1Le livre s’inscrit dans l’enquête collective SPEL 2012 (Sociologie politique des élections 2012) regroupant une quarantaine de chercheurs et jeunes chercheurs répartis dans plusieurs laboratoires au niveau national et travaillant sur différentes dimensions des élections présidentielles (les meetings, les groupes d’intérêt, etc.). L’ouvrage dirigé par Clément Desrumaux et Gwénaëlle Mainsant résulte de cette dynamique collective autour du Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP) de l’université de Picardie Jules Verne et s’attache à analyser les dynamiques politiques autour du premier vote des étudiants, à un moment où leurs socialisations familiale et universitaire se rencontrent et travaillent leur rapport au politique (Muxel, 2001). Les étudiants enquêtés sont ceux des facultés de droit et de science politique, situés socialement et scolairement dans l’espace de l’enseignement supérieur, parmi les filières sélectives ou prestigieuses, et relativement plus informés et compétents sur la politique. Ce choix tient aussi à des raisons pratiques et à la curiosité des enseignants-chercheurs impliqués dans la recherche de mieux connaître leurs étudiants. Mais en abordant des questions centrales de la sociologie politique (sur la compétence politique, la socialisation, le rapport aux informations, etc.), cette enquête actualise et veut renouveler certains questionnements méthodologiques et théoriques. Elle s’appuie sur un questionnaire distribué sur sept sites universitaires : les universités de Picardie, de Cergy-Pontoise, de Lille 2, de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Paris Nanterre, ainsi que les IEP de Lille et de Toulouse, soit environ 2 900 répondants.

2Le livre est composé de huit chapitres, encadrés d’un prologue, d’une conclusion et de la présentation des annexes.

3Le prologue revient utilement sur l’intérêt de l’étude des campagnes présidentielles où différentes temporalités de l’espace public se superposent ou se croisent et où les événements représentent des enjeux pour un ensemble d’acteurs, politiques, journalistes, observateurs, qui coproduisent un récit hétérogène et différentiellement signifiant (Champagne, 2000). L’objectif formel de l’enquête est alors de s’intéresser à la réception de la campagne électorale par les étudiantes et les étudiants, pour voir comment elle « s’invite dans leurs expériences et ce que ces expériences font à leur socialisation politique » (p. 17). Cette décentration est importante car pour ces jeunes gens, ce temps politique est peut-être d’abord celui de leurs premiers pas à « la fac », de leur permis de conduire, ou de leur émancipation. Il s’agit « de prendre au sérieux ce moment où des individus deviennent à la fois des étudiants et des citoyens » (p. 20).

4Les travaux fondateurs de la sociologie politique sur le comportement politique sont le soubassement théorique de l’enquête, à commencer par le travail central de l’équipe de Columbia et de l’ouvrage The People’s Choice (Lazarsfeld, Berelson & Gaudet, 1944), et les travaux de Pierre Bourdieu (1984) sur les effets de la compétence statutaire, de Daniel Gaxie (1978) sur le cens caché, de Patrick Lehingue (Lehingue, 2011 ; Gaxie & Lehingue, 1984) sur la sociologie électorale ou de Bernard Pudal (1989) sur l’engagement.

5Dans le chapitre 1, Diane Delacourt s’intéresse aux caractéristiques socio-scolaires des étudiantes et étudiants en droit et en science politique. Bien qu’ayant connu une relative démocratisation, ces filières comptent des étudiants en droit comparativement mieux dotés en ressources sociales et scolaires que ceux des autres filières, et des étudiants en IEP qui ressemblent beaucoup aux héritiers de Bourdieu et Passeron. Elle montre que malgré la forte dotation en capitaux culturel et économique des étudiantes et des étudiants de ce sous-espace, les inégalités de politisation et de compétence politique restent liées à des positions différentes dans l’espace social, les plus informés et plus compétents étant aussi les plus dotés, et inversement, sur tous les sites étudiés.

6Dans le chapitre 2, Patrick Lehingue propose une analyse épistémologique et méthodologique sur les indécis, soit celles et ceux qui ne se situent ni à gauche ni à droite, ou se positionnent au centre, disent ne pas savoir, ou qui refusent de répondre à la question. Alors même que la population des facultés de droit et de science politique entretient un rapport plus étroit à la politique, près d’un tiers d’entre elle se rassemble sous cette catégorie. L’auteur s’intéresse au profil de ces étudiants et à la manière dont « leur carrière d’étudiant ou leur héritage social rendent compte de ces auto-positionnements » (p. 57). En indexant chacune des sous-catégories (généralement confondues) à des variables sociales, l’auteur montre que ces étudiants n’ont en fait pas les mêmes positionnements sociaux ni la même maîtrise des schèmes politiques, ce qui n’est pas sans effet sur le sens de cet auto-positionnement.

