1L’implantation d’universités nouvelles dans des villes de taille moyenne, depuis les années 1990, à la suite du plan Université 2000 (U 2000), a donné lieu à moins de travaux de recherche que la politique de concentration des grosses universités et de constitution de pôles d’excellence. Cet ouvrage sur la place des universités nouvelles dans les territoires où elles sont implantées et la construction de leur identité est bienvenu. Trente ans après la création des premières d’entre elles, il est pertinent de dresser un état des lieux sur leur place dans le paysage universitaire français : quelles sont leurs caractéristiques et leurs particularités ? Quels éléments fondent leur(s) identité(s) par rapport à des universités de plus grande taille, plus anciennes et plus connues ?

2L’ouvrage collectif dirigé par Cécile Carra, Catherine Couturier et Bernard Reitel s’efforce de répondre à ces questions sur la base d’enquêtes réalisées auprès des principaux acteurs de ces institutions, enseignants-chercheurs, étudiants, responsables et personnels administratifs, dans le cadre d’un projet de recherche interdisciplinaire portant au départ sur l’université d’Artois, créée en 1992. Initié et piloté par des enseignants-chercheurs de géographie, de sciences de l’éducation et de sociologie de cette université, ce projet avait pour objectif de comprendre quel rôle jouait leur propre université dans son environnement local et national et, en s’appuyant sur ce cas, d’analyser la manière dont les universités nouvelles créées par le plan U 2000 ont construit une identité qui les différencie des universités plus grosses. Par ailleurs, pouvait-on parler d’une seule ou de plusieurs identités ? Réunissant une vingtaine de membres de cette université pendant deux ans, 2016 et 2017, ce programme de recherche a bénéficié d’un soutien financier de l’université d’Artois et s’est élargi à d’autres disciplines (histoire, sciences de gestion, économie).

3Le sujet central visait à questionner le rôle joué, dans la construction des identités de cet établissement, par les trois domaines d’intérêt majeurs (DIM) définis par les directrices et directeurs des laboratoires de recherche et leurs équipes pour structurer la recherche en son sein. Comment ces DIM ont-ils été perçus et appropriés par les acteurs concernés, comment se sont-ils inscrits dans leurs activités ? La recherche engagée posait comme hypothèse forte le rôle joué par la proximité dans la structuration de ces identités, à la fois comme marqueur et comme ressource de la construction de celles-ci dans une université nouvelle, en particulier dans le contexte de recomposition du paysage universitaire à laquelle ces établissements ont été confrontés depuis la fin des années 2000, notamment depuis la loi LRU du 10 août 2007, qui avait pour objectif de renforcer l’autonomie des universités. Les universités nouvelles sont présentées couramment comme des établissements de proximité, dans différentes acceptions de ce terme, proximité géographique avec un bassin de recrutement d’étudiants et un bassin d’emploi, proximité organisationnelle avec les acteurs du territoire d’implantation, ce qui se traduit par une implication des collectivités territoriales, soucieuses de faire de ces universités un levier pour le développement de leur territoire. Un autre défi se posait à celles-ci, qui avaient été conçues au départ avant tout comme lieu de formation. Quelle importance pouvait être octroyée à la recherche dans un univers où le statut des enseignants de l’enseignement supérieur suppose aussi de faire de la recherche ?

4Une enquête a été réalisée auprès de 1 380 personnes de l’université d’Artois ou en lien avec elle : 105 enseignants-chercheurs, 300 autres personnels de l’université, 820 étudiants et 155 personnes appartenant aux collectivités territoriales et au monde socio-économique des territoires environnant les sites de l’université. Une partie des textes de l’ouvrage expose et analyse ses résultats. Les autres ont été rédigés par des chercheurs d’autres universités, suite à l’appel à contributions diffusé par l’équipe des enseignants-chercheurs de l’université d’Artois afin d’étoffer leur analyse à l’aide d’autres cas comparables. Les textes des enseignants-chercheurs et doctorants de plusieurs sites universitaires de l’académie de Toulouse apportent ainsi un éclairage complémentaire sur la dynamique de création de nouveaux établissements universitaires dans une région qui présente des points communs avec la région Nord, si l’on considère la politique active d’implantation de nouveaux sites dans d’autres départements que celui de la capitale régionale, mais aussi des différences dans la mesure où aucun de ces sites n’a le statut d’université nouvelle tel que défini dans le Plan U 2000. Les cas étrangers présentés, en Belgique wallonne, en Italie et aux États-Unis, permettent d’affiner l’étude de la relation entre le processus de construction de l’identité d’une université et le rôle des territoires qui l’environnent.

5L’introduction générale du livre pose très clairement l’objectif et la problématique qui sous-tendent le projet de recherche interdisciplinaire qui en est à l’origine.

6L’ouvrage est structuré en trois parties qui regroupent synthèses historiques, enquêtes et études de cas. La première partie se compose de quatre textes qui mettent en perspective historique et sociologique le questionnement central sur la relation entre proximité et territoire dans les universités nouvelles. La deuxième est consacrée plus particulièrement à l’étude des pratiques des acteurs, des enseignants et des étudiants, avec pour objectif notamment d’étudier les éléments identitaires qui émergent dans ces établissements et structurent leur vie. La dernière partie, plus particulièrement centrée sur l’activité de recherche, étudie les effets de la proximité sur son exercice. Quelle dynamique de recherche peut se développer sous l’effet de la tension entre proximité et internationalisation de la recherche et des critères d’évaluation ?

7Dans la conclusion générale de l’ouvrage, Bernard Reitel revient sur les principaux résultats des recherches qui y sont présentées. Il insiste tout particulièrement sur le fait que, si la proximité géographique est une condition sine qua non dans le processus de définition d’une identité partagée par tous les acteurs, elle n’est pas pour autant suffisante. D’autres conditions sont nécessaires : la qualité et l’étroitesse des relations avec les différents types d’acteurs intervenant dans l’environnement territorial, « leur inscription dans le temps et le sentiment de partager des références communes ». La proximité ne peut être une ressource suffisante s’il n’y a pas de sentiment identitaire partagé. Autre résultat, ces universités nouvelles sont soumises à une forte tension entre leur forte inscription dans le territoire local et la recherche, comme toutes les universités, d’un objectif d’universalité, qui tient à leur mission. Cette forte tension se traduit dans la difficulté à conjuguer une recherche sur des thématiques qui répondent à une demande locale avec des objets plus larges à dimension nationale, voire internationale. Ces constats conduisent l’auteur à suggérer la nécessité d’ajouter le paramètre de l’échelle à celui de la proximité pour analyser la construction de l’identité d’un établissement.

8La diversité et la richesse des textes rassemblés dans ce livre collectif montrent tout l’intérêt d’un questionnement sur la place des universités nouvelles dans leur environnement local, régional et national, afin de mieux cerner leurs particularités et leurs apports, dans un contexte qui tend à orienter beaucoup plus les projecteurs sur les universités de plus grande taille des métropoles régionales, érigées pour certaines en pôles d’excellence.