Navigation – Plan du site

AccueilNumérosHS 11Réforme foncière, réforme de la v...

Réforme foncière, réforme de la vie : Franz Oppenheimer dans le mouvement sioniste allemand et au-delà

Olivier Baisez
p. 109-127

Texte intégral

  • 1 Franz Oppenheimer : Lebenserinnerungen. Erlebtes, Erstrebtes, Erreichtes. Berlin 1931, rééd. Düssel (...)
  • 2 Franz Oppenheimer : Moyens économiques contre moyens politiques. Paris 2013 (traduit de l’allemand (...)

1Albert le Grand, Élisabeth de Thuringe, Johannes Gutenberg, Albrecht Dürer, Martin Luther, Johann Sebastian Bach, Balthasar Neumann, Immanuel Kant, Gotthold Ephraim Lessing, Johann Wolfgang von Goethe, Friedrich Schiller, Ludwig van Beethoven, Heinrich von Kleist, Franz Oppenheimer, Annette von Droste-Hülshoff, Gerhart Hauptmann. Ces seize noms appartiennent pour la plupart à des célébrités mondiales, choisies entre 1961 et 1964 par la Deutsche Bundespost pour être les visages d’une série de timbres intitulée « Allemands illustres » (Bedeutende Deutsche). La présence parmi elles de Franz Oppenheimer, peu connu et encore moins lu aujourd’hui, a de quoi surprendre. Elle s’explique en grande partie par le fait que le chancelier fédéral de l’époque, Ludwig Erhard (1897-1977), se trouvait être l’un de ses anciens étudiants. En effet, Oppenheimer avait été à partir de 1919 le premier titulaire de la chaire de sociologie (et d’économie) de l’université de Francfort – la toute première en Allemagne. 1964 était l’année du centenaire de sa naissance, et son souvenir fut aussi honoré par la réédition de ses mémoires, initialement parues en 1931, avec une préface du Chancelier1. En France, sa notoriété n’a jamais été très grande. La publication toute récente aux Belles Lettres, sous le titre Moyens économiques contre moyens politiques, d’un volume en français contenant deux de ses œuvres, mérite d’autant plus d’être signalée, même s’il ne s’agit que de la réédition de traductions datant de 1913-1914, assortie d’une présentation actuelle2. Entre 1914 et 2013, aucun livre d’Oppenheimer n’a été traduit et publié en France.

  • 3 Franz Oppenheimer : Ein Weg zur Liebe. Berlin 1888. Du même : Föhn. Berlin 1893. Du même : Die Feri (...)
  • 4 Franz Oppenheimer : Die Siedlungsgenossenschaft. Versuch einer positiven Überwindung des Kommunismu (...)
  • 5 Franz Oppenheimer : Die soziale Bedeutung der Genossenschaft. Berlin 1899.
  • 6 Oppenheimer lui-même se souvient avoir rencontré le sionisme en 1902, mais ses premiers articles su (...)
  • 7 Cf. Jehuda Reinharz : Dokumente zur Geschichte des deutschen Zionismus, 18821933. Tübingen 1981, p (...)

2Il semble donc indispensable de poser le décor et de situer le personnage avant de poursuivre. Oppenheimer naît et grandit à Berlin, où son père Julius exerce le ministère de rabbin dans une communauté dite « libérale » ou « réformée », c’est-à-dire que le culte s’y pratique sous une forme modernisée et acculturée au contexte allemand. Il étudie la médecine aux universités de Fribourg-en-Brisgau et de Berlin, puis ouvre son cabinet à Berlin en 1887, après avoir effectué des remplacements, notamment dans les provinces orientales de la Prusse. Parallèlement à l’exercice de la médecine, qui ne le satisfait pas entièrement, il publie quelques textes littéraires3 et fréquente les cercles « réformistes » berlinois. Il participe notamment à la fondation de la colonie Eden à Oranienburg en 1893, ainsi qu’à celle de la coopérative Freie Scholle à Tegel en 1895. En 1896, il publie un essai théorique intitulé Die Siedlungsgenossenschaft. Versuch einer positiven Überwindung des Kommunismus durch Lösung des Genossenschaftsproblems und der Agrarfrage4, puis, en 1899, Die soziale Bedeutung der Genossenschaft5, où se manifeste une volonté de dépasser les conflits sociaux par le changement des modes de vie et d’organisation du travail. Il développe ensuite une théorie du « socialisme libéral », dont il envisage d’abord la mise en application au sein de colonies coopératives. Pour lui, la « question sociale » ne peut être résolue qu’à partir de la « question agraire » ou « foncière ». Il veut stopper l’hémorragie de l’exode rural et ses corollaires : urbanisation excessive et paupérisation, entassement dans les « casernes locatives » (Mietskasernen) et expansion du Lumpenproletariat. C’est en 1901 qu’il rejoint le mouvement sioniste, après avoir été présenté personnellement à Theodor Herzl (1860-1904)6. Il découvre alors la Palestine et la colonisation juive comme terrain d’application de ses thèses sur les colonies coopératives. Après avoir obtenu sur le tard le doctorat de sciences économiques à l’université de Kiel en 1908, il enseigne à partir de 1909 en tant que Privatdozent à l’université de Berlin. L’expérimentation de son modèle de « coopérative de colonisation » (Siedlungsgenossenschaft) dans le cadre de la colonisation sioniste débute à Merhavia, en Galilée, à partir de 1910. Oppenheimer se détourne du sionisme après 1913, en raison d’un désaccord profond avec la nouvelle direction de la Fédération sioniste allemande (Zionistische Vereinigung für Deutschland), dont il juge le nationalisme juif trop exclusif et chauvin7. Pendant la Première Guerre mondiale, il travaille pour le ministère impérial de l’Économie et s’engage pour l’aide humanitaire aux populations juives d’Europe orientale. Il continue ensuite sa carrière de professeur à l’université. Après l’arrivée au pouvoir des nazis, il fait d’abord un long séjour en Palestine dans les années 1934-1935, puis se résigne à quitter l’Allemagne en 1938, d’abord pour le Japon, avant de s’installer en 1940 à Los Angeles, où il meurt trois ans plus tard.

  • 8 Cf. Olivier Baisez : Le discours de la méthode. La conception par les sionistes allemands de la col (...)

3Avant, pendant et après son engagement sioniste, Oppenheimer a produit une œuvre de portée générale que j’ai abordée par le biais du sionisme8, puisque pendant une dizaine d’années, il a joué un rôle de premier plan dans le mouvement. L’analyser sous cet angle permet d’éviter un exposé trop général sur ses théories, qui excéderait les dimensions d’un article, tout en rencontrant beaucoup de problématiques communes au réformisme de l’Allemagne wilhelmienne. En effet, le sionisme et la réalisation de son programme posent le problème de la colonisation de peuplement et de la construction, d’abord à l’échelle de la colonie, d’une nouvelle société libérée des maux qui grèvent l’ancienne.

La réforme foncière et le sionisme

4Le thème de la propriété foncière et d’une éventuelle propriété commune de la terre s’inscrit sur fond de « question sociale » et de « question du logement » (Wohnungsfrage), particulièrement brûlantes dans la phase d’industrialisation et d’urbanisation massives que connaît l’Allemagne bismarckienne puis wilhelmienne. Il s’agit alors de dénoncer la spéculation immobilière et la congestion des grands centres urbains, dans une perspective à la fois sociale et hygiéniste. Dans ce contexte, le mouvement en faveur de la réforme foncière progresse : l’association Bund deutscher Bodenreformer, fondée en 1898, compte plus de 100 000 adhérents après dix années d’existence. Son président, Adolf Damaschke (1865-1935), a été le principal artisan en Allemagne de la réception de l’économiste américain Henry George (1839-1897). Parmi les autres grandes figures du mouvement, il faut mentionner également Michael Flürscheim (1844-1912). Avec ses publications sur le système coopératif, Oppenheimer s’intègre également dans cette constellation intellectuelle.

