Nous sommes reconnaissants à Jean-Louis Edouard (Aix-Marseille Université) de nous avoir indiqué les échantillons d'archive d’Albert Bezinge/Friedrich Rothlisberger et d'en avoir permis la mesure, ainsi qu’à Fritz Schweingruber (WSL, Birmensdorf) et Martin Schmidhalter (Dendrosuisse, Brigue-Glis) d'avoir mis à notre disposition les premières mesures des échantillons de F. Röthlisberger. Nous remercions chaleureusement Conradin Zahno (Geotest AG, Zürich) pour les informations concernant les premiers travaux de cartographie et de datation menés à TN au début des années 2000, et Andreas Österreicher (Université d’Innsbruck) pour son aide sur le terrain et pour certaines mesures dendrochronologiques. Nous remercions enfin Philippe Schoeneich (Université Grenoble Alpes) pour ses commentaires sur une version antérieure du manuscrit ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leurs remarques très pertinentes.

Introduction

1La caractérisation de la variabilité climatique holocène préindustrielle revêt un intérêt particulier dans le contexte de changement climatique rapide d’origine anthropique, qui a fait des Alpes l’une des régions ayant perdu le plus de glace au cours des deux dernières décennies (Hugonnet et al., 2021). Les variations des glaciers ont été très tôt liées à l’évolution du climat dans la région (par ex. Venetz, 1833). Plus tard, l’amélioration des connaissances sur la sensibilité climatique des glaciers Alpins les a fait apparaître comme les meilleurs indicateurs pour reconstituer la variabilité climatique sur un large éventail d’échelles temporelles au cours de l’Holocène (Oerlemans, 2005 ; Lüthi, 2014 ; Le Roy et al., 2024).

2Le Petit Âge Glaciaire (PAG) s’étend sur la majeure partie du dernier millénaire, entre 1260 et 1860 (Nicolussi et al., 2022). D’après les sources historiques et la dendrochronologie, trois périodes principales de maxima glaciaires (xiv^e, xvii^e et xix^e siècles) ont été identifiées dans les Alpes (Zumbühl et Holzhauser, 1988 ; Holzhauser et al., 2005 ; Nicolussi et al., 2022). Le PAG étant la période la plus récente d’activité glaciaire soutenue au cours de l’Holocène (Le Roy et al., 2024), il peut être utilisé comme un analogue pour comprendre les mécanismes responsables des périodes froides antérieures. Les principaux forçages proposés pour le refroidissement multiséculaire du PAG sont l’activité solaire et des successions d’éruptions volcaniques rapprochées (Brönnimann et al., 2019). Les systèmes morainiques du PAG sont clairement visibles dans le paysage Alpin aujourd’hui et sont généralement regroupés sous le terme de « moraines de 1850 » (Maisch et al., 2000), bien que n’étant pas datés convenablement la plupart du temps. La datation précise des différentes avancées du PAG est néanmoins d’un grand intérêt pour identifier les forçages qui ont permis un tel englacement. Malgré un intérêt scientifique précoce (dès la fin du xviii^e siècle) et des relevés systématiques (dès la fin du xix^e siècle), la chronologie des maxima glaciaires pendant le PAG n’est pas connue avec précision pour tous les glaciers majeurs des Alpes. Sur les glaciers les plus grands, les plus accessibles, et donc les plus visités, les variations de longueur ont été reconstituées avec précision grâce à un riche corpus iconographique (Nicolussi, 2013 ; Zumbühl et Nussbaumer, 2018). Cependant, sur la plupart des sites, les sources historiques sont plutôt rares et peuvent difficilement être utilisées pour contraindre la chronologie glaciaire.

3La dendrochronologie est un outil puissant permettant d’attribuer une date calendaire à tout événement géomorphologique ou climatique enregistré dans les cernes de croissance annuels des arbres. Dans des conditions favorables, cette méthode peut fournir des informations avec une grande résolution spatiale, et peut même surpasser la datation historique d’un point de vue chronologique, en atteignant une résolution saisonnière. Son utilisation en paléoglaciologie a permis de réaliser des progrès considérables en ce qui concerne la chronologie des glaciers Alpins pendant l’Holocène, qui est à ce jour l’enregistrement terrestre le plus précis disponible à l’échelle mondiale (Pelfini, 1999 ; Nicolussi et Patzelt, 2001 ; Holzhauser et al., 2005 ; Le Roy et al., 2015 ; Solomina et al., 2016 ; Nicolussi et al., 2022 ; Le Roy et al., 2024).

4L’objectif de cet article est (i) de cartographier avec précision l’extension maximale de la fin de l’Holocène pour deux glaciers Alpins proches, et surtout (ii) d’obtenir des dates dendrochronologiques pour cette avancée majeure. La précision des dates obtenues est ensuite évaluée par rapport aux informations historiques disponibles.

