonial n’avait connu un tel retentissement en Grande-Bretagne depuis celles menées par Wilberforce, modèle dont Morel se revendiquait. La cause de ce succès est claire : la cible de la Congo Reform Association n’était pas britannique. Aussi rallia-t-elle des dizaines de députés et de lords, sans compter des artistes connus pour leur impérialisme comme Arthur Conan Doyle. Morel lui-même assuma de blanchir Britannia, en publiant en même temps un reportage sur les bonnes pratiques des colons britanniques au Nigeria. Pourtant, en défendant le droit des Congolais à récupérer leurs terres, Morel était porteur à son insu d’une critique plus fondamentale, systémique, de l’impérialisme, propre à saper les bases de l’Empire britannique. Et on comprend qu’il ait compté parmi ses plus proches collaborateurs le nationaliste irlandais Roger Casement, exécuté en 1916 pour haute trahison après avoir importé des armes en vue d’une insurrection. Comme Adam Hochchild l’a justement formulé :

  • 65 HOCHSCHILD Adam, King Leopold’s Ghosts. A Story of Greed, Terror, and Heroism in Colonial Africa, N (...)

[D]espite some blindspots, Morel was at the far edge of the humanitarian tradition. His beliefs were implicitly more subversive than he allowed himself to recognize. He saw brutality in the Congo not as a specific imperfection to be wiped out in the way one could wipe out child labor or capital punishment, by passing a law against it, but as part of a complex, deeply embedded “System”, as he called it – forced labor plus the massive takeover of African land. This angle of vision is much closer to Marxism than to uplift-the-downtrodden humanitarianism, although Morel probably never read a word of Marx in his life. He never resolved the conflict between these two ways of seeing the world, and much of the drama of his later life lay in the constant tension between them65.

42Cette tension interne, on l’aura mesuré, travailla la mouvance anti-impérialiste de Grande-Bretagne dans son ensemble.

Conclusion

  • 66 BÉLIARD Yann, « Le mouvement ouvrier britannique et l’Empire (1815-1931) : ennemi intérieur ou loya (...)

43Quand on compare anti-esclavagistes et anti-impérialistes dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle, un contraste s’impose : les premiers, par étapes, atteignirent le but fixé, même si nous avons vu que les raisons en furent diverses ; les seconds, aux objectifs plus diffus, n’eurent à peu près aucun impact sur les menées guerrières des gouvernements66. Pourtant il serait abusif de parler d’échec sur toute la ligne, puisque l’Empire britannique n’est plus et qu’au siècle dernier, le Royaume-Uni fut contraint de lâcher une à une la plupart de ses colonies. Celles et ceux qui contestaient l’aventure impériale et ses méfaits au XIXe siècle auraient donc connu un succès tardif, pour ainsi dire posthume. L’analogie avec le succès différé des chartistes est toutefois à manier avec réserve, tant il est vrai que la décolonisation fut rendue inévitable bien plus par les luttes des colonisés que par l’opposition à l’impérialisme en métropole.

44Toujours est-il qu’avec ses limites, avec ses éclipses, la persistance d’un courant anti-impérialiste dans la société et singulièrement dans le monde du travail britanniques tout au long du XIXe siècle ne fait pas de doute. Des voix discordantes, dès les campagnes abolitionnistes, appelaient de leurs vœux une convergence des luttes entre opprimés de métropole et des colonies. Si cette jonction ne commença à affecter la marche du monde qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, les graines d’un tel développement avaient été semées avant 1914.

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Bibliography

Sources primaires

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Thèse

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Sources électroniques

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Notes

1 Je remercie Fabrice Bensimon, Claire Boulard-Jouslin, Rachel Rogers et Ophélie Siméon pour leurs relectures attentives.

2 Cette tradition remonte à la biographie en cinq volumes écrite par ses deux fils : WILBERFORCE Robert et Samuel, The Life of William Wilberforce, Londres, John Murray, 1838. Dans une veine similaire : POLLOCK John, Wilberforce (1977), Eastbourne, Kingsway, 2007. HAGUE William, William Wilberforce. The Life of the Great Anti-Slave Trade Campaigner, Londres, Harper, 2007.

