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1L’auteur est professeur à l’université catholique de l’Ouest à Angers, professeur associé à l’université de Sherbrooke et collaborateur scientifique à l’université de Nantes. L’ouvrage est paru dans la collection Exploration notamment centrée sur des recherches en sciences de l’éducation et se situant au « carrefour des multiples dimensions de la recherche et de l’action éducative ». « Carrefour » est sans doute la métaphore clef de l’ensemble du travail proposé ici par Bertrand Bergier. Ainsi, pour filer simplement la métaphore routière, il nous représente dans ces lignes des carrefours en sorties et entrées, en arrêt et redémarrage, comme nœud ou croisement de possibles directions qui sont autant de décisions d’orientation dans le système scolaire actuel et les épreuves de professionnalisation qu’il (im)pose toujours à certains.

2L’ouvrage comporte cinq chapitres qui retracent ce qui pourrait être tout ou partie d’un parcours de vie (re)qualifié en « retours gagnants » à l’école ou dans les études comme dans une vie sociale lato sensu. Classiquement (l’adverbe s’impose ici), dans ce parcours s’enchevêtrent une sortie non diplômante de l’école, une période hors ses murs, une autre qui favorise le retour aux études et son maintien pour terminer sur ceux in fine avortés. Betrand Bergier définit sa recherche comme descriptive pour saisir et analyser (p. 13) : « un phénomène méconnu, à combler “un manque” en décrivant les parcours de décrocheurs revenus sur les bancs de l’École ». Cette démarche d’enquête (p. 16) « articule un récit de parcours [de détours] scolaires et un questionnaire » avec un échantillon de volontaires de 215 jeunes dont il a reconstruit la trajectoire. Posée ainsi, cette recherche sans visée conservatoire prédictive (p. 19) est aussi ambitieuse que stimulante. Signalons enfin que Bertrand Bergier a judicieusement (presque malicieusement) demandé à Éric Flavier (LISEC, université de Strasbourg) de clore cet ouvrage, comme pour suspendre un temps ses travaux, par une « non-conclusion » qui de facto est une ouverture (p. 197) : « Bertrand Bergier propose un texte dont l’originalité tient d’abord à un regard qui, pour une fois, se veut orienté vers la réussite [il] préfère porter la focale sur les […] réussites académiques après une période, transitoire de décrochage » et, ce faisant, « déconstruit l’image d’Épinal du décrochage comme fatalité ».

