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Julien Devriendt (dir.), Valoriser et diffuser les arts numériques en bibliothèque. Pratiques et enjeux

Villeurbanne, Presses de l’Enssib, coll. « La boîte à outils », 2021, 200 p.
Adrien Mathy
Référence(s) :

Julien Devriendt (dir.), Valoriser et diffuser les arts numériques en bibliothèque. Pratiques et enjeux, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, coll. « La boîte à outils », 2021, 200 p.

Texte intégral

1Ce 49e numéro de la collection La Boîte à outils, publié par les presses de l’ENSSIB et coordonné par Julien Devriendt, est consacré à la place de l’art numérique en bibliothèque. Parfaitement inscrit dans la ligne éditoriale de la collection, dont l’objectif est de permettre aux acteurs et professionnels des bibliothèques de trouver un espace de partage pour échanger et problématiser leurs expériences professionnelles, l’ouvrage s’organise en trois sections thématiques. La première section, présentant un caractère plus théorique et problématisant, questionne la notion même d’arts numériques, en offrant au lecteur un triple entretien avec des acteurs du monde des arts numériques, une réflexion narratologique sur les médiums numériques ainsi qu’une enquête sur le dispositif des Micro-Folies. Elle se conclut sur une présentation d’acteurs et d’événements relatifs aux arts numériques. La seconde partie, quant à elle, inscrit les arts numériques dans le contexte de l’éducation artistique et culturelle. Enfin, la troisième partie se concentre spécifiquement sur la question de la diffusion des cultures numériques – au pluriel, attendu qu’il n’existe pas une culture numérique, homogène et uniforme, comme le manifestent les témoignages et les retours sur expérience partagée par les auteurs et autrices.

2Aussi, la première partie s’ouvre sur les entretiens de trois acteurs du monde des arts numériques, chacun porteur d’un regard propre sur leurs pratiques : Julie Stephen Chheng, designeuse, illustratrice et autrice ; Julien Levesque, membre du collectif français Datadada qui télescope les pratiques propres au numérique et la philosophie Dada ; et enfin de Dominique Moulon, critique et commissaire d’exposition spécialisé en art numérique. Compte tenu de la richesse de leurs propos, nous proposons une lecture croisée, articulée autour de cette (re)problématisation des arts numériques. En effet, si ces trois entretiens permettent de prendre connaissance du parcours de chacune et chacun des interviewés, ils interrogent, transversalement, la pertinence de la lexie art numérique. Si, comme le remarque Julie Stephen Chheng, tous les artistes utilisent des outils ou des médiums numériques dans le cadre de leur production artistique, la catégorie art numérique permet de renvoyer à des œuvres dont le langage est, dans son essence, numérique. Il s’agit de considérer dans quelle mesure le dispositif numérique, en tant que médium, change en conséquence, le dispositif narratif : dans cette perspective, elle constate qu’en l’état, la distinction entre format numérique et papier porte plus sur les questions de distribution et de diffusion que sur la question du processus créatif.

3De façon similaire, Julien Levesque qualifie de numérique une « culture » qui permettrait de nouvelles formes d’expression et d’interactivité avec l’utilisateur. Il ne suffit donc pas d’utiliser des outils numériques pour qualifier l’art de numérique, au même titre que l’usage des outils numériques ne suffit pas à qualifier une littérature de littérature numérique. En effet, il ne serait pertinent de parler de littérature numérique qu’à la condition que le médium numérique change profondément les processus de narration. Dès lors, si l’on continue le parallélisme, l’usage d’outil numérique qui se généralise dans les arts ne suffit pas à les qualifier d’arts numériques. Raison pour laquelle Dominique Moulon préfère, à cette lecture discrète qui oppose deux catégories, une vision continue de l’art en considérant un « coefficient digital » qui caractériserait le degré de numéricité d’une œuvre. C’est dans cette perspective que s’inscrit le second chapitre de cette première partie : caractériser la spécificité du numérique dans l’art. Julien Devriendt y explore donc le numérique en tant qu’il permet de nouvelles formes de narration et propose un retour sur la littérature qui a permis d’explorer de nombreuses possibilités de récit non linéaire, avant même l’arrivée du numérique.

