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Dossier

Immersions et expériences de nature : peut-on encore se passer du numérique ?

Immersions and Nature Experiences: Can We Still Do without Digital Technology?
Amélie Coulbaut-Lazzarini, Émilie Kohlmann et Anne Gagnebien

Résumés

À l’heure où de nombreux termes prennent largement une connotation numérique, où la notion d’immersion renvoie souvent à la réalité virtuelle, cet article prend le risque d’envisager différentes expériences dans la nature. Afin de comprendre comment se reconstruit le rapport au symbolique via un rapport au monde physique et comment réinterroger l’immersif et son rôle dans les relations au vivant, cet article met en perspective deux projets de recherche, qui accordent une place centrale ou totalement périphérique au numérique. Le premier analyse l’effet des dispositifs numériques sur nos représentations et expériences de nature (MIMESIS). Le second interroge l’impact des narrations sur les perceptions sensorielles lors d’immersions dans l’environnement physique et leur réinvestissement dans des écritures collectives (RECIT’M2). Au travers de ces projets, l’article confronte les formes d’expériences et le rapport au symbolique.

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Texte intégral

Introduction

1À l’heure où de nombreux termes acquièrent largement une connotation numérique, où la notion d’immersion renvoie souvent à la réalité virtuelle, cet article prend le risque d’envisager différentes expériences de nature, dans lesquelles l’immersion peut être réfléchie et pensée décorrélée de cette coloration technologique. Ceci est particulièrement prégnant dans le champ des sciences de l’information et de la communication où :

les environnements numériques sont dits immersifs, car ils tirent en effet parti des dernières technologies graphiques (images 3D, images animées, sons) pour proposer aux utilisateurs des expériences communicationnelles sensorielles et visuelles spécifiques dans des contextes variés (création, formation, santé, social). (Bonfils, 2015, p. 262).

2Dans la lignée de Clayton (Clayton et al., 2017), nous envisagerons les expériences de nature tout d’abord comme des interactions sensorielles entre individus et entités naturelles qui engagent émotions, narration et souvenirs. En outre, l’interprétation et la mémorisation de ces expériences de nature prennent place dans un contexte social et culturel qui les conditionne. Nous les considérons comme un phénomène « transformatif » des connaissances, des aptitudes, des comportements.

3Afin de comprendre comment se reconstruit le rapport au symbolique via un rapport au monde physique et comment réinterroger l’immersif et son rôle dans les relations au vivant, cet article fait dialoguer deux projets de recherche, qui accordent une place centrale ou totalement périphérique au numérique. Le premier analyse l’effet des dispositifs numériques sur nos représentations et expériences de nature (MIMESIS1). Le second interroge l’impact des narrations sur les perceptions sensorielles lors d’immersions dans l’environnement physique et leur réinvestissement dans des écritures collectives (RECIT’M2).

4Si ces projets proposent des méthodologies d’enquête et des données spécifiques à chaque terrain, ils se rejoignent sur la problématique et permettent, en se croisant, d’offrir un tableau varié de situations d’immersions et d’expériences de nature. Le corps n’est plus considéré alors uniquement comme un moyen d’« interagir à partir de son espace physique avec l’espace numérique » (Bonfils, 2015), p. 262). Au contraire, la question de l’immersion peut se comprendre de manière graduelle, dans une variété de formes qui articulent rapport au vivant, sensible, symbolique, pratiques et techniques.

Multiplication des variables pour penser l’engagement du corps dans la nature

5Notre problématique nous invite à engager une forme de réflexivité sur notre propre rapport à l’environnement qui prend en compte plusieurs paramètres tels que le contexte de déploiement de l’expérience de nature, mais également les participants à cette expérience. En effet, des variations importantes dans les aptitudes perceptives et l’exercice de la sensorialité se font jour selon qui partage l’expérience (enfant, cheval, chien, amis...). En outre, des aspects pouvant apparaître comme pragmatiques invitent également à reconsidérer le rapport au monde physique et ses imaginaires associés lors d’une expérience de nature, tels que la matérialité, la météo, la place du corps dans la recherche (intégrant entre autres les paramètres de vertige, les risques de blessure...) inhérents aux terrains de recherche choisis, qui incluent des sentiers de montagne.

6Notre terrain invite également à prendre en compte un questionnement sur l’immersion d’un corps sportif dans la nature, où le rapport à la performance peut décorréler des perceptions du vivant. Lesage rappelle ainsi que « si le corps est instrumentalisé, il est probable que l’environnement sera appréhendé sur le même mode » (Lesage, 2021, p. 73).