Zone d’étude et travaux antérieurs

5Arolla (2009 m) se situe dans la partie supérieure du bras occidental du Val d’Hérens, environ 30 km au sud de la vallée du Rhône. Malgré son éloignement, des récits de voyageurs visitant la région sont attestés dès la fin des années 1830. Le Col Collon, 3068 m (Fig. 1), est utilisé depuis longtemps, notamment pour des échanges commerciaux et pastoraux réguliers avec la Valpelline (vallée d’Aoste, Italie) au cours du dernier millénaire (Gaspoz, 1950 ; Eschmann Richon, 2014). Des artefacts glacio-archéologiques du second Âge du fer découverts près du col Collon mettent en évidence l’ancienneté de cette voie de passage (Curdy et Nicod, 2020). L’utilisation récréative du site d’Arolla a commencé avec l’ouverture de l’hôtel Mont Collon en 1862 (Fig. 2c), qui a coïncidé avec l’essor de l’alpinisme dans la région. À partir des années 1950, la construction de plusieurs routes pour des travaux hydroélectriques a permis un accès rapide aux glaciers et a favorisé les études glaciologiques dans la région (Bezinge, 1986).

6La géomorphologie glaciaire du haut Val d’Hérens est assez bien établie (Bucher et al., 2004 ; Lambiel et al., 2016 ; Lambiel, 2021), surtout en ce qui concerne le Tardiglaciaire (Coutterand et al., 2011 ; Scapozza, 2013). Cependant, l’étendue des glaciers de la région d’Arolla à la fin de l’Holocène n’est que partiellement connue (Röthlisberger, 1976 ; Abbühl et al., 2002 ; Abbühl, 2004). Nous avons constaté que les contours glaciaires du PAG préalablement disponibles (Maisch et al., 2000) étaient incorrectement tracés dans la zone du front des glaciers. Nous proposons donc ici une nouvelle interprétation de la cartographie et de la datation des moraines de l’Holocène, basée sur une analyse précise des modèles numériques de terrain et accompagnée d’une synthèse des données chronologiques existantes (Fig. 1).

Glacier de Tsijiore Nouve

7Le glacier de Tsijiore Nouve (signifie « étable/fromagerie neuve » en patois, abrégé en « TN » ci-dessous) est un petit glacier Alpin (3.8 km² en 1817, cette étude, et 2.8 km² en 2016, Linsbauer et al., 2021) (Fig. 1) qui descend de la face nord du Pigne d’Arolla (3787 m) vers une langue couverte de débris à travers un icefall haut de 500 m. Il se caractérise par une forme simple, sans tributaire, et avait une épaisseur maximale de 190 m en 1950 (Bezinge, 1986). Ceci le rend très sensible aux variations climatiques, comme très précocement remarqué (Engelhardt, 1840 ; Forel et al., 1897; Kinzl, 1932). Le temps de réponse de c. 25 ans calculé par Zekollari et al. (2020) et surtout la fréquence et l’ampleur des quatre réavancées post-PAG qui ont culminé en 1896 (+749 m), 1923 (+129 m), 1948 (+23 m) et 1995 (+268 m) (GLAMOS 1881-2022) confirment quantitativement cette sensibilité climatique. L’ampleur de l’avancée de TN dans les années 1890 (1879-1896) s’avère remarquable pour les Alpes. Toutefois, ce chiffre semble en contradiction avec les mesures effectuées sur d’autres glaciers comparables (p. ex. +411 m au glacier des Bossons) et avec les preuves de terrain (cela signifierait une avancée supérieure au maximum du PAG). Comme les données antérieures à 1885 semblent douteuses, nous avons choisi de ne considérer la série qu’à partir de cette date (soit +426 m). La Fig. 2b montre l’état du glacier en ~1880, c’est-à-dire pendant le minimum relatif avant le début de cette avancée.

8Il est important de noter que la date du maximum PAG est connue avec précision à TN et fixée à 1817 (Forel, 1886). Au cours de cette avancée, il a barré la vallée et détruit la forêt sur la rive droite du Borgne d’Arolla, entraînant la formation d’un petit lac temporaire (Forel, 1886). Cependant, aucune preuve sédimentologique de l’existence de ce lac n’a été trouvée par la suite (Abbühl et al., 2002). Le barrage devait donc être peu épais et facilement incisé par les eaux de fonte du Glacier d’Arolla (abrégé « GA » ci-dessous). Après une phase de retrait commençant dès 1817, un regain d’activité du front est attesté en 1834 ou un peu avant (Fröbel, 1840 ; Fig. 2a). Un maximum secondaire s’est ensuite produit entre 1844 et 1852, lorsque la langue a atteint le chemin qui mène au GA, construisant une petite moraine à cet endroit en 1852 (Forel, 1886 ; Fig. 1). TN est également connu pour la vidange de poches d’eau sous-glaciaires, en particulier au début des années 1980 (1981 et 1986) (Raymond et al., 2003).

