1Cette étude scrute les pratiques d’information et de communication des enfants âgés de 8 à 12 ans immergés dans l’univers informationnel de la plateforme Les as de l’info, enfants dénommés désormais « usagers ». Ces pratiques incluent généralement la sélection et la recherche de contenus pertinents, entreprises dès l’accès à la plateforme. Cette première étape consacrée à l’information active les pratiques d’immersion. Celles-ci sont marquées par des interactions prolongées avec le contenu informationnel de la plateforme. Elles nécessitent notamment un investissement intellectuel et affectif de la part des usagers, que ce soit dans la recherche, la lecture, l’analyse ou le partage d’une information (Dumas et al., 2023 ; Martin-Juchat et al., 2018 ; Zha et al., 2018 ; Alloing et Pierre, 2017 ; Krajewski, 2015 ; Bonfils, 2014).
2Au fur et à mesure de l’exploration, cet investissement des usagers renforce leur capacité à interagir tant avec la plateforme qu’avec les autres usagers. Ces deux dynamiques, information et immersion, se nourrissent mutuellement, générant ainsi un processus d’apprentissage riche et de communication fluide. Elles constituent une part essentielle de l’« expérience vécue » des usagers (Bonfils, 2015 : 261), comprise ici comme le fait de vivre quelque chose, de l’éprouver personnellement dans sa réalité et qui apporte un enseignement.
3L’étude mobilise des concepts tels que les « pratiques informationnelles » (Latzko-Toth et al., 2017 : 43), définies comme les « manières de s’informer des individus [et de] disséminer [l’]information [apprise]. » (Latzko-Toth et al., 2017 : 46) Ces pratiques nécessitent des ressources techniques et cognitives variées et englobent les représentations, comportements et attitudes individuels ou collectifs liés à l’information (Ihadjadene et Chaudiron, 2008 ; Supeno et al., 2021 ; Boubaker Nobilet et Ihadjadene, 2019). Elles sont transformées par le numérique qui permet une connectivité rapide aux sources d’information (Aillerie, 2011) et crée, grâce à ses « fonctionnalités affectives » (Alloing et Pierre, 2017 : 36), un environnement numérique immersif. Ces fonctionnalités, telles que les émoticônes, permettent aux usagers d’exprimer leurs émotions (joie, curiosité, peur, tristesse, etc.) qui, associées à celles que le flux informationnel de la plateforme suscite en eux, renforcent leur immersion dans ce dernier. (Alloing et Pierre, 2017).
4De plus, la « littératie médiatique » (Robinson et Fassbender, 2023 : 1) joue un rôle crucial dans ces pratiques en combinant les compétences technologiques et informationnelles (Lebrun et al., 2013). Cette combinaison permet à l’usager de naviguer efficacement dans cet environnement numérique complexe et de traiter l’information de manière critique et réfléchie (Lebrun et al., 2013). En outre, le concept de l’« efficacité politique épistémique » (Farman et al., 2018 : 1) aide à considérer d’autres aspects importants de l’étude. Il permet d’étudier le rôle de la confiance d’un usager dans sa capacité à trouver et évaluer les informations nécessaires pour agir en vue de provoquer des changements, ce qui impacte directement ses pratiques d’information et de communication (Farman et al., 2018). Cette démarche vise à répondre à divers besoins, tels que les besoins intégratifs, cognitifs, affectifs, sociaux ou encore de détente, selon la théorie des usages et gratifications (Katz, Haas et Gurevitch, 1973), ce que nous nous attendons à observer chez les usagers des As de l’info.
5Cette section présente succinctement Les as de l’info, en abordant son contexte de création, sa mission et l’infrastructure technique qui permet à ses usagers de vivre une expérience d’immersion. Elle se termine par la formulation de la question de recherche.
6Les as de l’info (https://lesasdelinfo.com) est une plateforme gratuite, basée au Québec et gérée par le groupe Les Coops de l’information. Elle a été lancée en septembre 2022, dans un contexte où les gouvernements et les médias s’impliquent dans la lutte contre la désinformation auprès des jeunes. Unique au Canada, cette plateforme est soutenue par le ministère de la Culture et des Communications du Québec ainsi que par le ministère de l’Éducation du Québec. Elle cible les jeunes francophones canadiens âgés de 8 à 12 ans, ainsi que les enseignants souhaitant intégrer l’actualité dans leurs activités pédagogiques. La plateforme vise à combattre la désinformation chez les jeunes et à les aider à devenir des citoyens éclairés et conscients de ce phénomène.