7Par ailleurs, nous observons pour cela la matérialité du rapport au monde, qui conduit non seulement à « regarder attentivement les objets qui nous entourent en se demandant comment ils peuvent faire sens et créer des rapports de communication » (Jeanneret, 2019 : 108), mais également à percevoir (Paillard et Lapierre, 2022), ressentir les éléments du monde physique dans un rapport au corps affectif (Martin-Juchat, 2008), guidé par des récits et des supports narratifs fictionnels.

8Dans cette perspective, l’ouvrage de Pascale D’Erm (D’erm, 2019) est un plaidoyer pour l’immersion, le sensible, le sensuel et l’émotionnel à travers les bains de forêt (shinrin Yoku) et des études médicales sur les impacts positifs sur la santé de l’immersion sensorielle du corps dans l’environnement naturel (notamment avec un décentrage occident naturaliste / orient et notion d’homéostasie). Ainsi, son chapitre 2 s’intitule « l’expérience de nature : renouer un contact sensoriel avec le vivant ». Durant le confinement, le besoin de nature a été également observé, les balades étant alors qualifiées de pratiques « culturelles » par de nombreuses personnes interrogées lors d’une enquête menée en 2020 (Sussfeld et Gagnebien, 2023).

9Afin de mettre en évidence la nécessité de monter en complexité pour penser la question de l’immersion dans la nature et la variété des expériences de nature, nous reviendrons sur les résultats du projet MIMESIS car il a permis d’identifier déjà la variété des modalités de lien à la nature à travers le développement d’outils numériques. Ce constat servira à alimenter la réflexion du projet RECIT’M2, en cours, qui interroge davantage l’immersion du corps in situ, question moins centrale dans le précédent projet. Pour Récit’M2, nous expérimentons une forme immersive au sens du corps dans la nature, à la fois libre et décorrélée de l’obligation de connaissance ou de performance, mais proposant un passage par la narration de cette expérience comme forme de scénarisation transformative (Mahy, 2011). Nous confrontons les formes d’expériences et le rapport au symbolique.

Questionner le lien numérique à la nature et l’implicite du passage « du clavier aux bottes » : le projet MIMESIS

10Pour ce projet de recherche (2020-20213), nous nous sommes attachés à analyser « la plateforme participative pour tous les curieux de nature » du département de l’Isère : Nature-Isère4. Nous nous sommes intéressés à cette interface entre pratiques de la nature sur le terrain et retranscription numérique de celle-ci : « à vos bottes et à vos claviers ! » (page d’accueil du site). Nous avons alors mené une analyse sémiologique du site web que nous avons couplé avec une série d’entretiens. Tout d’abord des entretiens avec des acteurs à l’origine de la création du site pour mieux comprendre les mécanismes à l’origine du projet, puis des contributeurs en ligne afin de saisir leurs motivations et leur profil. Nous avons également organisé une journée d’étude autour du lien à la nature et de l’influence du numérique ce qui nous a permis d’élargir notre objet et de l’ouvrir à la question des formes d’expérience de nature « en ligne » ou numériques et des expériences en immersion directe du corps dans la nature.

11Ainsi, les expériences de nature médiées technologiquement, telles qu’observées au cours du projet MIMESIS (Kohlmann, 2023), montrent différents niveaux de médiation : de l’usage du smartphone et d’applications pour l’aide à l’observation naturaliste pendant des temps d’immersion physique dans la nature à des expériences de nature virtualisées comme les réseaux sociaux ou les jeux en ligne qu’évoque Truong dans ces travaux.

Elles(les expériences virtuelles) se différencient des expériences précédentes par le fait qu’elles n’impliquent plus d’interactions physiques aux environnements naturels, que la médiation technologique n’est plus un ajout à l’expérience, mais le cadre même dans lequel l’expérience a lieu. (Truong, 2023), p. 206)

12Les apports de ces dernières formes d’expériences pour les individus qui les pratiquent se révèlent à nuancer. Ainsi, si elles participent chez les utilisateurs d’un sentiment de bien-être, ces expériences médiées s’avèrent moins bénéfiques pour la santé que les immersions physiques dans la nature réelle (Mayer et al., 2009). Truong propose par contre de les mobiliser dans la sensibilisation et d’éducation pro-environnementale et d’éduquer les gens à la différence entre nature technomédiée et nature réelle, en ouvrant sur l’idée d’une nature scénarisée dans les dispositifs techniques. Il s’agit alors non plus seulement de différencier expériences directes ou indirectes de nature (Kellert, 2012), mais d’observer des formes hybrides issues des dispositifs numériques mobiles.