5Toutes les personnalités citées sont considérées au sein du sionisme allemand comme des autorités en matière de réforme foncière. Des extraits de leurs œuvres sont publiés dans les principaux organes de presse du mouvement. Par ailleurs, il est à noter que l’Abécédaire sioniste, sorte de bréviaire du sionisme publié en 1908 par la Fédération sioniste allemande, comporte un article « Bodenreform », dans lequel la réforme foncière est définie comme le transfert de la rente, voire de la propriété foncière elle-même, des mains des particuliers vers celles de l’État ou de la collectivité. Le même article insiste sur le fait que la réforme est un élément très ancien de la culture et de l’histoire juives. George, Damaschke, Flürscheim ou Oppenheimer présentent en effet « l’homme Moïse » (pour citer Sigmund Freud) comme le législateur originel, le grand nomothète à la source d’un courant antique dont les principales étapes sont constamment rappelées, suivant une scansion invariable : un Moïse fortement historicisé à l’origine, puis les grands législateurs-fondateurs grecs que sont Lycurgue pour Sparte et Solon pour Athènes, enfin les Gracques pour Rome.

6Dans le corpus législatif attribué à Moïse, l’accent est mis sur les deux dispositions de l’année sabbatique et du jubilé, telles qu’elles sont présentées au chapitre XXV du Lévitique :

La septième année sera un sabbat, une année de repos pour la terre, un sabbat pour le Seigneur : tu ne sèmeras pas ton champ, tu ne tailleras pas ta vigne, tu ne moissonneras pas ce qui aura poussé tout seul depuis la dernière moisson, tu ne vendangeras pas les grappes de ta vigne en broussaille, ce sera une année sabbatique pour la terre. […] Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants ; ce sera pour vous un jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété et chacun de vous retournera dans son clan.

Pour un auteur sioniste comme Oppenheimer, l’enjeu du procédé est triple. Il s’agit premièrement de récupérer et de revendiquer un patrimoine historico-culturel juif, deuxièmement de proposer la rupture avec les dysfonctionnements de la société moderne, troisièmement de fonder un ordre social réformé et capable de soutenir l’entreprise sioniste de colonisation.

7À partir de 1901, Oppenheimer expose dans la presse sioniste germanophone la contribution qu’il entend apporter au mouvement en qualité de spécialiste en sciences sociales et en économie. Le fil directeur de son discours est la création de conditions économiques saines, viables. Il faudrait pour cela selon lui s’attaquer en priorité à la « question foncière », sur laquelle repose, littéralement, toute installation humaine. Le sol doit devenir à jamais la propriété inaliénable de la collectivité. En formulant cette règle, Oppenheimer recommande en fait l’application sous une forme modernisée des lois agraires de l’ancien Israël telles qu’elles sont énoncées dans le Lévitique, à savoir la redistribution périodique de terres dont le collectif national reste le « propriétaire suprême » (Obereigentümer) :

  • 9 Toutes les citations bibliques sont tirées de la traduction œcuménique de la Bible. Ici Lévitique 2 (...)

La terre du Pays ne sera pas vendue sans retour, car le pays est à moi ; vous n’êtes chez moi que des émigrés et des hôtes ; aussi, dans tout ce pays qui sera le vôtre, vous accorderez le droit de rachat sur les terres. Si ton frère a des dettes et doit vendre une part de sa propriété, celui qui a droit de rachat, c’est-à-dire son plus proche parent, viendra racheter ce que son frère a vendu. Si un homme n’a personne qui ait le droit de rachat, mais que de lui-même il trouve les moyens d’opérer le rachat, il comptera les années écoulées depuis la vente, restituera la différence à son acheteur, puis retournera dans sa propriété. Mais s’il ne trouve pas lui-même les moyens de faire cette restitution, l’objet de la vente restera aux mains de l’acquéreur jusqu’à l’année du jubilé ; il sera libéré au jubilé, et l’homme retournera dans sa propriété.9

Dans la colonisation telle que la conçoit Oppenheimer, chaque colonie possède son terrain et reste libre de l’exploiter comme bon lui semble, mais la collectivité nationale juive et les institutions sionistes qui agissent en son nom gardent un droit de propriété suprême, à travers un droit de préemption sur toute transaction, et peuvent s’opposer à la vente d’un bien foncier. Au niveau individuel, chaque colon n’est que le preneur à bail de sa « coopérative de colonisation », à laquelle il verse un loyer annuel dont le montant est fixé définitivement dès la première annuité. Bien qu’il ne soit techniquement pas propriétaire, le colon est inamovible tant qu’il s’acquitte de ses devoirs envers la collectivité ; il ne tient donc qu’à lui de faire en sorte que son bail ne soit pas rompu. Oppenheimer se dit convaincu qu’une telle organisation offre les meilleures perspectives d’avenir à la colonisation juive :

  • 10 Franz Oppenheimer : « Ansiedlung ». In : Jüdische Rundschau 39 (1903), p. 417.

Diese Form des Besitzes, unvollkommen verwirklicht in allen alten Volksrechten, gewährt alle Vorteile des eigenen Bodeneigentums und ist frei von seinen schweren Fehlern. Sie gibt die volle Sicherheit des Besitzes, sie gibt das volle Heimatgefühl und jene unlösbare Verwurzelung mit Boden und Acker, die den Bauer sein Feld pflegen und lieben lässt mit allen Kräften; aber sie schließt aus die Verschuldung des Bodens, die in allen Ländern römischen Rechts dem Bauern die Früchte seines Fleißes nimmt, um sie der Grundrente in den Schoß zu werfen, sie schließt ferner aus die Zersplitterung des Feldlandes hier und die Anhäufung dort, die die Dorfgemeinde feindlich spaltet in eine Aristokratie und in ein Proletariat und damit jene Interessengemeinschaft vernichtet, die allein nach dem Zeugnis der Weltgeschichte unverwundbar machen kann. Sie schließt ferner aus jene Proletarisierung des armen Landvolkes, das massenhaft in die Städte drängt, sie zu moralisch und physisch ungesunden Riesenmassen aufbläst und mit seinem Hungerangebot für Lohnarbeit alle Gräuel des Kapitalismus in die Welt ruft. […] Ein anderes System kann nach meiner Überzeugung der Zionismus gar nicht wählen.10

Insistant lui-même sur son statut de médecin et son approche formée aux méthodes des sciences naturelles, Oppenheimer prend pleinement part à l’organicisme contemporain. Or, il est important de remarquer que, dès lors qu’on considère la société comme un organisme, toute réforme sociale devient aussi réforme de la vie. Pour Oppenheimer, la réforme de la vie, c’est-à-dire des modes de vie et d’organisation sociale, passe nécessairement par une réforme foncière. Les conditions de vie influencent et modifient selon lui le caractère des individus et, quand elles se généralisent et se pérennisent localement, celui de classes ou de peuples tout entiers. L’Amérique offrirait ainsi l’exemple d’une réforme de la vie par la transformation du rapport à la terre. Sur ce point, Oppenheimer traduit et cite le principal ouvrage de Henry George, Progress and Poverty :

  • 11 Franz Oppenheimer : « Die rassentheoretische Geschichtsphilosophie ». In : Gesammelte Schriften. Ba (...)