7La désinformation, selon Géré (2011), est « le développement de l’entropie » (Géré, 2011 : 57), c’est-à-dire du désordre et de l’incertitude, qui perturbent et la connaissance et désorientent les décisions ou actions. Pour contrer ce phénomène, la plateforme privilégie la diffusion d’informations objectives et vérifiables, présentées dans un langage accessible aux jeunes. En utilisant principalement les genres narratif et explicatif, elle cherche à réduire l’incertitude chez les jeunes en introduisant « la beauté de l’intellect au milieu du chaos et de l’ignorance » susceptibles d’être induits par la désinformation (Géré, 2011 : 5).
8La plateforme établit un lien avec son public en l’invitant à réagir, commenter et partager son vécu à la fin de chaque article, tout en respectant la vie privée de l’usager. Les usagers peuvent écrire des commentaires ou utiliser des émoticônes pour exprimer leurs émotions, ainsi que discuter entre eux. Le respect des règles de bonne conduite sur la plateforme et de sa politique de confidentialité est de rigueur dans ce cadre d’expression. L’accès à cette fonctionnalité est réservé aux usagers inscrits dans la base de données des As de l’info, tandis que les non-inscrits peuvent simplement consulter le contenu de la plateforme.
9C’est l’infrastructure technique de la plateforme qui rend ces expériences possibles. Celles-ci s’inscrivent à la fois dans la continuité et la discontinuité des habitudes d’information et de communication des usagers, que ce soit en famille ou avec d’autres médias.
10L’infrastructure technique des As de l’info offre deux niveaux d’immersion à ses usagers inscrits. Le premier niveau est non-visible. Il permet aux inscrits d’échanger entre autres des messages prédéfinis à des moments spécifiques de l’année, avec des pseudonymes et des avatars associés à leur compte. Chaque compte est également associé à une sorte de « carte d’identité » qui renseigne sur la devise, la mascotte, le passe-temps préféré, le sport préféré et la matière préférée (cours préféré) de chaque inscrit. Le second niveau est visible. Il plonge les inscrits dans un univers sémantique et des représentations du monde à travers son contenu informationnel et des commentaires qui en découlent. Les usagers non-inscrits peuvent avoir une expérience similaire, mais sans possibilité de commenter les articles publiés.
11La plateforme opère dans un environnement immersif global, la société québécoise et canadienne, en lien avec des instances sociales telles que la famille, l’école, les associations et les autres médias. Elle offre à ses usagers une expérience de continuité de l’immersion, notamment celle vécue au sein de la famille. La sphère domestique a toujours été inondée par un flot incessant de messages acheminés par des artefacts technologiques tels que l’Internet, la télévision, la radio, etc. (Bougnoux, 2001). Cette expérience se poursuit avec Les as de l’info qu’un enfant consulte en famille.
12La continuité de cette immersion est entretenue par la stratégie éditoriale de la plateforme. Elle propose un contenu adapté, puisé dans le quotidien des lecteurs, et leur offre la possibilité de réagir à travers les commentaires ou les émoticônes.
13Cependant, il existe également une certaine discontinuité dans l’expérience d’immersion offerte par la plateforme. C’est le cas dans la nature et la réception des informations destinées exclusivement aux enfants de 8 à 12 ans, même si d’autres personnes peuvent s’y intéresser. Ce qui diffère des informations diffusées sur Internet ou la télévision, qui sont indistinctement destinées aux membres d’une famille et à d’autres publics. De plus, il y a une discontinuité au niveau des interactions qui suivent la réception du contenu des As de l’info.
14Ces interactions sont asynchrones entre les inscrits de la plateforme, contrairement à celles qui sont observables par exemple autour de la pratique de la télévision. Kervella et Loicq (2015) notent que cette pratique est loin d’être isolée, individuelle et désynchronisée chez les jeunes, pour autant que la télévision est un média qui « se donne à voir avec » (Fraisse, 2009 : 39) et l’expérience qu’on en fait est une « expérience collective » (Dayan, 2009 : 43). Ce qui n’est pas toujours le cas avec les interactions liées à la plateforme, qui sont « asynchrones […] et médiatisées par l’écrit électronique » (Beaudouin et Velkovska, 1999 : 131).
15Cette discontinuité n’implique cependant ni rupture, ni déséquilibre dans l’expérience d’immersion offerte par Les as de l’info et les pratiques y afférant. En effet, les informations partagées à travers des échanges asynchrones sur la plateforme enrichissent cette expérience et ces pratiques. De plus, elles sont en osmose avec les informations partagées à travers les échanges synchrones du quotidien.
