1L’ouvrage Sociétés inclusives et reconnaissance des diversités. Le nouveau défi des politiques d’éducation, publié sous la direction de Bruno Garnier, Jean-Louis Derouet et Régis Malet, résulte de réflexions menées dans le cadre du colloque international « Diversité culturelle et citoyenneté, enjeux éducatifs à l’heure de la globalisation » qui s’est tenu en octobre 2017 à l’université de Corse Pascal Paoli.

2L’ouvrage, introduit par les trois coordinateurs et conclu par Bruno Garnier, est organisé en trois parties ayant des vocations complémentaires. Une somme de quatorze contributions constitue ces trois parties, complétées par une postface de Pierre Kahn. La première partie de l’ouvrage, intitulée « Penser la diversité », vise un travail analytique relatif à la diversité, mettant au travail cette notion et la pensant dans son actualité et son épaisseur pédagogique, sociale, politique et historique. La deuxième, intitulée « Territoires, culture et processus d’intégration », se donne pour objectif d’illustrer la précédente en en proposant des ancrages empiriques à partir de différentes populations minorisées et de différents contextes de réflexion et d’étude. La troisième et dernière partie, « Acteurs et dispositifs », ambitionne de documenter la recherche scientifique sur les théories de la réaction sociale (pour reprendre les termes d’Howard Becker), c’est-à-dire les positions, actions et interventions des institutions et de leurs acteurs en lien à la question de la diversité.

3L’interrogation centrale formulée par cet ouvrage vise à se demander comment, dans un contexte de perte de souveraineté engendrée par la division économique mondiale du travail et la recomposition afférente des institutions démocratiques pour partie supranationales, il est possible de maintenir l’équilibre d’une République sociale, dont l’unité a en partie été fondée sur l’inclusion de ses minorités. Cette question se pose avec une acuité spécifique dans un contexte de dévoilement des politiques publiques éducatives hier coloniales et aujourd’hui qualifiées d’hégémoniques, voire discriminatoires, à l’égard de certaines populations. Ainsi, au-delà des interrogations que les analyses formulées dans cet ouvrage apportent sur l’identité nationale majoritaire et sur l’État-nation, c’est en renseignant, dans son actualité sociale et politique, l’identité de l’État-social que cet ouvrage marque toute son originalité et ses contributions réflexives les plus fouillées. Loin des dualités médiatiques souvent simplistes et peu fécondes, il nous offre des chemins pour repenser les formes actuelles de l’État-social « à la française ». Pour le faire, un certain nombre de contributeurs nous rappellent comment et combien la démocratie sociale en France est historiquement et profondément attachée à la centralité de l’État, que ceci soit regretté ou au contraire promu et encouragé. Considérées dans ce contexte, les réflexions relatives à la socialisation nationale via les institutions éducatives développées par É. Durkheim ne peuvent pas être simplement envisagées comme de strictes entreprises de conformation sociale et morale, ce qui leur est parfois reproché. Pour É. Durkheim, l’école se présentait comme un instrument de démocratisation sociale et politique autant que de cohésion nationale et citoyenne, les deux dimensions étant pour lui indissociables. En ce sens, les débats et enjeux soulevés par des demandes de reconnaissance des minorités (ethniques, religieuses ou régionales et linguistiques notamment dans cet ouvrage) ou l’explicitation de formes d’altérisation dépassent le seul cadre d’une revendication à plus de droits-créances. Inspirés des démocraties libérales anglo-saxonnes, en développant une conception plus expérientielle de la citoyenneté, ils réinterrogent au fond les formes et fonctions de l’État-social avec la particularité « française » d’adresser ces revendications à l’État. Ils permettent de repenser les objectifs de l’action publique au prisme de ces nouvelles questions sociales et d’en adapter les formes dans un but d’actualisation de l’État-social à la française.