3S’il fallait faire une synthèse – forcément incomplète – d’un ensemble appuyé outre le recueil empirique sur 317 références en pluridisciplinarité, nous retiendrons, d’une part, l’importance toujours réaffirmée d’un titre académique comme ressource ; d’autre part, le temps versus la temporalité comme marqueur : un temps pour sortir et/ou revenir dans le système scolaire. Ces deux éléments sont diversement équipés en rhétoriques – des plus simplistes ou répandues aux plus intimes – comme celle d’une oisiveté revendiquée pour la période hors des murs de l’école (p. 64), celle d’un temps libéré, qu’il faut ensuite meubler ; temps qui devient pour certains aussi celui d’une création recherche d’un rythme émancipé (p. 67) face aux autres temporalités aussi dominantes qu’exigeantes (i. e. celles scolaires et professionnelles). Une question d’actualité donc que celle d’un retour diplômant i. e obtenir un diplôme – titre et/ou sésame de la qualification qui ne dit pourtant pas/jamais tout des compétences acquises – quand les questions d’éducation (au pays de toutes les réformes) résonnent davantage encore avec décrochage, interruption, renoncement, déclassement qu’avec reprise, maintien ou « raccrochage ». Ce constat fait surtout dire à l’auteur que « les reprises académiques peuvent emprunter des chemins à l’écart de la forme scolaire traditionnelle, mais non ouverts spécifiquement à un public de décrocheurs » (p. 11). Ainsi, tout en évitant de tomber dans le piège de la catégorisation générique qui pathologise ou stigmatise, Bertrand Bergier nous décrit-il les enjeux de (re)qualification en termes de décrocheurs versus raccrocheurs ou « retournants » (p. 31) de celles et ceux qui, un temps, pensaient que l’école n’était pas faite pour eux. Les pages (19-21) consacrées dès l’introduction à l’explicitation de sa démarche (de son plan) méthodologique sont remarquables tant il reste fondamental d’ouvrir, d’entrée de jeu, en sciences humaines et sociales notre boîte à outils pour pareils recueils et production de données. Reprenons juste ces belles lignes (pour moi) essentielles sur la nécessité d’instaurer une « pratique restituante » (p. 19) : « Constitutive de notre recherche, cette restitution-réception ne se joue pas dans l’après ou l’à-côté. Elle est envisagée comme une circulation de données factuelles et d’éléments d’analyse où nous exposons notre travail aux interlocuteurs de terrain, où nous provoquons un dialogue cognitif (argumentation/contre-argumentation) [pour] éprouver notre construction sans pour autant nous substituer à la validation des pairs (celle de la communauté scientifique) ; mener un travail de réflexivité sur notre démarche, sans nous dispenser d’étendre celui-ci à la restitution elle-même, notamment au rapport social de connaissance et à la connaissance qu’elle engage ». Une mise en mots et en perspective que l’auteur de la recension va, disons-le sans ambages, abondamment « piller » pour ses propres travaux lors de recherches-actions.

4La démarche méthodologique clairement exposée intéressera donc tous les chercheurs en sciences humaines et sociales. Bertrand Bergier met pratiquement en œuvre la nécessaire complémentarité des techniques d’enquête entre l’outil statistique et le témoignage ceci « en jouant sur le qualitatif et quantitatif, en nous donnant des moyens d’avoir du qualitatif en quantité » (p. 18). Le témoignage étant compris comme mise en récit de soi, de son vécu, langage du récit entre sentiments, pensées et comportements (p. 18) et du sens accordé à l’ensemble ; ce qui intéressera en priorité les sciences de l’information et la communication. Le lecteur appréciera aussi les précisions comme la prudence méthodologique du chercheur ainsi (p. 105) « le déploiement des outils d’investigation (récit de parcours puis questionnaire) n’est pas sans incidence sur le nombre de facteurs identifiés par le jeune. Lorsque nous scrutons, dans le cadre du récit de parcours, les conditions et les raisons de la reprise d’études, celles-ci sont en nombre plus limité que lorsque nous demandons aux enquêtés d’indiquer, parmi la liste des 50 facteurs recensés, ceux qui ont contribué à leur propre retour ».

5Il ne faut pas longtemps au lecteur pour comprendre que la dimension info-communicationnelle de ce travail affleure à toutes les pages, même si l’auteur ne s’en réclame pas frontalement. Presque tout ici est acte de langage protéiforme en justification et mise en condition comme en récit d’un pour et/ou contre les diverses formes et intentions d’un retour gagnant. Ce dernier, aussi singulier soit-il, est toujours pris dans le « discours des autres sur soi et [pour] faire mentir les prédictions funestes » (p. 119). Comment ne pas y voir également toute la variété et la richesse de la communication interpersonnelle participant de la forme scolaire (relations, pratiques et interactions langagières avec le professeur, ses efforts en écoute/compréhension/encouragement/valorisation/maintien du lien…), mais aussi les « règles et codes de l’organisation (les mots pour le dire, à quel moment parler, se taire…) » (p. 155) dans l’enseignement et la formation (pp. 138 et 143). En atteste déjà tous les équipements qui fixent des formes de professionnalité de manière très formelle (p. 90) i. e. des bilans de compétences, des tests, des diagnostics, des « cours de co-construction d’un plan d’action » et/ou celles informelles qui privilégient l’oral.

