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Les vues glaciaires de Jean-Antoine Linck – un jalon de l’histoire des glaciers du Mont Blanc du xviiie au xixe siècle

Samuel U. Nussbaumer et Heinz J. Zumbühl
Cet article est une traduction de :
The Glacier Views of Jean-Antoine Linck – A Milestone for the Mont Blanc Glacier History from the 18th to the 19th Century [fr]

Résumé

Des approches interdisciplinaires sont nécessaires pour reconstruire les fluctuations des glaciers au xixe siècle, au-delà du début des mesures systématiques. Par exemple, des documents historiques ont été appliqués pour reconstituer d’anciennes étendues des glaciers sur différents sites, notamment dans la région du Mont-Blanc, qui sont très bien documentés et devenus populaires parmi les artistes, les scientifiques et les voyageurs depuis le milieu du xviiie siècle. Le Genevois Jean-Antoine Linck est probablement l’artiste à qui l’on doit le plus de vues glaciaires exceptionnelles. La préférence particulière de Linck était les régions des glaciers, qu’il a découvertes et dessinées avec une audace d’alpiniste et une exactitude de naturaliste, principalement à la gouache, bien que de nombreux croquis au crayon aient été conservés. Linck a subtilement utilisé la technique de la gravure pour créer des planches de grand format facilement reproductibles, qui ont été ensuite coloriées à la gouache et à l’aquarelle. Cette technique lui a permis de créer de nombreuses reproductions d’une même vue, tout en leur donnant un aspect unique et original. Elles sont remarquables de sérénité et de silence, tout en offrant des ambiances lumineuses. Ces illustrations introduisent la représentation réaliste de la haute montagne dans l’iconographie de la peinture genevoise et conduisent ainsi à une nouvelle forme de peinture de paysage à caractère permanent. D’un point de vue de l’histoire des glaciers, et bien que nombre de ses œuvres ne soient pas exactement datées par l’auteur, l’ouvrage de Jean-Antoine Linck est indispensable. Il représente l’ensemble de l’évolution de la mer de Glace et du glacier des Bossons, mais également d’autres glaciers, pendant la période allant de la fin du xviiie siècle jusqu’au maximum glaciaire du xixe siècle vers 1820. L’œuvre de Linck accorde au territoire du Mont-Blanc la même importance, en termes d’iconographie des glaciers, que celle de Caspar Wolf et Samuel Birmann pour les Alpes centrales suisses, ou de Thomas Ender pour les Alpes autrichiennes. Linck était donc à la fois artiste et historien des glaciers.

reconstitutions glaciaires, iconographie, Jean-Antoine Linck, région du Mont-Blanc, Petit âge glaciaire

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Texte intégral

Les auteurs souhaitent exprimer leurs remerciements particuliers à Alexander Hermann (Institut de géographie, Université de Berne) pour son aide dans la création de la figure synthèse des vues de glacier de Jean-Antoine Linck (figure 8) et à Boris Ouvry (Université de Zurich) pour les corrections linguistiques du français. Nous remercions également les deux relecteurs et l’éditeur pour leurs précieux commentaires.

Introduction

1Une meilleure compréhension de la variabilité climatique naturelle, à différentes échelles spatiales et temporelles, est cruciale afin de placer le changement climatique récent dans un contexte à long terme (GIEC, 2021). À cet égard, la détermination et la reconstruction des changements des glaciers à différentes échelles temporelles se sont révélées très utiles, non seulement comme expression visuelle, mais aussi comme signal quantitativement détectable d’un changement dans le climat environnant (par ex., Oerlemans, 2001 ; Marzeion et al., 2017). Pour reconstruire le comportement des glaciers plus en arrière dans le temps, des approches interdisciplinaires utilisant à la fois des méthodes historiques et physiques sont nécessaires.

2Dans ce contexte, des documents historiques tels que des sources écrites, des cartes anciennes, des peintures, des dessins, des gravures et des photographies ont été utilisés pour reconstituer avec succès d’anciennes étendues des glaciers sur différents sites (Zumbühl, 1980 ; Nussbaumer et al., 2011 ; Solomina et al., 2016). Associés à des témoignages géomorphologiques et géoarchéologiques, ce corpus fournit une vue détaillée des fluctuations des glaciers au cours du Petit âge glaciaire (PAG) : celui-ci représente la dernière phase froide du Néoglaciaire, qui a duré quelques siècles entre la fin du Moyen Âge et le réchauffement actuel depuis la première moitié du xxe siècle (Grove, 2004 ; Wanner et al., 2022). Des crues glaciaires répétées, s’étendant jusqu’au fond de plusieurs vallées alpines, sont typiques du PAG. Ces avancées glaciaires constituaient un phénomène esthétiquement attrayant pour les premiers voyageurs depuis le xviiie siècle, mais aussi une menace existentielle pour les gens vivant à proximité immédiate des langues glaciaires, qui ne furent conscients du danger imminent qu’à la fin du xvie siècle (Pfister & Wanner, 2021). Ce comportement contraste fortement avec le changement actuel des glaciers et leur retrait spectaculaire dans de nombreux endroits du monde (WGMS, 2023).

3Lorsqu’ils sont qualitativement et quantitativement suffisants, des documents iconographiques (dessins, peintures, gravures et photographies), des documents cartographiques (cartes, plans cadastraux et reliefs) et des sources par écrit (chroniques, registres paroissiaux, contrats de vente de terrains, descriptions de voyage, premiers documents scientifiques sur la recherche alpine, etc.) peuvent fournir une image détaillée des fluctuations des glaciers, notamment des changements dans la longueur des fronts. La méthodologie d’évaluation des sources historiques pour reconstruire de manière systématique les anciens changements des glaciers a été lancée par Zumbühl (1980). Grâce à ces données, nous pouvons obtenir une résolution sur des décennies, voire dans certains cas annuellement, de la position des marges des glaciers (Zumbühl & Holzhauser, 1988). Il faut ajouter que, pour reconstruire les mouvements passés des glaciers, les données historiques doivent être traitées avec soin en tenant compte des circonstances locales et de manière critique, par rapport aux sources. En particulier, l’évaluation des sources iconographiques doit remplir certaines conditions afin d’obtenir des résultats fiables concernant les anciennes extensions des glaciers :

  • En premier lieu, il faut connaître ou reconstituer la date du document (c’est-à-dire la date exacte à laquelle l’artiste visitait le glacier et réalisait des croquis ou des dessins). Les peintures à l’huile pourraient avoir été réalisées sur place, mais elles ont souvent été terminées plus tard, généralement dans l’atelier de l’artiste. Les reproductions d’œuvres d’art (gravures) portent souvent une date différente de celle de leurs originaux. Depuis les années 1850, un nombre croissant de photographies est disponible, bien que la datation de ces premières photographies de glaciers puisse être particulièrement difficile et implique souvent un travail d’archivage fastidieux, notamment l’étude de la biographie et/ou de l’itinéraire de voyage de l’artiste.