4Dans ce contexte, cet ouvrage nous rappelle que la diversité demeure à penser, au-delà du fait que sa mobilisation assure des fonctions de cohésion ou au contraire suscite son invisibilisation ; elle risque toujours de se confronter à l’écueil que Bruno Garnier, Jean-Louis Derouet et Régis Malet nomment « la rhétorique du divers », la dilution floue dans une multiplicité d’indicateurs pouvant revendiquer ou regretter la mise à l’écart de la majorité sans toutefois politiser cette nouvelle conception de la stratification sociale. La contribution de Jean-Yves Rochex est à cet égard extrêmement riche car elle permet de repenser, en prenant appui sur les approches conceptualisées par Basil Bernstein des droits pédagogiques, les questions de culture, de justice à l’école et les enjeux que ces questions posent ou actualisent, rappelant au passage que leur expression n’est pas nouvelle (quand bien même elle serait présentée comme telle et au prisme de l’ethnicité). Ainsi, derrière la rhétorique de la diversité, au-delà du seul registre de la reconnaissance des individualités et de leur dignité, il se pose des questions « traditionnelles » d’égalité/égalisation/émancipation des conditions, d’échanges réciproques, de participation démocratique à la société majoritaire et du rôle de l’État dans une mise en œuvre impliquant leur historicisation. Ces questions et leur traitement au prisme des droits pédagogiques selon le modèle de Bernstein permettent de ré-encastrer les politiques publiques éducatives dans des conceptions normatives universalistes autant qu’émancipatrices, se départissant des conceptions devenues prégnantes des approches éducatives individualisantes et néo-libérales du capital humain et des conditions de son effectivité, par exemple sous la forme du « management de la diversité ». Cette conception offre des modalités opérationnelles d’une plus grande démocratie scolaire. Avec la contribution de Françoise Lorcerie, l’ouvrage interroge une autre facette, complémentaire, de la démocratie scolaire, la délibération (on ne pense trop souvent qu’à la dimension distributive de la démocratie scolaire). La question de la délibération peut ici être réfléchie via celle de l’acceptabilité sociale de la société à l’égard des formes de prises en considération de la diversité par l’institution scolaire. À cet égard, Françoise Lorcerie, en reprenant les catégories interprétatives de la laïcité du rapport L’Enseignement du fait religieux, remis par Régis Debray en 2002, propose trois catégories de la diversité. Est ainsi déclinée la diversité « d’ignorance », « d’intelligence » et « de reconnaissance » comme des modalités de prise en compte de cette question par les institutions scolaires. Cette réflexion permet également de penser, au sein de l’école, les référentiels normatifs permettant l’inscription du sujet dans un collectif plus universel.

5Ce livre illustre la notion de diversité en restituant des travaux d’enquête dans différents domaines (questions territoriales et linguistiques, religieuses, ethniques, relations et conceptions mises en scène par les professionnels) et différents territoires (la France dont des territoires extra-hexagonaux, le Brésil, la République tchèque, le Canada notamment). Ces travaux permettent de repenser la différence et l’articulation entre les notions de culture, d’ethnicité, d’identité dont les usages sont parfois confus ou dévoyés notamment par les acteurs scolaires et inappropriés par/pour les élèves, comme l’illustrent, entre autres, les chapitres d’Audrey Boulin et de Didier Demazière et Joëlle Morrissette.

6Les contributions de cet ouvrage nous offrent un certain nombre de pistes de réflexion, nous n’en retiendrions ici que quelques-unes. Elles abordent la question de la diversité essentiellement au prisme des catégories ethniques et religieuses par le truchement d’auteurs parfois relativement généralistes ; une plus grande part de spécialistes des minorités dans le domaine scolaire aurait permis de rendre encore plus consistantes les interrogations transversales proposées par certains textes, d’entrer davantage dans la chair empirique de ces derniers. Par ailleurs, l’ouvrage choisit de dissocier les dimensions « ethnoculturelles » de la dimension « religieuse » de la diversité pour au fond en proposer une analyse en termes de construction des mécanismes d’altérité/altérisation. Alors que la diversité religieuse étudiée dans ce livre réfère essentiellement à l’islam et que la désignation de cette religion est souvent confondue avec les dimensions ethniques dans les mécanismes d’ethnicisation des jeunesses urbaines, cette séparation mériterait d’être interrogée ou prolongée.

7Comment ne pas conclure en revenant sur le titre de l’ouvrage qui associe « diversité » et « inclusion » ? Si les contributions transversales nous offrent de riches pistes de dépassement de ce couple conceptuel trop souvent peu pensé, comme l’indique l’ouvrage, d’autres ne permettent pas toujours de le faire. La diversité est-elle le synonyme de nécessaire inclusion ? Comment conclure aussi rapidement sur la pertinence d’une telle association sans l’inscrire dans les ancrages politiques que certaines de ces contributions rappellent ou proposent ? Si une relation « automatique » devait se construire entre la « diversité » et l’« inclusion » au titre de l’égale liberté de tous, comment alors penser les approches communautariennes ou libertariennes dont la conception même de la liberté est contraire à l’idée de politique publique administrée ? La contribution de Pierre Kahn nous invite à penser ce que Dominique Schnapper nomme la « communauté des citoyens », un « nous » autour d’une analyse de l’identité culturelle nationale telle qu’elle a pu notamment être conceptualisée par Paul Ricœur ou Étienne Balibar. Cet ouvrage, dans son ensemble, nous permet de comprendre que les initiateurs de paniques morales, d’où qu’elles viennent, participent à une polarisation de ce « nous » en contraignant et en orientant l’acceptabilité sociale de la société à l’égard des populations socialement vulnérables. Pourtant, entre les procès en indigénisme et en républicanisme, il se joue très largement des positions et expériences sociales « à bas bruit » qui sont les quotidiennetés ordinaires d’un grand nombre d’élèves et d’adultes intervenant auprès d’eux.