9TN est bordé par de grandes moraines latérales holocènes composites dont la formation a été étudiée en détail (Röthlisberger et Schneebeli, 1979 ; Small, 1983 ; Schimmelpfennig et al., 2012 ; Scapozza, 2013). Il s’agit de l’un des meilleurs exemples de moraines non contraintes par la topographie dans les Alpes (voir l’encart ‘TN 1972’ de la Fig. 1). La surface du glacier entre ces moraines ne s’est pas abaissée notablement pendant le xx siècle (jusqu’à 1990). C’est en partie dû à sa faible capacité d’exportation des sédiments, qui fait que le lit, principalement sédimentaire (Bezinge, 1986) s’exhausse et se rétrécit (Abbühl, 2004). L’augmentation de la couverture de débris au cours du xx^e siècle, par émergence des moraines médianes, a également protégé la langue de l’ablation (Wetterauer et Scherler, 2023). Ces données expliquent pourquoi la moraine latérale holocène composite nord a pu être surplombée (et donc exhaussée) lors de chaque réavancée post-PAG. Cela s’est produit sur une portion de 800 m de long au cours de l’avancée des années 1970-1990 (Small, 1983 ; Small et al., 1984 ; Bezinge, 1986), entraînant la formation de lentilles de glace au sommet de la moraine (Whalley, 1973 ; Small, 1983). Des photographies prouvent un débordement similaire de la moraine latérale au cours de l’avancée des années 1920 (photo 006ph-00745, https://xml.memovs.ch/​006ph-00803.xml). Ces processus, inhabituels pour un glacier Alpin, peuvent aussi s’expliquer par le changement brutal de direction d’écoulement du glacier à cet endroit et par une onde cinématique parcourant le glacier (Whalley, 1973). Les taux d’érosion dans le bassin versant de TN ont été étudiés à l’aide d’une approche basée sur les nucléides cosmogéniques produits in situ (TCN) en échantillonnant des sédiments le long de la moraine médiane (Wetterauer et Scherler, 2023). Les résultats montrent que les sédiments glaciaires proches du front ont moins de 100 ans et que les vitesses de surface ont connu une baisse marquée depuis les années 1980 (de 20 m. a^-1 à 4 m. a^-1 dans la zone distale). Ces dernières années, suite à la fonte marquée de la langue, un glissement massif de la crête morainique latérale gauche s’est produit sur sa face interne.

10Les moraines latérales holocènes de TN ont été largement échantillonnées pour des datations TCN. Les résultats indiquent trois périodes d’avancée avant la dernière partie du PAG : ~11,4 ka, ~3,5 ka et ~0,55 ka (Schimmelpfennig et al., 2012). Ces avancées se sont donc produites respectivement pendant l’Oscillation du Préboréal (PBO), la Période d’Avancée de l’Âge du Bronze (BAAP) et le PAG précoce (eLIA) (Le Roy et al., 2024). De plus, des tests effectués sur les moraines les plus récentes montrent que les blocs rocheux sont dépourvus de nucléides hérités sur ce site (Abbühl, 2004 ; Abbühl et al., 2009 ; Schimmelpfennig et al., 2012). Une autre période d’avancée a été proposée par Röthlisberger (1976) après 2940 ± 150 BP (~2,9 cal ka), sur la base de la datation radiocarbone d’un bois subfossile (TN-71-1) trouvé dans un affleurement de till en bordure de torrent (« site du Chenal », Fig. 1). Elle aurait été de l’ordre de l’étendue de 1890 (Röthlisberger, 1976). Une dizaine d’autres bois ont été trouvés dans cette zone en 1971, dont TN-71-2b (Fig. 1 ; Tableau Annexe). Plus à l’aval et légèrement en dehors de l’étendue du PAG (c. 100 m), une forêt de mélèzes enfouie (troncs de 10-15 m de long) a été trouvée à une profondeur de 12 m sous des dépôts de till, de blocs et de sable lors d’une excavation en 1971. Les troncs étaient parallèles à la pente et ont été interprétés comme ayant été ensevelis par le glacier. L’un des troncs a été échantillonné (AR-71-4) (Fig. 1) et daté au radiocarbone à 8400 ± 200 BP (~9,4 cal ka), ce qui en faisait à l’époque le plus vieux bois subfossile daté dans les Alpes (Röthlisberger, 1976) (Tableau Annexe). Enfin, en 2002, deux troncs subfossiles ont été échantillonnés dans la moraine externe du PAG au sud-est de l’hôtel du Mont Collon (site TNF, Fig. 1) et datés à 245 ± 40 BP (~1660 cal AD) (Abbühl, 2004 ; Bucher et al., 2004) et 240 ± 50 BP (~1675 cal AD) (datation non publiée, Tableau Annexe).

Glacier d’Arolla

11Le Glacier d’Arolla (abrégé ici « GA ») était un grand système glaciaire composite pendant les maxima du PAG (16.6 km², cette étude) (voir l’encart droit de la Fig. 1). Les deux tributaires, le Glacier du Mont Collon et le Haut Glacier d’Arolla (« GMC » et « HGA » ci-dessous) s’écoulaient vers le nord à partir de vastes bassins d’alimentation relativement plats jusqu’à la langue située au-dessous du Mont Collon (3637 m) en passant par deux icefalls, dont celui du GMC, haut de 500 m, était le plus remarquable (Fig. 3). Au début des années 1940, GMC et HGA se sont séparés. Le Bas Glacier d’Arolla (qui est le nom de la langue glaciaire de vallée sans l’apport du HGA) a reçu cette dénomination vers 1949. Il était auparavant connu sous le nom de Glacier du Mont Collon (nom utilisé par la suite uniquement pour la partie supérieure, au-dessus de l’icefall). Aujourd’hui, la langue glaciaire de vallée n’existe plus et GMC et HGA couvrent respectivement 5.1 et 3.6 km² [données de 2016, Linsbauer et al., 2021). Les mesures d’épaisseur de glace indiquaient un maximum de l’ordre de 180 m pour HGA en 1990 (Sharp et al., 1993). En comparaison de TN, GA n’a connu que de modestes réavancées post-PAG, ce qui s’explique par un temps de réponse de c. 65 ans (Zekollari et al., 2020). Ces faibles stagnations/réavancées ont culminé en 1894 (+14 m), 1928 (+24 m) et 1987 (+140 m) (GLAMOS 1881-2022).