13Les expériences technologiquement médiées proposent donc différents niveaux d’immersion et d’implication du corps dans la nature. L’usage du smartphone notamment ouvre la possibilité de formes hybrides dans lesquelles le corps reprend sa place : comment est manipulé l’objet, qu’oblige – il à modifier dans sa posture, dans l’usage de ses mains, dans sa relation aux autres outils utilisés plus classiquement en randonnées ? L’immersion dans la nature peut exister aussi dans ces pratiques dans lesquelles le smartphone est vu comme une extension du corps dans un rapport à la connaissance de la nature. Des applications comme Plantnet5 qui s’appuie sur des photographies ou Birdnet6 qui analyse des captations sonores révèlent bien un rapport aux sens et à la transformation de l’expérience sensorielle du corps en immersion en données analysables par des dispositifs d’intelligence artificielle pour produire de la connaissance. Et il est particulièrement remarquable que ce passage du physique au numérique, cette délégation de l’interprétation et de la captation sensorielle à la technique, ne soit que peu interrogée.

14Son pendant ne l’est guère plus : le passage de l’expérience virtuelle à l’expérience physique dans la nature. Subsiste en effet un implicite très présent chez les concepteurs de ces applications et outils numériques sensés fluidifier le rapport à la nature, c’est « le fait que la contribution numérique amène à la participation sur le terrain » (Kohlmann, 2023, p. 75) et que le passage de l’une de ces expériences à l’autre se ferait de manière fluide, sans nécessité de médiation autre aucune. Les discours d’escorte sont presque absents des dispositifs sur cet aspect. Ils ne sont présents que pour accompagner l’usage du dispositif technologique, centré sur lui-même, mais très peu sur les pratiques potentielles en immersion dans la nature. Pourtant, il est important d’accompagner et de construire de nouveaux récits qui permettent d’articuler entre elles ces variétés d’expérience de nature. C’est cette dimension narrative que le projet RECIT’M² se propose d’analyser.

Des contes et des corps, ou questionner l’effet des récits fictionnels sur l’immersion réelle au cours d’une expérience de nature : le projet RECIT’M2

15Au-delà de la simple immersion sensorielle, en s’intéressant à la mise en synergie de récits et d’expérience de nature sur l’évolution du rapport au vivant et à l’environnement, RECIT’M² vise à comprendre comment la réflexivité et la scénarisation peuvent contribuer à modifier les représentations et les imaginaires.

16C’est en ce sens que le protocole de recherche mêle dans la construction et la circulation des idées les discours écrits et le rapport physique au monde, en alternant le passage de l’un à l’autre. Il se donne pour livrable un recueil d’anecdotes contées issues d’expériences immersives en environnement naturel, notamment de moyenne montagne. Le numérique n’y intervient pas, sauf éventuellement en prolongement, avec la création d’un carnet de recherche et d’une édition numérique de l’ouvrage. Celui-ci consiste en une narration des expériences de nature vécues, qui s’appuient sur des récits et des imaginaires (Jalenques-Vigouroux, 2006 ; Errecart, 2021 ; Sussfeld, 2021) qu’elles peuvent contribuer à alimenter et/ou faire évoluer.

17La méthodologie, construite sur des méthodes qualitatives de recueil de données, comprend la mise en œuvre d’un protocole expérimental, élaboré à partir du croisement entre des méthodes d’entretiens embarqués et des dispositifs de médiation scientifique et environnementale. Après un premier terrain exploratoire et la création d’histoires, de type contes, issue d’un focus groupe expérimental, nous avons construit le protocole suivant :

  • Entretien 10 min autour des expériences de l’environnement local (initialement prévu directement sur le terrain au départ de la randonnée)

  • Choix d’un conte parmi plusieurs proposés et lecture du conte choisi par l’enquêté

  • Randonnée, éventuellement accompagnée par l’enquêteur

  • Entretien 10 min (retour d’expérience de la randonnée) + 5 min sur une anecdote en lien avec une rencontre (animale ou végétale) pendant cette randonnée + un dessin de l’anecdote racontée

  • Transformation de l’anecdote en récit de type conte (par les chercheuses et l’équipe projet) et restitution de ce récit aux randonneurs à T+3mois après le recueil de l’anecdote (en pdf)

  • Entretien à T+6 mois en visio pour évaluer les évolutions de représentations/de pratiques

  • 1/2 journées de restitution (en mode hybride) impliquant l’équipe du projet et les enquêtés. Ces ½ journées constituent la partie finale du protocole expérimental, car elles permettent de recueillir les perceptions du panel et de les confronter aux premiers résultats (analyse entretiens initiaux + finaux + récits finaux).

18Ce protocole s’est vite révélé ambitieux et fortement en prise avec de multiples contraintes physiques.

