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David Douyère, Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar

Genève, Éd. Labor et Fides, coll. Enquêtes, 2018, 256 p.
Raphaël Dapzol
Référence(s) :

David Douyère, Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar, Genève, Éd. Labor et Fides, coll. Enquêtes, 2018, 256 p.

Texte intégral

1Paru en 2018 aux éditions Labor et Fides, Communiquer la doctrine catholique – Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar, est le dernier ouvrage de David Douyère. Actuellement directeur de l’unité de recherche Pratiques et Ressources de l’Information et des Médiations (Prim) à L’université de Tours, il nous présente les fruits d’un travail de lecture et d’analyse du journal tenu par le Père dominicain Yves Congar (1904-1995) durant sa participation aux travaux du concile Vatican II (1962-1965), mis en ouvrage et publié en 2002 par les éditions du Cerf.

2Témoin et acteur de ce concile œcuménique de l’Église catholique, Yves Congar assiste parmi les deux-mille-quatre-cent-cinquante pères conciliaires à ce qui est resté comme l’un des évènements marquants du xxe siècle, à la fois pour l’Église du fait de l’aggiornamento, la « mise à jour » majeure de la doctrine catholique, et pour le monde par la présence des médias qui en restituent le déroulement.

3Dès la préface, l’auteur nous propose une réflexion sur le lien profond qu’il entrevoit entre religion et communication, posant une définition de la communication comme « diverses mises en œuvre et situations [qui] concourent à produire du sens, de façon variée, et à le diffuser. » (p. 25) et précise l’approche générale qui anime cet ouvrage et ses travaux de recherche qui s’intéressent à « l’étude d’objets et de questions au sein desquels on pouvait rendre visible cette dimension de communication présente dans le christianisme » (p. 14). Ces précisions liées au positionnement de l’auteur, et à l’inscription de son objet d’étude dans les Sciences de l’Information et de la Communication, permettent au lecteur de cerner la particularité de l’approche communicationnelle qu’il propose pour étudier le religieux, et la manière dont il envisage le journal d’Yves Congar.

4L’auteur analyse ainsi la complexité des processus conciliaires au travers du prisme des phénomènes de communication tels qu’ils apparaissent dans le journal du Père Congar, par la restitution de ce qui se déroule aussi bien dans les sessions de débat qu’à leurs marges. Une large partie du travail s’intéresse aux rencontres, aux discussions en aparté, aux groupes informels qui se forment et participent aux processus de création et de circulation de la parole et des écrits ; autant de phénomènes d’accompagnement, de diffusion et d’éléments sémiotiques qui constituent l’arrière-plan de production et d’échange communicationnel de ce concile Vatican II.

5David Douyère s’intéresse également à l’influence de la forme, dans la voix et le texte, sur l’orientation des doctrines votées, et met ainsi en lumière une tension qui s’exprime dans les écrits d’Yves Congar. Cette tension naît de la distance entre une représentation chez Congar du travail conciliaire, fondée sur l’idée d’un travail des esprits guidés par la présence de l’Esprit Saint. Cette foi en une présence absente du Dieu chrétien, attendu dans une action de fond, se confronte aux pratiques et aux échanges informels, aux rumeurs et manipulations qui agissent sur les décisions doctrinales.

6Le plan de l’ouvrage se décompose en cinq temps abordant tout d’abord la question du journal lui-même et du rapport que l’auteur établit avec ce document en tant que lecteur, et déroule ensuite les thématiques internes des échanges et des réseaux au sein du concile, le pouvoir de la parole, le travail de l’écrit et enfin la problématique du sens et des stratégies dans le choix des mots utilisés pour signifier la doctrine à énoncer. L’approche en deux temps qu’il propose analyse en détail la place de la parole et de l’écrit dans leurs différentes phases de mise en forme et en scène dans le déroulement du concile.

7La parole, premier acte des échanges, est ainsi décrite dans ses formes « in aula », en assemblée, et celle des échanges informels, en périphérie, dans les réseaux et les lieux de rencontre. De la même manière, l’écrit se divise entre les aspects formels de mise en texte des points de doctrines et les échanges d’écrits en arrière-plan. Le travail d’écriture et de réécriture des textes qui accompagne la prise de parole en séance se trouve entouré d’une circulation informelle de déclarations, de lettres et de pamphlets qui participent aux processus de ralliement et aux critiques des courants de pensées entre les groupes d’influences.

