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1Gageons que l’accroche de cette recension ne surprendra pas l’auteur de cet ouvrage présenté comme un manifeste pour une indispensable mise en controverse (et donc de fin ?) des « mesurettes lentes et aux effets incertains » (p. 10) dans le contexte de crise climatique planétaire du moment. Ainsi, le lecteur va-t-il commencer par se présenter. Il a été – et l’est sans doute encore – « biberonné » à grand renfort de « chimères de réussite et d’exaltation individuelle » (p. 11) ; il se contente face à cette crise, de petits « aménagements, alors que la situation exige une modification profonde de [ses] conditions de vie et d’organisation » (p. 14) ; il se trouve pris dans un système interactionnel où prédominent des bruits qui le perturbent (notamment ceux que produisent des experts proclamés et/ou des conspirationnistes ignorés) ; ceci le pousse, entre autres, à fuir des « situations inconnues ou qui demandent trop de changement » (p. 28) d’autant qu’il est avec ses congénères cognitivement construit « pour traiter l’information rapidement, avec une économie d’énergie maximale » (p. 29) ; il est un « citoyen-consommateur des démocraties capitalistes, [qui] ont depuis des siècles une vision utilitariste de leur écosystème » (p. 32) ; il est (ou se voit/croit encore) « libre de choisir » ce qu’il va ou doit consommer alors qu’il est soumis aux « émoluments capricieux d’un marché qui échappe à toute maîtrise politique » (p. 35) et ne perçoit « plus les impacts collectifs de [ses] choix individuels » (p. 38). Le lecteur (aussi citoyen-électeur) comprend dès lors qu’il n’a pas/plus vraiment d’autre choix que de consentir…

2Ceci posé, présentons maintenant l’auteur : Albin Wagener est enseignant-chercheur habilité à diriger des recherches en sciences du langage et intervient dans plusieurs établissements (Universités Rennes 2, de Luxembourg, de Tartu en Estonie et l’Institut national des langues et civilisations orientales). Sans trop se tromper, nous pouvons le qualifier de chercheur « engagé » pour la cause climatique et profondément inquiet des mesures politiques qui ne prennent pas en compte et/ou au sérieux l’urgence climatique (p. 35). Le présent ouvrage se compose de quatre chapitres avec un post-scriptum sur lequel nous reviendrons infra. Les chapitres traitent successivement : des insuffisances et limites des mesures écologiques ; de la démocratie capitaliste [comme] : un obstacle sérieux ; de la triade mythologique : individualisme, liberté et sécurité et enfin, de l’écoarchie [comme encore possible] système politique post-démocratique et post-capitaliste. Dans l’introduction, il expose le but de son livre – et in fine la trame de toute sa réflexion hic et nunc pour enrayer le changement climatique et surtout sensibiliser autrement aux questions qu’il soulève –, « essayer de comprendre les phénomènes qui empêcheront toujours les changements nécessaires ». Un but pas si simple à dire vrai qu’il double d’une hypothèse « relativement simple » (p. 35) : « toute transition écologique d’urgence ne peut se faire dans le système démocratique actuel, tel qu’il est fondamentalement structuré ».

3Son approche de la médiatisation des questions écologiques qui (p. 32) « fausse d’emblée le problème et se loge dans un paradigme de toute puissance de l’espèce humaine » intéressera au premier chef les chercheurs en sciences de l’information et de la communication. Elle nous (ré)alerte, entre autres, sur les multiples situations d’exposition à (et dans) certains médias de ces questions. De la sorte, l’auteur nous invite à prendre en compte (autrement et un pas de côté s’impose vraiment à nous) ce qu’est aujourd’hui et pour l’avenir : un déficit d’information (p. 32) face à l’urgence climatique dans un « marché » qui intègre aussi bien et facilement la désinformation. Ce faisant, il interroge aussi une (notre ?) liberté d’expression « tolérée que dans la mesure où elle ne remet pas en question le cadre démocratique » (p. 41). Un cadre ou modèle démocratique (capitaliste) que nous avons collectivement et presque insensiblement « érigé en perfection absolue du vivre-ensemble politique et social » (p. 48) et qui nous sert « malgré tout » (cette locution s’impose ici) de « doudou pour se convaincre du fait que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles » (p. 51).

4La conclusion du chapitre II sonne tel le glas : « Dans cette logique, je ne vois pas bien comment d’authentiques mesures écologiques d’ampleur, face à l’urgence climatique, pourraient se prendre alors même que la plupart des intérêts économiques, et donc démocratiques, n’ont aucun intérêt à ce que celles-ci se matérialisent » (p. 55). Mais si perte il y a (en décision comme en action), la plus « manifeste » est sans doute celle de notre liberté. Au terme de cet ouvrage, le lecteur ne sait même plus ce qu’elle représente de manière intrinsèque dans nos sociétés dites modernes et ce que nous en faisons encore (p. 65). Ce sont les lignes les plus alarmantes à dire vrai. Dans ce qu’il reste d’illusions de liberté (p. 59), il y a celles : du choix des produits et des marques pour répondre en grande variété au besoin de consommer différents biens et services ; celles de se consacrer toujours en consommateur à des loisirs de masse ; la liberté enfin d’afficher des goûts personnels qui permettront de mieux encore nous identifier pour bien intégrer que le marché capitaliste pense résolument comme nous… Marché qu’on peut, du reste, aussi intégrer en qualité d’entrepreneur : du self made man au start-uppeur, il n’y a qu’un pas. Mais Albin Wagener va plus loin dans ses qualifications de ces illusions de liberté (pp. 62-63). Celles-ci sont encore maintenues par un droit de vote pour des candidats « que le système démocratique et les habitudes médiatiques lui présentent » (les dernières échéances électorales françaises, pour ne prendre qu’elles, vont bien en ce sens). Mais ces illusions sont également entretenues (ou plutôt bien tenues) par un marché d’une opinion, construit entre autres via les réseaux sociaux ou encore la presse (e.g. les grands groupes médiatiques). La plus grande illusion de/dans cette liberté versus sécurité (en codépendance dirait l’auteur), la plus insoutenable en somme pour nos démocraties capitalistes néolibérales reste celle de s’exprimer/contester/protester/manifester en parole comme en actes.