19Sur notre premier terrain, la randonnée débute à proximité du village de Collonges-sous-Salève (74) offrant une expérience quasi alpine de 1,6 km avec un dénivelé positif de 612 m. Bien que sportive, le départ de la randonnée est facilement accessible, tant en voiture qu’à pied, pour les habitants de Collonges-sous-Salève et du bassin genevois en général.

20Le parcours se déroule presque exclusivement en forêt, comportant des montées rocheuses et quelques ascensions vertigineuses rappelant les via ferrata, mais sans nécessiter de cordage obligatoire. Le sommet, visible dès le départ, offre une vue panoramique à 180 degrés sur le bassin genevois et le lac Léman. Ainsi, cette randonnée allie contemplation et effort physique.

21Quant à la promenade à Allauch (région PACA), qui abrite le parc départemental de Pichauris d’où partent de nombreuses balades à effectuer dans la colline, nous avons effectuée celle jusqu’à la chapelle Notre-Dame du château (12e siècle) que l’on peut rejoindre en 30 minutes à pied avec un dénivelé de 66 m7. L’esplanade où se trouve une table d’orientation permet de jouir d’une belle vue sur Marseille et la chaîne de l’Étoile. Croisant à la fois des chemins balisés d’autres non, chaotiques, nous avons observé des promeneurs escalader des roches (2), sortir leur chien (3 personnes +1 chien), s’installer sur le sommet pour dessiner (1).

22Les bords du lac du Bourget, plats et accessibles à tous, les sentiers des Bauges vers le Revard ou la Féclaz, ou encore une partie du parc du Pilat offrent des variations de caractéristiques qui modulent les pratiques observées et les perceptions des publics, comme l’ont montré de précédentes études (Coulbaut, 2022 ; Kohlmann, 2023).

23Ces contraintes ont également nécessité des adaptations du protocole initial de recherche. En effet, celui-ci requérait une présence des enquêteurs au départ et à l’arrivée de la randonnée des enquêtés. Cela suppose un temps long au même endroit et/ou de ne suivre qu’une personne (ou un groupe) de randonneurs par session de terrain. Par ailleurs, la météo, particulièrement instable et défavorable cette année, impacte fortement les possibilités de présence sur le terrain ainsi que la présence de personnes susceptibles de s’inscrire dans le protocole.

24En conséquence, nous avons envisagé différentes adaptations. La première était de proposer une boîte de recueil des éléments dessinés et écrits pour les retours de randonnée en dehors de notre temps de présence. Cette modalité s’est vite révélée inadaptée et improductive. Nous avons alors opté pour une synergie avec un projet de création de réserve de biosphère porté par une collectivité territoriale pour proposer un entretien initial en décalé, lors des phases de concertation habitante, afin de toucher un public plus conséquent. Le choix des sites a connu également des réajustements, afin de rendre le protocole compatible avec les réalités de terrain. Le tâtonnement méthodologique nous a permis d’affiner les conditions de réalisation optimales pour ce projet.

25De même, laisser aux répondants le livret contenant les contes initiaux, plus quelques ajouts successifs, constituait un questionnement. Nous nous sommes aperçues que cela permettait de laisser des traces matérielles de l’échange, favorables à l’enracinement des imaginaires. Lorsque les enquêtés étaient en outre des amis ou des personnes avec qui nous avons pu créer une relation amicale, des traces numériques ont pu être partagées (photos de la balade).

Observer l’effet des narrations sur l’expérience sensible et la production de récits 

26Afin de mieux observer l’effet des narrations sur les expériences sensibles et la production de récits, nous proposons de présenter nos données de terrain sur le mode du récit/carnet de voyage ethnographique. L’immersion dans l’environnement naturel ainsi que dans le récit constituant le socle de notre réflexion, nous choisissons de démarrer notre récit dès la création des contes initiaux.

Partir des contes

27Afin de tester l’effet des récits sur les expériences de nature et les imaginaires, nous devions être à même de proposer des récits aux personnes interrogées. Nous avons fait le choix de contes. Ces contes devaient répondre à un cahier des charges précis : issus d’anecdotes réellement vécues par l’équipe de rédaction, ils devaient comporter une ou plusieurs espèces vivantes sauvages, décrites et intégrées en tant que personnages du conte. Par ailleurs, chaque conte devait apporter des éléments de connaissances sur l’espèce et son habitat. En outre, l’histoire se devait d’intégrer des valeurs de respect, de coopération (Servigne et Chapelle, 2019) et une vision d’un monde possible basé sur ces dernières, afin d’induire une ouverture relationnelle des participants. Des phases de test de lecture auprès de publics hétérogènes ont soulevé la nécessité d’inclure des illustrations pour renforcer la dimension de conte, en tant que fiction potentiellement constitutive d’imaginaires collectifs. La sollicitation d’une illustratrice a permis de pallier ce manque. Nous avons ainsi pu proposer une quinzaine de contes, laissés au choix des enquêtés et couvrant une certaine diversité d’espèces (mammifères, oiseaux, reptiles), de lieux (montagne, campagne, ville, littoral) et de saisons et conditions météorologiques (avec présence ou non de neige, de pluie...).

