Philippe J. Maarek et Nicolas Pélissier (dir.), Présidentielle 2022 : une démocratie en quête de nouveaux repères ?
Philippe J. Maarek et Nicolas Pélissier (dir.), Présidentielle 2022 : une démocratie en quête de nouveaux repères ?, Éditions L’Harmattan, 2024.
Texte intégral
1L’ouvrage collectif, objet de cette recension, est consacré à la présidentielle française de 2022. Dirigés par Philippe J. Maarek et Nicolas Pélissier, du laboratoire MICA de l’Université de Bordeaux Montaigne, il propose une analyse approfondie des dynamiques politiques contemporaines, marquées par la polarisation croissante et l’évolution des pratiques électorales dans le contexte français. À travers une série de contributions variées, les auteurs y examinent les stratégies et pratiques politiques des candidats, la professionnalisation des campagnes, l’intermédiation des partis, l’impact du recours aux médias sociaux et la perception internationale de la présidentielle française de 2022. Comme le soulignent à juste titre les deux coordinateurs, « cet ouvrage constitue le cinquième retour consécutif sur la communication politiques des élections présidentielles depuis le début du siècle » (p. 9) en France. Ce volume comprend seize chapitres, répartis en quatre parties.
2La première partie (p. 19-82) s’intéresse à des problématiques relatives à la chute de l’intermédiation par les partis et l’accroissement de la polarisation politique. En s’appuyant notamment sur les cas de La France insoumise et La République en Marche, Rémi Lefebvre (p. 21-41) ouvre le bal en analysant la question de la renaissance des partis mouvements dans les campagnes électorales notamment la présidentielle de 2022. Il démontre que « dans ce nouveau modèle, c’est le candidat qui fabrique le parti et non plus l’inverse (comme dans les partis dits « traditionnels ») (p. 21). La stratégie déployée par les leaders de ces partis, à savoir Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, repose notamment sur « une identité organisationnelle floutée » (p. 24). Rémi Lefebvre explique que dans leur positionnement tactique, « les deux leaders cherchent à nouveau en 2022 à ne pas apparaître comme des candidats partisans et mobilisent de nouveaux labels et identités organisationnels » (p. 24). Les deux marques partisanes se diluent, s’effacent ou se recomposent, ce qui traduit leur fragilité et plasticité. Donatella Campus et Sofia Ventura (p. 43-62), de leur côté, s’intéressent à la campagne de Valérie Pécresse, avec un questionnement autour du « comment et du pourquoi de l’échec de la première femme présidentielle de la droite républicaine » (p. 43). Les deux chercheures expliquent que les raisons de son échec résident dans le fait que « la première femme gaulliste candidate aux élections présidentielles peine à transformer la nouveauté qu’elle représente en une valeur ajoutée » (p. 44). Cette difficulté s’est avérée problématique étant donné l’état de crise organisationnelle, d’idées, de leadership au sein de la droite républicaine alors que le fait d’être femme a été considéré comme un atout pour cette candidate de droite (p. 54). Une autre raison explique l’échec de la campagne de Valérie Pécresse. Elle est en rapport avec « le discours public de stéréotypes concernant le rôle des femmes au sommet de la politique » (p. 55). Ce qui remet en scène le débat autour de la place et de la considération des femmes en politique.
3Pascal Marchand et Brigitte Sebbah (p. 63-82) abordent dans leur chapitre la question de savoir si les programmes font l’élection. À travers une analyse des données textuelles ou textométrie, les deux contributeurs démontrent que « le vocabulaire mobilisé dans les programmes laisse voir […] une distribution spécifique selon que l’on se situe à droite ou à gauche de l’échiquier politique » (p. 68). Par contre, ils relèvent des proximités discursives entre certains candidats : cas des discours de Marine Le Pen et Éric Zemmour. Leurs analyses permettent en effet de rendre « visibles des rapprochements et des oppositions qui peuvent, parfois sembler attendues, pour ne pas dire banales » (p. 77). Ils concluent que les programmes politiques sont « des territoires (discursifs) à construire, à conquérir, à occuper, à défendre dans un contexte défini par les enjeux de la campagne » (p. 79).