12Les premières descriptions de TN et GA datent de la seconde moitié des années 1830. La première représentation précise des glaciers d’Arolla est due à J.R. Bühlmann qui a peint GA avec un front bombé, typique d’un glacier en progression, le 1^er août 1835 (Fig. 2a ; Fig. 3a). La vue rapprochée a été interprétée par Röthlisberger (1976) comme un front en progression « touchant » des arbres, mais ne les écrasant probablement pas, car tous les arbres apparaissent clairement debout (Fig. 3a). Contrairement à la langue bombée mais lisse de GA, la partie frontale de TN a été représentée par Bühlmann dans le tableau de 1835 de façon très chaotique, par une série de tours de glace traduisant un écoulement très dynamique et suggérant que l’avancée de 1834 était toujours en cours (Fig. 2a).

13Les glaciers d’Arolla ont été visités en 1837 par Engelhardt (1840, p. 110-114) qui a indiqué que TN semblait être un glacier très sensible, avançant et refluant de façon répétée. Godeffroy (1840, p. 44) a traversé le Col Collon depuis le nord en août 1838 et a observé à cette occasion la marge proglaciaire du GA. Il mentionne que le glacier « d’Aroles […] [a] de chaque côté trois alignements parfaits de moraines, qui attestent suffisamment ou une réduction dans la durée des croissances [c.-à-d. des périodes d’avancées plus courtes], ou une diminution dans le bas de la coulée [c.-à-d. un raccourcissement et/ou amincissement de la langue ] ». Fröbel (1840), qui se trouvait dans la vallée d’Arolla à l’été 1839, mentionne une avancée de TN en 1834 qui, selon les témoignages locaux, a été accompagnée de tonnerre, ce qui indique une avancée rapide, de type surge. Enfin, Forbes (1843) a traversé le Col Collon depuis le sud et a peint le front du GA quelques années après Bühlmann, en août 1842, montrant les mêmes caractéristiques dynamiques d’un glacier en progression (Fig. 3b). Il mentionne également un bois situé à une courte distance du glacier, composé de pins cembro (Pinus cembra) « rabougris et désolés, [dont] beaucoup sont morts et d’autres sont tombés ». Ce peuplement de pins cembro avec de nombreux arbres morts mais encore debouts dans la partie inférieure avait déjà été décrit par Fröbel (1840, p. 71). Bien que la date exacte du maximum du xix^e siècle ne soit pas connue au GA, la langue a commencé à se retirer de la moraine du PAG vers 1855, selon des récits historiques (Forel, 1886).

14Contrairement à TN, très peu de datations ont été produites pour reconstituer l’évolution du GA durant l’Holocène. En revanche, si l’on met de côté la question paléoclimatique, le HGA est un site très prisé de la recherche glaciologique moderne, ayant fait l’objet d’au moins une centaine d’études au cours des dernières décennies (par ex. Sharp et al., 1993), ce qui en fait l’un des glaciers les plus étudiés au monde. La marge proglaciaire du GA a été fortement modifiée par des travaux successifs depuis l’installation en 1965 de l’une des stations de pompage de la centrale électrique de Grande Dixence S.A., à 100 m seulement de la moraine maximum du PAG (Fig. 1). Lors d’excavations, des bois subfossiles ont été trouvés à 10 mètres de profondeur dans une gravière en 1971 (Bezinge, 1976 ; Röthlisberger, 1976) (« site de la Gravière », Fig. 1). Enfin, l’évolution paraglaciaire récente et marquée des moraines latérales composites holocènes du GA a été étudiée par Tonkin (2023).

Méthodes

15La méthodologie suivie ici a été décrite en détail dans plusieurs articles (Nicolussi et Patzelt, 2001 ; Le Roy et al., 2015 ; Nicolussi et al., 2022). Les datations absolues ont été obtenues en interdatant les séries individuelles de largeur de cernes mesurées sur nos échantillons avec la Chronologie de référence des Conifères des Alpes Orientales (EACC, Nicolussi et al., 2009 ; 2015). Sur le terrain, les arbres vivants (n=5) ont été carottés à l’aide d’une tarière de Pressler et les échantillons subfossiles (n=6) ont été prélevés à l’aide d’une tronçonneuse. Sur ces derniers, on a veillé à cibler seulement les parties extérieures les mieux préservées. Pour ce faire, plusieurs sections ont été collectées par tronc, afin d’identifier la série la plus longue et d’obtenir ainsi l’estimation la plus proche de la date réelle de mort de l’arbre.

16En ce qui concerne les ressources d’archive utilisées ici (n=6), à la fois des échantillons physiques et des données numériques (séries de largeur de cernes) ont été récupérés auprès de deux dépôts universitaires (Service Régional de l’Archéologie 13, Aix-en-Provence, France et WSL, Birmensdorf, Suisse). Les échantillons d’archive n’étaient accompagnés que de métadonnées de base (étiquette de l’échantillon, coordonnées géographiques) mais ne comportaient pas de description du contexte stratigraphique, ni de photographies de terrain. Parfois, les étiquettes originales étaient manquantes et les caractéristiques de l’échantillon ont du être comparées à des listes publiées datant de la période d’échantillonnage pour permettre de les identifier (p. ex. Evin et al., 1975 ; Röthlisberger, 1976 ; Röthlisberger et al., 1980). Pour ces raisons, l’interprétation des échantillons d’archive en termes de position du glacier doit être faite avec plus de prudence que pour ce qui concerne les échantillons collectés dans le cadre de cette étude.