28Le recours au conte est envisagé ici dans la lignée des travaux sur la science-fiction ou les climats-fictions, où le récit fictionnel sert « comme expérimentation du rapport au monde » (Rumpala, 2018) p. 241).

29Au cours des sessions de terrain, nous avons observé que les participants choisissaient des contes en fonction de l’environnement dans lequel ils évoluaient, nécessitant ainsi une adaptation des contenus en fonction des terrains. Nous avons donc introduit de nouveaux contes, dont un portant sur les sabots de Vénus, une espèce d’orchidée présente dans l’hémisphère nord, en moyenne montagne, principalement dans les Alpes et le Jura (Museum national d’Histoire Naturelle et OFB, 2003), et observable lors de la randonnée dans la région du Salève.

Figure 1. Conte écrit à la suite d’un terrain dans la région du Salève

Figure 1. Conte écrit à la suite d’un terrain dans la région du Salève

30Ce choix a été motivé à la fois par la demande du public et par notre nécessité de nous adapter au terrain. De plus, il répondait à un manque d’inclusion des espèces végétales dans les premiers contes proposés. Cette adaptation des contenus permet de mieux ancrer les récits dans l’environnement immédiat des participants, favorisant ainsi leur immersion dans l’expérience narrative.

Témoignage croisé d’une balade à partir du protocole

31Nous allons partir de quatre photos réalisées lors d’une balade qui a permis de tester le protocole en territoire de montagne en région Paca en mars 2024 et valoriser ici une approche sensible de la connaissance (Babou, 2011). Il s’agit ici de témoigner d’une expérience partagée entre la chercheuse et l’enquêtée (F), tout en laissant la place à la dimension immersive et sensible.

Figure 2. Trophée de chasse sélective

Figure 2. Trophée de chasse sélective

Figure 3. F dessine, Laïka l’aide en faisant dossier pour son dos

Figure 3. F dessine, Laïka l’aide en faisant dossier pour son dos

Figure 4. Iule rutilant

Figure 4. Iule rutilant

Figure 5. Dessin de la balade par F

Figure 5. Dessin de la balade par F

32Après avoir répondu à un bref entretien, F a choisi un circuit de randonnée adapté à ses envies et aux conditions du jour. Le choix du conte lu, quant à lui, ne fut pas le fruit du hasard mais fut très influencé par la vision d’une porte de garage avec des pattes de plusieurs sangliers, triomphes de chasse (Fig. 2), qui nous a « glacées ». Ce détail met en évidence le rôle décisionnel des émotions dans le protocole de recherche, puisque F a souhaité lire le conte du sanglier à haute voix, pour le partager avec moi. Durant sa lecture, trois personnes avec un chien sont passées à proximité. La chienne de F, Laika, ne supporte pas la laisse, F a donc fait la lecture en tenant sa chienne.

33Nous avons ensuite démarré notre marche. F prêtait attention à la faune et la flore durant toute la promenade. Elle a remarqué un insecte, qu’elle a pris en photo pour l’identifier, avec Google Lens (Fig. 4). L’application l’a reconnu comme étant un iule rutilant. Ce qui a été confirmé a posteriori par des collègues d’un verger scientifique à Marseille qui connaissent très bien les ommatoiulus et qui ont fourni plus de précisions sur ce mille-pattes, comme son habitude de se montrer suite à des passages de pluie, son habitat étant souvent gorgé d’eau.

34Cette photographie n’est pas la seule trace de l’attention prêtée au vivant durant cette balade. Le dessin réalisé sur un plateau avec un magnifique panorama permet d’en témoigner (Fig.5). Cette réalisation minutieuse, presque cartographiée, comme on en retrouve dans l’ouvrage de Martin de la Soudière intitulé Arpenter le paysage (Soudière, 2019)lui a pris un bon quart d’heure, au calme avec sa chienne collée à son dos, telle un dossier : « elle a l’habitude de faire cela ». Cette attention touchante, F l’exprime aussi par le bonheur qu’elle a à faire des promenades avec Laika. « Ma chienne est heureuse dans la nature, je le suis aussi ». Cette intimité n’est pas sans rappeler Jean-Marc Besse (Besse, 2013) cité par Martin de la Soudière(2019), p. 9) dans son ouvrage Habiter, un monde à mon image :

