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Recensions

Gérard Raulet : Politik des Ornaments

Sonia Goldblum
p. 155-158
Référence(s) :

Gérard Raulet : Politik des Ornaments. Münster, Westfälisches Dampfboot, 2021, 286 p., ISBN : 978-3-89691-054-7.

Texte intégral

1Le titre de ce recueil d’articles, Politik des Ornaments, rend bien compte de l’intention de son auteur. En effet, à travers un parcours en quinze chapitres, ce dernier nous propose d’explorer les liens complexes et parfois conflictuels que tissent esthétique et politique. Les articles dont se compose ce recueil ont tous fait l’objet d’une publication antérieure dans des ouvrages collectifs ou dans des revues entre 1989 et 2016, sauf le bref essai inclassable, intitulé « Proleten im Himmel », écrit en 2018, mais dont il s’agit de la première publication. Ces articles sont précédés d’une introduction substantielle qui en dévoile l’articulation interne et montre la direction que Gérard Raulet souhaite donner à la démonstration. Le titre choisi est une forme de clin d’œil au recueil d’essais de Siegfried Kracauer intitulé Das Ornament der Masse, paru en 1963, chez l’éditeur Suhrkamp et dont Raulet adopte la posture critique. De l’essai éponyme de 1927, Raulet reprend la dimension de critique de la modernité, à cette différence près que Kracauer se livrait à une critique de la culture de masse, alors que Raulet consacre une partie de ses réflexions aux ambiguïtés et aux dérives de l’individualisme propre à notre époque et à sa société atomisée (« zersplittert », p. 19).

2Le postulat de l’auteur est exprimé dans une introduction qui se présente comme une analyse des linéaments de la question de la représentation. Dans ce texte dense, Gérard Raulet explore les tensions entre représentation et représentativité qui dessinent la frontière entre ordre politique et ordre esthétique. Selon l’auteur, les « formes esthétiques et symboliques donnent son sens à l’ordre politique », ce qui implique la réciproque, à savoir que « l’ordre politique est toujours ancré dans un ordre symbolique » (p. 8-9 : « Wenn es die symbolischen und ästhetischen Formen sind, die einer politischen Ordnung Sinn und Bedeutung geben, so impliziert das umgekehrt, dass politische Ordnung stets in eine symbolische Ordnung eingebettet ist »). L’ouvrage se présente d’emblée comme une histoire de l’idée de représentation et des formes qui lui sont associées – on évoquera notamment l’allégorie – ainsi que des termes qui disent et analysent les représentations et notamment la représentation du souverain. Le postulat des analyses présentées dans l’ouvrage est donc que ces termes et ces formes, qu’elles soient picturales, matérielles ou langagières, donnent des indications précieuses sur les rapports entre le peuple et le souverain et qu’elles s’ancrent profondément dans des relations de pouvoir.

3L’ouvrage se caractérise par une construction chronologique, qui relie l’histoire de l’ornement à une histoire de la représentation entre l’Antiquité et l’époque postmoderne. Cette chronologie s’articule en trois blocs : le premier réserve une place de choix aux développements théoriques du xviiie siècle dont traitent les huit premiers articles faisant la part belle notamment à Lessing, à Winkelmann ou à Herder et Novalis. Ils permettent de comprendre le lien entre certaines formes esthétiques et le champ politique, à travers une étude serrée des évolutions de la rhétorique depuis l’Antiquité (chap. 1) ou de l’usage de la fable par les auteurs des Lumières (chap. 2). Le cinquième chapitre est consacré à Goethe et à son rapport à l’Antiquité, analysé au prisme de ses écrits sur l’art.