8La première partie de l’ouvrage constitue une large introduction au journal lui-même et à son auteur, aux conditions de réalisation de ce document ; David Douyère nous propose ainsi un portrait d’Yves Congar, théologien et penseur de l’Église appelé au concile en tant qu’expert et qui se fait, durant cette charge sacerdotale, diariste et observateur de l’histoire et de la doctrine catholique en train de se dire et de s’écrire. La particularité de ce journal, comme le relève justement David Douyère, est qu’il ne s’agit pas d’un journal sur l’auteur lui-même, mais se veut être une restitution des faits, une chronique au sens médiéval du terme. Il rappelle d’ailleurs à plusieurs reprises le lien que fait Yves Congar entre le travail de documentation historique qu’il veut réaliser en tenant ce journal et celui des chroniqueurs du Concile de Trente (1545-1563).

9Ce format et ce mode de restitution du déroulement du concile est ce qui permet à David Douyère d’appliquer une grille de lecture communicationnelle à ce journal, relevant et analysant les phénomènes et actes de communication qui y sont consignés. Il y distingue ainsi les descriptions des actes de production de documents internes et les dispositifs d’expression formelle, mettant ainsi en évidence la recherche perpétuelle du choix des mots dans les productions textuelles.

10L’auteur précise ensuite les procédures et grilles de lecture qu’il a appliquées à ce document par différentes phases de traitement analytique dont la restitution finale est divisée en sept thèmes. Ces différents niveaux de lecture repèrent dans le texte les passages relatifs au journal lui-même et à la personne d’Yves Congar, aux rumeurs et intrigues dans les échanges et les réseaux, à la prise de parole, au travail de l’écrit, à la technique par la reproduction et la diffusion, et enfin à l’irruption et à l’instrumentalisation des médias.

11La seconde partie s’intéresse plus précisément aux échanges qui se déroulent en marge des séances en assemblée et aux réseaux des congrégations présentes au concile. David Douyère met en lumière l’arrière-plan de la collégialité, les coulisses du déroulement du concile qui se déplace dans des lieux d’échange tels que le bar de la Basilique Saint-Pierre, les lieux d’hébergement, les transports à Rome et entre les séances et même les toilettes où se croisent les pères conciliaires.

12L’auteur relève l’importance de la culture orale, très présente dans la culture ecclésiastique romaine de l’époque, qui est un terreau fertile aux rumeurs et contre-rumeurs de déclarations ou de démissions de cardinaux, d’intentions ou de préférences du Pape sur les décisions des assemblées. La figure du Pape apparaît ainsi de manière très présente dans les rumeurs par son absence physique, qui est remplacée par les circulations d’informations sur ses déclarations, intentions et décisions, réelles, fictives ou supposées, qui influencent les positions et le déroulement du concile.

13Les effets des réseaux sont également restitués par les éléments du journal qui traitent de la circulation des individus entre différentes sphères et différents lieux, les rencontres qui permettent aux pères de « faire passer leurs idées, convaincre, par l’échange ». L’auteur relève ainsi les descriptions qu’Yves Congar fait des pratiques de circulation d’informations, d’idées dans ces lieux périphériques et ces réseaux, ainsi que sa propre participation pour s’informer et « chanter son antienne », refrain liturgique signifiant la répétition d’arguments pour convaincre et rallier à ses idées les autres pères et cardinaux.

14Dans la partie suivante, David Douyère s’intéresse au pouvoir de la parole in aula, en assemblée, dans ce concile, en distinguant les aspects liés à l’organisation des échanges et ceux liés à la forme de cette parole. Ce chapitre met notamment en lumière les interactions entre la curie romaine et les pères conciliaires qui ont été marquées durant le déroulement du concile par un mouvement général de collégialité contre l’influence de la curie sur les schémas et les décisions.

15L’organisation de la parole en assemblée est ainsi marquée par un étouffement du discours dans l’effet d’ensemble, une lassitude des pères face au nombre et au contenu des interventions qui, comme nous le montre l’auteur dans les passages analysés, présentent davantage des postures de parole formelle, des stratégies d’occupation du temps, plutôt qu’un échange d’idées. La qualité formelle de la parole pour les interventions fait également l’objet d’une restitution par Yves Congar ; David Douyère met en lumière les passages liés à l’importance de la mise en forme du discours, de la langue, en particulier celle du latin qui agit comme Lingua franca, langue commune pour les délégations du monde chrétien présentes et qui avaient pour charge de comprendre et de se faire comprendre.