4Il apparaît que les nouveaux supports, en ce compris l’informatique, ne suffisent pas à produire de nouvelles formes de récit – de la même manière, pour continuer la comparaison, que l’usage des outils numériques ne suffit pas à produire des arts numériques. Dans le cadre de la littérature, le numérique devient une potentialité narrative dès lors qu’on l’exploite non comme un simple dispositif de diffusion, mais comme un dispositif narratif : l’usage de l’hypertexte, à titre d’exemple, transforme créativement le fonctionnement de la narration en permettant de nouveaux usages, de nouvelles explorations textuelles, un changement dans la médiation même du récit. Ces expérimentations narratives dépassent évidemment le cadre de la littérature blanche et se rencontrent dans l’ensemble de la littérature, dont la littérature jeunesse. En outre, ces expérimentations se manifestent, évidemment, dans le contexte vidéoludique dont les techniques influencent d’autres médias. En conséquence, l’existence de ces nouveaux objets soulève des problématiques bibliothéconomiques et demande aux acteurs des bibliothèques de nouvelles compétences afin de les traiter de façon intégrée aux collections existantes qu’ils traversent, la littérature numérique, par exemple, restant de la littérature. Il est donc nécessaire de ne pas créer des silos de collections et de pratiques en mettant en place, notamment, de nouveaux dispositifs.

5En quelque sorte, le troisième chapitre apporte des éléments de réponse à cette dernière problématique : la question des dispositifs – au cœur de cet ouvrage. Victor Kherchaoui présente un travail d’enquête sur les Micro-Folies qui consiste, pour le dire vite, en un dispositif de médiation artistique qui s’appuie sur une galerie d’art virtuelle actualisée par un interfaçage qui combine plusieurs médiums numériques afin de donner accès à différentes œuvres du patrimoine muséal français en les amenant directement dans l’espace des bibliothèques, à l’aide d’un équipement clé en main. Ce dispositif s’inscrit dans un programme de l’état français qui vise à compenser la centralisation patrimoniale en diffusant les arts, par une médiation numérique, sur l’ensemble des territoires, tout en offrant de nouvelles formes de médialité et d’expérience esthétique qui mobilise notamment l’interactivité entre les œuvres et le public. Si les Micro-Folies peuvent se déployer dans différentes institutions culturelles, l’enquête de Victor Kherchaoui porte spécifiquement sur son implantation en bibliothèque qui constitue, souvent, le seul espace culturel de proximité. Or, l’implantation de ce type de dispositif en bibliothèque soulève plusieurs difficultés et obstacles : d’une part, elle nécessite un ancrage spécifique pour ne pas fonctionner « en vase clos » au sein de la bibliothèque ; d’autre part, les différents modules de la Micro-Folie ont un coût tant technique qu’humain, nécessitant d’envisager en amont l’investissement nécessaire. En outre, l’inscription sur le long terme de ce type de dispositif nécessite une articulation efficace avec le projet culturel de la bibliothèque. Dès lors, si le dispositif de Micro-Folie mérite l’intérêt des bibliothèques, il demande en retour de penser sa mise en œuvre concrète afin d’éviter divers écueils et manifeste, plus largement, la nécessité de penser lesdits dispositifs et de ne pas importer l’existant séduit par le « clé en main » qui n’enlève rien à la nécessité de penser l’ancrage concret propre au contexte de chacun. À la suite de cette présentation des Micro-Folies, Nathalie Caclard et Julien Devriendt proposent un bref panorama des activités relatives aux arts numériques en France et en Europe, en retenant sept acteurs et sept événements.

6La seconde partie de l’ouvrage quitte le terrain conceptuel des arts numériques pour s’intéresser, concrètement, au déploiement de ces arts dans le contexte de l’Éducation artistique et culturelle. Le premier chapitre, toujours de Julien Devriendt, offre un cadrage théorique aux cinq chapitres de témoignage. L’auteur expose les tenants et les aboutissants du développement du numérique au sein de l’EAC, considérant que l’irruption du numérique est un changement de paradigme qui nécessite de repenser les projets éducatifs en EAC qui ne peuvent se contenter d’un enseignement strictement opérationnel et qui doivent, au contraire, développer les possibles de création et d’expression auprès du public. Pour ce faire, Julien Devriendt propose notamment de valoriser les pratiques existantes, comme la réalisation d’un projet vidéo ou la rédaction d’un blog d’atelier documentant un projet spécifique – à titre d’exemple, dans le cadre d’un atelier de robotique, la médiathèque des Ulis a mis en place pour les participants à l’atelier. Par ailleurs, ce type d’atelier illustre parfaitement la diversité des formes de découverte du numérique : atelier robotique, atelier de création de jeu vidéo, programmation, etc. Outre la valorisation de l’existant, Julien Devriendt propose l’hybridation en mêlant le numérique aux pratiques traditionnelles. Ces processus d’hybridation reposent sur des outils qui jouissent de communautés actives qui peuvent accompagner les bibliothécaires dans la création de nouveaux dispositifs. Enfin, le chapitre se conclut sur la nécessité d’aménager des espaces de création numérique qui ne soient pas occupés uniquement par les profils technophiles, mais par l’ensemble des équipes des bibliothèques pour permettre un partage et une transversalisation des compétences.