4Le passage à la modernité est assuré dans le livre par l’essai intitulé « Proleten im Himmel » (chap. 10) que, dans son introduction, Raulet définit comme une « sorte de farce » (« eine Art von Posse », p. 24). La toile de Hans Canon qui sert de pré-texte aux développements de Raulet s’intitule « Allégorie de la construction ferroviaire » (« Allegorie des Eisenbahnbaus », 1876, p. 203). Le titre de l’article est un clin d’œil et rebaptise le tableau de Canon en référence à la deuxième scène du premier Faust de Goethe (Prolog im Himmel), en pointant le caractère incongru de ces putti tout droit venus de l’art baroque pour devenir travailleurs du rail. Raulet les relit au prisme d’une association entre le Baroque et le « triomphe de la culture matérielle au xixe siècle » (« Siegeszug der materiellen Zivilisation im 19. Jahrhundert », p. 206), empruntée à Walter Benjamin, et conclut son interprétation par une lecture du tableau comme une « fantaisie maçonnique » (« eine freimaurische Fantasie », p. 211). Benjamin fait l’objet de l’article suivant (chap. 11), consacré explicitement à la « dialectique de l’ornement » qui constitue le fil directeur de l’ouvrage. Raulet voit dans cette dernière la clé de voûte de Paris, capitale du xixe siècle et fait le lien entre le traitement auquel Benjamin soumet l’ornement et la manière dont il aborde la question de l’historicisme. Ces deux questions sont également centrales pour l’approche de Raulet qui, dans l’ensemble du livre, tout comme les angelots baroques posant une ligne de chemin de fer du xixe siècle, fait se rencontrer et s’entrechoquer les époques pour laisser émerger des significations et des problématiques porteuses d’éclairages nouveaux. Cette démarche, justement empruntée à Benjamin, fait sortir le propos d’une linéarité chronologique auquel le livre semble sacrifier, si l’on s’en tient à sa table des matières, mais qu’il n’a de cesse d’interroger par la rencontre entre les auteurs et les domaines de la pensée, de l’art et de la représentation, qu’il met en dialogue. Et c’est précisément ce que donnent à voir à la fois les angelots de l’essai « Proleten im Himmel » et la référence à Benjamin qui en accompagne la lecture. Il s’agit bien, également, de convoquer les auteurs qui ont pensé la représentation et ses formes pathologiques (dont il est question dans le dernier essai du recueil) pour nous aider à penser la crise de la représentativité que l’auteur diagnostique en introduction et qui caractérise selon lui notre époque.

5Le chapitre 13 éclaire l’objet central du livre, à savoir l’ornement, en liant explicitement la question de l’allégorie à celle de la postmodernité par le prisme de l’architecture contemporaine et de sa recherche de nouvelles formes d’expressivité, qu’elle trouve dans le dialogue avec les époques antérieures.

6Dans le dernier article du recueil, il interprète les pathologies liées à l’individualisme postmoderne à partir des catégories développées par le sociologue Georg Simmel au tournant du xxe siècle, ce qui lui permet d’aborder la question du comédien et des rôles sociaux (p. 274-275). Ce dernier article donne à voir, en plus de l’approche chronologique et de la rencontre des strates temporelles déjà évoquées, la structure cyclique de l’ouvrage qui évoque en introduction la « fragmentation de la société » (« Zersplitterung der Gesellschaft ») (p. 19) et l’individualisme tous azimuts qui a remplacé la relation ami/ennemi structurante depuis Carl Schmitt (p. 18) et se termine par une réflexion sur l’incapacité des réseaux sociaux à répondre par la technique à la crise d’un individu qui, croyant s’adresser à tous, est renvoyé en dernière analyse à son narcissisme.

7L’ouvrage présente à la fois une argumentation serrée qui tisse et dénoue les liens entre esthétique et politique à travers trois siècles de philosophie et de théorie, mais aussi un aperçu précis des thématiques et des approches chères à l’historien des idées Gérard Raulet, telles que les rapports entre politique et esthétique. Les penseurs qui lui sont chers, on évoquera notamment Walter Benjamin, Ernst Bloch ou Jürgen Habermas, sont régulièrement convoqués par l’auteur et lui servent pour ainsi dire de compagnons de lecture, lui permettant de faire le lien entre les époques et de mettre la pensée de la modernité à l’épreuve de théories plus anciennes.

8Étant donné la richesse des références mises en œuvre, on peut se permettre de déplorer l’absence d’un index des noms de personnes et d’une bibliographie qui auraient permis de faire des recherches ciblées au sein de l’ouvrage et d’en mettre en valeur la richesse documentaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sonia Goldblum, « Gérard Raulet : Politik des Ornaments »Recherches germaniques, 52 | 2022, 155-158.

Référence électronique

Sonia Goldblum, « Gérard Raulet : Politik des Ornaments »Recherches germaniques [En ligne], 52 | 2022, mis en ligne le 12 décembre 2022, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rg/8692 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rg.8692

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Auteur

Sonia Goldblum

Maîtresse de conférences en études germaniques
Unité de recherche « Mondes germaniques et nord-européens »
Université de Haute-Alsace
sonia.goldblum-krause[at]uha.fr

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