16De ce qui précède, notre question de recherche est la suivante : comment les enfants âgés de 8 à 12 ans, immergés dans l’univers informationnel de la plateforme Les as de l’info, conçue pour lutter contre la désinformation, exploitent-ils cet outil pour développer des pratiques spécifiques en matière d’information et de communication ?
17Pour répondre à cette question, il était essentiel d’abord de comprendre le rapport des usagers à la plateforme et à son contenu informationnel, afin d’examiner comment ils développent leurs pratiques d’information et de communication. Une approche mixte (Daignault et Lapointe, 2023) a donc été privilégiée, combinant des méthodes quantitatives et qualitatives. Plus précisément, nous avons choisi un « devis séquentiel explicatif » (Daignault et Lapointe, 2023 : 77), qui consiste à réaliser une analyse qualitative après une première phase d’analyse quantitative, afin d’enrichir et de nuancer les résultats, tout en offrant une compréhension plus large du phénomène étudié.
18Ainsi, une série d’enquêtes en ligne a été menée auprès des usagers pour explorer leur relation à la plateforme et à son contenu informationnel. Hébergés sur SimpleSondage, les questionnaires abordaient divers aspects tels que la motivation à lire, la compréhension du contenu, les sources d’information habituelles, la confiance envers Les as de l’info, les lieux et la facilité de partage du contenu. Le consentement parental était exigé pour la participation des enfants à l’étude. Au total, 50 enfants ont été interrogés. Les données collectées sur SimpleSondage ont été automatiquement analysées via SPSS, logiciel utilisé pour les analyses descriptives et corrélationnelles (Soko, 2020 ; Moreau, 2019 ; Masuy-Stroobant et Costa, 2013).
19Sur base des résultats obtenus, la collecte et l’analyse des commentaires des usagers a été entreprise, considérant qu’ils étaient révélateurs des pratiques sur la plateforme. Ces commentaires portaient sur les articles publiés entre le 1er septembre 2022 (date du lancement officiel de la plateforme) et le 23 mai 2023 (date de clôture de la collecte). Au total, 543 articles d’informations ont été collectés pour cette période, chaque article générant en moyenne 11,30 commentaires, avec un écart type de 10,82.
20Ces commentaires ont été rassemblés manuellement pour former notre corpus d’analyse et soumis à une analyse inductive, précisément une analyse par théorisation ancrée (Lejeune, 2019). Cette méthode implique un processus de codage en trois étapes itératives : ouvert, axial et sélectif, visant la « saturation des catégories centrales » de l’étude (Lejeune, 2019 : 151) qui est atteinte lorsque de nouvelles données n’apportent pas de nouvelles informations sur les caractéristiques du phénomène étudié. Ce principe de saturation est de rigueur lorsqu’il s’agit de données générées par des entretiens de recherche. Mais, dans notre cas, les données étant préexistantes, la disponibilité des données limite leur collecte. Ainsi, nous avons collecté et analysé tous les commentaires publiés durant la période sus-indiquée.
21Les résultats d’analyses mettent en lumière le rapport des usagers avec la plateforme et les pratiques qu’ils y développent.
22Le rapport des usagers à la plateforme est tel qu’ils la placent au rang de leur deuxième source d’informations préférée (92 %), juste après la famille (96 %) et avant la télévision (70 %) et l’école (66 %). À la base de cette relation, il y a la motivation des usagers à établir une connexion avec Les as de l’info, à évaluer son contenu et, au besoin, à le partager dans leur entourage.
23En effet, la motivation à s’engager avec la plateforme est principalement intrinsèque, telle que l’intérêt personnel (90 %) pour la lecture de son contenu, plutôt qu’extrinsèque, telle que l’intérêt familial pour un sujet spécifique (36 %) ou les exigences scolaires (20 %). Cette motivation varie en fonction de l’âge, car au fur et à mesure que celui-ci augmente, les usagers se tournent davantage vers Les as de l’info par intérêt personnel (r = 0,333 ; p < 0,018).
24En ce qui concerne le contenu de la plateforme, 54 % des répondants affirment que ce contenu aborde des thématiques nouvelles, sur lesquelles ils n’avaient que peu ou pas du tout été informés auparavant. 74 % des enquêtés déclarent en être surpris, d’autant plus que ce contenu leur apporte de nouvelles connaissances. Pour 94 % d’entre eux, les enjeux traités par la plateforme sont largement compréhensibles. Tandis que 78 % des enquêtés expriment le besoin d’informations supplémentaires sur ces enjeux.