  • Deuxièmement, le glacier et ses environs doivent être représentés de manière réaliste et topographiquement correcte, ce qui nécessite des compétences particulières de la part de l’artiste. Certains artistes aimaient composer leurs propres motifs au premier plan ou omettre les moraines frontales inesthétiques, éléments qui pouvaient obscurcir la véritable position du glacier.

  • Troisièmement, la position topographique de l’artiste doit être connue. La présence d’éléments distinctifs situés aux alentours du glacier, tels que des ressauts rocheux, des collines ou sommets de montagne en arrière-plan, peut faciliter l’évaluation des données iconographiques historiques. Pour un document iconographique de haute qualité, cela permet une localisation exacte (géoréférencement) de la position de l’artiste. La localisation du front glaciaire est idéalement déduite à l’aide d’un système d’information géographique prenant en compte l’angle de vue et les proportions correctes (Nussbaumer & Zumbühl, 2012).

4Le glacier inférieur de Grindelwald (Oberland bernois, Suisse) présente la courbe de changement de longueur la plus détaillée et la mieux documentée du monde (Oerlemans, 2005), grâce aux archives complètes d’environ 400 sources historiques et œuvres d’art évaluées par Zumbühl (1980) et Zumbühl et al. (1983). Une autre région exceptionnellement bien documentée est celle du Mont-Blanc, où il existe d’abondants documents historiques révélant les fluctuations des glaciers tels que la mer de Glace, le glacier des Bossons, le glacier d’Argentière, et d’autres. Le Genevois Jean-Antoine Linck (1766–1843) est probablement l’artiste à qui l’on doit le plus de vues de glaciers, notamment de la mer de Glace (ou glacier des Bois, comme on appelait la langue de ce glacier à l’époque), qui fut le glacier le plus important de la région en raison de son attrait et de sa facilité d’accès. En fait, nos connaissances sur l’histoire des glaciers de cette région ne seraient pas complètes sans ses œuvres d’art exceptionnelles. Malgré l’importance de son œuvre, Linck est encore assez inexploré et l’accès à l’histoire de l’art fait largement défaut. Dans ce qui suit, nous plaçons ces œuvres de Jean-Antoine Linck dans le contexte plus large de l’histoire de l’art, et discutons de l’importance de Linck pour les reconstructions modernes des glaciers.

École d’art de Genève et Jean-Antoine Linck

5L’intérêt pour les glaciers de Savoie a commencé dans la société genevoise après les visites des premiers voyageurs anglais, William Windham et Richard Pococke, et la répétition ultérieure de ces voyages (et sa description) par le Genevois Pierre Martel. Parallèlement aux études scientifiques influencées par Marc Théodore Bourrit et Horace-Bénédict de Saussure, des poètes, écrivains, artistes et d’autres scientifiques ont également trouvé de nouvelles sources d’inspiration dans ces montagnes. Parmi eux, un artiste très en vue était Jean-Antoine Linck, né à Genève le 14 décembre 1766. Jean-Antoine Linck (figure 1, à gauche) était le fils mais aussi l’élève du peintre sur émail et graveur sur cuivre, Jean-Conrad Linck, avec qui il a travaillé dès l’âge de douze ans. Par ailleurs, son frère, Jean-Philippe Linck (dit le Jeune) (1770–1812), était collaborateur de l’atelier paternel situé dans un quartier genevois regroupant horlogers, bijoutiers et peintres sur émaux. La relation entre les œuvres de Jean-Antoine et Philippe Linck est donc évidente, même si les gravures de Jean-Philippe montrent qu’il était moins attentif que son frère à la représentation topographique des montagnes. C’est dans ce milieu artistique dynamique de la seconde moitié du xviiie siècle qu’apparurent les premiers graveurs, qui firent connaître Chamonix et d’autres vallées grâce à l’émergence de « l’industrie » de la gravure paysagère. Jean-Antoine Linck fut l’un des plus grands représentants de ce mouvement artistique lié à un nouvel engouement pour le paysage, ainsi qu’au développement du tourisme alpin.

6D’après ce que nous savons, grâce aux œuvres d’art conservées, Jean-Antoine Linck dessina principalement des paysages alpins de la Savoie au Saint-Gothard depuis 1789. Sa préférence particulière allait aux régions de glace, qu’il dessinait avec une audace d’alpiniste et une exactitude de naturaliste. Cela fait de lui non seulement le praticien artistiquement le plus important de la peinture de montagne de l’école genevoise de l’époque, mais aussi un artiste pionnier de la représentation scientifiquement vérifiable des zones de haute montagne (Weber et al., 1981, p. 78). La figure 1 (à droite) donne un aperçu géographique des œuvres des glaciers de Jean-Antoine Linck.

Figure 1

Figure 1

À gauche : Portrait du peintre et graveur Jean-Antoine Linck de Genève, par Joseph Hornung (extrait de la peinture à l’huile ; 51,0 x 44,5 cm ; Bibliothèque de Genève).
À droite : Aperçu des sites visités par Jean-Antoine Linck. Cet aperçu ne prétend pas être exhaustif. Les localités de six glaciers sont montrées où les travaux de Linck ont été utilisés pour la reconstruction de la longueur des glaciers.

7Jean-Antoine Linck a été clairement inspiré et influencé par Carl Ludwig Hackert, ami de son père et vivant à Genève depuis 1778 (et collaborant également dans l’atelier de la famille Linck). Plusieurs œuvres de ces deux artistes présentent des similitudes, comme un décor avec une vue sur la langue de la mer de Glace et la source de l’Arveyron (voir section suivante et figure 2, en bas). La renommée de Linck s’est rapidement établie et s’est répandue partout : à la fin du xviiie jusqu’au début du xixe siècle, son atelier à Montbrillant, aux portes de Genève où passaient autrefois les touristes en route vers les Alpes de Savoie, fut visité par de nombreuses grandes personnalités de passage. Chacun repartait avec un souvenir du grand artiste, un dessin, une gouache, une eau-forte ou une aquarelle. Assez étonnamment, son travail est encore assez inexploré et manque d’accès à l’histoire de l’art. Concernant l’histoire des glaciers, il faut dire et considérer que nombre de ses œuvres ne sont malheureusement pas datées exactement par l’auteur.

8Pour créer ses œuvres, Linck parcourait les vallées alpines pendant la saison estivale afin de rapporter des croquis à ajouter à son répertoire visuel. Les croquis étaient dessinés rapidement et servaient d’outil de travail, les compositions étant structurées autour des éléments principaux, tandis que les détails tels que les arbres au premier plan étaient mieux élaborés. Linck utilisait souvent de la craie blanche qui lui permettait de localiser les ombres, la glace et la neige. Des rapports contemporains attestent de la haute qualité des travaux de Linck : 

Monsieur Linck, très bon graveur, travaille d’après ses propres dessins, et passe une partie de la belle saison à parcourir les montagnes pour y chercher de beaux sujets. Il a séjourné plusieurs semaines cette année (1810) dans la vallée de Chamouni (Leschevin, 1812, p. 58).