Résultats

17Nous présentons dans cette section une description détaillée des échantillons prélevés sur les deux glaciers étudiés, ainsi que les résultats de leur datation dendrochronologique. Pour les deux sites, le dernier paragraphe est consacré aux échantillons d’archive, datés de façon absolue pour la première fois ici.

Glacier de Tsijiore Nouve

18Le site TNF (pour « TN frontal ») échantillonné en 2015 se trouve sur la moraine latéro-frontale gauche la plus externe du PAG, à 80 m au sud-est de l’hôtel du Mont Collon, à une altitude de 1942 m (Fig. 1 ; Fig. 2c ; Fig. 4). Il s’agit d’un segment de la face distale de la moraine qui mesure 2 m de haut à cet endroit et présente une crête unique (Fig. 4a). Les sections transversales de deux troncs subfossiles enfouis, un pin cembro (TNF-15-01) et un mélèze (TNF-15-02), ont été prélevées en 2015 (Fig. 4b). En outre, cinq mélèzes vivants poussant sur la face distale de la moraine ont également été échantillonnés (Fig. 4). Les deux troncs subfossiles avaient déjà été datés au radiocarbone en 2002, avec des résultats indiquant que la mort des arbres datait du PAG (Tableau Annexe).

19Le tronc TNF-15-01 est enfoui avec les racines tournées vers l’extérieur et se trouve dans la partie supérieure de la moraine (Fig. 4b). Ces éléments prouvent une remobilisation de courte distance (l’écorce est encore présente sur le tronc), entre le site originel de croissance de l’arbre et le lieu de dépôt actuel. En revanche, le tronc TNF-15-02 est enfoui en pied de moraine et a probablement poussé à cet endroit précis. Il a finalement été renversé et ensuite partiellement enterré lors du dépôt de la moraine (Fig. 4b). Les parties extérieures des troncs étaient encore relativement bien préservées au moment de l’échantillonnage, c’est-à-dire que le dernier cerne formé était présent dans chaque cas et que des restes d’écorce étaient également visibles. Les parties intérieures, par contre, présentaient des signes de pourriture, ce qui n’a permis qu’une estimation des dates de moelle. Les deux arbres sont morts au cours de la saison estivale : TNF-15-01 pendant l’été 1813 et TNF-15-02 pendant l’été 1816 (Fig. 4c). Ces dates de mort estivales indiquent que l’avancée du glacier a enseveli les arbres pendant la formation de la moraine et que le front glaciaire était proche-, et présent-, sur le site TNF en 1813 et 1816, respectivement. Il est par ailleurs intéressant de noter que ce site est libre de glace depuis au moins le milieu du xv^e siècle, comme le montre la longue durée de vie du mélèze in situ TNF-15-02. En effet, la date de moelle de cet arbre (1462) à laquelle est soustrait un intervalle de colonisation (ecesis) estimé à 20 ans donne une date de germination minimum vers 1440. La faible croissance de l’arbre TNF-15-02 pendant deux autres périodes (1570-1580 et environ 1685) (Fig. 4c), nous permet en outre de supposer que la langue glaciaire était relativement proche du site à cette époque, mais pas suffisamment pour mettre l’arbre en danger. L’avancée du début du xix^e siècle s’avère donc être le maximum PAG à TN, et les autres maxima de la fin du PAG étaient significativement plus restreints.

20Outre les deux échantillons subfossiles, des carottes de cinq arbres vivants ont été prélevées sur le site TNF (Fig. 4a). L’analyse dendrochronologique montre que deux de ces arbres ont germé avant les années 1810 (TNF-15-04 et TNF-15-07), et ont donc été témoins de l’avancée maximale du xix^e siècle de façon très proche (Fig. 4a, 4b). Ils présentent tous deux une chute de croissance marquée entre 1811 et 1821 (Fig. 4c), reflétant les conditions très sévères dans le voisinage immédiat de la marge glaciaire. Cette chute de croissance se traduit par l’occurrence de deux cernes absents chez ces deux arbres, très probablement en 1815-1816, en parfait accord avec les dates de mort des échantillons subfossiles trouvés à proximité (Fig. 4a). L’initiation relativement brutale de la période de chute de croissance en 1811 pourrait indiquer que le glacier était déjà proche du site TNF à cette époque et que le ruissellement des eaux de fonte et les apports sédimentaires ont probablement affecté les deux mélèzes (en particulier TNF-15-04). Inversement, la reprise de la croissance des arbres à partir du début des années 1820 montre le retrait rapide de la marge du glacier (historiquement prouvé depuis 1817 ici). Les trois arbres vivants restants ont tous germé après le dépôt de la moraine et sont donc les premiers colonisateurs de la surface. Les dates de moelle estimées (qui donnent des âges minimums pour la germination des arbres, et auxquelles il faut ajouter une correction pour la hauteur d’échantillonnage sur le tronc) sur les carottes échantillonnées couvrent un intervalle étroit entre ~1827 et 1837 (Fig. 4a). Ceci démontre que la période d’ecesis (c’est-à-dire le temps écoulé entre le dépôt de la moraine et la germination de jeunes mélèzes viables) a été très courte, de l’ordre de 10 ans ici.