5Un autre élément saillant dans son analyse est son utile critique du colibrisme, en écho notamment aux travaux de l’économiste Robert E. Prasch. Certes, si « l’individu est le centre des décisions en matière d’achat, de possession et de consommation, il reste également le centre de tout en cas de problème » [alors que] la quasi-totalité de la responsabilité décisionnelle et éthique [est] liée à la nécessité d’un changement de modèle [qui] semble reposer sur le consommateur, et non sur les industries qui émettent le plus de CO₂ dans l’atmosphère terrestre » (p. 67). Et (pour l’auteur de la recension à tout le moins) cette critique réouvre celle adressée aux thuriféraires des communications du changement (persuasives, d’action et d’utilité publiques, engageantes) quand ils mobilisent ou convoquent diverses émotions (positives comme négatives) – les « affects » (p. 75) –, pour soutenir différents changements de comportement des plus « indociles » encore d’entre-nous. Au bout du compte, les seules capacités restantes de « l’individu consommateur-citoyen [sont celles] à pouvoir désirer, assouvir ses besoins, modifier son comportement et rentrer dans un ensemble de normes » (p. 78). Les écogestes sont là pour le rappeler à chaque fois que nous les pratiquons docilement ou non : les écocides, eux, ne manquent pas, voire se multiplient (pp. 85-86).

6« Remettre l’être humain en rapport avec son environnement » (p. 89) comme « repenser la manière dont nous faisons société » (p. 90), vaste défi s’il en est qu’Albin Wagener pose dans le dernier chapitre. Ainsi le « pilier principal de l’écoarchie est [serait là aussi « simple » : son adverbe préféré] (p. 90) : que « la nature prévaut, de manière transcendantale et intégrale, sur les décisions sociales, économiques et politiques que les sociétés décident de mettre en œuvre ». Pour appuyer fortement cette démarche, l’auteur mobilise également le principe de dignité, principe essentiel (p. 95) « pour le respect de chaque être humain dans sa diversité, mais dans le respect de chaque animal également, de chaque plante, de chaque écosystème, de chaque environnement – et, in fine, de cette si petite planète que nous habitons ». Ces développements appellent des réorganisations fondamentales et pour n’en citer qu’une et non des moindres (p. 99) « tirer un trait sur les logiques d’exploitation et donc d’enrichissement et d’accumulation de capital ».

7Ainsi le développement de la pensée comme l’engagement d’Albin Wagener nous poussent-ils à repenser notre environnement écologique et son corollaire (p. 107) « re-mettre l’humain en rapport avec l’environnement », mais aussi notre rapport au local comme « terreau ou terroir » (p. 102) et avec lui notre rapport à l’État et surtout notre participation (l’engagement citoyen dans toute sa variété) à ce dernier pour être au service des citoyens surtout les plus fragiles d’entre eux parmi lesquels nous serons toutes et tous un jour prochain. La bienveillance aussi doit devenir (p. 111) un « principe actif »…

8Il y a vraiment matière à réflexion dans ce manifeste accessible à toutes et tous. L’ensemble agit sur le lecteur tel un principe actif et direct sur ses/nos perceptions du présent, du futur, mais aussi de notre passé et/ou histoire. Quelques belles lignes dans son post-scriptum le permettent ; notamment celles (p. 116), où il précise que « le capitalisme n’est pas le seul responsable : l’éthique coloniale sur lequel il repose, qui suppose la conquête des biens, des territoires et des personnes dans une simple logique de jouissance de la possession et de l’exploitation, puis de la transformation en richesses privatisées, est largement responsable du monde dans lequel nous vivons et des inégalités structurelles qui le handicapent désormais ». Toute ressemblance avec ce que nous vivons en ce début de xxi^e siècle n’est vraiment pas pure coïncidence.

9Actif sur le réseau social Twitter, Albin Wagener écrivait récemment réfléchir à la « création d’un mouvement politique (pas d’un parti) » à partir du projet écoarchique et demandait qui le suivrait ? Avant de se décider car ce ne sera pas là une « lutte de salon » (p. 100), j’invite tous les ci-devant citoyens-consommateurs à le lire très attentivement pour : « oser penser l’impensable, à savoir que la démocratie capitaliste n’est peut-être pas l’alpha et l’oméga de l’évolution politique et économique des sociétés modernes, et qu’il y a d’autres manières d’envisager la gouvernance sociale et les échanges entre les individus, les entreprises et les États » (p. 12).

10Juste sur un plan formel, compte tenu de la somme d’articles de recherche cités, une bibliographie finale (classiquement récapitulative des références en appels de note qui occasionnent trop de ruptures dans la lecture) manque au lecteur d’autant que la mobilisation des références dans sa discipline, mais aussi en sciences économiques, politiques, humaines et sociales et enfin climatiques apporte beaucoup et nous fait bien comprendre que se saisir de toutes ces questions « condamne [vraiment] à l’interdisciplinarité » (p. 23) : un autre défi à relever…