7Les chapitres qui suivent s’intéressent et témoignent de différents projets d’EAC articulés autour des arts numériques. Dans leur diversité, tant du point de vue des styles de narration que de la pluralité des expériences – qui traitent tantôt de dispositifs vidéoludiques tantôt de pratiques d’animation – ces chapitres offrent un panorama riche et documenté des dispositifs et collaborations possibles en bibliothèque et au-delà des bibliothèques, en tant qu’elles s’inscrivent dans des territoires et des projets culturels, voire politiques, locaux. Dans cette perspective, Jocelyne Quélo retrace la genèse et les développements de l’association Espace Jean-Roger Caussimon, de ses débuts informels jusqu’à ses partenariats avec plusieurs institutions culturelles ; Jean André Ithier, s’intéresse pour sa part à la création du jeu vidéo coopératif Chut !, sensibilisant à liberté d’expression, et à son insertion dans le programme d’EAC de la ville de l’Hérault ; Alexandre Simonet, traite du déploiement des arts numériques au Carré d’Art à Nîmes en relatant diverses expériences et dispositifs, allant de la réalisation d’un webdocumentaire à la création d’un escape game numérique ; Hervé Pérard et Auriane Pichon abordent l’association Siana, devenue centre de ressource pour les cultures numériques en Essonne, et à ses collaborations avec les médiathèques du territoire ; enfin Mäelle Vimont-Broch, propose un retour d’expérience sur l’animation en problématisant ses propres pratiques au sein de l’association PiNG.

8Dans la continuité de la partie précédente, la troisième section de l’ouvrage recueille six chapitres qui témoignent de stratégies et de pratiques concrètes, de diffusion des arts numériques. Caroline Very-Mathieu revient sur le déploiement d’une politique numérique dans la bibliothèque municipale de Nîmes qui permet de combiner un objectif d’inclusivité numérique et une approche artistique en articulant la maîtrise des outils numériques avec le développement d’une culture numérique et de pratiques créatives et artistiques. Nathalie Caclard relate les aventures croisées de deux fablabs mobiles – la Mallapixels et le Dipbike – qui, par la médiation numérique, participent pleinement aux politiques publiques, et s’inscrivent, en conséquence, dans la réalité sociale de leur terrain. Valérie Perrin présente l’Espace Multimédia Gantner (EMG) qui se situe au croisement de trois logiques, étant tout à la fois un tiers lieu numérique, un membre du réseau des bibliothèques et des réseaux d’arts contemporains. Julien Annart propose un retour d’expérience sur un atelier de philosophie – organisé dans le contexte institutionnel et pédagogique de la Belgique francophone, qui diffère grandement du contexte français – dont la spécificité est de mobiliser une sélection de jeux dans le cadre de diverses thématiques (la mort, la violence, le politique, l’altérité, etc.). Victor Kerchaoui fait part de son expérience de référent numérique pour les médiathèques de Villeurbanne et met la création, envisagée comme une forme de médiation à part entière, au cœur de son propos. Dans un dernier temps, Aurélie Bosc partage un dispositif original, réalisé dans le cadre de l’inauguration du nouveau bâtiment de la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, qui médiait et valorisait numériquement les collections patrimoniales de la bibliothèque. Enfin, une dernière contribution de Julien Devriendt conclut tant cette troisième section que l’ouvrage. À la manière d’un mémento, titre de cette conclusion, Julien Devriendt développe les étapes clés pour tout projet numérique en bibliothèque. Il y expose la nécessité d’accueillir les arts numériques de sorte à repositionner les bibliothèques dans l’espace culturel et à permettre au public de s’approprier le numérique non pas d’une manière strictement technique, mais, comme l’a largement manifesté l’ouvrage, par la création, permettant, parallèlement, de nourrir la culture artistique des usagers.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adrien Mathy, « Julien Devriendt (dir.), Valoriser et diffuser les arts numériques en bibliothèque. Pratiques et enjeux »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 29 | 2025, mis en ligne le 13 février 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/16608 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13lfu

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Auteur

Adrien Mathy

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