Un banc, une prairie, le pli d’une colline, le pied d’un arbre, et pourquoi pas le creux d’une épaule. Ce qui fait le lieu et lui donne sa signification c’est l’échange qui s’y déroule, l’histoire qui s’y raconte. (2013, p. 165)

35Cette complicité avec l’animal, nous l’avons également observé avec la pratique de l’arpentage. En effet, Laïka déambule sans projet, nul itinéraire préétabli. F a l’habitude de suivre sa chienne, même sur des terrains difficiles. On sent parfois l’effort et même la peur, voire le vertige. Si F suit son chien sans contrainte, il n’en est pas de même pour moi. Bonne marcheuse urbaine, ce territoire, je ne le connais pas. J’ai peur de tomber en les suivant toutes les deux. C’est moi qui demanderais à revenir sur nos pas pour terminer la balade.

36Au contraire, F arpente le territoire, elle le connaît et elle laisse la sérendipité de l’animal l’envelopper. Il est plaisant pour la chienne de « circuler librement » ou presque, reniflant des odeurs, réagissant plus rapidement que sa maîtresse aux oiseaux. Ceci souligne le fait que lors d’une balade avec un chien libre, on le reste un peu aussi, quand le droit à la nature est aujourd’hui dans la région PACA de plus en plus contraint. Cela est très bien décrit par Sarah Vanuxem lorsqu’elle légitime la liberté de déambuler dans son ouvrage La Propriété de la terre (Vanuxem, 2018).

Résultats

Rôle de l’imaginaire : ce que change le récit dans la perception de la nature

37Immerger le corps dans la nature, c’est le soumettre à ses effets, différents selon le lieu (topographie, nature du sol...), la météo, la pratique (sportive, contemplative, utilitaire, corollaire...). C’est aussi intégrer la variété des publics et des corps (sportifs, valides ou non, familles, seniors). L’environnement du terrain d’étude est crucial pour comprendre la réception du conte et la construction de l’imaginaire et du récit.

38À chaque corps ses imaginaires, que le récit va rencontrer et chez qui il va plus ou moins moduler sa perception de la nature.

Qu’est-ce qu’une prise ? C’est la branche quand la main la saisit, l’aspérité si l’orteil s’y cale. (...) Un milieu se manifeste en effet comme un ensemble de prises avec lesquelles nous sommes en prise : des ressources et des contraintes, des risques et des agréments que la réalité comporte dans la mesure où elle nous comporte aussi, et où nous les prenons comme tels ; qui ne sont ni vraiment des objets physiques, puisqu’ils n’existent qu’avec nous, ni vraiment des phénomènes subjectifs, puisque leur vérité s’ancre dans les choses. (Berque, 2000), p. 100-101)

39Dans notre projet, le rôle de l’imaginaire se situe bien à ce niveau, celui qui ancre le regard et les perceptions dans les éléments naturels avec lesquels les répondants entrent en relation.

40Les premiers résultats suggèrent que, pour une large partie des personnes interrogées, le choix des récits s’effectue en fonction d’éléments visibles ou supposés visibles au départ de la randonnée (pattes de sangliers, écureuils, insectes). Les personnes le précisent dans ces cas lors de l’entretien de départ, ce qui souligne le rôle d’appui du récit fictionnel dans la dimension immersive du terrain. Cependant, cela ne s’est pas révélé systématique.

41Par ailleurs, dans la plupart des cas, les anecdotes recueillies ne présentent pas de liens spécifiques aux histoires choisies au préalable. On trouve toutefois dans ces anecdotes et dans l’entretien retour de randonnée un écho des valeurs portées dans les contes, qui n’apparaissaient pas dans l’entretien de départ :

Se retrouver, discuter, papoter, en même temps que faire une activité […]. C’est fatiguant mais c’est bien aussi. Ça fait du bien aussi d’entendre des bruits de nature, ça permet de prendre du recul sur tout ce qu’on vit. (Entretien départ, 13 mai 2024)

Moi j’ai vu, il y avait donc les parapentes qui volaient à côté de nous. Il y avait des oiseaux, je ne sais pas lesquels, qui volaient avec eux. C’était vachement beau. C’était beau à voir. Ça faisait un mélange humain, animal. C’était sympa. (Entretien retour, 13 mai 2024)