25Il faut dire que la majorité des enfants interrogés (86 %) approuve le contenu qui leur est proposé. Cet accord est fortement influencé par la confiance à l’égard de la plateforme, et inversement (r = 0,471 ; p < 0,001). Pour accéder à ce contenu, la grande majorité des enquêtés (88 %) éprouvent le sentiment d’en être capables. Ils se sentent plus à l’aise de partager le contenu appris dans leur environnement socio-affectif (93 % en famille, 88 % avec les amis et 76 % à l’école).
26La capacité à partager le contenu de la plateforme dépend de trois facteurs, à savoir : le niveau d’autonomie pour comprendre une information par soi-même, la perception de l’importance de cette information pour clarifier les enjeux abordés et le degré de confiance accordé à la plateforme. En effet, plus un usager est capable de trouver et de comprendre une information par lui-même, plus il est apte à en discuter en famille (r = 0,448 ; p < 0,01) et avec ses amis (r = 0,312 ; p < 0,028). De plus, plus il croit que partager cette information peut aider son entourage à mieux comprendre les enjeux abordés, plus élevé est son niveau de capacité à en parler en famille (r = 0,325 ; p < 0,021), en classe (r = 0,498 ; p < 0,000) et avec ses amis (r = 0,615 ; p < 0,000). Enfin, plus il fait confiance à la plateforme, plus il se sent capable de partager son contenu à travers les réseaux sociaux (r = 0,329 ; p < 0,020).
27C’est sur cette base spécifique de motivation et de confiance que les usagers immergés dans l’environnement numérique d’informations des As de l’info développent deux grandes catégories de pratiques informationnelles et communicationnelles : adopter des positions vis-à-vis du contenu de la plateforme et exprimer les intentions de communication. Ces deux pratiques reflètent les dynamiques observées à travers les données quantitatives et témoignent de la capacité des usagers à évaluer la pertinence d’une information et ses implications pour eux et pour la société, ainsi qu’à communiquer à son sujet. Pour mettre en évidence l’ancrage des résultats dans les données, chaque caractéristique des pratiques identifiées sera illustrée au maximum par un extrait des commentaires.
28Ces postures traduisent une attitude générale de validation du contenu informationnel dans lequel les enfants immergent, que ce soit lorsque celui-ci met en scène un personnage, un fait, un événement ou une pratique. L’affect et l’intellect des usagers jouent un rôle déterminant (Dumas et al., 2023 ; Alloing et Pierre, 2017), car ils rendent possible leur immersion dans ce flux informationnel qu’ils approuvent. Cette immersion les engage dans une quête continue d’informations qui captivent leur attention, stimulent leur désir de s’informer davantage et nourrissent leur curiosité.
29Plus concrètement, l’attitude de validation du contenu proposé par Les as de l’info se décline en cinq postures distinctes : celles du passionné, du connaisseur, de l’apprenant, de l’ouverture à la différence et du justicier. Si les postures du passionné et d’ouverture à la différence relèvent principalement des affects des usagers, celles du connaisseur, de l’apprenant et du justicier sont davantage liées à leur intellect.
30Cette posture se décline en quatre sous-catégories : passionné de la politique, passionné du divertissement, passionné des sciences et de la technologie, et passionné de la nature.
31Cette posture se manifeste de plusieurs manières. Un passionné de la politique peut affirmer son amour pour la politique, comme dans le cas ci-après :
32Le passionné de la politique peut se prononcer sur les enjeux électoraux et, partant, faire preuve du civisme, se projeter dans l’avenir et divulguer le parti politique pour lequel il pourrait voter à partir de ses 18 ans. Il peut également révéler son appartenance politique du moment et se prononcer sur des questions politiques spécifiques, comme celle du rapport à la monarchie britannique, ou celle de l’indépendance du Québec. Il est aussi un patriote, en ce sens qu’il défend son pays à travers ses arguments.
33Ce positionnement implique un attachement à au moins une discipline sportive, à la lecture ou aux jeux vidéo. Le passionné du sport ne se contente pas de parler de ses propres activités sportives ou de soutenir celles qui sont organisées au niveau régional et national. Il s’intéresse aussi aux activités sportives de portée mondiale. De plus, il ne vit pas qu’au présent. Il rêve également du sport qu’il pourrait pratiquer une fois majeur. Il peut adorer la lecture comme cet usager :
34Quant au passionné de jeux vidéo, il peut se contenter d’indiquer le cadre et son (ses) partenaire(s) habituel(s) du jeu, vanter un jeu, partager son expérience avec ce jeu ou le recommander aux autres.
35C’est un amoureux de l’environnement ou des animaux. En matière d’environnement, il peut se satisfaire d’une action visant son assainissement ou rêver d’aller dans l’espace pour l’assainir.
