Atlas des montagnes. Espaces habités, mondes imaginés
Atlas des montagnes. Espaces habités, mondes imaginés, Xavier Bernier, Christophe Gauchon, Autrement, deuxième édition, 2024, Paris
Texte intégral
1Écrit par deux excellents connaisseurs du domaine montagnard, Xavier Bernier professeur de Géographie à Sorbonne Université et Christophe Gauchon, professeur de Géographie à l’Université Savoie Mont-Blanc, cet atlas des montagnes, paru dans la riche collection des Atlas autrement, vient à point nous rappeler l’importance, la diversité et la fragilité d’une montagne confrontée aux défis du dérèglement climatique. Refondue et enrichie, cette seconde édition offre aux lecteurs et lectrices une opportune mise à jour des connaissances sur les montagnes alors que les Alpes ont constitué, cette année 2024, le sujet central du Festival international de géographie (FIG) de Saint-Dié-des-Vosges.
2Divisé en six grandes parties, l’ouvrage, malgré un format modeste (95 pages), présente un tour d’horizon du « fait montagnard » à l’échelle de la planète à travers une quarantaine de thèmes. Chacun est abordé d’une manière équilibrée par une double page enrichie de documents iconographiques et de cartes (plus de 90) réalisées par Alexandre Nicolas, cartographe indépendant. Deux des ressorts de l’ouvrage résident l’un dans une approche classique des relations qu’entretiennent les sociétés avec leur environnement montagnard permettant d’aborder le vocabulaire, les principaux objets d’étude, l’autre dans la volonté de développer des pistes de réflexion plus originales autour des nouveaux enjeux environnementaux, de nouvelles pratiques de la montagne ou d’une approche sensible de cette géographie des montagnes.
3La première partie intitulée « Nommer, connaître, explorer », tout en évoquant l’oronymie, présente les principaux jalons de la découverte du domaine montagnard et de la conquête des sommets. Du périple de Humboldt dans les Andes à la liste Messmer des quatorze 8000 mètres en passant par les progrès techniques de la géodésie, le lecteur et la lectrice est convié·e à une découverte des montagnes, qu’elles soient visibles ou cachées, comme les dorsales sous-marines. Cette partie révèle tout le tribut que l’on doit aux alpinistes et himalayistes qui ne sont pas seulement « ces conquérants de l’inutile » qu’évoque Lionel Terray (1961, Les conquérants de l’inutile, Ed Gallimard) mais de véritables explorateurs et exploratrices qui ont ouvert la voie d’une meilleure connaissance des hautes terres.
4La deuxième partie, « Maîtriser, effacer, s’adapter », s’attache à rappeler les enjeux du franchissement des montagnes. Les avancées de l’ingénierie ont permis peu à peu de surmonter l’obstacle. Les transports modernes et le percement des tunnels façonnent une nouvelle géographie des communications montagnardes qui voit les itinéraires d’altitude - via des cols élevés - délaissés au profit de grandes vallées polarisant un trafic ferroviaire et routier croissant grâce aux percements de tunnels de plus en plus longs, comme le rappelle Martin Immenhauser pour un des tunnels emblématiques en Suisse, le Saint-Gothard : « Le tunnel de base [du Saint-Gothard] nie la notion même de montagne. Pour la première fois, on ne franchit pas le Saint-Gothard à la verticale, mais à l’horizontale » (Martin Immenhauser, avocat et président de la Fondation Sasso Gottardo, dans 2016, Bühler-Rasom et Castagnola (éds), 57 personnes, 57 histoires : le tunnel de base du Saint-Gothard : l'ouvrage du siècle, édition AS Verlag).