9De plus, le géologue contemporain Johann Gottfried Ebel (1764–1830) faisait également référence aux œuvres de Linck dans son guide, et conseillait aux voyageurs de trouver les meilleurs artistes, comme Jean-Antoine Linck (Ebel, 1818, p. 275). Bien que Linck ait de préférence utilisé la gouache, de nombreux croquis au crayon ont été conservés (Bouchardy, 1986). Linck a subtilement utilisé la technique de la gravure pour créer des planches de grand format facilement reproductibles, qui sont ensuite coloriées à la gouache et à l’aquarelle. Cette technique lui a permis de créer de nombreuses reproductions d’une même vue (beaucoup moins chères qu’un tableau), tout en leur donnant un aspect unique et original. Il a ainsi pu répondre aux demandes d’un nombre croissant de clients désireux de repartir avec un souvenir des vues des régions visitées.

10Jean-Antoine Linck exposa très régulièrement à Genève, notamment à la Société des Arts de Genève, et son atelier à Montbrillant devenait de plus en plus populaire. Sa clientèle, tant locale qu’étrangère, se composait de grandes personnalités, comme l’impératrice Joséphine Bonaparte. Une exposition sur les œuvres de Jean-Antoine Linck avait été organisée à Genève en 1918 et comprenait, pour la plupart, des études de Linck effectuées au crayon, à la plume, au fusain, à l’encre, à l’aquarelle, aux gravures de contours noires et colorées, ainsi que de quelques peintures à l’huile. On y retrouvait tous les sites représentés par Linck, comme les vues de Genève et ses environs, le Salève, la vallée de Chamonix et le mont Blanc, les montagnes du Valais et de l’Oberland bernois, le cours de l’Orbe, la vallée de Joux, la Perte du Rhône à Bellegarde, quelques costumes traditionnels de Genève, ainsi que des études d’animaux et d’arbres. Il se disait à l’époque que les gravures colorées de Linck étaient encore assez faciles à trouver, mais quelques années plus tard, celles-ci sont devenues de plus en plus rares, car très recherchées non seulement par les amateurs suisses, mais aussi à l’étranger, notamment en Angleterre et en Amérique du Nord, où ils ont toujours été très populaires.

11Ses travaux de dessins et d’études sur la nature (très souvent à la craie et au fusain, ou à l’aquarelle) sont très importants et se distinguent par leur précision, leur esthétique et leur harmonie. En ce sens, Linck a découvert les montagnes et les glaciers de manière globale. Sur de nombreuses œuvres de Linck, la petitesse des personnages au premier plan accentue l’immensité des sommets et des glaciers. La présence des personnages, à l’allure distinguée, témoigne du nouvel attrait pour les Alpes, de la curiosité de l’élite européenne pour la haute montagne et ses glaciers. Les dessins de Linck sont ainsi à la fois précis et fidèles à la réalité, mais aussi très personnels et attrayants. Ainsi, Linck fut l’un des artistes genevois les plus appréciés de la première moitié du xixe siècle et il fut notamment l’un des premiers artistes à donner accès, par l’image, à la haute montagne. Ses œuvres graphiques sont devenues très célèbres, notamment les gravures aux contours (aquarellées et/ou avec la gouache) joliment colorées, et très recherchées par les collectionneurs d’art. Il semble que Linck n’ait pas réalisé beaucoup de peintures à l’huile, surtout dans ses premières années (années 1790), mais toutes ses peintures sont très attrayantes.

Jean-Antoine Linck et le développement des glaciers d’environ 1790 à 1820/1822

12Du point de vue de l’histoire des glaciers, notamment pour le massif du Mont-Blanc, les travaux de Jean-Antoine Linck sont indispensables, car ils offrent une vision différenciée de l’évolution de la mer de Glace et d’autres glaciers (cf. figure 8) depuis la fin du xviiie siècle jusque vers 1820. De 1790 à 1820 environ, Jean-Antoine Linck réalisa un grand nombre de dessins et de peintures, qui fournissent d’excellents exemples de représentations de glaciers. Vers 1780, une avancée glaciaire remarquable avait été bien documentée par diverses sources, notamment sur le versant nord du mont Blanc (de Saussure, 1786 ; Bourrit, 1785 ; Forel, 1901 ; Nussbaumer & Zumbühl, 2022). Toutefois, le retrait glaciaire ultérieur semble avoir été moins bien documenté, mais peut être quantifié grâce aux travaux de Jean-Antoine Linck.

13Un document important sur ce retrait est l’aquarelle de Linck montrant le retrait du glacier des Bois vraisemblablement avant 1800 (figure 2, en haut). Elle révèle le terminus de la mer de Glace couvert de débris, à près de 600 m en arrière de l’étendue maximale du PAG et descendant toujours jusqu’à la plaine. De la glace morte et de petites étendues d’eau se forment devant le front du glacier. Le glacier est dessiné avec précision et avec des couleurs blanches, bleues et vertes qui contrastent avec le terrain environnant. Sur le côté gauche de la vue, on aperçoit la Côte du Piget et des parties de la moraine. À l’abri de cette colline, des arbres poussent sur le côté distal du glacier. Des blocs grossiers indiquent une moraine frontale éventrée par l’Arveyron. Il est intéressant de noter que des souches d’arbres morts sont également représentées ; ils ont probablement été abattus par la population en raison de l’avancée imminente du glacier. La datation exacte de cette œuvre de Linck, et notamment d’une des rares vues montrant le retrait de la mer de Glace, n’est pas connue. L’une des rares peintures datées de Linck est prise depuis une position semblable à la grotte au Chapeau et date de 1799 (Durand et al., 1992, p. 68). Elle montre la partie supérieure de la langue du glacier des Bois, et exactement la même vue a été publiée par Linck sous forme de gravures de contours colorées (figure 3). L’aquarelle de Linck a probablement été réalisée vers 1795, et en tout cas avec certitude avant 1802, lorsqu’un dessin de William Turner montre clairement une position plus avancée du front du glacier (Nussbaumer et al., 2007).