36Aussi, le passionné de l’environnement peut chercher à imiter certaines figures militantes du domaine, comme Greta Thunberg. S’il n’est pas satisfait d’une action gouvernementale concernant l’environnement, il l’interpelle en mettant en avant les enjeux pour les générations futures. Quant aux animaux, il veille à leur bien-être et il ne trouve aucun inconvénient au fait que les animaux de compagnie cohabitent avec les humains dans les mêmes appartements.
37Ce passionné aime les sciences et la technologie. Il attend notamment qu’elles apportent des solutions adéquates aux personnes malades ou celles vivant avec handicap et qu’elles l’aident à se comprendre et à comprendre les autres.
38Cette posture implique également un rapport à la technologie de la communication, en particulier les médias socio-numériques. L’usager qui l’adopte exprime une certaine aversion pour le temps passé devant l’écran ou pour un réseau social, comme TikTok.
39Cette posture se manifeste de plusieurs manières. Le connaisseur peut se contenter d’affirmer connaître quelque chose ou, en plus de cela, apporter une information supplémentaire par rapport au contenu de la plateforme. Parfois, il précise sa source de connaissance (souvent les parents ou la lecture). Au cas où cette connaissance est partielle, il reconnaît l’apport de la plateforme qui l’a aidé à combler ses lacunes. Le connaisseur peut mobiliser également une connaissance « certaine », en ce sens qu’il affirme des choses sans ambages afin de sensibiliser les autres usagers.
40Enfin, le connaisseur peut mobiliser et partager une connaissance expérientielle, c’est-à-dire une connaissance basée sur sa propre expérience. Dans ce cas, il enfile l’étoffe d’un narrateur homodiégétique, c’est-à-dire un personnage qui raconte un récit dont il fait partie lui-même. Dans ce rôle, il se profile parfois comme un narrateur prudent ou effaré.
41L’usager qui adopte cette posture s’engage à mettre en application les connaissances acquises nouvellement ou à les partager autour de lui. Ces connaissances peuvent porter sur sa propre sécurité, comme dans le cas du jeu dans la neige. À ce sujet, suite aux accidents dont une fillette de 8 ans a été victime à Shawinigan, en Mauricie, et deux autres, âgées de 9 ans (qui est décédée) et 7 ans à Saint-Ubalde, dans les Laurentides, la plateforme, dans un article dédié à ces drames, a prodigué des conseils pratiques à ses lecteurs pour jouer en toute sécurité dans la neige. D’où l’engagement pris dans ce commentaire :
42Les connaissances apprises et que les usagers s’engagent à mettre en application peuvent aussi se rapporter à certains problèmes de société plus larges comme le gaspillage alimentaire.
43L’apprenant satisfait peut avouer son ignorance sur un sujet ou, s’il en avait quelques bribes de connaissance, admettre que la plateforme a éclairé sa lanterne. Dans tous les cas, il reconnaît avoir appris quelque chose et, pour cela, il remercie parfois la plateforme.
44Lorsqu’un apprenant satisfait est surpris par un aspect du contenu qu’il a consulté, il exprime son étonnement. Il fait également preuve d’initiative, en intégrant par exemple un mot qu’il a appris sur la plateforme dans ses propres échanges.
45De ses commentaires se dégage une curiosité insatiable. À la base, l’apprenant insatiable ne se contente pas du contenu dont il vient de prendre connaissance. Il relève un aspect du sujet qui n’est pas abordé et demande à en être informé. Aussi, l’apprenant insatiable a envie d’en savoir plus sur la suite des événements ou les comprendre davantage. Pour cela, il peut poser la question directement à la plateforme. Il peut marquer son intérêt pour une information et exprimer son souhait ou son empressement d’en savoir plus. En voici un exemple :
46La demande de plus d’informations de la part d’un apprenant insatiable peut s’accompagner d’un défi qu’il lance à la personne censée lui fournir ces informations, dans la mesure où il attend de voir si cette personne sera capable de satisfaire sa curiosité.
47L’ouverture à la différence implique son acception, mais également la reconnaissance et la promotion des droits de chaque individu. L’usager qui fait preuve d’une telle ouverture ne délaisse ni sa langue, ni sa culture. Il peut être bilingue comme il peut juste emprunter les mots d’autres langues (comme wesh qui vient de l’arabe) et s’en servir au quotidien. Il fait des compromis entre la protection de sa langue (en l’occurrence le français) et l’ouverture à celles des autres (et établit l’ordre de priorité entre sa propre langue et celles des autres). Il s’ouvre également à la différence du point de vue vestimentaire. Pour lui, l’ouverture au monde est l’une des conditions pour vivre en harmonie avec les autres.