Die allgemeine Intelligenz, der weitverbreitete Komfort, der tätige Erfindungsgeist, die Fähigkeit der Anpassung und Assimilation, der freie unabhängige Geist, die Energie und das Selbstvertrauen, die unser Volk auszeichnen, sind nicht Ursachen, sondern Wirkungen – sie sind aus dem freien Grund und Boden erwachsen. Das öffentliche Gebiet ist die umgestaltete Kraft gewesen, die den schlaffen, Ehrgeiz nicht kennenden europäischen Bauern in den selbstvertrauenden Landmann des Westens gemacht hat […] In Amerika hat es in jedem Fall doch immer noch das Bewußtsein, daß das öffentliche Gebiet hinter ihm liege, und die Kenntnis dieses Umstandes hat in Aktion und Reaktion den ganzen Volkscharakter durchdrungen und demselben Großmut, Unabhängigkeitsgefühl, Elastizität und Ehrgeiz verliehen.11

8Priorité doit donc être donnée à la réorganisation foncière. Il faut revenir, sinon à la lettre, du moins à l’esprit du système qui aurait précédé historiquement – ou méthodologiquement, j’y reviendrai – l’organisation de l’humanité en états : dans l’idée qu’Oppenheimer s’en fait, le sol y était alors la propriété commune du peuple, l’individu n’en était que le bénéficiaire ou l’usufruitier, son droit à la terre restant inaliénable tant qu’il faisait l’effort de la cultiver. La « coopérative de colonisation » remet aussi en question la dichotomie classique entre ville et campagne, urbain et rural, puisqu’Oppenheimer expose une sorte de résolution dialectique et diachronique de l’antithèse en affirmant qu’il faut d’abord « créer des paysans pour créer des villes », reprenant ainsi un thème majeur de la physiocratie.

  • 12 Cf. Raymond Aron : La sociologie allemande contemporaine [1935]. Paris 20075, p. 45‑52. L’historiog (...)

9Cette thèse s’inscrit pleinement dans le courant identifié par Raymond Aron (1905-1983) comme la « sociologie historique » allemande, dont les plus illustres représentants ont été Max Weber (1864-1920) et Werner Sombart (1863-1941), et qui se caractérise par une réflexion sur les racines de la modernité, sur les origines de l’État et du capitalisme12. Dans l’œuvre d’Oppenheimer, le texte le plus emblématique de ce courant est certainement son essai Der Staat, paru pour la première fois en 1907 dans une collection de l’éditeur francfortois Rütten & Loening baptisée « Die Gesellschaft » et dirigée par Martin Buber (1878-1965), grande figure intellectuelle du sionisme, et traduit dès 1913 en français sous le titre L’État. Ses origines, son évolution et son avenir.

La possession à bail et la coopérative comme expressions du « moyen économique »

  • 13 Cf. Werner Onken : Bodenrechtsreform. Die Erde als gemeinsames Gut aller Menschen. Discussion Paper (...)

10Parmi la variété des propositions en matière de réforme foncière, les travaux de l’historien de l’économie Werner Onken permettent de définir trois types principaux13. Premièrement, celles qui admettent dans son principe la propriété foncière privée et veulent taxer les plus-values, afin qu’elles bénéficient à la collectivité. C’est le cas des propositions d’Adolf Damaschke, par exemple. Deuxièmement, celles qui entendent socialiser ou collectiviser la terre pour accorder ensuite des droits payants à son usage privé, une telle approche ayant été défendue notamment par Michael Flürscheim. Troisièmement, enfin, celles qui prennent le parti d’aborder le problème « par en bas » et réclament la généralisation de l’organisation coopérative. C’est à ce dernier type qu’appartient la « coopérative de colonisation » prônée par Oppenheimer. Celui-ci se montre très confiant dans l’épanouissement de ce système : la seule intervention nécessaire de la puissance publique consisterait à modifier la législation foncière, elle pourrait ensuite se retirer et « laisser faire ».

11La marge de manœuvre et d’initiative qu’Oppenheimer souhaite laisser au colon membre de la coopérative, possédant son bien sans en être pleinement propriétaire, a une valeur à la fois économique et pédagogique. Économique, puisque la participation aux bénéfices de la société coopérative et la rémunération en fonction de la performance, en complément d’un revenu minimal garanti, sont censées conserver intacte la motivation et susciter une saine émulation entre les individus. Pédagogique, dans la mesure où la marge d’initiative maintient aussi la possibilité d’un apprentissage et d’une amélioration par essais et erreurs (trial and error).

12La seule interdiction absolue concernant l’organisation de la colonie, que ce soit dans le cadre de la colonisation juive en Palestine ou ailleurs, porte sur l’éventuel passage au régime de la propriété privée selon le droit romain. C’est cela qui fonde l’importance capitale de la possession à bail et de sa forme. Oppenheimer parle d’« Erbpacht », soit un bail emphytéotique transmissible aux héritiers, accordant des droits de jouissance étendus sur un bien foncier : travaux et aménagements sont autorisés, à condition qu’ils ne diminuent pas la valeur du bien. En contrepartie de ces conditions avantageuses, le bailleur – la société coopérative – est en droit de conserver le tout à l’expiration du bail, sans avoir à verser d’indemnités.

13Au niveau conceptuel, la notion de Genossenschaft (« coopérative », « coopération ») forme chez Oppenheimer une paire d’antonymes avec celle de Herrschaft (« domination »). Pour reprendre les termes du titre de la toute récente republication d’Oppenheimer en français, la Genossenschaft est l’expression du « moyen économique », tandis que la Herrschaft est l’expression du « moyen politique » ; elle est toujours aussi Klassenherrschaft, « domination de classe ». Le « moyen économique » se fonde sur le libre jeu de l’échange et la réciprocité, le « moyen politique » s’impose par la conquête et la contrainte. L’économie existante, celle qui prévaut dans les sociétés humaines, est une économie « politique », structurée par des rapports de forces. L’économie « pure », celle qui reste à réaliser, les ignore.

Terra libera : la question de l’accès à la terre

  • 14 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 137.
  • 15 Theodor Hertzka : Freiland: ein sociales Zukunftsbild. Dresden 1890.

14Un point central dans la théorie d’Oppenheimer est que « là où chacun peut accéder librement à la terre, l’inégalité est impossible » (« Wo jedermann Zugang zu freiem Boden hat, da ist Ungleichheit unmöglich »)14. Sa revendication du libre accès à la terre et à la jouissance individuelle d’un bien foncier est résumée dans l’expression « Freiland » en allemand ou « Terra libera » en latin. Dans un essai de 1895, Freiland in Deutschland, il avait voulu répondre à Theodor Hertzka (1845-1924) et à son best-seller de 1890 : Freiland, ein sociales Zukunftsbild15. Bien qu’Oppenheimer présente l’Autrichien Hertzka comme l’un des auteurs l’ayant amené au « socialisme libéral », il ne partage pas son idée que la « terre libre » ne peut plus être trouvée qu’en dehors de l’Europe, dans les mondes nouveaux et sur les continents « vierges ». Les premières tentatives qu’il entreprend pour mettre en application sa théorie de la colonisation coopérative ont d’ailleurs lieu en Allemagne, avant d’être transposées, avec davantage de succès, en Palestine.

15Outre Hertzka, Oppenheimer invoque aussi Jean-Jacques Rousseau (1712‑1778), Turgot (1727-1781) et Adam Smith (1723-1790). Dans son Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), ce dernier distinguait nettement deux phases, avant et après l’« occupation complète du sol » (Vollbesetzung des Bodens). Avant celle-ci, il ne peut exister de prolétaires ni, par conséquent, de grande propriété foncière ou d’accumulation du capital. Après celle-ci, des classes se forment, les grands propriétaires fonciers apparaissent et, forts de leur position de monopole, exigent une part croissante des revenus du travail, qui jusque-là allaient entièrement au travailleur :

  • 16  Adam Smith : An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. Londres 19045, livre  (...)

The produce of labour constitutes the natural recompense or wages of labour. In that original state of things, which precedes both the appropriation of land and the accumulation of stock, the whole produce of labour belongs to the labourer. He has neither landlord nor master to share with him. […] As soon as land becomes private property, the landlord demands a share of almost all the produce which the labourer can either raise, or collect from it. […] It deserves to be remarked, perhaps, that it is in the progressive state, while the society is advancing to the further acquisition, rather than when it has acquired its full complement of riches, that the condition of the labouring poor, of the great body of the people, seems to be the happiest and the most comfortable. It is hard in the stationary, and miserable in the declining state. The progressive state is in reality the cheerful and the hearty state to all different orders of society. The stationary is dull; the declining melancholy.16

  • 17 Ces cinq stades se distinguent l’un de l’autre par le changement des modes d’appropriation des moye (...)
  • 18 Cf. Karl Marx : Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Hamburg 18904, livre I, chap. 25, p.  (...)