3 TREVELYAN George Macaulay, History of England, Londres, Longmans, 1926. Son grand-oncle Thomas Babington Macaulay, en revanche, clôt son histoire de l’Angleterre en 1702. Dans The History of England from the Accession of James the Second (Londres, Longman, 1848-1861), il n’est donc pas question de Wilberforce, bien que son père, le philanthrope Zachary Macaulay, ait été un de ses collaborateurs. Voir HALL Catherine, Macaulay and Son. Architects of Imperial Britain, New Haven, Yale University Press, 2012.

4 FERGUSON Niall, Empire. How Britain Made the Modern World, Londres, Allen Lane, 2003.

5 AKALA, Natives. Race and Class in the Ruins of Empire, Londres, Two Roads, 2018.

6 Voir leur page sur le site de l’université de Hull : https://www.hull.ac.uk/research/institutes/wilberforce (consulté le 6 octobre 2024).

7 WOLFFE John, “William Wilberforce (1759-1833)”, Oxford Dictionary of National Biography online (2009). https://doi.org/10.1093/ref:odnb/29386 (consulté le 6 octobre 2024).

8 MORTON Arthur Leslie, A People’s History of England (1938), Londres, Lawrence & Wishart, 1992. COLE George Douglas Howard, The Common People, 1746-1946 (1949), Londres, Methuen, 1981.

9 THOMPSON Edward Palmer, The Making of the English Working Class (1963), Londres, Penguin, 2013.

10 FRYER Peter, Staying Power. The History of Black People in Britain (1984), Londres, Pluto, 2018 ; Black People in the British Empire (1988), Londres, Pluto, 2021. NEWSINGER John, The Blood Never Dried. A People's History of the British Empire (2006), Londres, Bookmarks, 2013.

11 DRESCHER Seymour, “Emperors of the World. British Abolitionism and Imperialism”, in PETERSON Derek R., Abolitionism and Imperialism in Britain, Africa, and the Atlantic, Athens, Ohio University Press, 2010, p. 129-149.

12 Dans Civilising Subjects. Metropole and Colony in the English Imagination, 1830-1867 (Oxford, Polity, 2022), Catherine Hall a montré comment, une fois votée l’abolition de l’esclavage, les militants chrétiens de cette cause ont souvent réorienté leurs efforts vers les missions d’évangélisation de l’Empire.

13 WILLIAMS Eric, Capitalism and Slavery (1944), Londres, Penguin, 2022. Voir aussi RODNEY Walter, How Europe Underdeveloped Africa (1972), Londres, 2018. Pour un résumé de la thèse de Williams, lire LAURENT Béatrice, « Les luttes antiesclavagistes et anti-impérialistes caribéennes vues « d’en bas » et de là-bas », in LAURENT Béatrice (dir.), Mouvements protestataires, contestations politiques et luttes sociales en Grande-Bretagne (1811-1914), Paris, Ellipses, 2024, p. 211-226.

14 BROWN Christopher, Moral Capital. Foundations of British Abolitionism, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006.

15 HALL Catherine et al. (dir.), Legacies of British Slave-Ownership. Colonial Slavery and the Formation of Victorian Britain, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.

16 SCANLAN Padraic, Slave Empire. How Slavery Built Modern Britain, Londres, Robinson, 2020. SANGHERA Sathnam, Empireland. How Imperialism Has Shaped Modern Britain, Londres, Viking, 2021.

17 WALVIN James et al. (dir.), The British Slave Trade. Abolition, Parliament and People, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2007.

18 Ouvert en 2007, le musée international de l’esclavage de Liverpool, moins focalisé sur l’abolitionnisme, dispose d’un espace et de moyens beaucoup plus importants que la Wilberforce House. Son parti pris d’affronter sans détours le passé esclavagiste de la cité et la qualité de la scénographie en font aujourd’hui un lieu de référence. Voir son site : https://www.liverpoolmuseums.org.uk/international-slavery-museum (consulté le 30 octobre 2024).