4La deuxième partie de l’ouvrage (p. 83-190) articulée autour du titre : « La technicité de la campagne : professionnalisation, simple digitalisation, innovation ou fuite en avant ? », permet à l’ensemble des auteurs d’explorer l’évolution des campagnes électorales face aux technologies de l’information et de la communication et aux pratiques professionnelles. Ils discutent de la manière dont la professionnalisation des équipes de campagne a modifié les stratégies politiques, rendant les processus électoraux plus techniques et organisés. L’analyse inclut la distinction entre la simple digitalisation des campagnes et une véritable innovation stratégique. Sont également examinés dans cette partie, les risques d’une « fuite en avant », où les partis se concentrent excessivement sur les outils technologiques au détriment du contenu politique et de la « connexion » avec les électeurs.
5Marina Villa (p. 85-105) analyse l’impact des sondages sur les stratégies de communication des candidats lors des campagnes électorales. Elle met notamment l’accent sur les fonctions de l’usage communicatif des sondages. Son étude démontre que les sondages peuvent être utilisés par des candidats comme outil de légitimation. Ainsi, ils sont utilisés pour proposer des thèmes et pour montrer « l’accord » des Français (p. 88), pour confirmer une « dynamique » croissante (p. 90), pour servir à mobiliser les sympathisants et à solliciter des votes (p. 92). Cependant, elle fait aussi remarquer les sondages font l’objet d’une forte remise en cause et ce, à travers des discours tels que : l’élection n’est pas jouée d’avance (p. 97), les Français ne doivent pas décider sur la base des médias et des sondages « manipulés » (p. 98), les sondages « se trompent » et sont peu fiables (p. 99), etc. En somme, le chapitre souligne le rôle central des sondages dans la construction des discours électoraux et leur impact sur le comportement des électeurs.
6La rivalité entre Marine Le Pen et Éric Zemmour lors de l’élection présidentielle de 2022 est au centre de la contribution de Nicoleta Pandela (p. 107-133). Elle met en évidence « les performances de communication électorale en ligne des politiciens populistes » (p. 130). Son étude révèle des usages très diversifiés des plateformes en ligne par Marie Le Pen et Éric Zemmour, afin de renforcer leur image et mobiliser les électeurs. Au niveau structurel, l’auteure note une présence en ligne très active de la part des deux populistes et un recours permanent à « la stratégie du printscreen » (p. 130) pour attaquer les opposants. Cette stratégie est utilisée dans une logique duale : la délégitimation de l’adversaire et l’auto-légitimation du politicien. Au niveau de la typologie des messages, quelques différences sont mises en évidence par la chercheure. Ainsi, elle souligne qu’Éric Zemmour a adopté « la logique des hashtags » et Marine Le Pen « la logique du reshare ».
7Dans le chapitre suivant (p. 135-155), Kenza Benmoussa et Nicolas Pélissier analysent les campagnes d’Emmanuel Macron et d’Éric Zemmour sous le prisme de l’intégration des technologies numériques dans le processus électoral. Le constat est clair : les campagnes électorales sont de plus en plus numérisées, avec un usage accru des médias sociaux et même du marketing digital commercial. Selon eux, la digitalisation a permis une interaction plus directe et personnalisée avec le public, et ce, à travers des dispositifs tels que : les live streaming, Facebook, Instagram, etc., transformant ainsi les dynamiques traditionnelles de la campagne électorale. Ils concluent que « malgré les avancées technologiques significatives, la course vers la cyberdémocratie n’est pas encore gagnée » (p. 153). Selon eux, elle est d’abord une forme d’engagement politique qui utilise les technologies numériques pour élargir la participation des citoyens.
8Cette deuxième partie se referme avec le chapitre d’Élodie Berthet intitulé « Campagne présidentielle française de 2022 : de la négativité sur Instagram » (p. 157-178), dans lequel elle analyse les usages de la plateforme Instagram par les candidats durant la campagne. Elle met en lumière comment les stratégies de communication se sont orientées vers des messages négatifs, souvent ciblant les adversaires plutôt que de promouvoir des propositions positives. Élodie Berthet explore les effets de cette négativité sur l’image des candidats, notamment Emmanuel Macron, « essuyant à lui seul 57 % des attaques totales émises » (p. 166). Elle discute également des spécificités d’Instagram en tant que réseau social visuel, qui encourage des formats courts et percutants, contribuant à la viralité des contenus négatifs.