Les considérations de Smith sur les différents « états » par lesquels passent les sociétés s’inscrivent non seulement dans la tradition de la philosophie de l’histoire du xviiie siècle, mais elles fondent aussi une tradition de pensée économique. On retrouve une perspective comparable dans les réflexions plus tardives de Karl Marx (1818-1883), non seulement sur l’évolution historique de l’humanité en cinq stades17, mais également sur la « théorie moderne de la colonisation »18. Marx y décrit la progression d’un état à l’autre jusqu’à une situation de intolérable de saturation. Bien que très critique envers Marx et le marxisme, Oppenheimer cite tout de même – de façon inexacte – un passage de l’ultime chapitre du premier livre du Capital pour affirmer :

  • 19 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 138. Italiques dans l’original.

In den Kolonien wird der Lohnarbeiter von heute morgen [sic] unabhängiger, selbstwirtschaftender Bauer oder Handwerker. Er verschwindet vom Arbeitsmarkt, aber nicht ins Arbeitshaus. Wo jeder Ansiedler ein Stück Boden in sein privates Eigentum und Produktionsmittel verwandeln kann, ohne den späteren Pionier an der gleichen Operation zu verhindern, kann es keinen Kapitalismus geben.19

La citation est fidèle à l’esprit, à la substance du texte de Marx, mais pas à la lettre d’aucune des cinq premières éditions du Capital (1867-1903), où l’on lit plutôt :

  • 20 Marx : Das Kapital, p. 732-733.

So lange also der Arbeiter für sich selbst akkumulieren kann, und das kann er, so lange er Eigenthümer seiner Produktionsmittel bleibt, ist die kapitalistische Akkumulation und die kapitalistische Produktionsweise unmöglich. Die dazu unentbehrliche Klasse der Lohnarbeiter fehlt. […] Die Expropriation der Volksmasse von Grund und Boden bildet die Grundlage der kapitalistischen Produktionsweise. Das Wesen der freien Kolonie besteht umgekehrt darin, dass die Masse des Bodens noch Volkseigenthum ist und jeder Ansiedler daher einen Theil davon in sein Privateigenthum und individuelles Produktionsmittel verwandeln kann, ohne den späteren Ansiedler an derselben Operation zu verhindern.20

  • 21 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 138.

Résumant donc plus qu’il ne le cite ce passage de Marx, Oppenheimer écrit par boutade dans ses mémoires que si « le fondateur du socialisme moderne » l’avait pris pour point de départ et fondement de sa réflexion au lieu de le glisser à la toute fin de son livre « comme un drame satyrique après une tragédie », Marx en serait arrivé aux mêmes conclusions que lui, mais bien avant, et Oppenheimer aurait dû alors se chercher une autre vocation que celle de refonder en théorie la science économique21.

  • 22 L’idée que l’augmentation de la population mondiale fait courir un risque du point de vue de la sur (...)
  • 23 Cf. Franz Oppenheimer : Das Bevölkerungsgesetz des T. R. Malthus und der neueren Nationalökonomie. (...)
  • 24 Cf. Karl Polanyi : The Great Transformation. New York 1944. Voir particulièrement le chapitre VI.

16Il est important de noter que la terre est considérée par Oppenheimer comme une ressource illimitée à l’échelle mondiale. Rappelons qu’il écrivait à une époque où la population mondiale n’avait pas encore dépassé la barre des deux milliards. En cela, il s’éloigne de nous et ne peut être regardé comme le contemporain de notre époque inquiète des capacités du « monde fini »22. Pour lui, qui remet en cause la « loi de population » de Thomas Malthus (1766-1834)23, l’augmentation de la population et de sa densité va systématiquement de pair avec une augmentation de la capacité de production et donc de la « capacité d’accueil » en termes démographiques. En conséquence, il n’existe pas de monopole « naturel » de la terre comme il peut en exister pour tous les biens disponibles en quantité limitée. Cette idée d’exclure la terre, en tant que bien foncier, d’un fonctionnement de marché « normal », avec gestion de la rareté, n’est pas sans évoquer les arguments ultérieurs de Karl Polanyi (1886-1964), pour qui, au même titre que le travail et l’argent, la terre ne serait qu’une « marchandise fictive » (fictitious commodity), c’est-à-dire une marchandise qui n’a pas été produite en vue d’être commercialisée. Dans La grande transformation (1944), Polanyi soutient que le grand mensonge de l’économie libérale classique est de postuler que cela ne fait aucune différence24.

  • 25 Les citations de ce paragraphe sont tirées de : Jean de Sismondi : Études sur l’économie politique. (...)

17Parmi les grands auteurs qui l’ont inspiré, Oppenheimer mentionne aussi Jean de Sismondi (1773-1842), homme de lettres genevois et premier défenseur d’une conception de l’économie comme science sociale. De sa lecture des Études sur l’économie politique (1837), Oppenheimer retient surtout, comme chez Marx, la « théorie de la colonisation », qui décrit un modèle de colonie autarcique et à vocation non commerciale, dont le but serait avant tout d’assurer le bien-être et la félicité de ses membres. Il a trouvé dans ce texte de Sismondi sur les « nations naissantes », dont « les fondateurs ont pensé à eux-mêmes, à leurs propres besoins, à leur propre consommation, et non au commerce », un appui pour ses propres idées sur la colonisation juive en Palestine25.

La théorie du monopole

18La théorie économique classique affirme qu’en situation de libre concurrence, les revenus de tous tendent à s’équilibrer. Cependant, un monopole peut se constituer progressivement par l’augmentation et l’accumulation de la plus-value au profit d’un seul individu ou groupe, du fait que, dans la relation commerciale, le besoin d’échanger est plus grand chez ses partenaires que chez lui. Pour Oppenheimer, c’est la classe des capitalistes possédants, prise dans son ensemble, qui se trouve dans une telle situation de monopole vis-à-vis de la classe des travailleurs. La tare fondamentale du droit de propriété issu du droit romain est de permettre la possession de davantage de terres qu’on ne peut en exploiter soi-même ou dans le cadre familial, ce qui revient à permettre la grande propriété. À terme, cela équivaut à la confiscation, au profit d’une minorité, d’un bien initialement présent en abondance, suffisamment pour que chacun en ait sa part. Oppenheimer estime qu’en supprimant un tel droit de propriété privée, on se débarrasserait de la matrice de tous les maux sociaux, car les crises économiques et sociales résultent toutes de cette confiscation monopolistique de la terre qu’il appelle Bodensperre ou Bodensperrung. À cette situation, il oppose à la fois des exemples historiques et un modèle théorique.

  • 26 L’expression (« Wilhelmine reform milieu » en anglais) est empruntée à : Kevin Repp : Reformers, Cr (...)
  • 27 Cf. Adolf Damaschke : Geschichte der Nationalökonomie. Eine erste Einführung. Iéna 1905.
  • 28 Le réformateur Michael Flürscheim écrit à ce propos dans un article publié dans la presse sioniste  (...)

19Parmi les exemples historiques récurrents dans les textes d’Oppenheimer, j’en retiendrai deux. D’abord, il partage avec Damaschke et d’autres personnalités du « milieu réformateur wilhelmien »26 une vision assez idyllique du Moyen Âge germanique entre les xe et xive siècles, sur fond de valorisation de la tradition artisanale allemande27 et du vieux droit coutumier germanique28. Les Siedlungen édifiées par les Allemands au cours du processus relativement pacifique de l’Ostsiedlung apparaissent dans ce contexte comme un exemple de colonies réussies.