48L’usager qui adopte cette posture veille à la justice et prône la sanction du coupable. En voici un exemple :
49Le souhait du justicier de voir le fautif puni peut s’accompagner d’une aversion à son encontre. Toutefois, il rappelle le principe d’égalité de tous devant la loi. Il estime que personne ne peut être sanctionné si sa culpabilité n’est pas établie. C’est dans ce sens que le justicier ne fait pas d’amalgame entre le coupable, qu’il arrive à désigner, et l’innocent, qu’il souhaite protéger. Le justicier, c’est enfin ce personnage qui veille au respect des règles de bonne conduite sur la plateforme et dénonce toute forme d’abus auprès de la modératrice.
50Ces intentions de communication se révèlent être des facteurs clés de motivation à l’utilisation de ce dispositif numérique, dans le but d’atteindre des objectifs affectifs, relationnels ou autre. Cinq intentions de communication sont ainsi identifiées : exprimer ses sentiments, cultiver l’espoir, s’ouvrir aux autres, s’engager et promouvoir les normes. Les trois premières, axées sur l’expression des états affectifs, la création des liens émotionnels avec autrui et l’induction des sentiments positifs chez autrui, sont davantage liées aux affects des usagers (Dumas et al., 2023 ; Alloing et Pierre, 2017). Elles facilitent la communication entre les usagers et Les as de l’info. Les deux dernières, quant à elles, se rattachent à des comportements sociaux ou actions collectives.
51Cette intention touche aux affects des usagers, en exprimant les sentiments de compassion, de joie, de peur, de colère et d’angoisse. La compassion se manifeste tant envers un usager en détresse et qui la verbalise qu’envers les personnages représentés sur la plateforme, notamment les victimes d’une catastrophe naturelle, telle que les feux de forêt, ou encore les familles endeuillées. En voici un exemple :
52Quant à la joie, elle s’exprime suite à une bonne nouvelle, comme le fait d’apprendre qu’un ours capturé « a été libéré sans être blessé », ou pour avoir accédé à un contenu qui rencontre ses attentes. À côté de la joie, il y a la peur : celle de tenter une nouvelle expérience, celle ressentie au cours d’une expérience, celle de l’avenir et d’un personnage dont on appréhende les actes. Il y a également la colère, comme celle qu’on éprouve à cause d’un mauvais usage d’une expression ou d’un mot emprunté à une langue étrangère (le cas de « wesh » qui vient de l’arabe). La colère de voir son désir inassouvi. Enfin, l’angoisse. Celle de mourir de la pollution, d’entrer en guerre ou de savoir qu’une arme puissante est détenue par un dictateur.
53Le besoin d’exprimer ses émotions motive l’usager à entrer en communication via et avec la plateforme.
54Il s’agit de partager l’espoir d’un avenir meilleur, après notamment la crise sanitaire due au coronavirus 2019. L’espoir nourri sur la plateforme s’étend aussi à d’autres domaines. Celui de la coopération entre le Canada et la Chine, censés signer des accords commerciaux et non se déclarer la guerre. Celui de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Celui de la sécurité des biens et des personnes menacés par les feux des forêts. En voici un exemple :
55L’espoir ainsi cultivé n’est pas vague. Il s’appuie sur la certitude de la fin d’une crise ou de l’amélioration d’une situation.
56L’intention de s’ouvrir aux autres implique une attitude de tolérance et d’acceptation des différences. Elle s’oppose ainsi à toute forme d’exclusion et favorise les initiatives visant à valoriser l’autre.
57L’opposition à l’exclusion peut être exprimée de manière nuancée ou catégorique. Dans une approche nuancée, le désaccord est formulé sous condition ou moyennant certaines concessions, tout en reconnaissant la valeur de l’objet contesté. Un exemple en serait une prise de position sur l’augmentation de salaire des députés québécois, qui ne devrait pas s’appliquer de façon équitable à tous :
58L’opposition catégorique, quant à elle, ne laisse place à aucun compromis : l’usager manifeste directement son désaccord par des déclarations telles que « Je suis contre » ou « Je ne suis pas d’accord ».
59Cette ouverture passe également par la reconnaissance de ses propres limites, qu’il s’agisse de difficultés à comprendre un contenu, de l’incapacité à rester seul longtemps dans une maison, ou encore d’une faible endurance au travail. Par exemple, un usager pourrait admettre qu’il est impossible de travailler 18 heures d’affilée ou qu’il ne peut jamais réussir à battre Sara Khedam, considérée comme la meilleure joueuse d’échecs d’Iran. Dans le même esprit, les usagers partagent leurs qualités (courage, prudence) ainsi que leurs rêves à court, moyen et long termes. Exemple :
60Ils échangent aussi leurs livres ou romans préférés, comme Jules et Jim, ainsi que leurs connaissances, souvenirs et astuces pour économiser de l’argent en vue d’acquérir des biens de valeur.