5Tout à la fois barrières et interfaces, les montagnes font l’objet d’enjeux stratégiques et s’affirment, des Dolomites de la première guerre mondiale à la guerre des cimes indo-pakistanaise ou au conflit de l’Afghanistan et du Caucase, comme des théâtres d’opérations militaires. L’écho de la guerre vient ici troubler ces refuges, voulus ou subis, que les montagnes ont offerts de tout temps et sur tous les continents aux minorités ethniques ou religieuses. Si cette fonction de refuge perdure, elle se renouvelle également aujourd’hui par les migrations d’agrément de nouvelles populations en quête de nature ou, plus original encore, d’un isolement permettant, comme à Green Bank dans les Appalaches, de s’affranchir des rayonnements électromagnétiques. Enfin, les montagnes doivent s’adapter aux conséquences d’un réchauffement climatique qui bouleverse les milieux montagnards avec le repli des glaciers, des neiges éternelles, les mutations de l’étagement de la faune et de la flore, ce qui remet en cause de nombreux aménagements associés à l’hydroélectricité ou au tourisme des sports d’hiver. À l’ère de l’anthropocène, la montagne retrouve son rôle de « laboratoire de la nature » (Numa Broc,1984, « Le milieu montagnard : naissance d’un concept », Revue de Géographie alpine, n° 2-3-4, p. 130) pour étudier les changements globaux.
6Sous le titre « Habiter et travailler en montagne », une troisième partie dresse le tableau d’un peuplement montagnard plus important qu’on ne le pense : 1,5 milliard d’habitant·es vivent au-dessus de 500 mètres d’altitude (p. 37). Alors qu’elles s’avèrent répulsives dès les premières pentes aux hautes latitudes, les montagnes s’imposent dans le domaine tropical comme un milieu privilégié jusqu’à des altitudes élevées. Vides ou trop pleines, souvent rurales mais où la ville - voire les très grandes villes comme Mexico ou La Paz – ne sont pas absentes, les montagnes se révèlent être un objet géographique d’une très grande variété dans son peuplement, ses activités et ses dynamiques. L’agriculture montagnarde se pare souvent aujourd’hui d’une image de qualité que viennent consacrer de nombreux labels à l’image des AOP/AOC fromagères du Massif central. Ailleurs, elle se tourne vers des cultures de niche voire à la faveur de l’isolement des productions illicites avec le kif du Rif marocain ou le pavot des hautes terres du « Triangle d’or », aux confins de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande, et des massifs afghans. « L’image montagne » (p. 43) soutient également des dynamiques industrielles héritées de traditions anciennes comme l’horlogerie du Jura ou les opinels savoyards. Fréquent, le recul démographique des hautes terres n’est pas une fatalité, les Rocheuses du Montana et du Nouveau-Mexique ou encore la Montagne limousine ont en commun d’accueillir de nouvelles populations plus urbaines et diplômées. Les nouveaux modes d’habiter et le télétravail facilitent aujourd’hui ce que les auteurs qualifient de « gentrification montagnarde » (p. 44). À ce changement social viennent s’ajouter des innovations techniques : pionnière avec de l’hydroélectricité à la fin du XIXème siècle, la montagne demeure au XXIème siècle un lieu d’innovation dans le cadre de la transition énergétique, comme en témoignent les centrales photovoltaïques de la Cerdagne dans les Pyrénées ou de Cauchari à 4000 mètres d’altitude dans les Andes du nord-ouest de l’Argentine.