  • 29 Cf. Oppenheimer : Bedeutung der Genossenschaft, p. 15‑17. Du même : Die Utopie als Tatsache, p. 5. (...)
  • 30 Cf. Franz Oppenheimer : « Jüdische Siedlungen ». In : Die Welt 50 (1901), p. 4-6, 51 (1901), p. 6-8 (...)

20Ensuite, Oppenheimer s’est inlassablement attaché à exhumer et à mettre en lumière une expérience coopérative réalisée dans les années 1830, dans un comté pauvre d’Irlande. Que ce soit dans des ouvrages généraux de sociologie et d’économie29 ou dans des articles rédigés pour la presse sioniste30, il insiste régulièrement sur le fait que la coopérative de Ralahine, instaurée par un landlord disciple de Robert Owen (1771-1858), représente une application « pure » des principes qu’il voudrait généraliser :

  • 31 Oppenheimer : Bedeutung der Genossenschaft, p. 16.

Ein einziger technisch fast reiner Versuch existirt in der Geschichte. […] Er [John Vandeleur, le landlord] schloss sie [les métayers] zu einer Genossenschaft zusammen, gab ihnen Ralahine in Pacht, mit Gebäuden und Inventar, und versprach, ihnen das Gut zu einem bestimmten Preise zu Eigenthum zu überlassen, sobald sie die Anzahlung aufgespart haben würden. Sie Verwandten erklärten ihn für verrückt und wollten ihn entmündigen. Aber der Erfolg rechtfertigte seine Kühnheit. Das Ergebnis war nach jeder Richtung ein fabelhaftes. Die Leute waren von Stund an wie ausgewechselt.31

  • 32 Ce ne fut véritablement le cas qu’à partir de 1852, avec l’adoption de l’Industrial and Provident S (...)

L’effondrement final de cette coopérative, deux ans à peine après son commencement, n’aurait pas été causé par un défaut intrinsèque, par une « maladie », mais par la faute du landlord, qui a joué et perdu son argent en bourse avant de prendre la fuite devant ses créanciers, lesquels ont ensuite mis la main sur ses biens. Les associations coopératives n’étant à l’époque pas reconnues par le droit britannique32, celle de Ralahine fut dissoute et le domaine vendu aux enchères, pour rapidement retomber dans son lamentable état antérieur. Pour Oppenheimer, cette expérience unique apporte la réfutation empirique de la thèse selon laquelle les hommes ne seraient pas prêts pour la vie sous une forme d’« État libre » (freie Staatsform).

  • 33 Oppenheimer : Der Staat, p. 323.

21Alors que les exemples historiques ont principalement valeur d’illustration et sont censés prouver le caractère réalisable des propositions d’Oppenheimer, le modèle théorique de l’« économie pure » est une fiction méthodologique qui n’a jamais existé sous une forme parfaitement réalisée dans l’histoire – au même titre que l’« état de nature » chez Rousseau ou que l’« homo œconomicus » de l’économie néoclassique (Vilfredo Pareto). Elle consiste à imaginer une société dans le développement de laquelle le « moyen politique » ne serait pas intervenu. La nature fictionnelle d’une telle évolution ne fait aucun doute pour Oppenheimer lui-même, qui écrit : « Wo er die Gelegenheit findet und die Macht besitzt, zieht der Mensch das politische Mittel dem ökonomischen vor »33. Il en déduit que la « loi de l’accumulation primitive » de Marx est fausse : les classes sociales ne se forment pas à partir de relations purement économiques, mais à cause de l’intervention du « moyen politique », en l’occurrence l’introduction de la propriété privée de droit romain, qui permet la « confiscation du sol ». À partir de là, la fiction de l’« économie pure » devient aussi un idéal pratique. En effet, le monopole foncier se fonde sur une institution historique qui peut et doit être abolie, et non sur une loi ou un mécanisme inhérent au fonctionnement de l’économie. Au contraire, le monopole foncier d’une minorité dominante est l’héritage historique de l’assujettissement contraint de la majorité pacifique par une minorité conquérante. Pour Oppenheimer, le pouvoir appartient partout à qui possède la terre. Un peuple possédant sa terre est un peuple libre, autonome au sens étymologique du terme, capable de s’autodéterminer. Ce principe, Oppenheimer lui donne un sens à la fois socialiste – le peuple s’opposant à la classe dominante – et nationaliste, dans le cadre de son engagement sioniste, le peuple étant alors le collectif national juif dont l’autodétermination passe par une double prise de possession : celle du territoire national et, au sein de celui-ci, celle de la terre cultivable, productive.

22Oppenheimer veut donc en finir avec l’exploitation capitaliste en abolissant le système qui permet la grande propriété foncière et en garantissant l’accès de tout un chacun à l’usufruit de la terre. Il tente de subvertir l’économie capitaliste et les institutions qui la protègent, non pas par la prise du pouvoir politique, mais en sapant leurs fondements socio-économiques. La révolution par la force ne doit être qu’un ultime recours pour les peuples, car elle risque toujours de déboucher sur l’imposition du « moyen politique ». La solution pacifique, de beaucoup préférable car elle incarne le « moyen économique », est la diffusion du système coopératif appliqué à des colonies de production agricole. L’objectif d’Oppenheimer, qui peut sembler paradoxal à première vue, est de se débarrasser de la domination capitaliste en parachevant l’économie de marché.

Une postérité éclatée

23Pour résumer, Oppenheimer affirme que la restitution de la « terre libre » doit permettre de supprimer tous les dommages causés par l’économie capitaliste, tout en en conservant et en maximisant les avantages, c’est-à-dire surtout la grande production de richesse. Il dit ne pas vouloir remplacer le système économique existant par un autre, mais amener le système à la réalisation de la concurrence véritablement libre, conçue comme des échanges marchands entre des individus et des associations émancipés de toute domination monopolistique.

24Je voudrais maintenant proposer une typologie de sa réception et de sa postérité, en insistant sur sa dispersion.

  • 34 Pendant 7 semestres sur les 19 semestres qu’il a passés comme professeur à l’université de Frankfur (...)

25J’ai commencé cet article en rappelant que le chancelier Ludwig Erhard avait célébré Oppenheimer, son ancien professeur, comme l’un des maîtres à penser du néolibéralisme, avec Wilhelm Röpke (1899-1966) et Alexander Rüstow (1885-1963), en raison de son combat contre les entraves à la concurrence libre et contre les monopoles. Certes, Oppenheimer a toujours défendu la dimension libérale de sa théorie, mais il a aussi insisté sur le fait qu’elle s’inscrivait dans une tradition socialiste. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’importance de l’histoire du socialisme dans ses cours34 et dans ses livres. Quand on connaît l’hostilité au socialisme de la démocratie chrétienne allemande, la récupération d’Oppenheimer a de quoi surprendre. Surtout, on peut s’étonner de la révérence témoignée à un théoricien favorable à la réforme foncière, et même à la suppression de la propriété privée sous sa forme traditionnelle, de la part d’un parti politique, comme la CDU. En effet, dès la fin des années 1940, les velléités socialisantes exprimées dans certains textes programmatiques – que l’on songe notamment au fameux programme d’Ahlen de 1947 ou aux travaux préparatoires pour les constitutions des Länder – avaient été enterrées, ou du moins réorientées dans une direction plus conservatrice.

  • 35 Cf. Gershon Shafir : Land, Labor, and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 18821914. B (...)
  • 36 Cf. Ilan Troen : « The Transformation of Zionist Planning Policy : from Rural Settlements to an Urb (...)