9Dans la troisième partie de l’ouvrage (p. 191-252), ayant pour titre : « anciens et nouveaux ciblages spécifiques », les contributions explorent les stratégies de ciblage utilisées par les candidats durant la campagne. Elles analysent comment les méthodes traditionnelles de segmentation de l’électorat coexistent et s’adaptent à l’environnement des médias sociaux numériques. Élizabeth Gardère questionne la place des jeunes électeurs dans la campagne présidentielle de 2022. Ce d’autant plus qu’à l’occasion de cette échéance, « les jeunes militants ont été une ressource précise pour les candidats » (p. 193). Elle souligne qu’utiliser avec intelligence et positivement Internet peut être un lieu d’éducation politique grâce à la jeunesse de son public, à défaut de se transformer en un lieu de « ciblage de campagne vers cette partie de l’électorat ». Sa vision optimiste met en avant les possibilités de transfert de la citoyenneté « classique » vers la citoyenneté électronique que pourrait permettre un usage raisonné et rationalisé des réseaux sociaux. Dans le même sens, Samantha Simon démontre, dans son chapitre (p. 215-230), que c’est grâce aux réseaux sociaux que les nouvelles directions de la politique se dessinent. Elle en veut pour preuve l’essor du parti animaliste qui n’avait pas pu obtenir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle de 2022 mais dont le programme s’infiltrait néanmoins petit à petit dans ceux des candidats admis à concourir.
10Dans la quatrième partie (p. 253-319), « Vu de l’étranger : la crainte implicite de l’extension de la polarisation », les différentes contributions analysent la perception internationale de la campagne présidentielle française. Paul Baines (p. 253-254) examine comment la campagne a été perçue au Royaume-Uni, soulignant des inquiétudes concernant la polarisation croissante et ses répercussions sur la stabilité démocratique. Camelia Beciu (p. 263-278) explore la couverture médiatique des élections dans la presse roumaine en ligne, mettant en avant les modes de visibilité et les thèmes dominants qui reflètent les préoccupations locales. Elle fait remarquer la polarisation autour de cette élection est aussi bien politique que sociale, avec notamment le mouvement « gilets jaunes », en 2023. Nanta Novello Paglianti et Andreas Caretta (p. 279-298) analysent la présence médiatique de la campagne en Italie, notant l’intérêt pour les dynamiques politiques françaises et les craintes liées à la montée de l’extrême droite. La résonance de cette présidentielle à l’étranger s’explique également par le statut international d’Emmanuel Macron, renforcé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Viviane Harkort (p. 293-304) se concentre sur le défi de traduire les nuances politiques françaises pour les médias allemands, révélant des difficultés dans la compréhension des enjeux sous-jacents. Enfin, Marta Rebolledo (p. 305-319) offre une perspective espagnole sur la campagne, en examinant comment la presse espagnole a abordé les enjeux de la polarisation en France.
11L’ouvrage propose une analyse dense et pertinente de la présidentielle française de 2022. Cependant, il présente certaines limites dans son approche. En effet, bien que des parallèles soient tracés avec d’autres pays européens (Royaume-Uni, Roumanie, Italie, Allemagne, Espagne), l’accent n’est pas notamment mis sur les perceptions de cette élection depuis d’autres régions du monde comme l’Afrique ou l’Asie. Ces contextes, souvent confrontés à des régimes autoritaires et à des divisions politiques croissantes, auraient pu enrichir le débat en apportant des perspectives variées sur la démocratie contemporaine. L’extension des analyses à ces régions aurait permis un croisement des regards, offrant une vision plus globale des défis démocratiques actuels.
12Cela dit, ce volume se distingue par une approche multidimensionnelle, explorant non seulement les stratégies des candidats, mais aussi les dynamiques médiatiques et socionumériques qui façonnent les pratiques de campagnes électorales dans le contexte français actuel. Les auteurs réussissent à interroger les implications de la polarisation politique et de la professionnalisation des campagnes, en mettant en lumière les défis contemporains auxquels la démocratie est confrontée. Ce livre se révèle ainsi être une ressource précieuse pour quiconque souhaite comprendre les mutations de pratiques de campagnes électorales en France dans un contexte marqué par la chute de l’intermédiation par les partis, l’accroissement de la polarisation politique, la montée du populisme et la crise de la démocratie, de manière générale. Sa richesse réside également dans sa capacité à croiser différentes analyses et à susciter une réflexion critique sur la démocratie contemporaine.
Pour citer cet article
Référence électronique
Simon Ngono, « Philippe J. Maarek et Nicolas Pélissier (dir.), Présidentielle 2022 : une démocratie en quête de nouveaux repères ? », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 29 | 2025, mis en ligne le 28 février 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/16632 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13lfw
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