14Une autre œuvre de Linck, très probablement du début du xixe siècle, représente le dessin à l’aquarelle et à la gouache du front du glacier des Bois (figure 2, en bas). Le dessin détaillé révèle le glacier très crevassé, avec sa voûte en partie effondré. Il est signé de l’artiste avec une note au dos du dessin précisant que Linck avait réalisé cette œuvre d’art à Montbrillant. On sait que Linck a réalisé trois vues à la gouache dans son atelier de Montbrillant en 1804 (Bouchardy, 1986, p. 59) et qu’il est probable que le dessin discuté en fasse partie, car l’étendue du glacier montrée suggère également que le tableau a été réalisé à cette période. Cette œuvre de Linck est très objective et montre, par rapport à l’aquarelle du glacier en retrait, une tout autre vision du glacier. Le glacier des Bois est en train d’avancer mais est désintégré par des crevasses, et son front s’est effondré. La moraine frontale qui a été envahie par le glacier lors de l’avancée des années 1770 est dessinée en détail, montrant de jeunes arbres poussant à nouveau devant le glacier, mais à une certaine distance à la forêt ancienne (à droite de la vue). L’arrière-plan, avec l’imposante aiguille Verte et les Drus, donne au tableau un style très réaliste. La structure et la nature de la glace, ainsi que les roches, sont représentées avec une exactitude étonnante, proche de l’esprit scientifique de Saussure. De plus, la voûte du glacier avec la source de l’Arveyron est parfaitement intégrée aux roches et montagnes environnantes. Cela contraste avec une vue très similaire et bien connue de Carl Ludwig Hackert, où la voûte du glacier semble avoir été positionné par hasard. Linck a également publié cette vue sous forme de gravure de contour colorée et plus idéalisée. Il est intéressant de noter que la gravure montre le front du glacier encore existant dans son intégralité sous forme typique d’une voûte.

Figure 2

Figure 2

En haut : Le glacier des Bois recule et cette œuvre montre qu’il n’a qu’une étendue assez faible au tournant du xviiie au xixe siècle (« Vue du Glacier des Bois en retraite. » ; signé en bas à droite « Jn. Ante Linck. » ; crayon, aquarelle, gouache ; 24,7 x 33,2 cm [feuille 33,7 x 42,4 cm] ; musée d’ethnographie, Genève, Collection Georges Amoudruz, 303 109 ; cliché S. U. Nussbaumer).
En bas : Très beau dessin aquarellé représentant l’avancée du glacier des Bois au début du
xixe siècle, avec l’aiguille à Bochard, l’aiguille Verte et les Drus en arrière-plan (« Vue de la Source du Glacier des Bois. » ; signé en bas à gauche « fait par Jn. Ante Linck », marqué au verso « fait par J. Ant Linck a Montbrillant près la porte de Suisse à Genève » ; crayon, aquarelle et gouache, sur fond gris ; 35,0 x 46,7 cm [feuille 42,3 x 54,0 cm] ; collection privée ; clichée H. J. Zumbühl).

Figure 3

Figure 3

Chef-d’œuvre de représentation de glacier et de paysage par Jean-Antoine Linck, montrant la mer de Glace en 1799 vue du Chapeau. Ce décor parfait avec premier plan et arrière-plan a été pris depuis la position en forme de grotte où se trouvait le vieux Chapeau (figure du haut : « Artiste dessinant depuis la voûte nommée le Chapeau, le glacier des Bois et les aiguilles du Charmoz » ; aquarelle sur papier ; 33,2 × 45,0 cm ; signé en bas à droite « fait par Jn. Ante. Linck » ; collection privée, Beurret & Bailly Auktionen ; figure du bas : « Voute nommée le Chapeau — 1260 » ; eau-forte, avec plume et encre marron ; 36,4 x 48,4 cm ; Musée d’art et d’histoire, Cabinet des estampes, Genève, Acq No 341).

15Une nouveauté étonnante montre le glacier des Bossons à deux moments : en tant qu’observateur attentif des glaciers, Jean-Antoine Linck est probablement le premier artiste à montrer l’avancée d’un glacier à l’aide de deux vues réalistes et précises depuis la même position ; l’un à mesure que le glacier recule et l’autre à mesure qu’il avance (figure 4, en haut). Une vue similaire de Linck, mais dans une perspective plus large et incluant l’aiguille du Midi, le mont Blanc du Tacul, le mont Maudit et le mont Blanc en arrière-plan (figure 4, en bas à gauche), ne laisse aucun doute sur le fait que l’étude mentionnée représente le glacier des Bossons. Cette approche quasi scientifique de Linck, très en avance sur son temps, ne sera reprise que bien plus tard avec le mouvement mondial des observations des glaciers apparu dans la seconde moitié du xixe siècle (Forel, 1881 ; Allison et al., 2019). L’avancée ultérieure du glacier des Bossons est bien documentée par plusieurs autres dessins de Linck (datés entre 1813 et 1817/1818 ; Nussbaumer & Zumbühl, 2012), parmi lesquels on peut trouver une aquarelle montrant la position maximale (ou peu de temps avant, probablement en 1817) du glacier faisant saillie dans la forêt, au niveau de son lobe supérieur droit, et formant une impressionnante langue glaciaire (figure 4, en bas à droite). Dans le même temps, Linck représente sur un croquis la dévastation causée par le glacier au niveau de la moraine latérale droite, où une croix a été érigée en 1818 afin de stopper l’avancée du glacier (Mougin, 1912, p. 49 ; Nussbaumer & Zumbühl, 2012).

Figure 4

Figure 4

En haut : Représentation étonnante du retrait et de la progression des langues du glacier des Bossons par Jean-Antoine Linck, l’une des toutes premières comparaisons de glaciers (« Parties de glacier avec des randonneurs » ; convolute, deux feuilles ; toutes les deux signées en bas à droite « J : Ant : Linck. Fec » ; aquarelle ; 25,0 x 34,0 cm, 24,7 x 33,0 cm ; collection privée ; clichés H. J. Zumbühl).
En bas à gauche : Le glacier des Bossons vu d’une perspective plus large (« Glacier des Bossons » ; signé en bas à gauche « Ant. Linck fec. » ; aquarelle ; 28,7 x 38,3 cm ; British Museum).
En bas à droite : Le glacier des Bossons vers son maximum du
xixe siècle (« Vue de Glacier de Bossons de l’Aiguille du Midi et du Tacul » ; signé en bas à droite ; aquarelle ; 44,5 x 33,7 cm ; collection privée, Dobiaschofsky Auktionen ; cliché S. U. Nussbaumer).

16Deux vues rapprochées impressionnantes existent également pour le front du glacier des Bois (mer de Glace), illustrant les deux côtés de la langue glaciaire et son interférence avec l’environnement (figure 5). Ces vues documentent clairement l’avancée finale de la mer de Glace, particulièrement visible entre 1810 et 1820. La position maximale de la mer de Glace au xixe siècle (en 1821, selon Birmann, 1826, mais occupant presque la même position pendant quelques années) est bien documentée grâce à plusieurs croquis de Linck montrant cette avancée menaçante. Ces dessins sont fins et subtils, le trait de crayon est rapide et léger. L’artiste utilise de la craie blanche pour marquer la présence de glace permettant à la langue du glacier des Bois d’être clairement délimitée. Des séracs hauts et pointus côtoient une ferme du hameau des Bois, à seulement quelques mètres, ainsi que quelques arbres brisés par l’avancée de la glace. Bien que ces œuvres ne soient pas datées, les croquis montrent de nombreux détails de cette avancée impressionnante du glacier. Comme aucune destruction n’a été signalée lors de cette avancée, le glacier a dû très vite avoir atteint son extension maximale, et les croquis datent probablement d’environ 1820. Cette cohabitation entre les éléments naturels menaçants et le quotidien des habitants est une des caractéristiques de la vallée de Chamonix. Une autre œuvre de Linck, dans un style romantique, représente le glacier des Bois au clair de lune et montre à quel point Linck était intéressé et fasciné par les glaciers. Au premier plan, un feu et la présence humaine donnent une impression d’échelle et donc de dimension, ainsi que de la grandeur du glacier.