6L’approche comme le propos sont in fine de vraies questions de communication où se mêlent des argumentations et récits différenciés selon les parcours scolaires et de vie qui peuvent (ou non, ou un temps) « sceller un destin » ou au contraire « résister idéologiquement au fatalisme d’un décrochage à perpétuité » (p. 55). Ces récits comme ces interprétations de soi se font à grand renfort de comparaisons avec d’autres, avec une histoire familiale (comme l’importance de l’entourage), de la sphère intime pour maintenir une continuité des liens (p. 80) où l’intériorisation de certaines normes et statuts est centrale.

7L’auteur montre bien également (p. 83) que « le contexte de sortie du système scolaire sans diplôme ne préfigure pas (pour autant) un contexte de tensions généralisées gagnant les relations familiales, amicales ou encore les activités récréatives » [et témoigne aussi bien d’une] bifurcation objectivée [qui] peut allier continuité sur certains axes et discontinuités sur d’autres ». Ce constat engage à lui seul une posture méthodologique spécifique : il ne s’agit pas de raisonner « suite à la sortie prématurée du système scolaire, exclusivement en termes de ruptures, de basculements, de revirements, de changements » et donc que le chercheur doit rester ouvert aux possibles prolongements biographiques. Le travail de Bertrand Bergier montre s’il en était encore besoin que certains travaux pour penser sa vie présente comme future nécessitent d’être suspendus à l’image de la jachère qu’il mobilise (p. 72) pour être repris à la suite d’un processus de maturation voire de conscientisation critique (p. 73). Un parcours presque initiatique dans lequel tout est à venir (et/ou avenir) où s’impose le relationnel tant dans ses aspects de soutien que dans sa dimension conflictuelle.

8Proposons juste à la suite, un court focus sur cette injonction (de plus en plus précoce) au « projet d’avenir ». Une injonction sans doute synchronique de l’autre « grand récit » sur l’égalité des chances (ou de nouvelle chance) dans le système éducatif i. e. des « logiques de modernisation […], des rationalités économiques, [des] exigences du marché » (p. 127). Focus dis-je, car il faut sans doute – et les terrains empiriques proposés par Bertrand Bergier nous y aident vraiment (par-dessus le marché) – repenser à nouveaux frais cette formalisation d’un (indispensable) projet du « jeune »… Celui-là même qui nous aiderait, très tôt, à mieux saisir nos attentes comme à cibler les informations et les aiguillages versus les orientations et les offres que propose le système scolaire ou encore à sérier différentes capacités pour optimiser ce retour diplômant. Un développement plus conséquent – dans une perspective résolument critique – serait là des plus utile (p. 184).

9Il faut retenir, dans notre conclusion de cette recension, que ce/un retour aux études reste bel et bien « socialement ordonné » avec des caractéristiques/variables sociodémographiques pour le moins agissantes et faisant office de « prédicteurs » bien au-delà de la population enquêtée qui comprend 97 hommes et 118 femmes (p. 93). L’auteur reconfirme notamment en référence à la sociologie bourdieusienne le poids du bagage académique parental avec le sentiment (p. 97) d’être (ou non) « l’héritier d’un statut ou d’une ambition académique et sociale ». Ceci toutefois en précisant, nuançant (p. 88) que « le temps s’écoulant entre la sortie sans diplôme de l’école et le retour aux études ouvre et ferme une parenthèse qui peut être étudiée à la fois comme une période postscolaire et comme une période de pré-rentrée dans le rang académique. L’interruption du parcours scolaire signifie, pour le moins, le décrochage avéré ne scelle pas la carrière académique ». S’il en fallait encore, un dernier cas d’étude, entre désorientation et réorientation en tension, à n’en pas douter, l’auteur de ces lignes en est une parfaite illustration. Il s’est toujours tourné vers l’orient (p. 107), théâtre d’expériences et direction de toutes les progressions…