• 1 Chadefaud, M. 1988.- Aux origines du tourisme dans les pays de l'Adour, du mythe à l'espace. Un ess (...)
• 2 Voir notamment sa thèse : Chamonix-Mont-Blanc : les coulisses de l’aménagement, Grenoble, Presses u (...)

1Un nouvel ouvrage s’invite dans la géographie des espaces de nature et de montagne et plus particulièrement dans l’analyse des liens entre tourisme et construction sociale des territoires, des lieux ou des hauts lieux de montagne. André Suchet de l’université de Bordeaux et du LACES-MSHA, largement inspiré par le contenu de son doctorat en géographie soutenu antérieurement à l’Université de Grenoble dans le cadre de l’IGA et de l’UMR PACTE, signe là un ouvrage de 180 pages denses, cartographié et illustré en couleur et de très bonne facture éditoriale. Intitulé « Montagnes et tourisme : Essai sur la concurrence des territoires des Alpes du nord aux Pyrénées centrales » l’ouvrage se présente comme un apport à la géographie historique, sociale et culturelle. En étudiant la concurrence des destinations entre les Alpes et les Pyrénées principalement au cours du xix^e et du xx^e siècle, l’auteur démontre les rapports complexes du matériel et de l’idéel dans la formation des produits touristiques. On le sait depuis l’œuvre posthume de Michel Chadefaud1, et Bernard Debarbieux de Grenoble et Genève en illustre déjà solidement le principe2, le déterminisme géographique fondé sur la description des lieux (les Alpes sont plus hautes, plus grandes, plus majestueuses que les Pyrénées), ne résiste pas à l’analyse, mais André Suchet le redémontre avec force dans un essai original. Si plusieurs chapitres revisitent des données empiriques concernant les Alpes du Nord et les Pyrénées souvent déjà connues, en particulier à travers les travaux communiqués dans le Journal of Alpine Research / Revue de géographie alpine qu’il cite abondamment, les fondements théoriques retiennent l’attention. C’est ainsi en empruntant aux atouts de la géographie constructiviste que l’auteur explique ce qui se joue vraiment dans la concurrence des territoires.

• 3 Voir notamment à ce sujet leur débat antérieur : Clivaz, C., Nahrath, S. & Stock, M., 2011.- « Le d (...)
• 4 Chadefaud, M. Idem.
• 5 Augustin, J.-P. & Greffier, L. (dir.), 2010.- Destinations touristiques et attractivités résidentie (...)

2Il met en tension dans l’espace plusieurs apports sociologiques avec finesse de détail et discute avec Mathis Stock le principe de champ touristique ou de champs multiples du tourisme3 puis dans le sillage du groupe de recherche fondé par Remy Knafou à l’université Paris 7 et désormais très actif à l’UFR ESTHUA d’Angers, André Suchet défend le principe de diachronie des produits touristiques de Michel Chadefaud4 en s’opposant aux auteurs anglo-saxons et cette notion si connue de cycle de vie des destinations touristiques. Il faut dire que sur le littoral ces mêmes questions se posent5, et c’est ce qui fait l’ampleur de son travail.

• 6 On pense notamment aux travaux de Y. Raibaud.

3La préface de Guy Di Méo souligne « les apports majeurs du texte », ces questions géographiques de fond que traite ce livre, pour qui souhaite entreprendre l’étude des faits touristiques territorialisés. Selon lui, ce livre a l’immense mérite de présenter, avec précision les individus, les acteurs, les clans et les factions, mais aussi les institutions ou les actants (la Compagnie des guides de Chamonix et le Club Alpin Français, les Jeux Olympiques d’hiver et les Championnats du monde de ski, l’ENSA, l’EMHM ou l’Institut de géographie alpine, etc.) qui ont inscrit les mythes dans la chair événementielle comme dans le paysage et la pratique des massifs montagnards mais surtout André Suchet sait en décrypter les stratégies et les « manœuvres par lesquelles se dessinent des montagnes sociales sous le couvert de la nature ». Pour les lecteurs les moins préoccupés de l’espace montagnard, la démarche élaborée pour formaliser de chapitre en chapitre la concurrence des sites, des stations, voire des destinations, peut dès lors s’élargir à tout autre espace socialement approprié par un groupe d’acteurs dont il est le support identitaire, c’est-à-dire une formation territoriale. Dévoilant ainsi comment la formation des territoires résulte d’interactions et de rétroactions historiques, cet essai géographique offre une véritable introduction méthodologique à l’étude des faits dans bien d’autres contextes. Enfin, dans un versant plus politique chère à la géographie sociale accusée parfois de néo-marxisme et plus récemment de géographie féministe6, ce livre démontre aussi comment les dimensions culturelles des pratiques sportives, touristiques et de loisir servent de moyen de transmission aux inégalités territoriales et participent à la reproduction des rapports de domination. C’est une certaine ligne intellectuelle de l’école bordelaise de géographie à laquelle participe là André Suchet.