Figure 5

Figure 5

À gauche : Détail de la mer de Glace (côté gauche dans la direction orographique de la langue) aboutissant au fond de la vallée en 1803 (« Vue d’une partie d’Arviron, du glacier des Bouis & du Montanvert » ; signé « J.Ant. Linck fec. 1803 » ; lithographie à la craie de couleur et au lavis ; 44,8 x 58,0 cm ; British Museum).
À droite : Vue rapprochée du côté droit dans la direction orographique de la langue glaciaire vers 1820 par Jean-Antoine Linck, avec le glacier atteignant la Côte du Piget, sur laquelle il retourne et renverse des arbres (« Vue du Mont Blanc » ; craie noire et blanche sur papier gris ; 42,7 x 56,0 cm ; National Gallery of Art).

17D’intéressants glaciers et vues de montagnes de Jean-Antoine Linck sont également disponibles sur le flanc ouest et sud-est du mont Blanc, par exemple le dessin de Linck datant d’environ 1795 (Orombelli & Porter, 1982) montrant le glacier de la Brenva au loin depuis le chemin du Val Vény (figure 6, à gauche). En haut du rocher, l’ancienne chapelle qui sera détruite lors de l’avancée culminant en 1818 est représentée. Le glacier lui-même est fortement crevassé et gonflé sur toute son étendue. De plus, la Pierre à Moulin, point de repère important, est très petite et presque engloutie par la masse de glace. L’analyse du dessin suggère que le glacier, apparemment en progression, était beaucoup plus volumineux qu’en 1767 (quand une eau-forte de François Jalabert, publiée dans Saussure [1786], permet une comparaison directe), mais dans une position similaire à celle de 2000 (Imhof, 2010). La position avancée du glacier de la Brenva au cours du xxe siècle est cependant due aux avalanches de roches de 1920 et 1997, qui ont provoqué une avancée de la langue du glacier sans lien avec le climat (Deline et al., 2015). Quelques vues de Linck sont également connues dans la région du mont Rose, notamment une vue de la langue fortement avancée du glacier du Gorner, près de Zermatt, dans les années 1820 (figure 6, à droite). La technique utilisée et la manière de représenter suggèrent que Jean-Antoine Linck est l’auteur de ce dessin, qui correspond également à d’autres illustrations de cette période. La langue bombée et déchiquetée est une indication sans ambiguïté de l’avancée forte et rapide du glacier à cette époque (Holzhauser, 2010).

Figure 6

Figure 6

À gauche : Le glacier de la Brenva vu depuis le chemin de Notre-Dame de la Guérison vers 1795 par Jean-Antoine Linck (« Le glacier de la Brenva et l’arête de Peuterey » ; signé en bas à droite ; crayon, craie blanche sur papier beige ; 41,0 x 56,0 cm ; Annecy, Collection Paul Payot ; Vellozzi, 1990, p. 45).
À droite : Vue frontale du glacier du Gorner depuis Hermetje, vraisemblablement par Linck (signé en bas à droite « Zermatt » ; crayon et fusain, avec craie blanche ; Alpine Club Library London ; cliché H. J. Zumbühl).

18Jean-Antoine Linck a également visité d’autres régions montagneuses, comme l’Oberland bernois (Alpes suisses), d’où un voyage vers le Grimsel, Meiringen et Grindelwald est documenté à travers plusieurs œuvres paysagères précises. Pour le glacier inférieur de Grindelwald, un dessin à la craie et au fusain de haute qualité, vraisemblablement réalisé par Linck entre 1820 et 1822, représente le glacier et constitue un complément plus précis d’une autre gravure de 1820 de Gabriel Matthias Lory, fils. Dans la vue de Linck (figure 7, à droite), l’extrémité de la langue du glacier inférieur de Grindelwald domine le terrain intermédiaire, tandis que les proéminents sommets du Wetterhorn et du Mettenberg forment l’horizon à l’arrière. Le front abrupt du glacier, fragmenté en blocs, caractéristique d’une avancée, envahit et détruit la végétation arborée du fond de la vallée. Le front se situe à environ 150-175 m au sud-est de l’étendue maximale du PAG ; derrière celle-ci, nous reconnaissons les masses de glace blanche qui avancent. Si nous agrandissons la section du dessin avec la langue elliptique du glacier, fait à la craie et au fusain de Linck, et que nous la comparons avec la gravure de G. Lory Son, nous constatons une étonnante similitude. Alors que le dessin de Linck différencie les structures de la surface du glacier, la gravure de Lory les schématise.

19Vraisemblablement à la même époque, en 1820/1822, Linck a également dessiné une vue panoramique de la vallée de Grindelwald et des sommets environnants sur une feuille à grand format. De plus, au fond de la vallée, soulignée à la craie blanche, l’impressionnante langue du glacier inférieur de Grindelwald s’étend entre deux points de repère : le Burgbühlschopf à gauche et le Nellenbalm à droite. La zone forestière immédiatement devant la langue glaciaire, dessinée au crayon et au fusain, prouve que le glacier, bien que de grande étendue, n’avait pas encore atteint les moraines depuis l’avancée maximale de 1600 (Zumbühl et al., 2016).

20À côté des glaciers de Grindelwald, dans la vallée voisine au nord, la charmante Schwarzwaldalp (Rosenlaui) a également attiré l’œil observateur de Linck. Une vue intéressante (figure 7, à gauche) montre le glacier de Schwarzwald, un glacier régénéré alimenté par des avalanches de glace provenant de la zone d’accumulation de haute altitude entre le Wellhorn et le Wetterhorn (aujourd’hui connu sous le nom de glacier de Hengsteren). L’alpage au premier plan, avec à gauche un refuge de montagne, du bétail, ainsi qu’un musicien de cor des Alpes et des enfants jouant, puis à droite des chèvres, contrastent avec l’effrayant glacier suspendu au-dessus des parois rocheuses en arrière-plan, ainsi que ses chutes d’eau de fonte, ses débris et cônes d’avalanche au fond de la vallée.