19 MIDGLEY Clare, Women against Slavery. The British Campaigns, 1780-1870, Londres, Routledge, 1992.

20 ROWBOTHAM Sheila, Hidden from History. 300 Years of Women's Oppression and the Fight against It, Londres, Pluto (1972), 1977.

21 WALVIN James, Resistance, Rebellion and Revolt. How Slavery Was Overthrown, Londres, Robinson, 2020.

22 WALVIN James et al. (dir.), The Abolition of the Atlantic Slave Trade. Origins and Effects in Europe, Africa, and the Americas, Madison, University of Wisconsin Press, 1981.

23 OLUSOGA David, Black and British. A Forgotten History, Londres, Macmillan, 2016.

24 OWEN Nicholas, Other People’s Struggles. Outsiders in Social Movements, Oxford, Oxford University Press, 2019.

25 EQUIANO Olaudah, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African (1789), New York, Dover, 1999. PRINCE Mary, The History of Mary Prince. A West Indian Slave Narrative (1831), New York, Dover, 2004.

26 Sur les usages multiples des références à l’esclavage dans les discours radicaux, lire HANLEY Ryan, ‘‘The Shadow of Colonial Slavery at Peterloo’’, Caliban. French Journal of English Studies, vol. 65-66, 2021, p. 73-101.

27 MAHAMDALLIC Hassan, Black British Rebels. Figures from Working Class History, Londres, Bookmarks, 2012. Voir aussi les conférences de Ryan Hanley, “Robert Wedderburn’s Insurrectionary British Atlantic” (25-27 avril 2022) ; https://hutchinscenter.fas.harvard.edu/event/ryan-hanley-1 (consulté le 30 octobre 2024).

28 HANLEY Ryan, “Cato Street and the Caribbean”, in McELLIGOTT Jason et CONBOY Martin (dir.), The Cato Street Conspiracy. Plotting, Counter-intelligence and the Revolutionary Tradition in Britain and Ireland, Manchester, Manchester University Press, 2020, p. 81-100.

29 WEDDERBURN Robert, The Horrors of Slavery and Other Writings (dir. : Iain McCalman), Édimbourg, Edinburgh University Press, 1991.

30 HANLEY Ryan, Beyond Slavery and Abolition. Black British writing, c.1770-1830, Cambridge, Cambridge University Press, 2019. On doit à Hanley la première biographie consacrée à ce militant : Robert Wedderburn. British Insurrectionary, Jamaican Abolitionist (Yale University Press, à paraître en 2025).

31 MAHAMDALLIC, Black British Rebels, op. cit.

32 Sur cette campagne, voir MIDGLEY, Women against Slavery, op cit. Les ex-esclaves furent ensuite renforcés ou remplacés par des travailleurs dits « engagés », au statut intermédiaire. SAUNDERS Kay, Indentured Labour in the British Empire, 1834-1920 (1984), Londres, Routledge, 2018. KALE Madhavi, Fragments of Empire. Capital, Slavery, and Indian Indentured Labor Migration in the British Caribbean, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1998. HALL Catherine et al. (dir.), Emancipation and the Remaking of the British Imperial World, Manchester, Manchester University Press, 2014.

33 BOLT Christine, The Anti-Slavery Movement and Reconstruction. A Study in Anglo-American Co-operation, 1833-77, Londres, Institute of Race Relations, Oxford University Press, 1969. MURRAY Hannah-Rose, Advocates of Freedom. African American Transatlantic Abolitionism in the British Isles, 1835-1895, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2020.

34 Dans un premier temps, des chartistes avaient relativisé l’exploitation des esclaves noirs par rapport à celle des « esclaves salariés » de Grande-Bretagne. SCRIVEN Tom, “Slavery and Abolition in Chartist Thought and Culture, 1838–1850”, The Historical Journal, vol. 65.5, 2022, p.1262-1284.

35 KRANTZ Mark, The Cotton Famine. Lancashire Textile Workers, Abraham Lincoln and the American Civil War, Londres, Red Roof, 2017.