26Les sionistes d’abord, puis l’historiographie du sionisme et de la genèse de l’État d’Israël, ont considéré Oppenheimer comme l’une des personnalités ayant contribué à poser les fondations de l’organisation coopérative dans les exploitations agricoles, bien que la colonie de Merhavia soit devenue à partir de 1918 un kibboutz collectiviste autogéré, assez éloigné des principes de la « coopérative de colonisation ». Les historiens s’accordent néanmoins à dire qu’il a exercé une grande influence sur les dirigeants sionistes du premier xxe siècle35, en participant à la promotion de ce qu’on a pu appeler l’« utopie physiocratique d’une paysannerie juive en Palestine »36.

27Un premier type se définit donc par la revendication d’Oppenheimer en tant que figure de fondateur, à la fois par les partisans de l’« économie sociale de marché » en République fédérale d’Allemagne et par ceux du système agricole coopératif israélien.

28Le deuxième type, lui, regroupe des interprétations de l’œuvre d’Oppenheimer en fonction de son rapport à l’État, soit par des partisans de sa suppression, qui approuvent sa critique sociohistorique de l’État, soit par des défenseurs de l’État fort qui dénoncent son parti-pris anti-étatiste.

29Oppenheimer a par exemple été durement critiqué par Carl Schmitt (1888‑1985) dans son essai sur La notion de politique (1932), en tant que représentant d’une vision naïve de l’économie et de la société. Schmitt désigne Oppenheimer comme un libéral pur et dur voulant la destruction de l’État et, du point de vue de la méthode, lui reproche le manque de neutralité axiologique de sa définition essentiellement apolitique de la société :

  • 37 On peut considérer l’expression « bewaffneter Bürodiener » comme une allusion de Carl Schmitt au « (...)
  • 38 Carl Schmitt : Der Begriff des Politischen. Munich 1932, p. 63-64.

Als sein Ziel proklamiert Oppenheimer die „Ausrottung des Staates“. Sein Liberalismus ist so radikal, daß er den Staat nicht einmal mehr als bewaffneten Bürodiener37 gelten läßt. Die „Ausrottung“ setzt er nun gleich mittels einer wert- und affektbeladenen Definition ins Werk. […] Die Prädikate aber, durch welche dann das politische und das ökonomische Mittel definiert werden, sind nichts als charakteristische Umschreibungen jenes in der Polarität von Ethik und Ökonomik schwingenden Pathos gegen Politik und Staat und unverschleiert polemische Antithesen, in denen sich das polemische Verhältnis von Staat und Gesellschaft, Politik und Wirtschaft des deutschen 19. Jahrhunderts spiegelt. […] Eine hierarchische Wert-Ordnung des Verhältnisses von Staat und Gesellschaft bleibt bestehen; aber während die von Hegel systematisierte Staatsauffassung des deutschen 19. Jahrhunderts einen hoch über dem „Tierreich“ der „egoistischen“ Gesellschaft stehenden Staat als ein Reich der Sittlichkeit und objektiven Vernunft konstruierte, ist die Wert-Ordnung jetzt umgekehrt, und die Gesellschaft steht als eine Sphäre der friedlichen Gerechtigkeit unendlich höher als der Staat, der zu einer Region gewalttätiger Immoralität degradiert wird. Die Rollen sind vertauscht, die Apotheose ist geblieben. […] Mit Hilfe solcher Definitionen und Konstruktionen, die schließlich alle nur die Polarität von Ethik und Ökonomik umkreisen, kann man Staat und Politik nicht entpolitisieren.38

La critique de Schmitt, qui dénonce l’attribution aussi arbitraire que manichéenne de toutes les qualités à l’économie et de tous les défauts à la politique, vise directement les dernières pages de L’État, dans lesquelles Oppenheimer écrivait :

  • 39 Oppenheimer : Der Staat, p. 382-384.

Der „Staat“ der Zukunft wird die durch Selbstverwaltung geleitete „Gesellschaft“ sein. […] In der „Freibürgerschaft“ wird es keinen „Staat“, nur noch „Gesellschaft“ geben. […] Der Inhalt dieser Gesellschaft ist die „reine Wirtschaft“ des äquivalenten Tausches von Gütern gegen Güter oder von Arbeitskraft gegen Güter – und die politische Form dieser Gesellschaft ist die „Freibürgerschaft“.39

Cet « échange équivalent » qu’Oppenheimer évoque comme une évidence ne va pas de soi selon Schmitt, qui justifie le recours au « moyen politique » pour ceux que les échanges économiques non équivalents et non équitables désavantagent et finissent par opprimer, et fait valoir en outre que tout n’a pas de valeur d’échange. De fait, la théorie d’Oppenheimer semble faire de la société (Gesellschaft) et de l’économie (Wirtschaft) des synonymes et des réalités identiques, du moins dans leurs formes pures encore à venir.

  • 40 <http://www.contrepoints.org>

30Il n’est donc guère surprenant qu’Oppenheimer ait été revendiqué par les courants libéraux et libertaires les plus hostiles à l’État, diamétralement opposés au point de vue de Schmitt. En langue française, on peut s’en rendre compte sur les sites internet de la <galaxie Liberaux.org>, notamment le site d’information <Contrepoints.org>, qui se réclame du « nivellement par le haut »40 et appelle à la réduction de l’État. Ce courant est encore plus puissant outre-Atlantique. L’un de ses principaux représentants, Murray S. Rothbard (1926-1995), utilise par exemple les travaux d’Oppenheimer sur l’État pour faire, sur le site internet du Ludwig von Mises Institute, une critique radicale des thèses de Polanyi sur l’histoire de l’économie :

  • 41 Cf. Murray S. Rothbard : « Down with Primitivism ». <http://mises.org/daily/1607> « Franz Oppenheimer, dans son ouvrage brillant</http> (...)

Franz Oppenheimer, in his brilliant work, The State, put it very well: there are two possible roads to wealth, he wrote: one is by producing, by transforming matter with personal energy, and then exchanging this produce with the produce of another. This, he termed the “economic means.” Another road is to wait until someone else has produced wealth, and then to seize it by force and violence. This he called the “political means.” Which method is “social,” and which is profoundly and disruptively anti-social, should be easy to see. Karl Polanyi, in claiming to save society from the market, is in the process of destroying society itself by destroying the market. Polanyi’s work is an apotheosis of the political means.41

  • 42 Cf. Kenneth C. Wenzer : An Anthology of Single Tax thought. Rochester (NY) 1997.

Enfin, Oppenheimer est aussi utilisé comme une référence par le mouvement « georgiste » américain, défendant l’idée que les biens produits par l’activité humaine devraient appartenir également à tous et prônant un « individualisme coopératif »42. Cette manière de voir est diffusée notamment par la Robert Schalkenbach Foundation, une organisation créée en 1925 pour diffuser et promouvoir la pensée de Henry George.

31Pour résumer ce deuxième type en une formule, on pourrait dire qu’il correspond à une lecture sous l’angle du problème de la liberté, par des gens qui ne s’intéressent pas, ou presque, à ce qu’Oppenheimer dit de l’égalité.

  • 43 Cf. <http://sozialoekonomie-online.de> et plus spécialement : Elisabeth Meyer-Renschhausen : « Bodenrechtsreform – Von den Anfängen b</http> (...)
  • 44 Cf. Rita Kindler : Bodeneigentum – Bodenspekulation – Landschaftsfraß. Beiträge zur Umweltpolitik 1 (...)

32Enfin, il existe un troisième type, correspondant à une réception par des courants politiques se réclamant de la gauche, anticapitalistes, altermondialistes, et qui veulent changer le fonctionnement de l’économie pour rendre plus équitables la société et le partage des richesses. On retrouve par exemple la référence à Oppenheimer dans la Zeitschrift für Sozialökonomie, une revue allemande existant depuis 1964 et dont l’un des buts affichés est la remise en cause des postulats de l’« économie sociale de marché », jugés responsables d’une répartition inéquitable des richesses parce qu’ils maintiennent l’« économie de marché » sous l’emprise de la domination capitaliste43. Dans un registre relativement voisin, les Beiträge zur Umweltpolitik éditée sous l’égide du Linkspartei.PDS s’appuient également sur Oppenheimer pour réfléchir à des alternatives à la propriété foncière traditionnelle, à la spéculation foncière et à la destruction des paysages que celles-ci causeraient44. Oppenheimer est alors lu sous l’angle de l’égalité par des gens qui s’intéressent relativement peu à ce qu’il dit de la liberté.