7Dans le chapitre 3, Patrick Lehingue poursuit sa réflexion sur la transmission intergénérationnelle des préférences politiques. Dans la lignée des travaux montrant que les orientations politiques des individus se construisent au sein des familles, par reproduction des modèles parentaux, mais constatant que ces mécanismes de transmission restent peu renseignés, il précise certains déterminants des héritages politiques et notamment que cette transmission « se réalise plutôt par la mère que par le père » et qu’« elle est maximale dans la configuration mère-fille » (p. 80). Il rappelle aussi que les homogamies restent majoritaires (60 %) et les cas de dissonance plus marginaux (près de 25 %). Enfin, il propose une typologie de configurations de transmission (plus ou moins forte ou faible) et de dissonance.

8Dans le prolongement des deux chapitres précédents, Alice Simon (dont l’enquête est indépendante de SPEL) propose une analyse méthodologique sur le « gender gap », maintes fois attesté en matière de distribution de la compétence politique (Fraile, 2014) et souvent envisagé du point de vue de la socialisation politique différenciée des hommes et des femmes. Mais l’auteure s’intéresse à une autre dimension explicative, celle des stratégies de réponse aux tests politiques, les façons de répondre indiquant un rapport aux connaissances et aux tests. C’est donc le niveau de confiance qui est testé ici, ou le « sentiment d’auto-habilitation » (Gaxie, 2007), et confirmé par le fait que dans le doute, les femmes sont plus nombreuses à s’orienter vers la non-réponse, l’auteur suggérant un rapport différencié à la situation de test.

9Dans le chapitre 5, Gwénaëlle Mainsant poursuit la réflexion sur les différences sexuées en matière de compétence politique par une analyse des non-réponses. Si les comportements politiques n’apparaissent pas si genrés, l’auto-positionnement sur une échelle gauche-droite l’est plus, les hommes déclarant plus volontiers une proximité politique. Comme la contribution précédente, l’auteure montre que les compétences politiques sont assez inégalement réparties et suggère une différenciation sexuée des espaces de socialisation politique des jeunes : malgré la prépondérance de la famille comme lieu de transmission, la socialisation politique par l’espace public (via des personnalités politiques) reste plus majoritairement masculine. Or cette socialisation et les connaissances qu’elle produit sont celles qui sont validées dans les tests, la compétence politique restant « mesurée à l’aune d’une définition androcentrée » de la politique » (p. 125).

10Bastien Amiel, Mathilde Sempé, Cédric Plont et Fabien Carrié s’intéressent dans le chapitre 6 à la relation entre adhésion associative et politisation en considérant des variables plus ethnographiques et notamment ici l’effet de site. L’enquête confirme le sur-engagement associatif des étudiants (comparativement à la population), en particulier dans les associations sportives et culturelles. L’analyse des sept sites et des propriétés sociales des étudiants permet aussi de mettre au jour des « contextes universitaires d’engagement ».

11Dans le chapitre 7, Diane Delacourt et Clément Desrumaux étudient les effets de campagne sur ces étudiants informés et intéressés à la politique. En cela, ils tirent une « conclusion lazarsfeldienne » (p. 169) où les étudiants les plus intéressés et informés sont aussi ceux et celles qui sont les moins susceptibles d’être influencés par les événements de campagne et dans leur vote. Sur l’ensemble des étudiants enquêtés, la seule différence significative réside dans la fréquence des discussions politiques.

12Le chapitre 8 enfin permet à Clément Desrumaux d’interroger les rapports à la culture légitime de ces étudiants dominants, et notamment une dimension du capital culturel que sont les pratiques en matière d’information. L’auteur confirme les travaux antérieurs sur les pratiques culturelles concernant l’éclectisme des classes supérieures en matière de supports d’information, et dans un même temps la persistance de pratiques de distinction dans les choix des étudiants (préférence de la presse quotidienne d’information, rejet relatif de la télévision et préférence de la radio).

13On pourrait peut-être regretter que l’objectif porté dans l’introduction, qui est de s’intéresser à la réception de la campagne électorale et de partir des trajectoires individuelles pour analyser la manière dont elle s’invite dans les parcours biographiques des étudiants et dans leurs expériences sociales, ne soit que partiellement atteint. Cela est dû à l’usage de l’enquête par questionnaire qui ne permet pas ici de saisir l’évolution des positions ni l’articulation de la socialisation politique dans des parcours biographiques. Mais les différents traitements statistiques réalisés sont dans l’ensemble remarquables et montrent l’usage ethnographique qui en est fait, amenant les auteurs à porter des analyses théoriques et épistémologiques originales. Au final, ce livre est une somme d’enquêtes riches, qui permettront aux chercheurs travaillant sur les étudiants, l’enseignement supérieur, les comportements politiques et le vote d’actualiser leurs connaissances.