Figure 7

Figure 7

À gauche : Vue du Schwarzwaldalp de Jean-Antoine Linck, publiée par Johann Peter Lamy (« Vue de la vallée, et des glaciers, du Schwartzwald Alp. Passant de Grindelwald le Grand Scheidek pour aller á Meyringen Canton de Berne » ; eau-forte coloriée [aquatinte] ; 20,9 x 30,0 cm ; Bibliothèque nationale suisse, GS-GRAF-ANSI-BE-311).
À droite : avancée du glacier inférieur de Grindelwald au fond de la vallée, avec le Wetterhorn en arrière-plan, vue par Jean-Antoine Linck en 1820/1822 (?). Le front glaciaire est encore à environ 150–175 m de distance l’étendue maximale que le glacier atteindra par la suite (« Glacier Inférieur de Grindelwald. » ; signé « J Ant Linck » ; crayon, fusain et craie ; 42,6 x 57,7 cm ; Schweizer Alpen-Club, Sektion Bern, Bibliothek ; cliché H. J. Zumbühl).

21Dans la figure 8, un aperçu des œuvres d’art des glaciers connues de Jean-Antoine Linck est présenté. Ces œuvres d’art ont été utilisées pour la reconstruction des fluctuations de glaciers alpins sélectionnés et bien documentés (figure 9). Grâce aux œuvres de Linck, il a été possible de déterminer quantitativement le retrait des glaciers au tournant du xviiie au xixe siècle. Pour l’avancée ultérieure vers 1820, les travaux de Linck fournissent une estimation précieuse de la dimension de l’avancée glaciaire la plus importante du xixe siècle. Cette avancée glaciaire dura jusque dans les années 1850 ; pour plusieurs glaciers, un deuxième maximum distinct peut être discerné entre les années 1850 et 1860.

Figure 8

Figure 8

Aperçu des représentations des glaciers par Jean-Antoine Linck, réalisées entre environ 1790 et 1820/1822. Le tableau fait la distinction entre différents types d’œuvres d’art ; dans certains cas, un ensemble complet de dessins (croquis), de peintures à l’huile et d’eaux-fortes colorées sont connus. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, puisque de nombreuses œuvres d’art appartiennent à des propriétaires privés.

Figure 9

Figure 9

Changements cumulatifs de longueur des glaciers sélectionnés et dont il existe des représentations par Jean-Antoine Linck. Il faut noter que les avalanches de roches de 1920 et 1997 sur le glacier de la Brenva sont responsables de l’étendue exceptionnelle de ce glacier (source des données : Nussbaumer et al., 2007 ; Nussbaumer & Zumbühl, 2012 ; Holzhauser, 2010 ; Imhof, 2010 ; Zumbühl, 1980 ; Zumbühl et al., 2016 ; WGMS, 2023).

Paysages glaciaires alpins du réalisme idéaliste au réalisme romantique et photoréaliste

22Nous devons notre connaissance de l’aspect des glaciers du PAG, avec leurs fronts de glace en forme de pattes d’ours, leurs ressauts de glace raides et leurs voûtes de glacier, avant tout à quatre artistes paysagistes exceptionnels. Ils ont créé, en 70 ans environ, un grand nombre de vues de glaciers de haute qualité, couvrant ainsi la période de la fin des Lumières, en passant par la période romantique du milieu du xixsiècle. Les paysages glaciaires apparaissent particulièrement comme de « véritables paysages naturels » (figure 10).

23Des paysages glaciaires idéalisés et réalistes ont été créés par le Suisse Caspar Wolf (1735–1783), qui est probablement le pionnier le plus important de la représentation des hautes montagnes alpines à la fin du xviiie siècle. Lors d’un voyage à Paris, Wolf a été influencé de manière décisive par le peintre paysagiste français Joseph Vernet. Wolf a notamment repris à son compte la recommandation de Vernet : « Faites autant que vous pouvez d’après la nature, la nature est le premier de tous les maîtres ». Au cours vraisemblablement de huit voyages, de 1774 à 1778/1779, il réalisa environ 200 peintures à l’huile et d’autres études, notamment sur les Alpes bernoises (dont 61 sont des vues de glaciers). Wolf était accompagné du naturaliste Jakob Samuel Wyttenbach et de l’éditeur Abraham Wagner (Zumbühl, 2009).

24À partir de la fin du xviiie siècle, Jean-Antoine Linck, très intéressé par les phénomènes naturels, a créé des paysages glaciaires au réalisme romantique et a ainsi représenté les changements glaciaires avec beaucoup de détails. Comme ses contemporains, il était animé de désir pour la précision topographique mais aussi pour la poésie qui se dégage du paysage alpin de cette époque. Loin de toute emphase romantique, ses dessins placent les sommets déchiquetés, les glaciers scintillants et les prairies grasses des plateaux, dans un jeu subtil d’ombre et de lumière, toujours empreint de naturel, exagérant parfois le hérissement des sommets et des séracs de glace. Avec sa grande virtuosité, il dessine au crayon, au fusain, à la craie (teinté de blanc) et à la gouache, puis il crée principalement des eaux-forts coloriées à l’aquarelle pour ainsi vendre aux personnes intéressées (principalement des touristes) des vues remarquables par leur sérénité, leur silence, tout en offrant des paysages avec une ambiance lumineuse et des ciels calmes.

25Les dessins représentant des paysages montrent l’aspect le plus personnel de l’œuvre de Jean-Antoine Linck. Les œuvres montrent très précisément, et de manière objective, les structures et la nature des objets. Linck a étudié la nature telle qu’elle est, et en quelque sorte a renouvelé l’approche de Caspar Wolf. Ces illustrations introduisent la représentation réaliste de la haute montagne dans l’iconographie de la peinture genevoise et conduisent ainsi à une nouvelle forme de peinture de paysage. Cependant, ses dessins, qui révèlent la véritable personnalité artistique de Linck, ont été négligés jusqu’à nos jours. Linck a réussi à traduire un monde poétique dans un style réaliste. Libérée de toute convention, de tout mode standard et de tout sentiment humain, son œuvre revêt un caractère permanent (Bouchardy, 1986).

26Le Bâlois Samuel Birmann (1793–1847), grand maître du paysage topographique, est un deuxième artiste à qui l’on doit de nombreuses vues romantiques et réalistes. Ses 100 vues de glaciers réalisées entre 1814 et 1835, pour la plupart des études de la nature au crayon et à l’aquarelle, représentent le point culminant des représentations de paysages de la période romantique. La précision et la richesse des détails sont uniques et d’une importance capitale pour l’histoire des glaciers. Sur le plan géographique, l’Oberland bernois (Alpes suisses) et la région du Mont-Blanc autour de Chamonix étaient au centre du travail de Birmann (Zumbühl, 1997).