21En dehors de la période du PAG, les dates dendrochronologiques nouvelles établies ici pour les échantillons d’archive de TN ont permis de tirer certaines conclusions. Le bois trouvé dans le ruisseau proglaciaire (TN-71-2b) montre que le glacier a connu une avancée pendant la Période d’Avancée de l’Âge du Bronze (BAAP), qui a dépassé son étendue de 1890, après 1526 avant notre ère (Fig. 1 ; Tableau Annexe). Cela confirme la datation de la BAAP par TCN sur la moraine latérale gauche à ~3,5 ka (Schimmelpfennig et al., 2012) (Fig. 1). Enfin, l’arbre du début de l’Holocène (AR-71-4) excavé environ 100 m à l’extérieur de l’étendue du PAG a été daté de 7249 avant notre ère (Fig. 1 ; Tableau Annexe). D’après l’interprétation de Röthlisberger (1976) cette date calendaire indiquerait une avancée glaciaire de type PAG vers 9,25 ka, ce qui n’a pour le moment pas d’équivalent dans les Alpes (Le Roy et al., 2024).

Glacier d’Arolla

22Les deux localités échantillonnées en 2022 sur le site GAF (pour « GA frontal ») sont situées de part et d’autre du torrent, sur la limite frontale atteinte lors du maximum historique, comme le montre la cartographie des rares moraines (Fig. 1 ; Fig. 5a, 5b). La marge proglaciaire du GA présente en effet peu de moraines frontales bien marquées par rapport à celle de TN.

23Sur la rive droite, une trimline bien visible peut être suivie jusqu’en fond de vallée où elle se termine par des dépôts de blocs openwork et une petite crête morainique rejoignant le sandur (Fig. 5a). Immédiatement à l’extérieur de cette limite, un gros bloc rocheux (>5 m de long) perpendiculaire à l’axe de la vallée, repose à 27 m au-dessus du talweg. Sur la face distale de ce bloc est appuyée une souche en équilibre (ARO-22-01) qui semble avoir été soulevée et basculée car une partie du système racinaire et le tronc sont parallèles à la pente (Fig. 5a). Seule une des racines d’origine est encore en contact avec le sol (Fig. 5a). Il s’agit donc d’une « chandelle », un tronc sec in situ qui n’a pas été recouvert par des sédiments et est demeuré exposé à l’air libre depuis sa mort. Des prélèvements ont été réalisés à deux endroits distants du tronc où des morceaux d’écorce étaient présents (Fig. 5a). L’analyse dendrochronologique montre que cet arbre a été tué en 1816 (durant la saison hivernale 1816/17, car le bois final est complet), suite à des conditions de croissance défavorables au cours des dernières années, à partir de 1808 (Fig. 5c). La partie la plus interne du tronc manquait sur les sections échantillonnées, mais l’estimation de la distance à la moelle montre que cet arbre a germé juste avant 1600 (Tableau Annexe).

24Sur la rive gauche, deux souches subfossiles in situ (ARO-22-02 et ARO-22-04) fermement enracinées dans le sandur ont été prélevées dans une zone située immédiatement à l’extérieur de la moraine frontale (interne) du PAG, matérialisée ici par une petite crête aplatie jouxtant la plaine d’inondation (Fig. 5b). Une crête morainique (externe) plus marquée, située seulement 34 m en aval, peut être considérée comme marquant l’étendue maximale du PAG (Fig. 5b). En revanche, cette moraine externe peut difficilement être reliée à une crête en rive droite (contrairement à la moraine interne). Cela pourrait être dû au cône alluvial situé en face à cet endroit (Fig. 5a). La souche in situ la plus distale (ARO-22-04), située 23 m à l’intérieur de la crête externe et 11 m à l’extérieur de la crête interne, dépassait à peine de la surface et a dû être excavée (Fig. 5b). Elle était fortement altérée et sectionnée au niveau du collet, de sorte que le tronc manquait. Aucune trace d’écorce n’a pu être détectée. La souche in situ la plus proximale (ARO-22-02), située au droit de l’affleurement dans la crête morainique interne, a elle été préservée sur une hauteur de 1,2 m (Fig. 5b). La surface extérieure est abrasée et donc altérée, mais une portion très restreinte présente un morceau d’écorce sur le côté amont du tronc. Enfin, un échantillon détritique (ARO-22-03) a été excavé directement dans l’affleurement de la crête morainique interne, à seulement 3 mètres en amont de ARO-22-02 (Fig. 5b). Il a été trouvé perpendiculaire à l’axe de la vallée et la partie extérieure était mal préservée, ce qui suggère que quelques cernes externes pourraient manquer. La datation dendrochronologique des trois échantillons subfossiles a donné des âges de 1783+, 1803 et 1776+ (ARO-22-04/-02/-03, du distal au proximal), respectivement. Compte tenu de l’état de conservation des derniers cernes, seule la datation de ARO-22-02 peut être interprétée comme une date de mort exacte, tandis qu’il pourrait manquer seulement quelques cernes à ARO-22-03 (c. 4) et que ARO-22-04 est clairement l’échantillon dont le nombre de cernes externes manquants est le plus élevé (mais pas plus de 33) (voir le Tableau Annexe). Enfin, il faut souligner que la série de cernes de ARO-22-02 présente (i) deux périodes de croissance anormalement faible entre la fin du XVI^e et le début du xvii^e siècle (Fig. 5c), qui sont probablement liées à des perturbations géomorphologiques dans le sandur dues à l’avancée du glacier (p. ex. divagation du chenal proglaciaire), et (ii) plus de 20 cernes externes du côté amont du tronc ayant une teneur élevée en résine et un niveau de croissance très faible (Fig. 5c), deux caractéristiques qui peuvent être interprétées comme la trace d’une blessure, causée probablement par l’inondation ou l’enfouissement partiel du tronc, autour de 1780 CE.