7La quatrième partie « Aménager et protéger » s’intéresse aux enjeux environnementaux du domaine montagnard. Avec la naissance des premiers parcs nationaux dès la fin du XIXème siècle, les montagnes se sont imposées comme de hauts lieux des politiques de protection de la nature. Aujourd’hui, la réintroduction de la faune sauvage, l’évolution du couvert forestier, l’abondance de la ressource en eau questionnent tout à la fois le rôle des sociétés montagnardes, les relations établies avec le « bas pays » et les nouvelles dynamiques générées par le dérèglement climatique. Réalité physique d’où résultent les principes de contraste d’exposition, d’étagement, d’adaptation des sociétés humaines aux contraintes et aux aléas naturels, la montagne bénéficie d’une image de naturalité que symbolise la création de réserves de ciel étoilé dans les monts Mégantic au Québec en 2005 ou dans les Hautes-Pyrénées au pic du Midi de Bigorre en 2013. Cette pureté associée à la montagne (p.58) est cependant ternie par les pollutions proches liées aux activités sportives et touristiques et les pollutions lointaines comme en témoigne l’exposition des pentes de l’Himalaya aux rejets de carbone des grandes concentrations urbaines indiennes. En cela, les auteurs s’interrogent sur des montagnes qui seraient finalement « des espaces comme les autres ? » (p. 90), espaces dont les Alpes constituent très tôt le modèle universel, l’archétype qu’évoquait Raoul Blanchard en soulignant « qu’en pensant aux montagnes nous évoquons impérieusement les Alpes » (Avant-propos à Jules Blache, 1934, L’homme et la montagne, Ed Gallimard, p.9).
8La cinquième partie « Se ressourcer et se divertir en montagne » envisage la découverte d’un domaine montagnard qui s’ouvre sur l’extérieur avec les progrès des communications et le nouveau regard, porté à la suite de Rousseau, par l’esthétique romantique. La fréquentation du domaine montagnard progresse, d’abord soutenue par la venue des curistes. Stations thermales, préventoriums et sanatoriums se multiplient dans les montagnes européennes à l’image du plateau du Vercors. Dans le domaine tropical, les Européen·nes recherchent la salubrité des stations d’altitude comme Shimla ou Darjeeling dans l’Himalaya. Insistant sur les bienfaits réels ou supposés des eaux et de l’air des montagnes, tout un discours hygiéniste associe montagne et santé. Au XXème siècle, la pratique des sports d’hiver vient, après l’alpinisme, consacrer la fréquentation touristique du domaine montagnard. Cette vogue du ski alpin se traduit par de lourds impacts sur les paysages montagnards. Désormais présente sur tous les continents, la pratique du ski connaît un essor spectaculaire en Chine. Toutefois, sa géographie témoigne d’une mondialisation inachevée et d’un avenir devenu incertain ; en effet, les trois quarts des stations de sport d’hiver du Nord-Est des États-Unis ont fermé depuis les années 1970. Dans ce contexte, la valorisation d’un riche patrimoine montagnard associant paysages, produits, pratiques comme la saison d’alpage en Suisse, peut venir relayer, par des dynamiques sectorielles et transversales, une activité de sports d’hiver, à terme compromise.
9Enfin, dans une dernière partie « Croire et faire croire », Xavier Bernier et Christophe Gauchon accordent une large place à un imaginaire du « monde d’en haut » façonné par les religions et les croyances. Pour ces montagnes, sacralisées ou maudites, peuplées d’un bestiaire fantastique mêlant yétis, dragons et autres dahus, revisitées par la peinture, la littérature, le cinéma ou la publicité, il s’agit bien de s’interroger, comme le soulignait Pierre Gourou, « sur les effets du contact de telle ou telle civilisation avec la montagne » (Pierre Gourou,1973, Pour une géographie humaine, Flammarion, p. 98). Dans tous les cas, la montagne est chargée de symboles, elle nous interpelle. Pour conclure cette partie, les auteurs évoquent avec humour les « montagnes » de Paris et de l’Île-de-France.
10Très documenté, cet ouvrage, à la lecture stimulante, nous invite à la découverte de montagnes dont la diversité physique et humaine, les dynamiques parfois contradictoires et la pluralité des perceptions en font, comme le soulignent les auteurs dans leur conclusion, des espaces du quotidien et de l’exceptionnel, du banal et du singulier.
Table des illustrations
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Pour citer cet article
Référence électronique
Eric Bordessoule, « Atlas des montagnes. Espaces habités, mondes imaginés », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], Notes de lecture, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rga/13145 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12lvf
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