61S’ouvrir aux autres implique également une dimension d’empathie et un soutien actif, notamment face aux réalisations des autres. Cette forme d’ouverture ne se limite pas aux usagers en quête d’aide sur Les as de l’info ; elle s’étend également aux personnages mis en avant dans les récits de la plateforme. Un exemple est l’histoire de Lucy, une adolescente non-voyante de 13 ans et pianiste, qui a remporté en mars 2023 la première saison de l’émission The Piano, diffusée au Royaume-Uni. Emu par ce récit, un usager, dont la cousine souffre de la même maladie que Lucy, lui a apporté son soutien. Un autre exemple est celui de Matéo, un adolescent de 15 ans, qui a inventé une main de robot contrôlable à distance. Ces histoires, ainsi que bien d’autres, illustrent la solidarité et l’ouverture envers autrui.
62S’engager, c’est se lier par une promesse de servir une cause, comme porter un chandail orange pour soutenir les autochtones ou jouer en toute sécurité dans la neige. Cet engagement prend souvent racine dans un drame, qui est rappelé pour inciter à l’action, comme en témoigne ce commentaire :
63Ainsi, l’engagement devient une manière pour la personne concernée de contribuer à éviter la répétition du drame à l’origine du problème.
64Il est question de promouvoir les normes sociales que l’on juge acceptables et appropriées pour diverses situations. Dans l’univers des jeux vidéo, par exemple, l’accent est mis sur le « contrôle parental » pour protéger les enfants contre les effets pervers de certains jeux, tels que Fortnite.
65Un autre exemple concerne l’apprentissage de la langue française, où l’objectif est d’enseigner aux jeunes comment bien parler cette langue. Enfin, dans le domaine politique, particulièrement dans les pays où les manifestations des rues sont violemment réprimées par les forces de l’ordre, l’instauration de la démocratie est perçue comme la norme qui permettra à ce que « tout le monde soit content et qu’il n’ait pas besoin de tirer sur la foule » (publié le 12 février 2023).
66Du point de vue de la théorie des usages et gratifications (Katz, Haas et Gurevitch, 1973) notamment, les postures et intentions de communication des usagers révèlent les besoins affectifs, cognitifs, intégratifs et sociaux qu’ils cherchent à satisfaire en utilisant la plateforme.
67La question principale de cette étude était : comment les enfants âgés de 8 à 12 ans, immergés dans l’univers informationnel de la plateforme Les as de l’info, conçue dans le but de lutter contre la désinformation, utilisent-ils cet outil pour développer des pratiques spécifiques en matière d’information et de communication ? Pour répondre à cette question, nous avons adopté une approche mixte, en particulier un « devis séquentiel explicatif » (Daignault et Lapointe, 2023 : 77), qui nous a conduit à collecter et à analyser les données quantitatives et qualitatives. L’objectif était de cerner d’abord la relation des usagers avec la plateforme et son contenu informationnel, afin de comprendre comment ils développent leurs pratiques en matière d’informations et de communication.
68Les résultats révèlent un lien étroit entre la plateforme et ses usagers, illustré par des données quantitatives significatives. Cette relation se traduit par des postures adoptées et des intentions de communication exprimées sur Les as de l’info. En croisant ces résultats, nous parvenons à saisir les spécificités des pratiques des jeunes immergés dans le flux informationnel de la plateforme que nous présentons en quatre sous-points.
69Dans un premier temps, nous observons un lien entre la motivation et la posture du passionné. Selon les données quantitatives, cette motivation est principalement intrinsèque, centrée sur un intérêt personnel de 90 % des usagers. C’est ainsi qu’elle se lie à la posture du passionné, la passion étant l’une des sources intrinsèques de motivation. La passion incite « l’individu à s’engager dans une activité de manière régulière et récurrente (Vallerand et Paquette, 2021 : 526). Elle mobilise les affects des usagers (Martin-Juchat et al., 2018 ; Alloing, et Pierre, 2017) et sous-tend leur engagement. L’activité à laquelle les usagers se sont engagés est de s’informer et communiquer via Les as de l’info. En raison de la régularité et de la récurrence de cette activité, la plateforme occupe la deuxième place en termes de source d’information préférée pour 92 % des personnes interrogées, après la famille (96 %).