25Au GA, les données d’archive réévaluées ici concernent des séries dendrochronologiques ainsi qu’un échantillon physique. Elles peuvent être attribuées, sur la base de descriptions publiées (Röhtlisberger et al., 1980), à des troncs de mélèze trouvés dans une gravière située légèrement à l’intérieur de la moraine du PAG (« site de la Gravière », Fig. 1). Deux des séries se terminent au début du xvii^e siècle (AR-71-1d et AR-71-3) tandis qu’une autre série couvre l’intervalle 1460 à 1737+ (A429002). À noter que cette dernière série présente une croissance très faible au début du xvii^e siècle (~1620-1647) (Fig. 6a). Il semble donc probable que les deux arbres les plus anciens aient été tués par une avancée du GA au début du xvii^e siècle. Elle aurait culminé en 1631 ou peu après (AR-71-1d), comme le montre la seule date de mort disponible sur ce site (Fig. 6a). Cette avancée n’aurait pas atteint le troisième arbre (A429002), ne causant chez lui qu’une réduction significative de la croissance.

Discussion

26Pour les deux glaciers étudiés, nous fournissons les preuves formelles d’un maximum du PAG atteint au début du xix^e siècle, et ce dès le milieu des années 1810 (Fig. 6a). À TN, la langue glaciaire a atteint sa position la plus avancée à (ou peu après) l’été 1813, et cette position a été occupée au moins jusqu’à l’été 1816. Au GA, l’étendue maximale a été atteinte au cours de l’hiver 1816/1817. Nos datations reflètent l’année où la marge du glacier a atteint et tué les arbres, et ne peuvent donc pas saisir la durée de la stagnation ultérieure du front au même endroit, qui est partiellement connue ici par des observations historiques (p. ex. recul commençant à partir de 1817 à TN et 1855 au GA).

27À TN, un maximum secondaire au milieu du xix^e siècle (années 1850) s’est révélé être situé clairement à l’intérieur de l’étendue occupée en 1817. Nos preuves reposent sur (i) la peinture de Bühlmann de 1835 (Fig. 2a) montrant le glacier en amont de la limite marquée par la petite moraine (située à environ 150 m derrière le maximum de 1817) que nous avons attribuée à cette dernière réavancée du PAG (voir Fig. 1) et sur (ii) des sources historiques indiquant 1852 comme le dernier maximum du PAG (Forel, 1886). Au GA, le front a dû fluctuer dans une zone plus étroite qu’à TN au début du xix^e siècle. Après un recul limité par rapport à la position de 1817 (environ 35 m), la moraine interne pourrait dater des années 1850 (Fig. 5b), puisque le recul n’a réellement débuté que vers 1855 selon les récits historiques (Forel, 1886).

28Les preuves d’autres maxima secondaires antérieurs durant le PAG sont seulement disponibles au GA et sont de nature indirecte. Les perturbations de croissance identifiées dans la souche in situ ARO-22-02 témoignent d’un débit élevé et de la proximité du glacier vers 1575-1580, 1600-1605 et à nouveau à partir de 1780 CE, entraînant la mort lente de cet arbre (Fig. 5c ; Fig. 6). Deuxièmement, sur la base du site d’échantillonnage de AR-71-1d et AR-71-3 (« site de la Gravière », Fig. 1), nous pouvons émettre l’hypothèse qu’une avancée au xvii^e siècle se serait arrêtée environ 40-50 m à l’intérieur du maximum du xix^e siècle, et aurait enfoui les arbres à cette époque, à partir de 1631 (Fig. 6a). Cependant, comme il n’existe pas de preuve formelle du site de croissance originel de ces échantillons d’archive, on ne peut estimer combien de temps le glacier est resté en amont et surtout quel fut l’endroit exact atteint par cette avancée. Ce qui semble surprenant sur le site GAF, c’est que des pins cembro matures aient poussé pendant la partie la plus froide du PAG, sur la limite même de la marge proglaciaire (les dates de germination s’échelonnent entre ~1510 et 1600). Ces arbres n’ont été approchés et ensevelis par la glace qu’au cours de l’avancée du début du xix^e siècle. Par conséquent, toute avancée antérieure au cours des xvii^e et xviii^e siècles aurait nécessairement été plus restreinte de quelques dizaines de mètres. Ceci est cohérent avec les variations de longueur reconstituées pour d’autres glaciers très réactifs (par exemple le glacier des Bossons), montrant qu’ils étaient légèrement plus rétractés pendant les maxima des xvii^e et xviii^e siècles que pendant le début du xix^e siècle (Nussbaumer et Zumbühl, 2012) (Fig. 6b).