  • 45 Cité dans : Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 137. La phrase est tirée des Maximes et réflexions (...)

33On aboutit finalement à un constat assez triste pour celui dont l’ambition explicite en tant que « socialiste libéral » était de faire mentir Goethe, qui avait dit : « Wer Freiheit und Gleichheit zusammen verspricht, ist ein Phantast oder Scharlatan »45. En effet, quand un auteur comme Oppenheimer est revendiqué comme une référence par des partis opposés, on peut être tenté au premier abord d’y voir un signe de réussite, alors que cela indique plus vraisemblablement qu’il a échoué, dans son ambition intellectuelle de parvenir à la synthèse du « socialisme libéral », à faire émerger un parti qui soit simplement le sien. Cela signifie bien souvent qu’il est utilisé « à la carte », sa pensée étant alors dépecée et perdant toute sa cohérence interne.

  • 46 Aron : La sociologie allemande, p. 52.

34Dans sa présentation de la sociologie allemande du premier xxe siècle, Raymond Aron disait d’Oppenheimer qu’il était « difficile à juger en quelques mots »46. J’espère tout de même être parvenu à exposer clairement ses thèses sur la réforme foncière comme instrument et condition de la rénovation de la société. En la matière, il est allé plus loin que beaucoup de ses compatriotes et collègues, qui généralement ne demandaient pas la suppression du régime de la propriété foncière privée individuelle, et se contentaient de réclamer l’intervention de la puissance publique pour briser les monopoles des classes possédantes, au motif qu’elles finiraient par mener une existence parasitaire. Pour autant, il a toujours revendiqué une identité réformatrice, et non révolutionnaire, assez proche du courant de la social-démocratie allemande baptisé « révisionnisme » et dont le chef de file était Eduard Bernstein (1850‑1932). Avant toute chose, Oppenheimer se voulait scientifique, et nous avons pu voir qu’il s’efforçait d’ancrer son propos dans une tradition intellectuelle aussi incontestable que possible, tout en insistant sur sa formation aux sciences naturelles pour arguer de sa rigueur méthodologique.

35Ce qu’il propose est une conception alternative de l’organisation sociale. Il est à la recherche d’un système qui serait à la fois équilibré socialement et prospère économiquement. Son « alternativité » consiste alors à repenser les catégories et les classifications ordinaires, et à revoir le tracé des lignes de clivage qui nous sont devenues familières : Oppenheimer défend le libéralisme tout en reprenant à son compte le paradigme marxiste de la lutte des classes pour expliquer que tous les déséquilibres proviennent de la confiscation monopolistique de la terre, permis par le droit à la propriété privée dans sa forme traditionnelle. Le « socialisme libéral » d’Oppenheimer s’inscrit dans une réflexion sur le dépassement des antagonismes et des antinomies, dans une philosophie de l’histoire qui décrit de manière idéal-typique le cheminement vers une résolution dialectique de l’État : la forme de l’État constitutionnel demeurerait, mais les rapports de domination et d’exploitation auraient été remplacés par l’avènement d’une société des hommes libres et égaux, qu’il appelle Freibürgerschaft. Ce serait la victoire du moyen économique sur le moyen politique. En ce sens, la réforme économique et juridique qu’Oppenheimer a défendue, y compris dans le cadre de son engagement sioniste, est continuation et application de la réflexion théorique. Lui-même aimait d’ailleurs à répéter cet adage optimiste : « Nichts ist praktischer als die Theorie ».

Haut de page

Notes

1 Franz Oppenheimer : Lebenserinnerungen. Erlebtes, Erstrebtes, Erreichtes. Berlin 1931, rééd. Düsseldorf 1964.

2 Franz Oppenheimer : Moyens économiques contre moyens politiques. Paris 2013 (traduit de l’allemand par M. W. Horn et H. Stelz). Originaux : Der Staat. Frankfurt am Main 1907 et Theorie der reinen und politischen Ökonomie. Iéna 1910. Seule la première de ces deux œuvres est proposée en traduction intégrale.

3 Franz Oppenheimer : Ein Weg zur Liebe. Berlin 1888. Du même : Föhn. Berlin 1893. Du même : Die Ferienwanderung. Berlin 1894.

4 Franz Oppenheimer : Die Siedlungsgenossenschaft. Versuch einer positiven Überwindung des Kommunismus durch Lösung des Genossenschaftsproblems und der Agrarfrage. Leipzig 1896.

5 Franz Oppenheimer : Die soziale Bedeutung der Genossenschaft. Berlin 1899.

6 Oppenheimer lui-même se souvient avoir rencontré le sionisme en 1902, mais ses premiers articles sur la colonisation juive en Palestine sont parus dans la presse sioniste dès 1901. Cf. Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 210.

7 Cf. Jehuda Reinharz : Dokumente zur Geschichte des deutschen Zionismus, 18821933. Tübingen 1981, p. 129-142. Yehuda Eloni : Zionismus in Deutschland. Von den Anfängen bis 1914. Gerlingen 1987, chap. VIII : « Die Wendung zum Radikalismus », p. 250-312.

8 Cf. Olivier Baisez : Le discours de la méthode. La conception par les sionistes allemands de la colonisation juive en Palestine (1896-1919). Thèse de doctorat sous la direction de Daniel Azuélos et Horst Möller, soutenue à l’université d’Amiens le 20 novembre 2012.

9 Toutes les citations bibliques sont tirées de la traduction œcuménique de la Bible. Ici Lévitique 25, 4-5 et 10 puis Lévitique 25, 23-28.

10 Franz Oppenheimer : « Ansiedlung ». In : Jüdische Rundschau 39 (1903), p. 417.

11 Franz Oppenheimer : « Die rassentheoretische Geschichtsphilosophie ». In : Gesammelte Schriften. Band II : Politische Schriften. Berlin 1996, p. 406. Le passage cité se trouve dans : Henry George : Progress and Poverty. Cincinnati 1905, p. 387‑388.

12 Cf. Raymond Aron : La sociologie allemande contemporaine [1935]. Paris 20075, p. 45‑52. L’historiographie allemande parle parfois d’une « Weimarer historische Soziologie » dont les fondateurs seraient les frères Max et Alfred Weber, Werner Sombart et Franz Oppenheimer, cf. Volker Kruse : « Von der historischen Nationalökonomie zur historischen Soziologie. Ein Paradigmenwechsel in den deutschen Sozialwissenschaften um 1900 ». In : Zeitschrift für Soziologie 3 (1990), p. 149-165.

13 Cf. Werner Onken : Bodenrechtsreform. Die Erde als gemeinsames Gut aller Menschen. Discussion Paper 2 der Sozialwissenschaftlichen Gesellschaft 1950 e.V. <http://www.sozialwissenschaftliche-gesellschaft.de>

14 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 137.

15 Theodor Hertzka : Freiland: ein sociales Zukunftsbild. Dresden 1890.

16  Adam Smith : An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. Londres 19045, livre I, chap. 8, § 1-2, § 6, § 42 : « Le produit du travail constitue la récompense naturelle du travail ou son salaire naturel. Dans cet état primitif des choses qui précède à la fois l’appropriation de la terre et l’accumulation des fonds, le produit du travail tout entier appartient au travailleur. Il n’a ni propriétaire foncier ni maître pour partager avec lui. […] Dès que la terre devient propriété privée, le propriétaire foncier exige une part de presque tout le produit que le travailleur peut y faire pousser ou y recueillir. […] Il convient peut-être d’observer que c’est dans l’état progressif, tandis que la société va progressant vers l’acquisition nouvelle, plutôt que quand elle est parvenue au comble de ses richesses, que la condition des pauvres laborieux, de la très grande majorité des gens, semble être la plus heureuse et la plus aisée. Elle est dure dans l’état stationnaire, et misérable dans l’état déclinant. L’état progressif est en réalité pour tous les différents ordres de la société l’état jovial et cordial. L’état stationnaire est morne ; l’état déclinant, mélancolie. » (Traduit de l’anglais par Paulette Taieb. Paris 1995, p. 75-76, p. 94-95. Voir aussi livre I, chap. IX, § 14).

