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2024

L’esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence du xixe au xxie siècle

Michel Tailland
Référence(s) :

Delphine Moraldo, L’esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence du XIXe au XXIe siècle, Lyon, ENS éditions 2021, 370 p.

Texte intégral

Figure 1. Couverture de l’ouvrage

Figure 1. Couverture de l’ouvrage

1Ce livre est issu d’une thèse de sociologie soutenue en 2017 sous la direction de Bernard Lahire. Dans cet ouvrage, Delphine Moraldo vise à dégager une sociologie de l’excellence chez les pratiquants de l’alpinisme et, au-delà de cette problématique stricte, une sociologie des élites. Le titre annonce que la chronologie envisage le temps long, du xixe au xxie siècle. Elle montre comment l’esprit de l’alpinisme n’est pas une création ex nihilo, mais résulte du produit d’influences diverses dans des contextes historiques spécifiques. Elle s’attache à analyser une double distinction. Comment d’une part, l’alpinisme serait une pratique à part, pensée comme supérieure aux autres activités physiques par ses pratiquants, et qui ferait des grands alpinistes des individus différents et supérieurs. D’autre part, la façon dont se crée, se transmet, se maintient et se transforme une culture commune en tant que mémoire collective. L’autrice analyse comment cette conception s’est cristallisée et maintenue, malgré l’arrivée de nouvelles populations dans un contexte historique, social et institutionnel changeant.

2Pour fonder sa démonstration, Moraldo s’appuie sur un volume de sources considérables et variées. Des sources classiques déjà bien étudiées (presse institutionnelle des clubs et groupements alpins britanniques et français) mais aussi des sources plus novatrices, dont de nombreux entretiens avec des acteurs et actrices contemporains, ainsi qu’un corpus très important de biographies et d’autobiographies d’alpinistes écrites entre 1910 et 2008. Ce choix méthodologique souligne ainsi l’importance majeure de l’écriture et des récits dans une activité physique, récits qui ont contribué à la transmission et à la pérennisation de ses traditions et de son « esprit ».

3L’autrice valide ainsi l’idée déjà bien développée dans l’historiographie antérieure, que si, aujourd’hui, prévalent dans l’alpinisme des conceptions de l’excellence forgées au xixe siècle, c’est que le travail initial de codification et de légitimation de ces formes d’excellence a été particulièrement efficace. Elle reprend également l’idée que l’esprit s’est aussi diffusé dans l’espace géographique, en particulier en France. Sans doute aurait-il été intéressant d’élargir la démonstration à d’autres espaces européens (Allemagne et Italie en particulier).

4L’ouvrage est articulé autour d’une chronologie en trois parties : 1) La genèse dans l’Angleterre victorienne ; 2) La période entre la fin du xixe siècle et la Seconde Guerre mondiale ; 3) La période depuis la Seconde Guerre mondiale. L’autrice défend l’idée selon laquelle l’excellence dans l’alpinisme découle d’un triple rapport : à la pratique, aux autres et à soi-même.

  • Le rapport à la pratique découle d’une éthique dérivée du Fair Play importé dans l’alpinisme par une socialisation sportive reçue dans les lieux d’éducation des élites victoriennes (Public Schools et grandes universités britanniques, Oxford et Cambridge). Cette éthique implique un usage limité des moyens artificiels. L’autrice montre que l’éthique est différente du règlement sportif en ce sens qu’elle n’est ni écrite ni fixée pour longtemps. Dans sa démarche, l’alpiniste s’éloignerait du sport pour se rapprocher de l’univers artistique ou religieux ;

  • L’excellence comme rapport aux autres s’appuie sur un discours de distinction qui repose sur une supériorité du haut vers le bas, du sacré sur le profane, du pur sur l’impur. Ce serait un discours de sacralisation tel qu’on peut l’observer dans l’art ;

  • L’excellence par rapport à soi serait induite par un rapport vocationnel à l’alpinisme.

5À travers ce triple rapport, l’autrice souligne l’effort constant de maintien de l’excellence dans sa conception originelle, depuis le processus de codification par une élite suivi par une survivance de l’excellence, y compris sans la présence de celle-ci. Ainsi, elle souligne un processus important : l’autonomisation d’une forme d’excellence par rapport au groupe où elle a été codifiée.

6L’autrice reprend l’idée que l’alpinisme a été inventé par un groupe social et de genre homogène, soulignant ainsi le succès de la conception de l’excellence forgée par les Britanniques. Ces procédés de distinction remplissant leur fonction d’affiliation symbolique à une élite lorsque ceux-ci sont utilisés par des individus dépourvus des caractéristiques de ladite élite (notamment, les femmes et les catégories populaires traditionnellement exclues de l’excellence et du « grand alpinisme »). Elle démontre que le succès de cette codification initiale de l’excellence se mesure en ce que son « esprit » s’est diffusé en dehors de son groupe d’origine, mais également de son pays d’origine (en l’occurrence la France) alors même que le contexte a changé et que le groupe s’est dissout. L’« esprit de l’excellence », une fois cristallisé, finit par remplir une fonction d’intégration dans l’élite de l’alpinisme. Ainsi, qui veut en faire partie doit le connaître et s’y conformer, et les adaptations qu’ils apportent ne modifient pas en profondeur l’idée véhiculée de l’excellence. Les nouveaux publics sont acceptés mais demeurent minoritaires. Ils se conforment plus qu’ils ne contestent le modèle d’origine.

7Le mérite et la pertinence de cet ouvrage résident dans le fait d’avoir analysé de manière très fine la complexité de la genèse historique de ce discours de l’excellence sur le temps long, en mobilisant une masse considérable de sources primaires peu utilisées jusqu’à présent : nécrologies, biographies, autobiographies. En ce sens, il constitue sans aucun doute un jalon important dans l’étude du phénomène.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Couverture de l’ouvrage
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/13165/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 185k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Michel Tailland, « L’esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence du xixe au xxie siècle »Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], Notes de lecture, mis en ligne le , consulté le 11 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/rga/13165 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12q1a

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Droits d’auteur

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