29En ce qui concerne le maximum du début du xix^e siècle, nos dates semblent être significativement plus précoces que celles de tous les autres glaciers Alpins où cette avancée a été datée avec une résolution annuelle. Par exemple, le maximum du PAG a été daté à 1818 aux glaciers des Bossons, de la Brenva, de Pré-de-Bar, de Giétro et de Fee (Venetz, 1833 ; Forbes, 1843 ; Bircher, 1982 ; Nussbaumer et Zumbühl, 2012), à 1819 aux glaciers d’Argentière, de Grande di Verra et de Sulden (Forel, 1901; Pelfini, 1999 ; Savi et al, 2021) et à 1821 pour d’autres grands glaciers réactifs, comme les glaciers du Lys, de la Mer de Glace et supérieur de Grindelwald (Monterin, 1932 ; Zumbühl et Nussbaumer, 2018) (Fig. 6b). Les dates précoces obtenues à TN sont cohérentes avec le fait qu’il est considéré comme l’un des glaciers les plus réactifs des Alpes, mais elles semblent plus surprenantes pour GA, qui a un temps de réponse plus long.

30Sur la base des résultats présentés ici, nous pouvons affirmer que les deux glaciers d’Arolla étaient proches de leur étendue maximum du PAG avant que la plus grande éruption volcanique des 500 dernières années, celle du Mont Tambora (avril 1815), n’ait eu un effet substantiel sur le climat. En effet, l’impact le plus prononcé sur les températures s’est produit au cours de l’été 1816 (Brönnimann et Krämer, 2016), alors que les deux glaciers étudiés occupaient déjà leur moraine du PAG la plus externe. Après un maximum relatif autour de 1780, les principaux glaciers Alpins les mieux documentés ont connu un minimum relatif centré sur 1806/1808, au cours duquel ils se sont rétractés d’environ 300-600 mètres à l’intérieur de leur étendue maximale du PAG (Nicolussi et Patzelt, 2001 ; Zumbühl et Nussbaumer, 2018) (Fig. 6b). Sur ces grands glaciers, le regain d’activité s’est produit entre 1811 et 1814 (Fig. 6b), mais il a dû commencer plus tôt sur les glaciers plus petits. C’est une indication de l’influence probable de l’éruption non attribuée de 1809 (Brönimann et al., 2019 ; Timmreck et al., 2021 ; Leland et al., 2023) dans le déclenchement de la première avancée du xix^e siècle. Sur les glaciers les plus sensibles, comme ceux d’Arolla, la majeure partie de cette avancée de plusieurs centaines de mètres s’est produite avant l’éruption du Tambora. Cela montre que le refroidissement estival qui a suivi l’éruption de 1809, qui était marqué (en 1810, 1812 et surtout 1813), mais pas uniforme (car 1811 était une année douce avec une ligne d’équilibre glaciaire plutôt élevée) (Venetz, 1833), combiné à des conditions hivernales particulièrement froides et persistantes à partir de 1808/1809 (Reichen et al., 2022) a permis aux glaciers d’atteindre leurs maxima du PAG.

Conclusion

31Cette étude jette un nouvel éclairage sur la chronologie des maxima du PAG pour deux glaciers de vallée sensibles au climat. Nos résultats montrent – pour la première fois dans les Alpes – que les maxima glaciaires du PAG du début du xix^e siècle ont été atteints dès 1813/1816 à Tsijiore Nouve et 1816 au Glacier d’Arolla, c'est-à-dire avant que l'éruption volcanique du Mont Tambora n'ait eu un impact sur le climat et n'ait pu déclencher ces maxima. Ceci a des implications concernant le forçage des avancées glaciaires de la fin du PAG. De plus, nous documentons au moins deux autres maxima du PAG au Glacier d’Arolla d’après des preuves indirectes : au début des années 1630 et vers 1780 (Fig. 6a), les deux ayant été légèrement plus restreints que celui du début du xix^e siècle.

32Outre la période du PAG, les datations dendrochronologiques produites ici pour les échantillons subfossiles détritiques d’archive ont permis de mieux appréhender deux possibles avancées glaciaires holocènes antérieures, malgré les difficultés d’interprétation liées au manque de métadonnées robustes (p. ex. le contexte stratigraphique ou l’emplacement de croissance originel de l’arbre). À Tsijiore Nouve, ces deux avancées potentielles pourraient avoir atteint une grande ampleur (>1890 et >maximum PAG, respectivement) vers 1526 et 7249 avant notre ère. La période d’avancée la plus récente (BAAP) est déjà connue et son point culminant a été largement daté par dendrochronologie à ~1540 avant notre ère dans les Alpes, avec parfois une ampleur similaire à celle du PAG. En revanche, la période la plus ancienne – qui serait contemporaine de « l’événement 9,3 ka » – n’est pas connue pour avoir entraîné d’avancées dépassant l’étendue du PAG dans les Alpes, même si des avancées de dimensions beaucoup plus modestes sont parfois reportées (Le Roy et al., 2024). La confirmation d’une avancée d’une telle ampleur sur le site de Tsijiore Nouve, proposée à l'origine par F. Röthlisberger (1976), nécessiterait donc une étude plus approfondie.