1Existe-t-il un champ d’études transdisciplinaires sur la montagne ? Voici un volume qui — selon les mots de ses directeur·es — se veut une contribution à cette « montologie » que James Veteto préconisait il y a maintenant quatorze ans (2009) et qui a récemment été reprise (Sarmiento, 2020). Le terme, répandu davantage en anthropologie que dans les autres sciences sociales, indique une approche transdisciplinaire unifiée aux interactions entre populations et environnements dans les écosystèmes montagneux ainsi qu’aux configurations socio-culturelles qui résultent de ces dernières. Combinant écologie culturelle, économie politique et histoire, le projet « montologique », qui reste encore à être élaboré, offrirait un cadre général dans lequel même les chercheur·es travaillant sur des espaces montagneux moins étudiés auraient pu « inscrire leurs études théoriques ou empiriques » (Veteto, 2009, p. 14).
2Dirigé par un géographe et une anthropologue, l’ouvrage collectif — en libre accès1 — est issu d’une série des conférences qui se sont déroulées en 2021 dans le jeune et vivace MFEA – Forum malinowskien pour l’ethnographie et l’anthropologie de l’Université libre de Bozen-Bolzano. Il propose d’appréhender les montagnes comme des objets denses et complexes, produits de l’articulation entre dynamiques environnementales, culturelles et socio-historiques, en défendant une approche qui, comme le rappelle la contribution de R. Zanini et P. Viazzo, a d’abord été développée par l’anthropologie anglophone et la géographie francophone, notamment dans les études sur la région alpine.
3Écrites en allemand, anglais et italien — les trois langues utilisées dans cette université du Haut-Adige/Südtirol — les contributions relèvent de l’histoire culturelle, des études du religieux et du paysage, de l’écologie politique, de l’anthropologie sociale et de l’ethnologie, de l’histoire de la famille, ainsi que de l’histoire de l’anthropologie. Elles s’appuient sur des données de la recherche principalement issues de la région andine (D. Arnold ; D. Branca et A. Haller ; D. Salvucci) et alpine (R. Zanini et P. Viazzo ; D. Albera ; G. Kezich ; T. Boos ; K. Kuhn) ou d’une perspective globale sur les classements UNESCO des montagnes sacrées (J. Mathieu). Si la prédilection pour les Alpes et les Andes s’explique d’un côté par les trajectoires de recherche des deux directeur·es, on ne saurait pas nier que, de l’autre, ces deux régions de montagne ont donné lieu — peut être en raison d’une proximité aux centres de production de la connaissance académique ? — à une élaboration scientifique consolidée, ce qui rend ces deux régions des cas significatifs pour penser autant les histoires que les tendances de la recherche sociale autour des montagnes.
4On remarque notamment comment autant l’anthropologie des régions alpines que celle des Andes ont été marquées par les approches matérialistes. Cela, comme le montre D. Salvucci dans une contribution combinant habilement théorie et histoire de l’anthropologie, doit être reconduit aux liens biographiques entre E. Wolf et J. Murra, figures majeures en anthropologie respectivement pour l’étude de l’une et l’autre de ces chaînes montagneuses. C’est toutefois dans les contributions qui intègrent davantage une approche réflexive aux systèmes de classements savants et vernaculaires que l’on retrouvera les meilleurs apports de l’anthropologie à une véritable étude transdisciplinaire des montagnes : outre la contribution susmentionnée de J. Mathieu sur les enjeux de définition du « sacré » dans les processus de patrimonialisation des pratiques de dévotions rattachées aux montagnes, le lecteur ou la lectrice pourra également découvrir la manière dont D. Arnold montre comment, dans les cosmologies andines quechua et aymara, les relations entre communautés indigènes et montagnes-dieux s’articulent autour de la réciprocité et de la prédation, notions apparemment oxymoriques.
5D’une manière plus générale, le dialogue serré entre les thèmes et les conclusions des différents chapitres, favorisé par la genèse du volume, est sans doute un des points forts de l’ouvrage. Au contraire, la collocation géographique des études présentées rend moins certaine la contribution de l’ouvrage à la tâche — d’ailleurs ardue — d’élaborer un cadre épistémologique cohérent pour l’étude des montagnes à l’échelle globale. De même, la démarche comparative affichée dès le titre demeure implicite. C’est en effet dans cette perspective que, en guise de conclusion, nous aurions aimé retrouver une synthèse qui, en indiquant autant les convergences que les dialogues manqués entre les recherches dans les Alpes et dans les Andes — on peut penser par exemple au cas des « critical development studies » —, puisse tracer les lignes de recherche de cette future « montologie » souhaitée dans l’introduction. Il n’en est pas moins que l’ouvrage montre la richesse et la variété des approches aux phénomènes culturels dans les montagnes alpines et andines et c’est dans ce sens qu’on ne saurait qu’en recommander vivement la lecture.