27Enfin, des paysages glaciaires, presque photoréalistes, ont été réalisés par l’Autrichien Thomas Ender (1793–1875), probablement le peintre paysagiste le plus influent de son époque dans les Alpes orientales. C’était la réalité qu’Ender recherchait en véritable maître, l’infinie variété de la nature libre, de ses formes et de ses beautés, qu’il étudiait dans les moindres détails. Le choix du sujet et du point de vue approprié est devenu crucial ; cela signifiait errer et voyager à la recherche des plus belles vues de la nature. Il fut en outre décisif qu’Ender soit accepté dans le cercle de l’archiduc Jean-Baptiste d’Autriche en tant que « Kammermaler » (peintre personnel du duc). Ender visita pour la première fois la région du Grossvenediger en 1829, où il dut prouver ses compétences dans la représentation d’impressionnantes montagnes enneigées et les parois de glace. Cela a jeté les bases d’un grand nombre de vues de glaciers dans les Alpes orientales. Lors de voyages ultérieurs, par exemple en 1854 en Suisse et en Savoie, il a également créé, entre autres, des vues des glaciers de Grindelwald et de la mer de Glace (Patzelt, 2019).

28Le travail de ces quatre artistes est une chance unique dans la compréhension de l’histoire des glaciers. Ils réalisaient les études les plus précises de la nature, profitant des nouvelles connaissances apportées par les naturalistes qui les accompagnent. Grâce à des mécènes intéressés (tels que Wagner et l’archiduc Jean), non seulement d’importantes œuvres d’art ont été créées, mais aussi des sources picturales uniques en termes d’histoire du paysage.

Figure 10. Paysages glaciaires alpins du xviiie au xixe siècle

Figure 10. Paysages glaciaires alpins du xviiie au xixe siècle

De gauche à droite (extraits) : front pentu du glacier inférieur de Grindelwald par Caspar Wolf (1774 et/ou 1776/1777 ; huile sur toile ; 53,5 x 81,0 cm ; Museum Oskar Reinhart, Winterthur, Inv. 478 ; cliché H. J. Zumbühl) ; front du glacier des Bossons en crue par Jean-Antoine Linck (début du xixe siècle ; aquarelle ; 24,7 x 33,0 cm ; collection privée ; clichée H. J. Zumbühl) ; partie supérieure de la langue du glacier des Bois vue depuis le sentier au Chapeau par Samuel Birmann (1823 ; plume, crayon, aquarelle, blanc opaque, sur papier bleu-gris ; 19,1 x 17,1 cm ; Kunstmuseum Basel, Kupferstichkabinett , Inv. Bi.30.124 ; cliché H. J. Zumbühl) ; le glacier supérieur de Grindelwald avec Wetterhorn par Thomas Ender (probablement en 1854 ; aquarelle sur papier ; 33,0 x 48,0 cm ; collection privée, Dorotheum).

Conclusions

29Avec ses aquarelles, dessins et peintures, l’artiste et graveur genevois Jean-Antoine Linck (1766–1843) a montré tout d’abord la beauté de nombreux glaciers, notamment dans la région du Mont-Blanc, mais ses œuvres ont également permis de reconstituer avec précision l’histoire de ces glaciers :

  • L’œuvre de Linck accorde au territoire du Mont-Blanc la même importance, en termes d’iconographie des glaciers, que celle de Caspar Wolf et Samuel Birmann pour l’Oberland bernois, ou de Thomas Ender pour les Alpes autrichiennes. Les œuvres de ces quatre artistes constituent des sources iconographiques uniques pour les reconstructions modernes des glaciers.

  • Les œuvres de Linck se caractérisent par une précision presque photographique. L’artiste représente fidèlement les chaînes de montagnes et note soigneusement au verso les noms des montagnes et des lieux représentés sur plusieurs de ses œuvres.

  • À la fois document et œuvre artistique, les dessins et peintures de Linck témoignent de l’engouement de son époque pour la peinture alpine. Ces illustrations introduisent ainsi la représentation réaliste de la haute montagne dans l’iconographie de la peinture genevoise et conduisent à une nouvelle forme de peinture de paysage.

  • L’œuvre de Linck représente l’évolution du retrait de la mer de Glace depuis la fin du xviiie siècle, jusqu’à l’avancée du glacier au début du xixe siècle et de son extension maximale vers 1821. Autres glaciers du massif du Mont-Blanc et quelques glaciers d’autres régions des Alpes suisses sont également documentés.

  • Concernant l’histoire des glaciers, l’unique inconvénient reste le fait que les œuvres de Linck ne sont pour la plupart pas exactement datées par celui-ci, et que la détermination de l’origine temporelle reste souvent difficile, ce qui met au défi la reconstruction des glaciers et nécessite un solide travail d’archives, afin d’obtenir la date fiable de ces œuvres d’art. D’autres vues de Linck, restant à découvrir dans l’avenir, pourraient révéler plus d’informations. Néanmoins, ses œuvres sont devenues inestimables pour l’histoire des glaciers, grâce aux détails représentés et aux contextes qui ont pu être reconstitués dans de nombreux cas.

  • En résumé, Linck fut à la fois un artiste et un historien des glaciers.