16Le quatrième chapitre, qui occupe une place importante dans l’ouvrage, est consacré au vaste sujet du travail de l’écrit et aux difficiles conditions du passage de la parole au texte. Appelé en tant qu’expert, Yves Congar se trouve pris dans un intense travail de lecture, de compréhension et d’écriture qui se joue contre le temps et le déroulement des assemblées ; David Douyère analyse la manière dont le Père traduit dans son journal le poids des modifications innombrables apportées aux schémas et aux interventions, aux répétitions et à la lourdeur de la tâche, accentuée par l’organisation imposée par le Saint-Office. Dans ce travail d’écriture, l’importance du style, de la structure et du ton du texte apparaît comme un élément de réflexion récurrent que l’auteur met en exergue, insistant sur chacun des aspects de cette recherche de la « manière de dire » en texte, éclairant notamment la réflexion sur le renouvellement du « parler chrétien » que les pères veulent insuffler à l’Église dans le monde moderne.

17L’auteur relève également tout un travail de citation et de référence qui agit dans les débats et les discussions, un ensemble de processus de référence et de déférence aux écritures, aux pères de l’Église et à la tradition catholique qui révèle également des stratégies et des tensions entre les courants de doctrine.

18La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse au difficile choix des mots dans les textes qui doivent définir la doctrine catholique et la communiquer au monde, le sens et la portée de chaque terme sont au cœur des débats de ce concile ainsi qu’au centre de stratégies d’insertion ou de suppression d’éléments textuels pour infléchir le sens des schémas et de la doctrine. David Douyère analyse ces tensions et stratégies d’influence de la charge sémiotique des mots au travers de différentes restitutions de ces stratégies.

19La tension qui caractérise ces échanges s’étend également à la présence des médias autour du concile qui interviennent dans les phénomènes périphériques en rendant visible la circulation des idées, l’action des groupes d’influences et en contribuant à la diffusion des rumeurs. La présence médiatique et leurs usages sont pris dans le filtre général qu’impose le Saint-Office sur la communication dans et autour du concile, dont il tente de ne laisser paraître qu’une parole conforme aux intentions de l’institution.

20Le travail que nous livre David Douyère dans cet ouvrage s’intègre dans la continuité des recherches qu’il mène depuis plusieurs années sur le lien entre communication et religion. L’originalité de ce travail réside notamment dans le choix qu’il fait de considérer le journal d’Yves Congar comme seul objet de la recherche, sans en sortir pour « vérifier » les éléments qui y sont relatés à la lumière d’une « réalité des faits ». Il applique ainsi une approche qui se distingue d’un travail historique qui chercherait à croiser les données sur les évènements, pour tirer de ce document une lecture de la manière dont Yves Congar perçoit et analyse les phénomènes de communication.

21L’intérêt du travail présenté est double pour le lecteur qui y trouve tout d’abord une méthode pour la recherche et l’exemple d’une approche communicationnelle de lecture, d’enquête et d’étude d’un document historique. Au-delà de son aspect de recherche, le contenu de cet ouvrage fait également entrer le lecteur dans les coulisses du concile Vatican II en donnant un nouveau regard sur les échanges, la circulation sémiotique et l’organisation formelle et informelle de la collégialité derrière le silence religieux qui encadre cet évènement historique.

22L’auteur met également en lumière, dans ses travaux et dans l’ouvrage, la prise de conscience par l’Église du xxe siècle du travail de communication qu’elle porte, et qu’elle exprime depuis le décret Inter Mirifica de 1963. Ce décret a notamment fait apparaître la notion de « communication sociale » que David Douyère reprend en s’appuyant et prolongeant les travaux de Jean Devèze.

23Enfin, l’ouvrage se referme sur un retour réflexif sur les limites et les biais de ce travail portant sur l’analyse des conditions de déroulement et des productions du concile Vatican II, qui sont restitués dans le journal au travers du regard d’un seul témoin. David Douyère prolonge encore la portée de son travail en proposant différentes modalités d’approche de la dimension communicationnelle du religieux, enrichissant les perspectives de recherche pour l’avenir de ce domaine dans le champ des Sciences de l’Information et de la Communication.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Raphaël Dapzol, « David Douyère, Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 19 | 2020, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/9074 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.9074

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Auteur

Raphaël Dapzol

Raphaël Dapzol est doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication au sein du laboratoire SAGE – Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (UMR 7379) à l’Université de Strasbourg. Courriel : raphael.dapzol(at)etu.unistra.fr

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Droits d’auteur

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