36 BENSIMON Fabrice, DELUERMOZ Quentin et MOISAND Jeanne (dir.), “Arise Ye Wretched of the Earth”. The First International in a Global Perspective, Leyde, Brill, 2018. BENSIMON Fabrice, “The International Working Men’s Association”, in VAN DER LINDEN Marcel (dir.), The Cambridge History of Socialism, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, p. 232-260.

37 HOWE Stephen, Anticolonialism in British Politics. The Left and the End of Empire, 1918-64, Oxford, Clarendon, 1993. OWEN Nicholas, The British Left and India. Metropolitan Anti-Imperialism, 1885-1947, Oxford, Oxford University Press, 2007. BÉLIARD Yann et KIRK Neville (dir.), Workers of the Empire, Unite. Radical and Popular Challenges to British Imperialism, 1910s–1960s (2021), Liverpool, Liverpool University Press, 2024.

38 PORTER Bernard, Critics of Empire. British Radicals and the Imperial Challenge (1968), Londres, IB Tauris, 2008. CLAEYS Gregory, Imperial Sceptics. British Critics of Empire, 1850–1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

39 MATIKKALA Mira, Empire and Imperial Ambition. Liberty, Englishness and Anti-Imperialism in Late-Victorian Britain, Londres, IB Tauris, 2011.

40 Sur le patriotisme des socialistes britanniques plus spécifiquement, voir WARD Paul, Red Flag and Union Jack. Englishness, Patriotism and the British Left, 1881-1924, Woodbridge, Boydell, 1998. Il distingue patriotes « loyalistes » et « radicaux », les seconds appuyant plus volontiers que les premiers les protestations des colonisés.

41 GOPAL Priyamvada, Insurgent Empire. Anticolonial Resistance and British Dissent, Londres et Brooklyn, Verso, 2019.

42 En revanche il n’est pas certain que Hyndman ait lu les articles sur le colonialisme publié par Marx dans le New-York Daily Tribune entre 1851 et 1862, où se ressent l’influence de ses échanges avec Jones.

43 BURTON Antoinette, The Trouble with Empire. Challenges to Modern British Imperialism, New York, Oxford University Press, 2015. NEWSINGER, The Blood Never Dried, op. cit.

44 TAYLOR Miles, “‘Imperium et Libertas’? Rethinking the radical critique of imperialism during the nineteenth century”, Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 19.1, 1991, p. 1-23.

45 LÉNINE, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Paris : Editions sociales, 1979.

46 KOPP Ekkehard et OXAAL Cecile (dir.), Not Just Wilberforce. Champions of Human Rights in Hull and East Yorkshire, Londres, Amnesty International, 2014. TURNER Michael J., “‘Raising up Dark Englishmen’. Thomas Perronet Thompson, Colonies, Race, and the Indian Mutiny”, Journal of Colonialism and Colonial History, vol. 6.1, 2005. DOI : https://doi.org/10.1353/cch.2005.0025.

47 VARGO Gregory, “‘Outworks of the Citadel of Corruption’: the Chartist press reports the Empire”, Victorian Studies, vol. 54.2, 2012, p. 227-253.

48 SAGER E.W., “The working-class peace movement in Victorian England”, Social History, vol. 12.3, 1979, p. 122-128.

49 LAITY Paul, The British Peace Movement 1870-1914, Oxford, Oxford Academic Monograph, 2010.

50 LAKE Marilyn et REYNOLDS Henry, Drawing the Global Colour Line. White Men's Countries and the International Challenge of Racial Equality, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.

51 EDMONDS Daniel, “Unpacking ‘Chauvinism’. The Interrelationship of Race, Internationalism, and Anti-Imperialism amongst Marxists in Britain, 1899-1933”, thèse en histoire britannique sous la direction de Stuart Jones et de Kevin Morgan, University of Manchester, 2017. On y apprend que la fortune personnelle de Hyndman découlait en partie des bénéfices réalisés par sa famille via la traite négrière, et que lui-même avait des actions dans des entreprises implantées dans les colonies.

52 SCHNEER Jonathan, London 1900. The Imperial Metropolis, New Haven, Yale University Press, 1999.

53 ODENDAAL André, Black Protest Politics in South Africa to 1912, Totowa, Barnes & Noble, 1984. WALSHE Peter, The Rise of African Nationalism in South Africa. The African National Congress, 1912-1952, Berkeley et Los Angeles, Hurst, 1970.