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende À gauche : Portrait du peintre et graveur Jean-Antoine Linck de Genève, par Joseph Hornung (extrait de la peinture à l’huile ; 51,0 x 44,5 cm ; Bibliothèque de Genève). À droite : Aperçu des sites visités par Jean-Antoine Linck. Cet aperçu ne prétend pas être exhaustif. Les localités de six glaciers sont montrées où les travaux de Linck ont été utilisés pour la reconstruction de la longueur des glaciers.
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-1.png
Fichier image/png, 1,1M
Titre Figure 2
Légende En haut : Le glacier des Bois recule et cette œuvre montre qu’il n’a qu’une étendue assez faible au tournant du xviiie au xixe siècle (« Vue du Glacier des Bois en retraite. » ; signé en bas à droite « Jn. Ante Linck. » ; crayon, aquarelle, gouache ; 24,7 x 33,2 cm [feuille 33,7 x 42,4 cm] ; musée d’ethnographie, Genève, Collection Georges Amoudruz, 303 109 ; cliché S. U. Nussbaumer). En bas : Très beau dessin aquarellé représentant l’avancée du glacier des Bois au début du xixe siècle, avec l’aiguille à Bochard, l’aiguille Verte et les Drus en arrière-plan (« Vue de la Source du Glacier des Bois. » ; signé en bas à gauche « fait par Jn. Ante Linck », marqué au verso « fait par J. Ant Linck a Montbrillant près la porte de Suisse à Genève » ; crayon, aquarelle et gouache, sur fond gris ; 35,0 x 46,7 cm [feuille 42,3 x 54,0 cm] ; collection privée ; clichée H. J. Zumbühl).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-2.png
Fichier image/png, 3,2M
Titre Figure 3
Légende Chef-d’œuvre de représentation de glacier et de paysage par Jean-Antoine Linck, montrant la mer de Glace en 1799 vue du Chapeau. Ce décor parfait avec premier plan et arrière-plan a été pris depuis la position en forme de grotte où se trouvait le vieux Chapeau (figure du haut : « Artiste dessinant depuis la voûte nommée le Chapeau, le glacier des Bois et les aiguilles du Charmoz » ; aquarelle sur papier ; 33,2 × 45,0 cm ; signé en bas à droite « fait par Jn. Ante. Linck » ; collection privée, Beurret & Bailly Auktionen ; figure du bas : « Voute nommée le Chapeau — 1260 » ; eau-forte, avec plume et encre marron ; 36,4 x 48,4 cm ; Musée d’art et d’histoire, Cabinet des estampes, Genève, Acq No 341).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-3.png
Fichier image/png, 2,9M
Titre Figure 4
Légende En haut : Représentation étonnante du retrait et de la progression des langues du glacier des Bossons par Jean-Antoine Linck, l’une des toutes premières comparaisons de glaciers (« Parties de glacier avec des randonneurs » ; convolute, deux feuilles ; toutes les deux signées en bas à droite « J : Ant : Linck. Fec » ; aquarelle ; 25,0 x 34,0 cm, 24,7 x 33,0 cm ; collection privée ; clichés H. J. Zumbühl). En bas à gauche : Le glacier des Bossons vu d’une perspective plus large (« Glacier des Bossons » ; signé en bas à gauche « Ant. Linck fec. » ; aquarelle ; 28,7 x 38,3 cm ; British Museum). En bas à droite : Le glacier des Bossons vers son maximum du xixe siècle (« Vue de Glacier de Bossons de l’Aiguille du Midi et du Tacul » ; signé en bas à droite ; aquarelle ; 44,5 x 33,7 cm ; collection privée, Dobiaschofsky Auktionen ; cliché S. U. Nussbaumer).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-4.png
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Titre Figure 5
Légende À gauche : Détail de la mer de Glace (côté gauche dans la direction orographique de la langue) aboutissant au fond de la vallée en 1803 (« Vue d’une partie d’Arviron, du glacier des Bouis & du Montanvert » ; signé « J.Ant. Linck fec. 1803 » ; lithographie à la craie de couleur et au lavis ; 44,8 x 58,0 cm ; British Museum). À droite : Vue rapprochée du côté droit dans la direction orographique de la langue glaciaire vers 1820 par Jean-Antoine Linck, avec le glacier atteignant la Côte du Piget, sur laquelle il retourne et renverse des arbres (« Vue du Mont Blanc » ; craie noire et blanche sur papier gris ; 42,7 x 56,0 cm ; National Gallery of Art).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-5.png
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Titre Figure 6
Crédits À gauche : Le glacier de la Brenva vu depuis le chemin de Notre-Dame de la Guérison vers 1795 par Jean-Antoine Linck (« Le glacier de la Brenva et l’arête de Peuterey » ; signé en bas à droite ; crayon, craie blanche sur papier beige ; 41,0 x 56,0 cm ; Annecy, Collection Paul Payot ; Vellozzi, 1990, p. 45). À droite : Vue frontale du glacier du Gorner depuis Hermetje, vraisemblablement par Linck (signé en bas à droite « Zermatt » ; crayon et fusain, avec craie blanche ; Alpine Club Library London ; cliché H. J. Zumbühl).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-6.jpg
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Titre Figure 7
Légende À gauche : Vue du Schwarzwaldalp de Jean-Antoine Linck, publiée par Johann Peter Lamy (« Vue de la vallée, et des glaciers, du Schwartzwald Alp. Passant de Grindelwald le Grand Scheidek pour aller á Meyringen Canton de Berne » ; eau-forte coloriée [aquatinte] ; 20,9 x 30,0 cm ; Bibliothèque nationale suisse, GS-GRAF-ANSI-BE-311). À droite : avancée du glacier inférieur de Grindelwald au fond de la vallée, avec le Wetterhorn en arrière-plan, vue par Jean-Antoine Linck en 1820/1822 (?). Le front glaciaire est encore à environ 150–175 m de distance l’étendue maximale que le glacier atteindra par la suite (« Glacier Inférieur de Grindelwald. » ; signé « J Ant Linck » ; crayon, fusain et craie ; 42,6 x 57,7 cm ; Schweizer Alpen-Club, Sektion Bern, Bibliothek ; cliché H. J. Zumbühl).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-7.jpg
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Titre Figure 8
Légende Aperçu des représentations des glaciers par Jean-Antoine Linck, réalisées entre environ 1790 et 1820/1822. Le tableau fait la distinction entre différents types d’œuvres d’art ; dans certains cas, un ensemble complet de dessins (croquis), de peintures à l’huile et d’eaux-fortes colorées sont connus. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, puisque de nombreuses œuvres d’art appartiennent à des propriétaires privés.
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-8.jpg
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Titre Figure 9
Légende Changements cumulatifs de longueur des glaciers sélectionnés et dont il existe des représentations par Jean-Antoine Linck. Il faut noter que les avalanches de roches de 1920 et 1997 sur le glacier de la Brenva sont responsables de l’étendue exceptionnelle de ce glacier (source des données : Nussbaumer et al., 2007 ; Nussbaumer & Zumbühl, 2012 ; Holzhauser, 2010 ; Imhof, 2010 ; Zumbühl, 1980 ; Zumbühl et al., 2016 ; WGMS, 2023).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-9.jpg
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Titre Figure 10. Paysages glaciaires alpins du xviiie au xixe siècle
Légende De gauche à droite (extraits) : front pentu du glacier inférieur de Grindelwald par Caspar Wolf (1774 et/ou 1776/1777 ; huile sur toile ; 53,5 x 81,0 cm ; Museum Oskar Reinhart, Winterthur, Inv. 478 ; cliché H. J. Zumbühl) ; front du glacier des Bossons en crue par Jean-Antoine Linck (début du xixe siècle ; aquarelle ; 24,7 x 33,0 cm ; collection privée ; clichée H. J. Zumbühl) ; partie supérieure de la langue du glacier des Bois vue depuis le sentier au Chapeau par Samuel Birmann (1823 ; plume, crayon, aquarelle, blanc opaque, sur papier bleu-gris ; 19,1 x 17,1 cm ; Kunstmuseum Basel, Kupferstichkabinett , Inv. Bi.30.124 ; cliché H. J. Zumbühl) ; le glacier supérieur de Grindelwald avec Wetterhorn par Thomas Ender (probablement en 1854 ; aquarelle sur papier ; 33,0 x 48,0 cm ; collection privée, Dorotheum).
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/12275/img-10.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Samuel U. Nussbaumer et Heinz J. Zumbühl, « Les vues glaciaires de Jean-Antoine Linck – un jalon de l’histoire des glaciers du Mont Blanc du xviiie au xixe siècle »Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 111-2 | 2023, mis en ligne le 02 novembre 2023, consulté le 11 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rga/12275

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Auteurs

Samuel U. Nussbaumer

Département de géographie, Université de Zurich

Heinz J. Zumbühl

Institut de géographie, Université de Berne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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