42Les contes fournis semblent fonctionner comme une incitation à la perception qui n’est pas nécessairement consciente, à l’image d’un nudge (Thaler et Sunstein, 2008). Or l’inconvénient majeur du nudge est la disparition du comportement associé dès la disparition du dispositif. C’est pourquoi nous souhaitons laisser une trace du dispositif en offrant les contes aux participants, dans un objectif de mémorisation, d’imprégnation durable du récit. Les étapes ultérieures du projet nous révéleront l’efficacité ou non de ce choix. Cette pratique est récurrente chez les acteurs de sensibilisation à la nature tels que les Parcs naturels régionaux ou nationaux, qui disposent souvent de nombreux panneaux le long des sentiers de randonnées, en ayant recours à une dimension narrative. Ces acteurs ont aussi une pratique éditoriale qui consiste à mettre en récit le territoire, par exemple à travers des recueils de contes ou des bandes dessinées8 (Inaudi et al., 2024).

Immersion des corps humains et autres qu’humains 

43Au-delà de la dimension imaginaire, l’immersion amène à penser la présence physique des corps dans la nature. Les corps et la variété des corps des publics qui fréquentent la nature, mais aussi la relation engagée entre ces corps humains et les autres êtres vivants sur ce même territoire. On rejoint ici la conception des ontologies chez Descola et son articulation entre identification et relation (Descola, 2005).

44Concernant le site du Salève, les publics interrogés proviennent principalement de la région, avec de nombreux participants venant de Genève et traversant la frontière pour accéder à la randonnée. Ils sont majoritairement des sportifs motivés par des objectifs de performance physique, utilisant fréquemment des termes tels que “un entraînement”, “faire du sport”, et “se surpasser” pour décrire leurs motivations initiales. Ces randonneurs sont souvent équipés de dispositifs numériques comme des montres connectées et des téléphones portables facilement accessibles. La performance sportive est centrale pour ces publics, ce qui les rend moins sensibles à la contemplation et à l’observation de l’environnement. Le numérique tel qu’utilisé par ces publics déconnecte des perceptions et des autres vivants.

45Sur nos autres sites, le public est plus varié, intégrant notamment des familles et des seniors, sportifs ou non, mais toujours majoritairement local.

46La proximité géographique avec les bassins de vie urbains joue donc un rôle important, car il s’agit souvent d’un public habitué, présent en toutes saisons. Leur regard et l’imaginaire associé à l’environnement prennent la forme d’une habitude, induisant une certaine automaticité. Cela les rend moins sensibles aux détails et aux changements dans leur environnement. Comme le décrit Pierce (cité par Quéré, 2018) : “Ces habitudes perceptuelles sont établies sans réflexion et peuvent nous rendre moins sensibles aux détails et aux changements dans notre environnement familier”.

47Le projet permet de poser la question de l’immersion non seulement de nos corps humains mais aussi des autres vivants, avec leurs propres réactions aux contacts entre eux et avec nous mais également aux conditions météorologiques, aux caractéristiques physiques des milieux...

48En outre, ces autres vivants connaissent une temporalité, un cycle de vie que l’immersion nous révèle. En effet, les séances de terrain prévues en octobre, janvier, mars ou juillet ne permettent pas les mêmes rencontres ni la projection des mêmes imaginaires. Les espèces observables diffèrent, de mêmes que les pratiques de ces espèces, plus ou moins actives. Si cela peut paraître banal, la construction d’un récit se doit néanmoins d’intégrer ces paramètres afin d’envisager les conditions d’une mise en relation pertinente entre humains et autres vivants.

49Lors des sessions de terrain, deux personnes ont ainsi évoqué la nature de manière anecdotique, la décrivant comme plus verte, en bourgeon, ou réveillée, montrant une perception globale mais imprécise de l’environnement printanier.

50Afin de créer de nouveaux récits intégrant l’humain parmi les autres vivants et en relation avec eux, RECIT’M2 s’appuie sur le lien aux récits fictionnels sur des animaux réellement rencontrés comme indices, permettant la contemplation, la relation (Ingold, 2012).

Ouverture : retour réflexif sur une méthodologie en immersion

51Les contraintes liées à la nécessité d’être présent au départ et à l’arrivée de la randonnée rendent l’étude très chronophage et peu productive en termes de nombre de personnes interrogées par session de terrain. Il est envisageable d’explorer de nouveaux moyens de collecte de données, notamment via les réseaux sociaux. La création d’une page dédiée permettrait de recueillir facilement les contacts des participants pour des entretiens à T+3 mois et de collecter leurs réponses en l’absence du chercheur sur le terrain. La diffusion d’un questionnaire post-randonnée via partage Bluetooth pourrait également être envisagée pour les participants réticents à partager leurs contacts ou ne possédant pas de réseaux sociaux, leur permettant de répondre à la fin de leur randonnée.