54 SALHAB Akram, “Stitching together the threads of internationalism. London in anti-imperial organising”, Race & Class, vol. 65.1, p. 45-60.

55 OWEN Nicholas, “Anticolonialism and its British friends”, in OWEN, Other People’s Struggles, op. cit., p. 127-129.

56 OWEN Nicholas, “The soft heart of the British Empire. Indian radicals in Edwardian London”, Past & Present, vol. 220.1, 2013, p. 143-184.

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58 TERRIER Marie, “Annie Besant’s fight for Home Rule in India, 1910s-1920s”, in BÉLIARD et KIRK, Workers of the Empire, op. cit., p. 25-46.

59 HYSLOP Jonathan, “The imperial working class makes itself 'white': white labourism in Britain, Australia, and South Africa before the First World War”, Journal of Historical Sociology, vol. 12.4, 1999, p.398-421.

60 KIRK Neville, “The rule of class and the power of race. Socialist attitudes to class, race and Empire during the era of ‘new imperialism’, 1899-1910”, in KIRK Neville, Comrades and Cousins. Globalization, Workers and Labour Movements in Britain, the USA and Australia from the 1880s to 1914, Londres, Merlin, 2003, p. 149-218.

61 BARROW Logie, “White solidarity (with South African strikers) in 1914” in Raphael Samuel (dir.), Patriotism. The Making and Unmaking of British National Identity. Vol. 1, Londres, Routledge, 1989, p. 275-287. BÉLIARD Yann, « Le syndicat des gens de mer contre le Péril Jaune : les ressorts d’une campagne oubliée (Royaume-Uni, printemps 1914) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°111, 2010, p. 63-79.

62 BÉLIARD Yann, “Imperial Internationalism? Hull Labour's Support for South African Trade-Unionism on the Eve of the Great War”, Labour History Review, vol. 74.3, 2009, p. 319-329.

63 LAURSEN Ole Birk, “Anti-Imperialism”, in LEVY Carl et ADAMS M.S. (dir.), The Palgrave Handbook of Anarchism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2018, p. 149-163.

64 EDMONDS, “Unpacking ‘chauvinism’”, op. cit.

65 HOCHSCHILD Adam, King Leopold’s Ghosts. A Story of Greed, Terror, and Heroism in Colonial Africa, New York, Houghton Mifflin, 1998, p. 213.

66 BÉLIARD Yann, « Le mouvement ouvrier britannique et l’Empire (1815-1931) : ennemi intérieur ou loyal serviteur ? » in APRILE Aprile et RAPOPORT Michel (dir.), Le monde britannique 1815-(1914)-1931, Neuilly-sur-Seine, Atlande, 2010, p. 316-357.

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Title George Cruikshank, “The New Union Club”, 1819.
Credits The Art Institute of Chicago. CC0.
URL http://journals.openedition.org/rfcb/docannexe/image/13209/img-1.png
File image/png, 3.9M
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References

Electronic reference

Yann Béliard, “Anti-esclavagistes et anti-impérialistes dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle : les paradoxes de la solidarité”Revue Française de Civilisation Britannique [Online], XXX-1 | 2025, Online since 13 January 2025, connection on 19 April 2025. URL: http://journals.openedition.org/rfcb/13209; DOI: https://doi.org/10.4000/133dh

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About the author

Yann Béliard

Yann Béliard est maître de conférences en civilisation britannique à la Sorbonne Nouvelle. Depuis sa thèse sur les conflits sociaux à Hull entre 1894 et 1910 (2007), il a coordonné un numéro spécial de la Labour History Review dédié à la Grande Fièvre Ouvrière de 1910-1914 (2014). Auteur de notices pour le Dictionary of Labour Biography, il a co-édité deux ouvrages collectifs : Labour United and Divided from the 1830s to the Present (Manchester University Press, 2018) et Workers of the Empire, Unite. Radical and Popular Challenges to British Imperialism, 1910s-1960s (Liverpool University Press, 2024).

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