17 Ces cinq stades se distinguent l’un de l’autre par le changement des modes d’appropriation des moyens de production : 1) communisme primitif, 2) sociétés esclavagistes, 3) féodalisme, 4) capitalisme bourgeois, 5) communisme.

18 Cf. Karl Marx : Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie. Hamburg 18904, livre I, chap. 25, p. 729-739.

19 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 138. Italiques dans l’original.

20 Marx : Das Kapital, p. 732-733.

21 Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 138.

22 L’idée que l’augmentation de la population mondiale fait courir un risque du point de vue de la survie de l’espèce humaine et la notion d’« explosion démographique » datent des années 1950 et 1960. L’ouvrage fondateur en la matière est celui de Paul R. Ehrlich : The Population Bomb. New York 1968.

23 Cf. Franz Oppenheimer : Das Bevölkerungsgesetz des T. R. Malthus und der neueren Nationalökonomie. Berlin / Bern 1901.

24 Cf. Karl Polanyi : The Great Transformation. New York 1944. Voir particulièrement le chapitre VI.

25 Les citations de ce paragraphe sont tirées de : Jean de Sismondi : Études sur l’économie politique. Paris 1837, p. 353.

26 L’expression (« Wilhelmine reform milieu » en anglais) est empruntée à : Kevin Repp : Reformers, Critics, and the Paths of German Modernity. Anti-politics and the Search for Social Alternatives, 1890-1914. Cambridge (Mass.) 2000.

27 Cf. Adolf Damaschke : Geschichte der Nationalökonomie. Eine erste Einführung. Iéna 1905.

28 Le réformateur Michael Flürscheim écrit à ce propos dans un article publié dans la presse sioniste : « Der verhängnisvolle Fehler der germanischen Länder, ihr gutes altes deutsches Recht mit dem der corrupten Periode Roms entstammenden römischen Sachrecht zu vertauschen, ist eine der wichtigsten Ursachen unserer Socialzustände ». Michael Flürscheim : « Socialreformen für Neu-Zion ». In : Die Welt 26 (1897), p. 2.

29 Cf. Oppenheimer : Bedeutung der Genossenschaft, p. 15‑17. Du même : Die Utopie als Tatsache, p. 5. Du même : Erlebtes, Erstrebtes, Erreichtes. Lebenserinnerungen, p. 157-158. Du même : Weder so – noch so. Der Dritte Weg, p. 119-120.

30 Cf. Franz Oppenheimer : « Jüdische Siedlungen ». In : Die Welt 50 (1901), p. 4-6, 51 (1901), p. 6-8, 52 (1901), p. 6-7 et 4 (1902), p. 4-6. Du même : « Die Ansiedlung eines Volkes ». In : Die Welt 52 (1903), p. 5-10. Du même : « Harmonische und disharmonische Genossenschaften ». In : Altneuland 2 (1904), p. 33-39, 3 (1904), p. 76‑82 et 7 (1904), p. 199-208. Du même : « Die Gewinnbeteiligung im landwirtschaftlichen Betriebe ». In : Altneuland 11 (1904), p. 321-326 et 12 (1904), p. 365-374.

31 Oppenheimer : Bedeutung der Genossenschaft, p. 16.

32 Ce ne fut véritablement le cas qu’à partir de 1852, avec l’adoption de l’Industrial and Provident Societies’ Act, dite aussi « Slaney’s Act ». Cf. John Wilson / Anthony Webster / Rachel Vorberg-Rugh (éd.) : Building co-operation. A business history of The Co-operative Group, 1862-2013. Oxford 2013, p. 47.

33 Oppenheimer : Der Staat, p. 323.

34 Pendant 7 semestres sur les 19 semestres qu’il a passés comme professeur à l’université de Frankfurt am Main (1919-1929), Oppenheimer a proposé des cours sur l’histoire du socialisme. Ceux-ci viennent s’ajouter aux cours plus généraux sur l’histoire de l’économie, dans lesquels il était évidemment question aussi du socialisme.

35 Cf. Gershon Shafir : Land, Labor, and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 18821914. Berkeley 1996, p. 151.

36 Cf. Ilan Troen : « The Transformation of Zionist Planning Policy : from Rural Settlements to an Urban Network ». In : Planning Perspectives 3 (1988), p. 3.

37 On peut considérer l’expression « bewaffneter Bürodiener » comme une allusion de Carl Schmitt au « Nachtwächterstaat » de Ferdinand Lassalle. Celui-ci critiquait les libéraux partisans du laisser-faire, réclamant que l’État s’abstienne de toute intervention dans l’économie, en attaquant leur idée d’un État simple « veilleur de nuit ».

38 Carl Schmitt : Der Begriff des Politischen. Munich 1932, p. 63-64.

39 Oppenheimer : Der Staat, p. 382-384.

40 <http://www.contrepoints.org>

41 Cf. Murray S. Rothbard : « Down with Primitivism ». <http://mises.org/daily/1607> « Franz Oppenheimer, dans son ouvrage brillant sur L’État, l’a très bien formulé : il y a deux manières possibles d’atteindre la richesse, écrit-il : la première est de produire, de transformer la matière par son énergie personnelle, puis d’échanger ce produit avec le produit d’un autre. C’est ce qu’il appelait le ‘moyen économique’. Une autre manière est d’attendre que quelqu’un ait produit de la richesse, puis de s’en emparer par la force et la violence. C’est ce qu’il appelait le ‘moyen politique’. Il ne devrait pas être difficile de voir laquelle de ces deux méthodes est ‘sociale’ et laquelle est profondément antisociale et perturbatrice. En prétendant sauver du marché la société, Polanyi est en train de détruire la société elle-même en détruisant le marché. L’œuvre de Polanyi est une apothéose du moyen politique. » (C’est moi qui traduis.)

42 Cf. Kenneth C. Wenzer : An Anthology of Single Tax thought. Rochester (NY) 1997.

43 Cf. <http://sozialoekonomie-online.de> et plus spécialement : Elisabeth Meyer-Renschhausen : « Bodenrechtsreform – Von den Anfängen bis zur Gegenwart ». In : Zeitschrift für Sozialökonomie 120 (1999), p. 3-9.

44 Cf. Rita Kindler : Bodeneigentum – Bodenspekulation – Landschaftsfraß. Beiträge zur Umweltpolitik 1 (2006).

45 Cité dans : Oppenheimer : Lebenserinnerungen, p. 137. La phrase est tirée des Maximes et réflexions de Goethe, publiées de façon posthume en 1833. Oppenheimer ne cite pas exactement le texte de Goethe : « Gesetzgeber oder Revolutionärs, die Gleichsein und Freiheit zugleich versprechen, sind Phantasten oder Charlatans ».

46 Aron : La sociologie allemande, p. 52.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Baisez, « Réforme foncière, réforme de la vie : Franz Oppenheimer dans le mouvement sioniste allemand et au-delà »Recherches germaniques, HS 11 | 2016, 109-127.

Référence électronique

Olivier Baisez, « Réforme foncière, réforme de la vie : Franz Oppenheimer dans le mouvement sioniste allemand et au-delà »Recherches germaniques [En ligne], HS 11 | 2016, mis en ligne le 05 février 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rg/848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rg.848

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search