52Le protocole de recueil des données est certes contraignant pour les chercheuses, puisqu’il oblige une présence longue sur le terrain, mais il l’est également pour les personnes enquêtées. Par exemple, un participant lors des premiers entretiens a pris une photo au sommet pour la montrer au chercheur et s’est dépêché de terminer sa randonnée afin de s’assurer de le rencontrer en bas. Cela donc modifié sa perception de l’environnement et son comportement pendant la randonnée. Les modifications de comportement induites peuvent être positives (prendre une photo pour conserver une vue de la beauté de l’environnement) ou négatives (se dépêcher de finir la randonnée, passant ainsi moins de temps à contempler et à observer l’environnement, ce qui limite la compréhension et l’appréciation de celui-ci).

Figure 6. Illustration de l’effet du protocole sur la contemplation

Figure 6. Illustration de l’effet du protocole sur la contemplation

© Clara Ben-Abdellaziz

53Cette recherche donne l’opportunité de questionner la relation entre immersion physique et numérique, à plusieurs niveaux. Pendant la balade, on a pu observer le recours au numérique pour l’identification d’espèces, pour la prise et le partage de photographies, mais aussi comme suivi de la performance sportive. Si les premières facilitent la connaissance et la relation au vivant, les secondes transforment la nature en cadre objectivé d’une pratique sportive. Elles déconnectent l’humain du reste du vivant. Par ailleurs, la relation immersion physique-numérique s’invite dans le protocole de recueil des données, où il apparait que le recours aux outils numériques pourrait pallier en partie les difficultés rencontrées.

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Bibliographie

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Notes

1 Disponible sur : https ://mimesisere.hypotheses.org

2 Disponible sur : https://recitm2.hypotheses.org/

3 La période de déroulé du projet est importante puisqu’elle couvre une partie du premier confinement, période durant laquelle différentes formes d’observations renouvelées à la nature ont été proposée, notamment ici par le Muséum de Grenoble, à travers le numérique ou des observations depuis des balcons, des jardins individuels, etc.

4 Disponible sur : https://www.nature-isere.fr/

5 Disponible sur : https://plantnet.org/ et en application smartphone

6 Application disponible en téléchargement sur : https://birdnet.cornell.edu/

7 https://www.alltrails.com/fr/randonnee/france/bouches-du-rhone/chapelle-notre-dame-du-chateau-d-allauch consulté le 25 mai 2024

8 https://livmed.hypotheses.org/

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Conte écrit à la suite d’un terrain dans la région du Salève
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-1.png
Fichier image/png, 643k
Titre Figure 2. Trophée de chasse sélective
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-2.png
Fichier image/png, 1,1M
Titre Figure 3. F dessine, Laïka l’aide en faisant dossier pour son dos
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-3.png
Fichier image/png, 1,5M
Titre Figure 4. Iule rutilant
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-4.png
Fichier image/png, 1,2M
Titre Figure 5. Dessin de la balade par F
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-5.png
Fichier image/png, 1,6M
Titre Figure 6. Illustration de l’effet du protocole sur la contemplation
Crédits © Clara Ben-Abdellaziz
URL http://journals.openedition.org/rfsic/docannexe/image/16254/img-6.png
Fichier image/png, 203k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Amélie Coulbaut-Lazzarini, Émilie Kohlmann et Anne Gagnebien, « Immersions et expériences de nature : peut-on encore se passer du numérique ? »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 29 | 2025, mis en ligne le 13 février 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/16254

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Auteurs

Amélie Coulbaut-Lazzarini

Maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes en Sciences de l’information et de la communication, rattachée au laboratoire GRESEC, Amélie Coulbaut-Lazzarini enseigne dans la mention information-communication. Ses thématiques de recherche portent sur la médiation environnementale, ainsi qu’à la manière dont la recherche-création peut contribuer à (ré)instaurer des liens au vivant.

Articles du même auteur

Émilie Kohlmann

Maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes en Sciences de l’information et de la communication, Emilie Kohlmann enseigne à l’IUT2 en Bachelor Universitaire Technologique (BUT) Information Communication. Elle est rattachée à l’axe 2 « Communication, médias et champs sociaux » du laboratoire GRESEC. Ses thématiques de recherche portent sur la médiation scientifique et la communication environnementale

Anne Gagnebien

Maîtresse de conférences à l’Université de Toulon en Sciences de l’information et de la communication, Anne Gagnebien enseigne à l’UFR Ingémédia. Elle est rattachée à l’axe 2 « Communication et organisations, actions-innovations et valeurs sociétales, publiques » du laboratoire IMSIC. Ses thématiques de recherche portent sur la communication de la transition socio-écologique.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

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