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2023
110-2 - Montagne et alimentation

L’alimentation, une ressource sociale et politique pour les territoires de montagne. L’exemple de Croc’Bauges

Jade Ballot

Texte intégral

1La volonté principale de cet écrit tient au fait de présenter thématiquement une initiative citoyenne du fait alimentaire en montagne : l’épicerie Croc’Bauges et sa coopérative SCIC BioBauges, qui se situent dans le massif des Bauges sur la commune de Lescheraines. Cet article est issu d’un mémoire de Master 2 Développement rural (Lyon 2) soutenu en septembre 2022. Intitulé « Se nourrir dans les Bauges, habiter un territoire politique du fait alimentaire », il a été réalisé sous la direction de Claire Delfosse et encadré par Kirsten Koop et Jean-Baptiste Grison dans le cadre du projet TransForMont du Labex ITTEM.

2En 2014, une épicerie bio et locale nommée Croc’Bauges ouvre ses portes dans une commune rurale du massif des Bauges dans le département de la Savoie, à Lescheraines. Portée conjointement par un groupe d’habitants bénévoles, des salariés ainsi que des producteurs locaux, elle est le résultat d’une association locale BioBauges constituée en 2008 par ces mêmes baujus. L’existence de cette structure résulte d’un besoin de certains habitants : « on voulait avoir accès à des produits locaux et bio sans avoir à faire 100 km, on voulait aussi soutenir l’alimentation et sa production locale. » (Membre de l’épicerie, Extrait d’entretien, 2022) L’objectif principal de ce lieu est d’être un acteur d’une valorisation de la production des Bauges en permettant un lien entre habitants, consommateurs, producteurs, tout en se rendant accessible par leurs prix « on tient aussi à la bonne rémunération du travail des producteurs, ils fixent leurs prix puis on leur laisse le choix de la marge que l’épicerie peut se faire pour rémunérer les salariés. » (Membre de l’épicerie, Extrait d’entretien, 2022)

3Aujourd’hui l’épicerie Croc’Bauges se présente comme étant une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) indépendante afin de permettre une plus grande capacité d’action aux salariés et producteurs présents. Au fil des années, ce lieu est devenu incontournable dans le système agricole et alimentaire du territoire des Bauges : « Croc’Bauges c’est le point central de tous les producteurs “éthique” des Bauges. » (Producteur au sein de l’épicerie, Extrait d’entretien, 2022)

4Les producteurs sont intégrés à la gouvernance de ce lieu, qui se donne l’ambition de s’inscrire dans un mode d’organisation et de décision horizontale entre tous ses membres. L’entrée des producteurs se joue sur plusieurs critères : la proximité de l’exploitation au magasin, la certification bio ainsi que l’intérêt que le producteur porte à accompagner et à s’intégrer au projet de la société coopérative. Aujourd’hui, l’épicerie compte dix salariés et une quarantaine de producteurs locaux (alcools, champignons, cosmétiques, miel, légumes et fruits, plantes médicinales, farines et pains, viandes, produits laitiers…) à l’échelle du massif des Bauges : « On commence à être pas mal connu sur le territoire, on a fini par acquérir une certaine légitimité du point de vue de nos prises de position concernant l’alimentation des Bauges. » (Membre de l’épicerie, Extrait d’entretien, 2022). Par ailleurs, cette légitimité a permis à la SCIC de prétendre à des financements du Département et de la Région pour ouvrir un local libre à tous, mais notamment pour y organiser de nombreux ateliers autour de l’alimentation et de l’agriculture.

5L’épicerie allie donc de nombreuses caractéristiques : de l’économie sociale et solidaire, à la culture, jusqu’au social, en animant de nombreux ateliers autour de l’alimentation et l’agriculture du territoire. Ils ont réussi à créer des liens avec des acteurs institutionnels comme le Parc naturel régional du massif des Bauges, quelques élus de communes savoyardes, la Communauté d’agglomération du Grand Chambéry, la Caisse d’allocations familiales, avec des acteurs du milieu associatif comme l’Accorderie des Bauges, L’association « Les Amis des Bauges », la radio locale Radio Alto, mais également la profession agricole représentée par les producteurs, ainsi que certains habitants et collectifs du Cœur des Bauges.

6« On est un lieu où on peut faire ses courses alimentaires, créer et expérimenter des échanges sur l’alimentation. [...] On a obtenu une certaine légitimité auprès de nombreux types d’acteurs, c’est une force. » (Membre de l’épicerie bio et locale, extrait d’entretien, 2022)

7En effet, depuis quelques mois l’épicerie s’investit dans des ateliers qui reprennent le principe des petites cantines1 généralement organisées dans les milieux urbains : « l’idée c’est de faire des ateliers cuisine faits par les producteurs avec des gens qui viennent cuisiner ensemble avec les produits de l’épicerie, pour faire du lien, échanger et partager par la suite le repas. L’alimentation permet de nous retrouver. Ces ateliers sont à prix libre. »(Membre de l’épicerie bio et locale, Extrait d’entretien, 2022). D’autre part, l’épicerie programme de nombreux ateliers autour de l’éco-consommation, et participe à la co-construction avec des collectifs et associations, de nombreux événements culturels liant les thématiques de l’alimentation, l’écologie et l’histoire locale du massif des Bauges.