70Par ailleurs, 94 % des enquêtés trouvent le contenu proposé intelligible, et 86 % approuvent le contenu proposé par Les as de l’info, une approbation influencée par la confiance accordée à la plateforme, et vice versa (r = 0,471 ; p < 0,001). Les résultats montrent également que 54 % des répondants estiment que ce contenu aborde des thématiques nouvelles, sur lesquelles ils n’avaient que peu ou pas du tout été informés auparavant. De plus, 74 % des enquêtés déclarent être surpris par ce contenu et acquérir de nouvelles connaissances. Ces observations renvoient à la posture de l’apprenant, qui reconnaît avoir appris quelque chose, en particulier dans le cas de l’apprenant satisfait, où aucune demande d’informations supplémentaires n’est exprimée.
71En revanche, une correspondance nette peut être établie entre les 78 % des enquêtés exprimant le besoin d’obtenir des informations supplémentaires sur les questions abordées et une posture d’apprenant insatiable. Se joue ici le rôle éducatif de médias en général, consistant à apporter le savoir (Tassi, 2021). Les usagers de la plateforme s’en servent pour satisfaire leurs besoins cognitifs. Ils y parviennent d’autant plus que 88 % des personnes interrogées possèdent des compétences technologique et informationnelle nécessaires (Lebrun et al., 2013).
72Il existe un lien entre le sentiment de capacité des usagers (Farman et al., 2018) à partager le contenu tel qu’exprimé lors du sondage et leurs dispositions à s’ouvrir aux autres telles qu’émergeant de leurs commentaires. Les 94 % des enquêtés qui se sentent capables de partager le contenu des As de l’info pour aider leur entourage à comprendre les enjeux abordés, avec 93 % d’entre eux qui sont prêts à s’y lancer en famille, 88 % avec les amis et 76 % en classe, correspondent sur la plateforme à la posture d’ouverture à la différence et à l’intention de s’ouvrir aux autres.
73Cette capacité dépend du niveau d’autonomie à trouver et à comprendre une information, de l’idée qu’un usager se fait du potentiel de cette information à clarifier les enjeux abordés, ainsi que du degré de confiance accordé à la plateforme. Bien que le cadre socio-affectif (famille, amis et classe) des usagers soit plus mis en avant par les données des enquêtes comme un lieu où leur sentiment d’efficacité à faire rayonner le contenu de la plateforme est plus élevé, sur la plateforme elle-même, ce champ de partage s’élargit. Car l’intention de s’ouvrir aux autres s’oppose à toute forme d’exclusion et favorise le soutien mutuel. Elle rime avec la posture d’ouverture à la différence, consistant notamment à accepter et à promouvoir la diversité et les droits de chaque individu.
74Tout ceci met en évidence la dynamique d’information et de communication des usagers, leur engagement à satisfaire leurs besoins affectifs, cognitifs, intégratifs et sociaux (Katz, Haas et Gurevitch, 1973), tout en contribuant au contenu de la plateforme et à stimuler des échanges d’idées. Ainsi, cette étude enrichit notre compréhension des « pratiques informationnelles émergentes dans un contexte où la prolifération des flux de messages est liée à l’essor des médias numériques » (Jouët et Rieffel, 2013 : 14). Ceci est d’autant plus important dans le contexte québécois où Latzko-Toth et al. (2017) ont étudié les pratiques informationnelles des jeunes de 18 à 25 ans.
75Notre étude démontre que la capacité des usagers des As de l’info à s’exprimer sur un contenu informationnel ou à en discuter dans leur entourage est synonyme de la proactivité qui caractérise globalement les jeunes à l’ère de la plateformisation (Jehel et al., 2023 ; Chomel, 2023 ; Bullich, 2021 ; Rebillard et Smyrnaios, 2019). De cette façon, ces usagers, depuis leur univers immersif, se positionnent comme des ambassadeurs de la lutte contre la désinformation dans leur entourage.
76En somme, les résultats de cette étude présentent une perception des expériences d’immersion continue et discontinue des jeunes âgés de 8 à 12 ans dans l’univers informationnel des As de l’info et ouvrent la voie à de recherches futures. Il serait intéressant d’approfondir notamment la manière dont les postures et les intentions de communication évoluent avec le temps, en fonction de la dynamique des expériences des usagers sur la plateforme. Une exploration plus approfondie des interactions sociales au sein de la communauté Les as de l’info pourrait également fournir des informations précieuses sur la construction de l’identité numérique et les dynamiques de groupe. Enfin, l’impact des pratiques d’information et de communication sur les attitudes et comportements des usagers dans le monde réel mériterait une attention particulière pour mieux comprendre l’influence plus large de la plateforme sur la société.