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Beyaert-Geslin Anne. L’invention de l’autre : Le juif, le noir, le paysan, l’alien

Paris, Classiques Garnier, 2021
Julien Lugand
Référence(s) :

Beyaert-Geslin Anne. L’invention de l’autre : Le juif, le noir, le paysan, l’alien. Paris, Classiques Garnier, 2021. ISBN : 978-2-406-10831-3 Prix : 23 €

Texte intégral

1Professeur de sémiotique à l’université Bordeaux-Montaigne et membre du laboratoire de recherche « Médiations, informations, communication, arts » (MICA), Anne Beyaert-Geslin consacre depuis plusieurs années ses recherches à la sémiotique dont elle est devenue une spécialiste internationalement reconnue – elle est vice-présidente de l’Association internationale de sémiotique visuelle et de l’Association française de sémiotique. Après avoir exploré des champs aussi différents que le design (Sémiotique du design, 2012), les objets (Sémiotique des objets. La matière du temps, 2015) ou l’image (Sémiotique du portrait. De Dibutade au selfie, 2017), Anne Beyaert-Geslin publie L’invention de l’Autre. Le Juif, le Noir, le paysan, l’Alien, au sein de la riche collection « Histoire culturelle » des Classiques Garnier. Elle y étudie toujours la question centrale des modes de production et de réception des signes, mais cette fois dans une démarche d’anthropologie visuelle et culturelle.

2Dans l’introduction, très riche, après avoir retracé les interprétations dont l’image fut l’objet, Anne Beyaert-Geslin rappelle qu’une image est une construction qui transmet, rend visible, convainc ; qui rend l’invisible visible, voire réel ; qui a la capacité de créer une réalité qui permet de croire (l’image religieuse) et/ou de montrer le monde sans « que l’on cherche à savoir » (p. 11). Cela lui confère une place privilégiée dans la société puisque son utilisation, dès lors qu’elle est stratégique, permet d’appuyer, d’influer l’organisation sociale. Il en est ainsi de « l’Autre », dont Anne Beyaert-Geslin étudie quatre inventions de « l’image » à travers les exemples que sont le Juif, le Noir, le paysan, l’Alien. Rappelant que « l’image invente une apparence et, l’effet d’évidence imposant sa certitude, fait croire à cet Autre inventé » (p. 25), Anne Beyaert-Geslin explique que le préalable à cette création « d’une image de l’Autre », c’est le passage de l’image au stéréotype – ce dernier n’ayant pas à démontrer la vérité puisqu’il est la vérité, un schème culturel établi. À travers le Juif, le Noir, le Paysan et l’Alien, et en se fondant sur un corpus ramassé d’œuvres peintes, l’auteur identifie toutes les valeurs ainsi « distribuées » ou « réparties » fondant ces stéréotypes. Ce peut être des catégories spatiales – le personnage de face, de profil ou de trois-quarts – ou des catégories sociales ; des représentations de caractères (la méthode diagrammatique) ; le contraste beauté/laideur ; la défiguration, au sens littéral du terme s’agissant du portrait au xxe siècle.

3C’est Giotto, dans les trois épisodes de la vie de Judas qu’il peignit à fresque dans la Chapelle des Scrovegni à Padoue entre 1302 et 1305, qui inventa la représentation de l’« Autre » en usant, le premier, d’un « métalangage ». Si pour Giotto, représenter l’Autre (Juif) consistait en l’évocation d’une dialectique beauté-laideur (i.e. les valeurs du bien contre le mal), les peintres qui représentèrent le Noir insistèrent bien plus sur des distinctions sociales, esthétiques, parfois érotisantes – puisque la couleur du Noir étant déjà, en soi, une différence. S’agissant du Paysan, cela consista à représenter une identité collective ; l’on ne sortit pas le Paysan de son « environnement » duquel il était indistinct ; surtout, il n’eut jamais l’honneur des portraits « véritables », preuve que l’on ne le définît jamais comme un individu, mais comme une catégorie. Enfin, le dernier « Autre » évoqué – l’Alien –, trouve son origine dans le « morcellement, démembrement, désagrégation, dissolution, effilochement, pulvérisation » (p. 109) que connut le portrait au xxe siècle – processus qui est à l’origine de l’indifférenciation, « la ressemblance absolue » que revendique Giacometti.

4L’invention de l’Autre. Le Juif, le Noir, le paysan, l’Alien, est un ouvrage stimulant. Très documenté, d’une écriture limpide, il participe du renouvellement des Cultural Studies par l’apport des Visual Studies. Anne Beyaert-Geslin a l’immense qualité de restituer de manière claire et didactique, des concepts complexes. En analysant de manière fine les procédés d’invention de ces « images », Anne Beyaert-Geslin livre un ouvrage qui intéressera autant les anthropologues que les sociologues, les historiens de l’art que les spécialistes de l’Information-Communication – auxquels elle livre un manuel de lecture critique car « toutes ces images peuvent aujourd’hui être observées sur l’internet qui les « délocalise » (d’un point de vue spatial autant que temporel) et oblitère toute différence de support en confondant tous les statuts (artistique, religieux, publicitaire, journalistique…) » (p. 30).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julien Lugand, « Beyaert-Geslin Anne. L’invention de l’autre : Le juif, le noir, le paysan, l’alien »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 01 mai 2023, consulté le 02 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/14496 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.14496

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Auteur

Julien Lugand

Julien Lugand est MCF HDR en Histoire de l’art moderne à l’Université de Perpignan via Domitia et membre du Laboratoire FRAMESPA (UMR 5136, Université de Toulouse – Jean Jaurès et CNRS).

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