  • 2 Pour en connaitre davantage, l’épicerie en partenariat avec Helio Films, ont réalisé des portraits (...)

8L’épicerie Croc’Bauges en souhaitant proposer une façon de se nourrir autrement aux habitants du Massif, se nourrit également de l’histoire et du contexte du territoire. En effet, cet espace souhaite sensibiliser à quelques enjeux locaux notamment celui du foncier est de plus en plus fort en montagne, à la fois du fait de la pression urbaine liée aux villes alentour (Chambéry, Annecy, Aix-les-Bains et Albertville), et de l’hyperspécialisation agricole de ces territoires (AOP Tome des Bauges) : « Il y a un phénomène de concurrence des légitimités, pour qui doit revenir la terre, pour quelle agriculture doit revenir la terre, et en fait c’est presque pour qui doit revenir le territoire… […] Le problème se pose de façon peut-être plus forte pour les agriculteurs qui ne souhaitent pas s’installer en élevage et en production laitière. » (Producteur au sein de l’épicerie, Extrait d’entretien, 2022). En réponse à cela, l’épicerie participe, dans une certaine mesure, à modérer les conséquences de ce phénomène en mettant à disposition une salle pour la transformation des produits des agriculteurs présents dans la SCIC, ainsi qu’à mettre en avant différentes manières de faire de l’agriculture sur le territoire par la diversité des produits et des trajectoires de vie professionnelle des producteurs2.

9Ce lieu se constitue comme un espace tampon ou une passerelle entre de nombreux acteurs aux perceptions et pratiques divergentes concernant l’alimentation et l’agriculture sur le territoire. Cependant, l’épicerie insiste sur le fait que ce maillage complexe d’acteurs autour de leur épicerie ne dénature en aucun cas la portée politique de leur activité ainsi que leur indépendance, qui reste un point central dans son exercice. L’épicerie contribue largement à la fabrication d’un nouveau rapport à l’alimentation qui s’affirme de plus en plus comme fait politique sur ce territoire montagnard à travers des acteurs comme Croc’Bauges. Le rapport politique à l’alimentation que ceux-ci mettent en avant s’exprime notamment par la volonté de refaire le lien entre alimentation et agriculture, disparu depuis l’industrialisation de l’agriculture, pour se réapproprier les réflexions plus larges concernant leurs modes de vie. Puisque dans cette initiative citoyenne, l’alimentation est représentée comme « quelque chose de l’ordre du politique, l’alimentation est un réceptacle de réflexions, c’est presque un mode d’action de faire du politique, de montrer qu’on n’est pas d’accord avec beaucoup de façons de faire normalisées aujourd’hui, de permettre de créer un espace ou en tout cas des moments d’échanges sur ce qui nous semble être juste entre la prise en compte de l’humain et celle de l’environnement. » (Membre de l’épicerie Croc’Bauges, extrait d’entretien, 2022).

10En faisant de l’alimentation un fait politique, l’épicerie reconsidère l’alimentation comme une ressource sociale et politique, et non comme une ressource uniquement marchande. À travers cette certaine politisation de l’alimentation, c’est davantage une critique d’un modèle de développement des milieux ruraux, et plus largement d’une société́ qui est en cours : « l’alimentation, il ne faut pas forcément la voir que comme denrée, c’est bien plus que ça, c’est pour moi le point de départ d’une critique des modes de vie, des façons de gérer des territoires tout entiers. C’est très fort. » (Membre de l’épicerie Croc’Bauges, extrait d’entretien, 2022). Ainsi, l’épicerie Croc’Bauges contribue ainsi à des formes renouvelées de l’habiter. Donner une dimension politique au fait alimentaire se présente comme un moyen pratique et symbolique d’opportunités et de ressources pour de nouveaux modes de vie dans le cœur des Bauges.

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Notes

1 Pour en connaitre davantage : https://www.lespetitescantines.org (consulté le 30 janvier 2023).

2 Pour en connaitre davantage, l’épicerie en partenariat avec Helio Films, ont réalisé des portraits vidéos des producteurs engagés dans la SCIC : https://www.biobauges.com/champs-pour-champs-local/ (consulté le 30 janvier 2023).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jade Ballot, « L’alimentation, une ressource sociale et politique pour les territoires de montagne. L’exemple de Croc’Bauges »Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], Transitions, mis en ligne le 30 janvier 2023, consulté le 31 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rga/11034 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rga.11034

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Auteur

Jade Ballot

Diplômée de Master 2 Développement rural, Lyon 2

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

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